Jurisprudence : CEDH, 19-03-2002, Req. 47007/99, ARNAL

CEDH, 19-03-2002, Req. 47007/99, ARNAL

A2798AYB

Référence

CEDH, 19-03-2002, Req. 47007/99, ARNAL. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1086401-cedh-19032002-req-4700799-arnal
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Cour européenne des droits de l'homme

19 mars 2002

Requête n°47007/99

ARNAL



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


DEUXIÈME SECTION


AFFAIRE ARNAL c. FRANCE


(Requête n° 47007/99)


ARRÊT


STRASBOURG


19 mars 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Arnal c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,

J.-P. Costa,

Gaukur Jörundsson,

K. Jungwiert,

V. Butkevych,

Mme W. Thomassen,

M. M. Ugrekhelidze, juges, et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 février 2002,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :


PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 47007/99) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Françoise Arnal (" la requérante "), a saisi la Cour le 21 janvier 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. La requérante est représentée devant la Cour par Me Jean-Philippe Roman, avocat au barreau d'Aix-en-Provence. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères.

3. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

4. Le 9 janvier 2001, se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, la Cour a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

6. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).


EN FAIT

7. La requérante est titulaire d'une officine de pharmacie à Salon de Provence (France) depuis 1991.

8. Par un arrêté du 23 décembre 1991, le préfet des Bouches-du-Rhône autorisa Monsieur B. à transférer sa pharmacie à moins de 300 mètres de l'officine de la requérante.

9. Le 17 février 1992, la requérante saisit le tribunal administratif de Marseille d'une requête en excès de pouvoir à l'encontre de cet arrêté.

Monsieur B. déposa un mémoire en défense en qualité de bénéficiaire de l'arrêté le 23 mars 1991 et la requérante y répondit par un mémoire ampliatif du 27 mars 1992. Monsieur B. répliqua par un mémoire du 23 avril 1992 et le préfet déposa son mémoire en défense le 5 juin 1992.

L'audience devant le tribunal administratif de Marseille fut fixée au 24 juin 1997, puis reportée au 13 mai 1998.

10. Par un jugement du 27 mai 1998, le tribunal administratif débouta la requérante de sa demande.


EN DROIT


I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

11. La requérante se plaint de la durée de la procédure. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) "

12. La Cour relève que la période à considérer en l'espèce sous l'angle du " délai raisonnable " de l'article 6 § 1 débute le 17 février 1992 avec la saisine du tribunal administratif de Marseille, et s'achève le 27 mai 1998, date du jugement du tribunal (cela n'est pas controversé). Elle est donc de six ans, trois mois et dix jours, pour un seul degré de juridiction.


A. Recevabilité

13. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.


B. Sur le fond

14. Le Gouvernement concède que l'examen de l'affaire " ne soulevait, en l'espèce, aucune difficulté particulière ". Il déclare par ailleurs ne pas " conteste[r] (...) la durée excessive de la présente procédure, notamment entre le 5 juin 1992 et le 3 juin 1997, et (...) s'en remettre à la sagesse de la Cour quant à l'appréciation de cette durée ".

15. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire et le comportement du ou des requérants ainsi que celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], n° 30979, § 43, CEDH 2000-VII).

La Cour prend acte de la déclaration du Gouvernement. Par ailleurs, constatant l'absence de complexité du litige, relevant une longue période de latence devant le tribunal administratif (du 5 juin 1992 et le 3 juin 1997) pour laquelle le Gouvernement ne fournit aucune explication, et notant que la durée litigieuse concerne une seule instance, elle conclut que la cause de la requérante n'a pas été entendue dans un " délai raisonnable " et qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.


II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

16. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "


A. Dommage

17. La requérante réclame 634 000 francs (" FRF "), soit 96 652,68 euros (" EUR "), au titre d'un dommage matériel. Elle expose à ce titre qu'elle a dû, " pour éviter peut-être une procédure de redressement judiciaire, déplacer et rénover son outil de travail pour faire face à la concurrence de la pharmacie [B.] ", ce qui aurait généré des frais d'investissement importants.

Elle demande en outre 100 000 FRF (soit 15 244,90 EUR) pour préjudice moral.

18. Le Gouvernement réplique que l'investissement engagé par la requérante " ne résulte, en aucun cas, de la longueur de la procédure ". Quant au dommage moral, il suggère le versement de 30 000 FRF, soit 4 573,47 EUR.

19. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation de l'article 6 § 1 de la Convention et un quelconque dommage matériel dont la requérante aurait eu à souffrir. Il échet donc de rejeter cette partie des prétentions de l'intéressée.

La Cour estime par contre que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du " délai raisonnable " a sans nul doute causé à la requérante un préjudice moral justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle lui alloue 7 500 EUR à ce titre.


B. Frais et dépens

20. La requérante demande 35 880 FRF (soit 5 469,87 EUR), taxe sur la valeur ajoutée (" TVA ") comprise, pour les frais et dépens exposés dans le cadre de la procédure devant la Cour. Elle ne fournit aucune facture ni note d'honoraires.

21. Le Gouvernement déclare qu' " une somme de 10 000 FRF [soit 1 524,49 EUR] pourrait être allouée ".

22. La Cour relève que la requérante ne produit aucun justificatif des sommes qu'elle réclame pour frais et dépens. Dans la mesure cependant où le Gouvernement se déclare prêt à lui verser 1 524,49 EUR à ce titre et où cette somme apparaît raisonnable au regard de l'absence de complexité de la présente affaire (en raison notamment de la position adoptée par le Gouvernement), la Cour juge équitable de l'allouer à la requérante, TVA comprise.


C. Intérêts moratoires

23. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en France à la date d'adoption du présent arrêt est de 4,26 % l'an.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,


1. Déclare la requête recevable ;


2. Dit, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;


3. Dit,


a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :


i. 7 500 EUR (sept mille cinq cent euros) pour dommage moral ;


ii. 1 524,49 EUR (mille cinq cent vingt-quatre euros et quarante-neuf cents), TVA comprise, pour frais et dépens ;


b) que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 4,26 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;


4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mars 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. Baka

Greffière Président

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