Jurisprudence : CEDH, 23-10-1995, Req. 33/1994/480/562, Gradinger c. Autriche

CEDH, 23-10-1995, Req. 33/1994/480/562, Gradinger c. Autriche

A8370AWW

Référence

CEDH, 23-10-1995, Req. 33/1994/480/562, Gradinger c. Autriche. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065296-cedh-23101995-req-331994480562-gradinger-c-autriche
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Cour européenne des droits de l'homme

23 octobre 1995

Requête n°33/1994/480/562

Gradinger c. Autriche


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En l'affaire Gradinger c. Autriche (1),

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,

F. Matscher,

L.-E. Pettiti,

R. Macdonald,

S.K. Martens,

I. Foighel,

J.M. Morenilla,
Sir John Freeland,
M. J. Makarczyk,

ainsi que de M. H. Petzold, greffier,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 avril et 28 septembre 1995,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier

1. L'affaire porte le n° 33/1994/480/562. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 9 septembre 1994, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 15963/90) dirigée contre la République d'Autriche et dont un ressortissant de cet Etat, M. Josef Gradinger, avait saisi la Commission le 22 mai 1989 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration autrichienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et 4 du Protocole n° 7 (P7-4).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et désigné son conseil (article 30), que le président a autorisé à employer l'allemand pendant la procédure écrite (article 27 par. 3).

3. Le 24 septembre 1994, le président de la Cour a estimé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21 par. 6 du règlement A et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et des affaires Schmautzer, Umlauft, Pramstaller, Palaoro et Pfarrmeier c. Autriche (1).

1. Affaires nos 31/1994/478/560, 32/1994/479/561, 35/1994/482/564, 36/1994/483/565 et 37/1994/484/566.

La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. F. Matscher, juge élu de nationalité autrichienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A). Le même jour, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. L.-E. Pettiti, M. R. Macdonald, M. S.K. Martens, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla, Sir John Freeland et M. J. Makarczyk, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement autrichien ("le Gouvernement"), l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, les mémoires du Gouvernement et du requérant sont parvenus au greffier les 24 et 30 janvier 1995; les prétentions de M. Gradinger au titre de l'article 50 (art. 50) ont été déposées le 14 mars. Le 21 mars, la Commission a fourni au greffier divers documents qu'il avait demandés sur les instructions du président.

5. Ainsi qu'en avait décidé celui-ci, les débats se sont déroulés en public le 26 avril 1995, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. F. Cede, ambassadeur, chef du département de droit international, ministère fédéral des Affaires étrangères,

agent, Mmes I. Sieß, département constitutionnel,
chancellerie fédérale,

E. Bertagnoli, département de droit international, ministère fédéral des Affaires étrangères,

conseillères;

- pour la Commission

M. A. Weitzel,

délégué;

- pour le requérant

Me R. Fiebinger, avocat,

conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Weitzel, Me Fiebinger et M. Cede.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

6. Citoyen autrichien, M. Gradinger réside à St Pölten (Basse-Autriche).

7. Le 1er janvier 1987, vers 4 heures du matin, il provoqua au volant de sa voiture un accident de la route qui entraîna la mort d'un cycliste.

A l'hôpital où il fut conduit pour y être soigné, il subit une prise de sang qui révéla un taux d'alcoolémie de 0,8 g/l au moment du prélèvement.

8. Le 15 mai 1987, le tribunal régional (Landesgericht) de St Pölten le condamna pour homicide par imprudence (fahrlässige Tötung) à 200 unités journalières à 160 schillings autrichiens (ATS) et, subsidiairement, à 100 jours d'emprisonnement (article 80 du code pénal, Strafgesetzbuch, paragraphe 13 ci-dessous).

D'après le requérant, un expert, le Dr Psick, a déclaré à l'audience qu'eu égard au court laps de temps entre le dernier verre consommé par l'intéressé et la collision, ce dernier n'avait pu absorber une quantité d'alcool dépassant le maximum autorisé par la loi.

Le procès-verbal d'audience et de jugement (Protokolls- und Urteilsvermerk) du tribunal mentionne que d'après celui-ci, l'intéressé avait certes bu avant l'accident, mais pas au point d'entraîner l'application de l'article 81 par. 2 du code pénal, lequel prévoit une peine aggravée pour l'homicide par imprudence commis sous l'effet de l'alcool (paragraphe 14 ci-dessous).

9. Le 16 juillet 1987, l'administration du district (Bezirkshauptmannschaft) de St Pölten prit une "décision pénale" (Straferkenntnis) condamnant M. Gradinger, pour conduite en état d'ébriété, à une amende de 12 000 ATS et, subsidiairement, à une peine de deux semaines d'emprisonnement. Elle se fondait sur les articles 5 par. 1 et 99 par. 1 a) du code de la route de 1960 (Straßenverkehrsordnung, paragraphes 15-16 ci-dessous) et sur un autre rapport médical, du 5 février 1987, d'après lequel, compte tenu de la période séparant la collision de la prise de sang, le taux d'alcoolémie de l'intéressé au moment de l'accident devait avoir atteint 0,95 g/l au minimum.

10. Le requérant en appela au gouvernement du Land (Amt der Landesregierung) de Basse-Autriche, qui le débouta le 27 juillet 1988, en s'appuyant sur une nouvelle expertise, du 16 juin 1988, qui avait conclu à un taux de 0,9 g/l.

11. Le 11 octobre 1988, la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) décida de ne pas retenir pour examen le recours de l'intéressé, considérant qu'il ne présentait pas suffisamment de chances de succès.

12. Saisie à son tour, la Cour administrative rejeta le recours pour manque de fondement le 29 mars 1989. L'administration du Land n'aurait nullement méconnu la loi en estimant qu'au moment des faits, M. Gradinger se trouvait en état d'ébriété au sens de l'article 5 par. 1 du code de la route. Cette constatation reposerait en effet sur une expertise du 16 juin 1988, laquelle partait du principe que la quantité d'alcool consommée par le requérant était résorbée au moment de l'accident, ce que du reste l'intéressé n'aurait pas contesté. Celui-ci prétendrait donc à tort que l'expertise n'aurait pas analysé les effets du dernier verre pris avant son accident.

En outre, l'administration aurait agi conformément à la loi en chargeant un expert officiel (Amtssachverständiger) et non un expert judiciaire assermenté (gerichtlich beeideter Sachverständiger) de lui faire rapport sur le taux d'alcoolémie de M. Gradinger; en l'espèce, aucune raison particulière ne l'autorisait à procéder autrement. Contrairement aux affirmations du requérant, elle n'aurait pas non plus pris le même expert que celui sollicité en première instance par l'administration du district (paragraphe 9 ci-dessus).

Quant à l'article 14 par. 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, consacrant le principe non bis in idem, il ne serait pas directement applicable dans l'ordre juridique interne autrichien. Aussi l'administration n'aurait-elle pas méconnu la loi en sanctionnant le requérant après qu'une juridiction pénale l'eut acquitté (paragraphe 8 ci-dessus).

II. Le droit interne pertinent

A. Le droit matériel

1. Le code pénal

13. Aux termes de l'article 80 du code pénal (Strafgesetzbuch):

"Sera puni d'une peine d'un an d'emprisonnement au plus,
quiconque aura provoqué par imprudence la mort d'autrui."

14. L'article 81 par. 2 du code pénal se lit ainsi:

"Sera puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement au plus,
quiconque aura par imprudence provoqué la mort d'autrui

1. (...)

2. après s'être mis, même involontairement, par la consommation
d'alcool (...), dans un état d'ivresse n'excluant pas la
responsabilité, bien qu'il eût prévu ou pu prévoir qu'il
entreprendrait une activité dont l'exercice dans cet état
pourrait créer (...) un danger pour la vie (...) d'autrui."

En vertu d'une présomption irréfragable appliquée par les juridictions pénales, un conducteur ayant un taux d'alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 g/l se trouve en "état d'ivresse" au sens de l'article 81 par. 2 du code pénal (Foregger/Serini, Kurzkommentar zum Strafgesetzbuch, 4e édition, 1988, p. 217).

2. Le code de la route

15. L'article 5 du code de la route de 1960 interdit la conduite d'un véhicule à toute personne ayant un taux d'alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 g/l dans le sang ou à 0,4 mg/l dans l'haleine; il définit en outre les conditions d'utilisation des alcootests et des tests sanguins.

16. Depuis le 1er mai 1986, l'article 99 par. 1 a) dudit code dispose:

"Commet une contravention administrative
(Verwaltungsübertretung) passible d'une amende de 8 000 à
50 000 schillings ou, à défaut de paiement, d'un emprisonnement
de une à six semaines, quiconque:

a) conduit un véhicule (...) alors qu'il se trouve sous
l'empire de l'alcool (...)"

17. En 1958, à l'époque de la ratification de la Convention par le gouvernement autrichien (paragraphe 28 ci-dessous), l'article 7 de la loi de 1947 sur la police de la circulation (Straßenpolizeigesetz) prévoyait que "toute personne a l'obligation de conduire en prêtant une attention raisonnable aux autres usagers de la route et en faisant preuve du soin et de l'application nécessaires au maintien de l'ordre, de la sécurité et de la bonne circulation routière".

B. Le droit procédural

18. L'article 90 par. 1 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz) est ainsi libellé:

"En matière civile et pénale, les débats devant la juridiction
du fond sont oraux et publics. Les exceptions sont prévues par
la loi."

1. Le recours devant la Cour constitutionnelle

19. Aux termes de l'article 144 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien.

Le paragraphe 2 de l'article 144 prévoit:

"Jusqu'à l'audience, la Cour constitutionnelle peut, au moyen
d'une décision (Beschluß), refuser l'examen d'un recours s'il ne
présente pas suffisamment de chances de succès ou si l'on ne peut
attendre de l'arrêt qu'il résolve une question de droit
constitutionnel. La Cour ne peut refuser l'examen d'une affaire
que l'article 133 soustrait à la compétence de la Cour
administrative."

2. Le recours devant la Cour administrative

20. Selon l'article 130 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte administratif.

21. Aux termes de l'article 35 par. 1 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz):

"Les requêtes dont le contenu révèle l'inexistence de la
violation alléguée par leur auteur sont à rejeter, à huis clos,
sans autre forme de procédure."

22. L'article 39 par. 1 dispose notamment qu'au terme de la procédure préliminaire (Vorverfahren), la Cour administrative doit tenir une audience lorsque le plaignant en fait la demande.

Le paragraphe 2 est ainsi libellé:

"Nonobstant la demande introduite par une partie conformément
au paragraphe 1, la Cour administrative peut décider de ne pas
tenir d'audience lorsque:

1. la procédure doit être suspendue (article 33) ou le recours
rejeté (article 34);

2. la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en
raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse (article 42
par. 2, alinéa 2);

3. la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en
raison de l'inobservation de règles de procédure (article 42
par. 2, alinéa 3);

4. selon la jurisprudence constante de la Cour administrative,
la décision attaquée doit être annulée en raison de l'illégalité
de son contenu;

5. ni l'autorité défenderesse ni d'autres comparants n'ont
présenté de mémoire en réponse et que la décision attaquée doit
être annulée;

6. il ressort des mémoires des parties à la procédure devant la
Cour administrative ainsi que des pièces soumises à celle-ci et
relatives à la procédure administrative antérieure qu'une
audience n'est pas susceptible de contribuer à clarifier
davantage l'affaire."

Du paragraphe 2 de l'article 39, les points 1 à 3 étaient en vigueur en 1958; les points 4 et 5 ont été ajoutés en 1964 et le point 6 en 1982.

23. L'article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative dispose:

"Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant
de l'incompétence de l'autorité défenderesse ou de violations de
règles de procédure (article 42 par. 2, alinéas 2 et 3) (...),
la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant

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