Jurisprudence : CEDH, 19-03-2002, Req. 54757/00, CHAUFOUR

CEDH, 19-03-2002, Req. 54757/00, CHAUFOUR

A2795AY8

Référence

CEDH, 19-03-2002, Req. 54757/00, CHAUFOUR. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1086398-cedh-19032002-req-5475700-chaufour
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Cour européenne des droits de l'homme

19 mars 2002

Requête n°54757/00

CHAUFOUR



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


DEUXIÈME SECTION


AFFAIRE CHAUFOUR c. FRANCE


(Requête n° 54757/00)


ARRÊT


STRASBOURG


19 mars 2002


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Chaufour c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,

J.-P. Costa,

Gaukur Jörundsson,

K. Jungwiert,

V. Butkevych,

Mme W. Thomassen,

M. M. Ugrekhelidze, juges, et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 février 2002,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :


PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 54757/00) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, Hubert Chaufour (" le requérant "), a saisi la Cour le 26 janvier 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Le requérant est représenté devant la Cour par Me Jean Barthelemy, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères.

3. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

4. Le 9 janvier 2001, se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, la Cour a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

6. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).


EN FAIT

7. Le 24 octobre 1981, le requérant déposa une demande d'autorisation concernant la création d'une clinique chirurgicale. Cette demande fut rejetée par un arrêté préfectoral en date du 5 mai 1982, au motif qu'une autorisation de même nature avait déjà été accordée à un autre médecin dans le même secteur sanitaire.

8. Le 23 juin 1984, en raison de la caducité de l'autorisation accordée à cet autre médecin, le requérant présenta une demande d'autorisation de plein droit, en application de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1970. Par une lettre du 20 août 1984, puis par un arrêté préfectoral du 21 décembre 1984, le préfet de Haute Normandie rejeta la demande d'autorisation.

Le 20 février 1985, le requérant contesta ces deux décisions par la voie du recours hiérarchique ; sa contestation fut rejetée.

Le requérant saisit alors le tribunal administratif de Rouen, lequel, par un jugement du 18 novembre 1988, lui donna satisfaction. Ce jugement fut confirmé par le Conseil d'Etat par un arrêt du 11 mars 1991.

9. Sur le fondement de cet arrêt, le requérant sollicita du ministère compétent une prorogation de délai pour la réalisation de son projet.

Le 4 juin 1992 il saisit le tribunal administratif de Rouen d'une demande en annulation de la décision implicite de rejet de l'administration résultant de l'absence de réponse à sa requête. Il en fut débouté par un jugement du 18 janvier 1995. Le 7 avril 1995, le requérant interjeta appel devant le Conseil d'Etat.

10. Parallèlement, le 2 avril 1993, le requérant avait introduit une requête fondée sur la durée excessive de la procédure devant la Commission européenne des Droits de l'Homme (la " Commission " ; requête n° 22153/93), laquelle, le 28 juin 1995, avait adopté un rapport concluant à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention 28 juin 1995.

Par une Résolution du 17 septembre 1997, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe (le " Comité des Ministres ") conclut à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention et condamna l'Etat français à verser au requérant un montant de 110 000 francs (" FRF ") au titre de la satisfaction équitable.

11. Par une arrêt du 28 juillet 1999, le Conseil d'Etat annula le jugement du tribunal administratif de Rouen du 18 janvier 1995.


EN DROIT


I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

12. Le requérant se plaint de la durée de la procédure devant le Conseil d'Etat. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ".

13. La Cour estime que la période à considérer en l'espèce sous l'angle du " délai raisonnable " de l'article 6 § 1 débute le 29 juin 1995, lendemain du jour de l'adoption par la Commission de son rapport sur la requête n° 22153/93, et prend fin le 28 juillet 1999 avec l'arrêt du Conseil d'Etat (cela n'est pas controversé). Elle est en conséquence de quatre ans et vingt-neuf jours.


A. Recevabilité

14. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle constate par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.


B. Sur le fond

15. Selon le Gouvernement, la procédure litigieuse " présentait une certaine complexité [ ;] il s'agissait en effet pour la juridiction saisie de se prononcer sur la délicate question de l'effet produit par une autorisation implicite de création d'une clinique chirurgicale, valable pour un délai déterminé, et accordée près de 15 ans auparavant ".

Le Gouvernement affirme que " le déroulement de la première partie de la procédure a connu un rythme normal ", mais reconnaît qu'entre les mois de novembre 1996 et mars 1998, " aucun élément nouveau n'a été versé au dossier ". Il ajoute cependant que l'arrêt du Conseil d'Etat " est intervenu huit mois seulement après l'avis d'audience, ce qui constitue un délai tout à fait raisonnable eu égard à la spécificité de cette juridiction ".

Le Gouvernement déclare " s'en remettre à la sagesse de la Cour s'agissant de l'appréciation du bien-fondé du grief tiré de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention ".

16. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire et le comportement du ou des requérants ainsi que celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], n° 30979, § 43, CEDH 2000-VII).

La Cour estime que l'affaire ne présentait pas une complexité particulière ; tel fut d'ailleurs l'avis exprimé par la Commission dans son rapport du 28 juin 1995 sur la requête n° 22153/93. La Cour constate en outre que rien n'indique que, par son comportement, le requérant aurait contribué à la durée de la procédure. Relevant enfin une période de latence d'un an et quatre mois pour laquelle le Gouvernement ne fournit aucune explication, et notant que la procédure litigieuse concerne une seule instance, la Cour estime que la cause du requérant n'a pas été entendue dans un " délai raisonnable " par le Conseil d'Etat, et conclut à une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.


II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

17. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "


A. Dommage

18. Le requérant réclame 10 000 000 de francs (" FRF "), soit 1 524 490,17 euros (" EUR "), " en réparation du préjudice moral, professionnel et matériel à lui causé par les lenteurs des juridictions administratives ". Il souligne qu'il avait consacré sa vie professionnelle à la réalisation de son projet de clinique privée, lequel " aurait nécessairement abouti si ces lenteurs n'avaient permis à l'administration de la Santé de développer pour des raisons étrangères à l'intérêt général une constante stratégie dilatoire destinée de manière avouée à ruiner ledit projet qui pourtant correspondait à un besoin de santé publique incontestable et d'ailleurs incontesté ".

19. Le Gouvernement estime que la somme réclamée par le requérant est excessive et propose de lui verser 30 000 FRF (soit 4 573,47 EUR) au titre de son préjudice moral.

20. La Cour rappelle que le constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention auquel elle parvient se fonde exclusivement sur la durée de la procédure devant le Conseil d'Etat, du 29 juin 1995 au 28 juillet 1999. Dans ces circonstances, elle n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont le requérant auraient eu à souffrir ; il y a donc lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions (voir, par exemple, l'arrêt Demir et autres c. Turquie du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI, p. 2660, § 63).

La Cour estime en revanche que le prolongement de la procédure litigieuse devant le Conseil d'Etat au-delà du " délai raisonnable " a causé au requérant un préjudice moral justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité comme le veut l'article 41, elle lui alloue 5 000 EUR à ce titre.


B. Frais et dépens

21. Le requérant demande 30 000 FRF (soit 4 573,47 EUR) au titre des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales puis la Cour. Il ne fournit aucun justificatif, soulignant que, " quant aux frais de procédure engagés, aucun " justificatifs " n'est jamais réclamé par les juridictions suprêmes nationales aux membres de leur barreau, qui de tradition immémoriale sont crus sur leur robe, dès lors que, ainsi le souligne le Ministre lui-même, la demande est raisonnable ".

22. Le Gouvernement soutient que " seuls pourront être éventuellement remboursés les frais effectivement engagés par le requérant devant les organes de Strasbourg, sous réserve de la production des justificatifs correspondants et du caractère raisonnable de ces honoraires ".

23. La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 60 § 2 de son règlement, les requérants doivent joindre à leurs prétentions au titre de l'article 41 les " justificatifs nécessaires, faute de quoi la chambre peut rejeter la demande, en tout ou en partie ". Elle constate qu'en l'espèce, le requérant ne produit aucun justificatif à l'appui de sa demande au titre des frais et dépens, alors qu'il a été dûment informé par le Greffe des prescriptions de l'article 60 § 2.

Ceci étant, relevant que le requérant était représentés devant la Cour et qu'il a en conséquence nécessairement eu certains frais, la Cour estime qu'il ne serait pas équitable de rejeter intégralement sa demande au motif qu'il a omis de produit les justificatifs requis. Elle estime par contre que, dans ces circonstances, il n'y a pas lieu d'allouer la totalité du montant réclamé, et lui octroie 1 500 EUR, taxe sur la valeur ajoutée (" TVA ") comprise.


C. Intérêts moratoires

24. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable en France à la date d'adoption du présent arrêt est de 4,26 % l'an.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,


1. Déclare la requête recevable ;


2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;


3. Dit,


a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :


i. 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral ;


ii. 1 500 EUR (mille cinq cent euros), TVA comprise, pour frais et dépens ;


b) que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 4,26 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;


4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mars 2002 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. BAKA

Greffière Président

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