Jurisprudence : CEDH, 16-12-1997, Req. 136/1996/755/954,

CEDH, 16-12-1997, Req. 136/1996/755/954,

A6228AXX

Référence

CEDH, 16-12-1997, Req. 136/1996/755/954, . Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1077444-cedh-16121997-req-1361996755954
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Cour européenne des droits de l'homme

16 décembre 1997

Requête n°136/1996/755/954





AFFAIRE CAMENZIND c. SUISSE

(136/1996/755/954)


ARRET

STRASBOURG

16 décembre 1997

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1997, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

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SOMMAIRE

Arrêt rendu par une chambre

Suisse – perquisition domiciliaire effectuée dans le cadre d'une procédure pénale administrative (article 48 de la loi fédérale sur le droit pénal administratif)

article 8 de la Convention

Existence d'une ingérence

Ingérence dans le droit du requérant au respect de son domicile.

Justification de l'ingérence

Ingérence « prévue par la loi » et visant des fins compatibles avec la Convention : la « défense de l'ordre » et la « prévention des infractions pénales ».

« Nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et notamment proportionnée au but légitime recherché – prise en compte de la marge d'appréciation laissée aux Etats contractants.

Les Etats contractants peuvent estimer nécessaire de recourir à des mesures telles les visites domiciliaires et les saisies pour établir la preuve matérielle de certaines infractions. Contrôle de la Cour : porte sur la pertinence des motifs invoqués pour justifier celles-ci et respect du principe de proportionnalité. Quant à ce dernier point, la Cour s'assure que la législation et la pratique en la matière offrent aux individus des garanties adéquates suffisantes contre les abus ; elle redouble de vigilance lorsque le droit national habilite l'administration à prescrire et conduire une perquisition domiciliaire sans mandat judiciaire. La Cour examine aussi les circonstances particulières à chaque affaire afin de déterminer si, in concreto, l'ingérence litigieuse était proportionnée au but recherché.

En l'espèce : garanties offertes par la législation fédérale suisse et surtout très faible ampleur de la perquisition.

Conclusion : non-violation (huit voix contre une).

article 13 de la convention combiné avec l'article 8

Exception préliminaire du Gouvernement

Le Gouvernement soutient que le grief tiré de l'article 13 n'a pas été expressément soulevé dans la requête.

Compétence des organes de la Convention pour apprécier au regard de l'ensemble de ses exigences les circonstances dont se plaint un requérant et grande latitude en matière de qualification des faits.

Conclusion : rejet de l'exception (unanimité).

Bien-fondé du grief

La loi fédérale sur le droit pénal administratif instaure un recours spécial devant la chambre d'accusation du Tribunal fédéral contre les mesures de contrainte. En l'espèce toutefois, rejet du recours en application de la jurisprudence constante de cette juridiction selon laquelle n'a en principe qualité pour agir que celui qui est encore atteint, au moins partiellement, par la décision attaquée ; le recours ne peut donc être qualifié d'« effectif ». Effectivité des autres procédures invoquée par le Gouvernement non établie.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 50 DE LA CONVENTION

Dommage moral

Arrêt suffisant.

Frais et dépens

Somme allouée en équité.

Conclusion : Etat défendeur tenu de verser une certaine somme au requérant pour frais et dépens (unanimité).

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

10.12.1982, Foti et autres c. Italie ; 24.3.1988, Olsson c. Suède (n° 1) ; 21.2.1990, Powell et Rayner c. Royaume-Uni ; 24.4.1990, Kruslin c. France ; 30.10.1991, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni ; 25.2.1993, Funke c. France ; 25.2.1993, Crémieux c. France ; 25.2.1993, Miailhe c. France ; 19.12.1994, Vereinigung Demokratischer Soldaten Österreichs et Gubi c. Autriche ; 18.12.1996, Valsamis c. Grèce ; 25.2.1997, Z c. Finlande

En l'affaire Camenzind c. Suisse,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement B, en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. R. Bernhardt, président,

J. De Meyer,

A.N. Loizou,

A.B. Baka,

L. Wildhaber,

G. Mifsud Bonnici,

J. Makarczyk,

E. Levits,

P. van Dijk,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 1er juillet et 1er décembre 1997,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 28 octobre 1996, puis par le gouvernement de la Confédération suisse (« le Gouvernement ») le 14 janvier 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 21353/93) dirigée contre la Suisse et dont un ressortissant de cet Etat, M. Bruno Camenzind, avait saisi la Commission le 2 octobre 1992 en vertu de l'article 25.

La demande de la Commission et la requête du Gouvernement renvoient aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration suisse reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 8 et 13 de la Convention.

-2. En application de l'article 31 § 1 du règlement B, le requérant a désigné son conseil.

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L. Wildhaber, juge élu de nationalité suisse (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 29 octobre 1996, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. J. De Meyer, A.N. Loizou, A.B. Baka, G. Mifsud Bonnici, J. Makarczyk, E. Levits et P. van Dijk, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement B), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 27 mars 1997 et celui du Gouvernement le 1er avril.

5. Le 16 mai 1997, M. Bernhardt a accordé l'assistance judiciaire au requérant (article 4 de l'addendum au règlement A, mutatis mutandis).

6. Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 26 juin 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

pour le Gouvernement

MM. F. Schürmann, chef de la section des droits

de l'homme et du Conseil de l'Europe,

Office fédéral de la justice, agent,

T. Clément, collaborateur scientifique,

section des droits de l'homme

et du Conseil de l'Europe,

Office fédéral de la justice, conseiller ;

pour la Commission

M. F. Martínez, délégué ;

pour le requérant

M. J. Crevoisier, licencié en droit, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Martínez, M. Crevoisier et M. Schürmann.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

7. Le 5 décembre 1991, la section de surveillance des radiocommunications de la direction générale des PTT localisa sur une bande de fréquence réservée à l'aviation civile et militaire une communication téléphonique privée émise au moyen d'un téléphone non agréé. Elle enregistra la communication localisée sur la ligne de M. Camenzind – un juriste résidant à Fribourg – et en informa les autorités compétentes des PTT.

8. Le requérant fut soupçonné de contravention au sens de l'article 42 de la loi fédérale de 1922 « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique ». Le 11 décembre 1991, la direction des télécommunications (Fernmeldekreisdirektion) du canton de Berne ouvrit une information contre lui, conformément à la loi fédérale de 1974 sur le droit pénal administratif.

9. Le 13 décembre 1991, le directeur d'arrondissement des PTT de Berne délivra un mandat de perquisition du domicile de M. Camenzind, en vertu des articles 48 et suivants de la loi fédérale sur le droit pénal administratif. Selon le mandat, la perquisition visait à retrouver et saisir le téléphone sans fil non agréé.

10. Le 21 janvier 1992, à 9 h 50, deux fonctionnaires des PTT se présentèrent au domicile du requérant. Ce dernier reconnut avoir déjà essayé un téléphone sans fil par le passé, mais dit qu'il n'en possédait plus. Au vu du mandat de perquisition, il permit aux agents des PTT d'entrer dans le vestibule de l'appartement dont il n'occupait en fait qu'une pièce, les cinq autres étant louées. Informé des aspects juridiques de la perquisition, il consulta le dossier de son affaire et téléphona à un avocat ainsi qu'à un responsable de la direction des PTT à Berne.

11. La perquisition fut effectuée par un seul fonctionnaire des PTT, sur demande de M. Camenzind et en sa présence. L'agent perquisitionna chacune des pièces des deux étages de la maison, y compris la cave. Il se borna à vérifier la conformité des téléphones et des téléviseurs, ne toucha à rien, n'ouvrit aucun tiroir et ne consulta aucun document. Aucun appareil du type de celui qui était recherché ne fut trouvé. A 11 h 55, un procès-verbal fut établi et signé par le requérant et l'auteur de la perquisition. Il indiquait notamment que la perquisition pouvait faire l'objet d'une plainte, conformément aux articles 26 à 28 de la loi fédérale sur le droit pénal administratif.

A. Le recours en annulation de la perquisition devant la chambre d'accusation du Tribunal fédéral

12. Le 24 janvier 1992, M. Camenzind saisit la chambre d'accusation du Tribunal fédéral d'un recours en annulation de la perquisition pour illégalité fondé sur l'article 26 de la loi fédérale sur le droit pénal administratif. La direction générale des PTT conclut à l'irrecevabilité du recours.

13. Le 27 mars 1992, le Tribunal fédéral rendit un arrêt de rejet ainsi libellé (traduction de l'allemand) :

« 1. a) La chambre d'accusation du Tribunal fédéral peut être saisie d'une plainte contre les mesures de contrainte (articles 45 et suivants de la [loi fédérale sur le droit pénal administratif]) et les actes administratifs s'y rapportant (article 26 § 1 de la [même loi]). D'après l'article 28 § 1 de cette loi, a qualité pour déposer plainte quiconque est atteint par l'acte d'enquête qu'il attaque et a un intérêt digne de protection qu'il y ait annulation ou modification.

b) Le requérant ne conteste pas avoir eu un appareil téléphonique non agréé en Suisse ; à l'occasion de la perquisition, il a même expressément indiqué en avoir fait usage ; l'appareil se serait toutefois révélé inutilisable et aurait en conséquence été détruit (…). Il n'a donc pas pu être procédé à une saisie puisque l'appareil n'a pas été retrouvé. La plainte n'est donc pas dirigée contre la saisie (non effectuée) mais contre la perquisition ainsi que l'écoute d'entretiens téléphoniques (…)

c) Pour autant que la plainte dénonce la perquisition en tant que telle (« perquisition illégale [violation de domicile] », « perquisition forcée », « menace de recours à la force ») et l'écoute ainsi que l'enregistrement de conversations téléphoniques, il n'y a pas lieu de l'examiner, faute d'un intérêt légitime actuel (aktuelles Rechtsschutzbedürfnis), ces mesures ayant pris fin et le requérant n'étant plus actuellement atteint par celles-ci (BGE [Bundesgerichtsentscheidungen – Arrêts du Tribunal fédéral] 103 IV 117 E. 1a).

d) Cela vaut en principe aussi pour le repérage et l'enregistrement des communications téléphoniques en cause ici, qui se trouvent en relation étroite avec la perquisition. Le Tribunal fédéral renonce cependant, à titre exceptionnel, à l'exigence d'un intérêt actuel en pratique, lorsque le manquement à la loi dénoncé est susceptible de se reproduire à tout moment, lorsqu'un examen juridictionnel ne pourrait être exercé à temps dans le cas d'espèce, lorsque les questions qui se posent pourraient à tout moment se reposer dans des conditions semblables ou comparables et sont de celles dont la réponse, en raison de son importance de principe, présente un intérêt public suffisant (BGE 116 Ia 150 E. 2a ; 116 II 729 E. 6 ; Ib 59 E. 2b).

Ces conditions se trouvent ici remplies car la perquisition suppose que, dans un premier temps, l'utilisateur de l'appareil téléphonique non agréé ait été repéré par les moyens de détection appropriés. Cette investigation est cependant close au moment où l'on procède à la perquisition et, le cas échéant, à la saisie. C'est pourquoi la plainte doit être retenue pour autant que le requérant s'en prend à l'écoute et à l'enregistrement des communications qu'il a passées à l'aide de son appareil non agréé.

(...)

Par ces motifs, la chambre d'accusation dit :

1. Pour autant qu'elle a été déclarée recevable, la plainte est rejetée ;

(...) »

B. Le « prononcé pénal » de l'Office fédéral de la communication

14. Par des actes des 14 août et 26 septembre 1995, l'Office fédéral de la communication infligea à l'intéressé une amende de 150 francs suisses pour contravention, au sens de l'article 42 de la loi fédérale « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique », et le condamna aux frais et dépens.

15. Le 11 octobre 1995, M. Camenzind engagea une procédure de contrôle juridictionnel du « prononcé pénal » susmentionné devant le tribunal d'arrondissement (Bezirksgericht) de la Sarine. Celui-ci décida, le 18 décembre 1995, de clore la procédure pour cause de prescription (absolute Verjährung) de l'infraction litigieuse.

II. Le droit interne pertinent

A. La loi fédérale de 1922 « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique »

16. A l'époque des faits, l'article 42 de la loi fédérale de 1922 « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique » disposait :

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