Jurisprudence : CEDH, 24-10-1989, Req. 6/1988/150/204, H. contre France

CEDH, 24-10-1989, Req. 6/1988/150/204, H. contre France

A8364AWP

Référence

CEDH, 24-10-1989, Req. 6/1988/150/204, H. contre France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065290-cedh-24101989-req-61988150204-h-contre-france
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Cour européenne des droits de l'homme

24 octobre 1989

Requête n°6/1988/150/204

H. contre France



""En l'affaire H. contre France*,

* Note du greffier: L'affaire porte le n° 6/1988/150/204. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président, Thór Vilhjálmsson, F. Gölcüklü, L.-E. Pettiti, R. Macdonald, J.A. Carrillo Salcedo, N. Valticos,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 avril et 29 septembre 1989,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1.
L'affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 11 mai 1988, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47)) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 10073/82) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. H., avait saisi la Commission le 21 juin 1982 en vertu de l'article 25 (art. 25).

Le requérant a prié la Cour de ne pas divulguer son identité.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).

2.
En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil. Le président de la Cour l'a autorisé à défendre lui-même sa cause, sauf à être assisté durant la procédure et représenté à l'audience par un avocat (article 30 par. 1, seconde phrase).

3.
La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 30 mai 1988, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, R. Macdonald, J. Gersing, J.A. Carrillo Salcedo et N. Valticos, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Ultérieurement, M. Thór Vilhjálmsson, suppléant, a remplacé M. Gersing, décédé (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).

4.
Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le requérant au sujet de la nécessité d'une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément à ses ordonnances et directives, le greffe a reçu le 18 octobre 1988 les mémoires de M. H. et de son avocat, le 14 novembre celui du Gouvernement et le 23 février 1989 - dans une nouvelle version - celui du requérant.

Par une lettre du 14 décembre 1988, le secrétaire de la Commission a fait savoir que le délégué s'exprimerait lors des audiences.

Les demandes de satisfaction équitable (article 50 de la Convention) (art. 50) présentées par le requérant - à qui le président avait octroyé, le 13 septembre 1988, le bénéfice de l'assistance judiciaire (article 4 de l'addendum au règlement) - sont parvenues au greffe les 30 mars et 10 avril 1989. Le Gouvernement y a répondu le 6 juillet et le délégué de la Commission le 21 juillet.

En outre, le Gouvernement ainsi que le requérant et son avocat ont déposé diverses pièces entre le 17 avril et le 13 septembre 1989.

5.
Le 2 février 1989, le président a fixé au 21 avril 1989 la date d'ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l'opinion des comparants par les soins du greffier (article 38 du règlement).

6.
Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. J.-P. Puissochet, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères,

agent,

M. P. Baudillon, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,

M. J.-C. Darras, sous-directeur du contentieux et des affaires juridiques du ministère de l'Intérieur,

conseils;

- pour la Commission

M. S. Trechsel,

délégué;

- le requérant et son conseil, Me C. Waquet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, M. Puissochet pour le Gouvernement, M. Trechsel pour la Commission et Me Waquet pour M. H. qui a lui aussi pris la parole.

EN FAIT

7.
Citoyen français né en 1937, M. H. est domicilié à Vandoeuvre (Meurthe-et-Moselle). Il entra en 1957 dans l'enseignement comme instituteur remplaçant et y travailla sans interruption jusqu'en 1961.

I. LA GENÈSE DE L'AFFAIRE

A. La consultation à l'hôpital

8.
En mai 1961 M. H. se rendit aux hospices civils de Strasbourg, muni d'une lettre de recommandation de son médecin traitant au professeur Thiébaut, directeur de la clinique neurologique. Le professeur ne donnant pas de consultation ce jour-là, M. H. fut interrogé à la clinique neurologique par le Dr Ebtinger, médecin-chef du "service 58" de la clinique psychiatrique. Celui-ci lui aurait assuré que ses troubles n'étaient "pas bien méchants", mais lui aurait conseillé une hospitalisation "d'une quinzaine de jours tout au plus" afin de le mieux connaître.

La lettre du médecin traitant et le compte rendu de ce premier interrogatoire auraient disparu du dossier de l'intéressé aux hospices civils.

B. Le séjour à l'hôpital

9.
Sur la recommandation du Dr Ebtinger, mais sans avoir été obligé par lui de cesser le travail, M. H. se présenta seul le 25 mai 1961, pour observation, à la clinique neurologique des hospices civils, pensant que son séjour durerait une quinzaine de jours et se passerait en hospitalisation libre. Il aurait attendu deux ou trois heures un interne de garde, puis aurait été placé dans le "service 58". La note d'admission est ainsi rédigée:

"Vient seul à 20 h. En traitement chez le Dr Zarenski de Sarralbe et vu par le Dr Ebtinger. 'Je ne me sens pas à l'aise, je ne sais pas ce que c'est. Je suis déprimé'. depuis 5 ans. asthénie, difficultés dans le travail. goût à rien. (Réponses pauvres, difficultés d'expression.) A travaillé sans interruption jusqu'à ce jour. non marié. habite chez ses parents à [H.]. Convoqué pour le 58 B."

Le requérant prétend que les observations relatives à un interrogatoire du 27 mai ont été antidatées et que les pages de son dossier concernant la période du 11 août au 15 septembre 1961 ont disparu.

10. Le 12 juin 1961, le professeur Kammerer, directeur de la clinique psychiatrique, diagnostiqua chez le requérant une schizophrénie avec évolution vers la catatonie, état d'inertie motrice et psychique, et prescrivit une narco-analyse, c'est-à-dire une investigation de l'inconscient du sujet préalablement mis dans un état de sommeil. Il ne l'aurait interrogé qu'à cette seule occasion, pendant une dizaine de minutes et devant un large public d'étudiants, à un moment où M. H. subissait déjà un traitement aux neuroleptiques.

11. Le 13 juin 1961, un interne, le Dr Schneider, au lieu de procéder à la narco-analyse prescrite la veille, fit à M. H. une injection intraveineuse de Maxiton, d'un volume non précisé, qui provoqua un "choc amphétaminique".

Il agit de la sorte, selon le requérant, sans examen préalable ni consentement de l'intéressé, à titre purement expérimental, en public et à l'insu même des deux principaux responsables du "service 58", les Drs Kammerer et Ebtinger.

L'injection aurait entraîné un accident assimilable à un infarctus du myocarde ainsi que de violentes contractures musculaires et des crises de nerfs, dont l'intéressé se plaignit aussitôt ainsi qu'il ressort de son dossier médical.

12. Toujours d'après M. H., le Dr Ebtinger, en congé à l'époque, lui avait garanti de ne le soumettre à aucun traitement sans son accord; il n'aurait appris qu'à son retour ce qui s'était passé.

Dans un article de l'Encyclopédie médico-chirurgicale, publié en mai 1965 et intitulé "Méthodes de choc (autres qu'électrochoc et cure de Sakel)", ledit médecin et le Dr Fétique écrivirent, sous la rubrique "choc amphétaminique":

"(...)

Il faut éviter de soumettre à ce traitement les sujets au système cardio-vasculaire fragile, les hypertendus, les coronariens, les athéromateux.

(...)

Le syndrome catatonique est généralement aggravé chez certains schizophrènes; il peut même faire son apparition après choc amphétaminique.

(...)

Les résultats thérapeutiques durables sont relativement peu nombreux.

(...)."

C. La sortie de l'hôpital

13. Après plus de trois mois et demi de séjour dans le "service 58", M. H. quitta l'hôpital le 15 septembre 1961. Il aurait repris son travail d'instituteur dès le lendemain, bien qu'ayant les plus grandes peines à ne pas s'aliter, afin que les vacances ne lui fussent pas comptées en congé-maladie et de peur de se voir transférer dans une "autre maison".

14. Le 16 novembre 1961, il reçut du médecin scolaire une convocation l'invitant à subir un examen médical le 23. Le praticien décida que l'état de M. H. nécessitait un congé pour maladie, lequel débuta le lendemain. Le 28 janvier 1963, une commission médicale de l'Education nationale examina son dossier et rendit une "décision d'élimination", qui fut confirmée en appel le 23 mars 1963.

M. H. fut ultérieurement radié de la liste départementale des instituteurs remplaçants avec effet du 28 janvier 1963.

15. Le 8 août 1964, la caisse régionale de sécurité sociale des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle l'informa de son classement, à compter du 25 mai 1964, dans la première catégorie d'assurés invalides ("capables d'exercer une activité rémunérée" - 66 % d'invalidité). Après un nouvel examen médical qui eut lieu le 15 septembre 1965, il figura jusqu'en 1969 dans la deuxième catégorie d'assurés invalides ("absolument incapables d'exercer une activité quelconque" - 100 % d'invalidité), la décision ayant été reconduite en 1967.

Du 1er juin 1969 jusqu'en 1971 il ne perçut plus sa pension, un examen médical subi le 5 mars 1969 ayant révélé que son invalidité était redescendue au-dessous de 50 %. Depuis 1972, il touche à nouveau une pension de deuxième catégorie.

II. LE DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE

A. La procédure devant le tribunal administratif de Strasbourg

1. Les préliminaires

16. M. H. aurait appris par une lettre du professeur Kammerer, du 4 novembre 1970, que le produit injecté par l'interne en 1961 n'était pas un "fortifiant puissant", comme on le lui avait dit à l'époque, mais une amphétamine. Il prétend avoir demandé en 1970 aux hospices civils la communication de son dossier médical, mais avoir essuyé un refus.

17. Le 29 mai 1973, il sollicita le bénéfice de l'aide judiciaire auprès du bureau compétent du tribunal administratif de Strasbourg. Il obtint satisfaction le 16 octobre 1973, aux motifs que le ministère d'avocat était obligatoire devant cette juridiction et qu'elle ordonnerait vraisemblablement des mesures d'instruction. Le montant mis à la charge de l'Etat pour les frais et honoraires de l'avocat désigné s'élevait à 600 F.

18. A la demande de son avocat, Me F., M. H. se fit délivrer, le 9 mai 1974, un certificat médical dressé par le Dr Rayel, son médecin traitant depuis 1970, et ainsi rédigé:

"Je soussigné certifie que M. H..., âgé de 36 ans, diplômé d'études supérieures de sciences naturelles en radio-géologie, reçoit mes soins depuis plusieurs années pour les troubles suivants:

Extrême fatigabilité physique et psychique avec gros retentissement dystonique, sensations de fuite des idées, de troubles de la parole, associés à des sensations d'hémiparésie gauche.

Ces troubles sont objectivés par des perturbations électro-encéphalographiques qui ont été bien mises en évidence en 1971:

'Activité électrique irrégulière associant un nombre modéré d'oscillations alpha instables à d'abondants potentiels théta-delta irréguliers et à des images pointues bilatérales postérieures et antérieures, aspects majorés par l'hyperpnée avec stimulation photique très vive.' Dr HAY, Nancy.

Par périodes, adynamie complète avec idées dépressives, dégoût vital, sensations pénibles de vide cérébral avec besoin impérieux de s'isoler et même de s'aliter.

Ces différents troubles ne permettent pas actuellement l'exercice d'une activité lucrative.

L'extrême fatigabilité physique et psychique de M. H... ne lui permet aucun rythme de travail régulier, aucun rendement, il se sent très vite rejeté des équipes de travail auxquelles il cherche à s'intégrer, rejet qu'il ressent très péniblement.

Le début des troubles remonterait environ à l'année 1955 mais, aux dires de l'intéressé, une notable aggravation se serait produite en 1961 pendant le séjour de M. H... à la clinique psychiatrique universitaire de Strasbourg; l'intéressé attribue cette aggravation au rôle néfaste d'une piqûre intraveineuse amphétaminée qu'il aurait reçue pendant la durée de son séjour dans cette clinique.

Certificat remis en main propre et sur sa demande à l'intéressé pour valoir ce que de droit.

Certificat ne pouvant être utilisé en justice."

Destiné au seul avocat, ce document fut pourtant remis par lui au tribunal administratif.

2. L'instruction de l'affaire

19. Le 14 juin 1974, Me F. assigna les hospices civils devant le tribunal administratif de Strasbourg afin de les voir déclarer responsables des suites dommageables de la piqûre intraveineuse à l'amphétamine. Il invita le tribunal:

"avant dire droit: [à] désigner [comme] expert tel médecin spécialiste ayant pour mission d'examiner le demandeur, de se munir de tout document, et d'entendre tous sachants, et de se prononcer sur les atteintes corporelles subies par le demandeur, et de façon générale, d'exécuter la mission que lui aura confiée le tribunal."

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