Jurisprudence : CEDH, 24-05-1989, Req. 11/1987/134/188, Hauschildt

CEDH, 24-05-1989, Req. 11/1987/134/188, Hauschildt

A8363AWN

Référence

CEDH, 24-05-1989, Req. 11/1987/134/188, Hauschildt. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065289-cedh-24051989-req-111987134188-hauschildt
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Cour européenne des droits de l'homme

24 mai 1989

Requête n°11/1987/134/188

Hauschildt



En l'affaire Hauschildt*,

* Note du greffe: L'affaire porte le n° 11/1987/134/188. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

La Cour européenne des Droits de l'Homme, statuant en séance plénière par application de l'article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président, J. Cremona, Thór Vilhjálmsson, F. Gölcüklü, F. Matscher, L.-E. Pettiti, B. Walsh, Sir Vincent Evans MM. R. Macdonald, C. Russo, R. Bernhardt, A. Spielmann, J. De Meyer, N. Valticos, S.K. Martens, Mme E. Palm,
M. B. Gomard, juge ad hoc,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 septembre 1988, puis les 27 janvier, 22 février et 29 avril 1989,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1.
L'affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 16 octobre 1987, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (n° 10486/83) dirigée contre le Royaume de Danemark et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mogens Hauschildt, avait saisi la Commission le 27 octobre 1982 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration danoise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).

2.
En réponse à l'invitation prescrite à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance pendante devant la Cour et a désigné son conseil (article 30).

3.
La chambre à constituer comprenait de plein droit M. J. Gersing, juge élu de nationalité danoise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 30 novembre 1987, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. J. Pinheiro Farinha, R. Macdonald, R. Bernhardt, A. Spielmann et J. De Meyer, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, le professeur B. Gomard, nommé par le gouvernement danois ("le Gouvernement") le 1er août 1988 pour siéger en qualité de juge ad hoc, et M. C. Russo, suppléant, ont remplacé respectivement M. Gersing, décédé, et M. Pinheiro Farinha, empêché (articles 22 par. 1, 23 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).

4.
Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et l'avocat du requérant au sujet de la nécessité d'une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément aux ordonnances ainsi rendues, le greffe a reçu le 29 avril 1988 le mémoire du requérant et, le 16 mai, celui du Gouvernement.

Par une lettre du 4 août, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué présenterait ses observations de vive voix.

5.
Le 4 août, le président a fixé au 26 septembre 1988 la date d'ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l'opinion des comparants par les soins du greffier (article 38).

6.
Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Chambre avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire au cours de laquelle elle avait décidé de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière (article 50).

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

MM. T. Lehmann, ministère des Affaires étrangères, agent,

I. Foighel, professeur de droit,

conseil,

J. Bernhard, ministère des Affaires étrangères,

K. Hagel-Sørensen, ministère de la Justice,

J. Hald, ministère de la Justice,

Mme N. Holst-Christensen, ministère de la Justice, conseillers;

- pour la Commission

M. H. Danelius,

délégué;

- pour le requérant

MM. G. Robertson, avocat,

conseil,

F. Reindel,

K. Starmer,

conseillers.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, MM. Lehmann et Foighel pour le Gouvernement, M. Danelius pour la Commission, MM. Robertson et Reindel pour le requérant. L'agent du Gouvernement et le conseil de M. Hauschildt ont produit plusieurs documents à l'audience.

7.
A des dates diverses s'échelonnant du 26 septembre 1988 au 27 janvier 1989, le greffe a reçu les demandes du requérant au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention et les observations y relatives du Gouvernement et de la Commission.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8.
M. Mogens Hauschildt, ressortissant danois né en 1941, réside actuellement en Suisse.

En 1974 il fonda une société, Scandinavian Capital Exchange APS ("SCE"), qui se livrait au commerce des métaux précieux et, de plus, fournissait des services financiers. Elle devint le plus important courtier en métaux précieux de Scandinavie, avec des filiales en Suède, en Norvège, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suisse. L'intéressé en était l'administrateur délégué.

9.
Au fil des ans et jusqu'à la fin de 1979, des différends surgirent entre la SCE et la Banque Nationale Danoise, le fisc et le ministère du Commerce au sujet des transferts de fonds entre la SCE et ses filiales étrangères.

A. Les poursuites contre le requérant

1. L'enquête

10. Le 30 janvier 1980, le fisc saisit la police d'une plainte selon laquelle les activités du requérant et de sa société semblaient contraires à la législation fiscale et au code pénal danois.

Après avoir obtenu un mandat, elle arrêta M. Hauschildt, s'empara de tous les documents disponibles au siège de la SCE et mit un terme aux opérations de celle-ci le 31 janvier 1980.

11. L'intéressé comparut le lendemain devant le tribunal de Copenhague (Københavns byret) qui l'inculpa d'escroquerie et de fraude fiscale, ordonnant de prolonger la garde à vue de trois périodes consécutives de vingt-quatre heures; le requérant ne souleva aucune objection.

Le 2 février 1980, après avoir entendu l'accusation et la défense, le tribunal estima les accusations non dénuées de fondement et fit placer M. Hauschildt en réclusion cellulaire, au titre des articles 762 et 770 par. 3 de la loi sur l'administration de la justice (Retsplejeloven, "la loi", paragaphes 33 et 36 ci-dessous).

Par le jeu de décisions successives, dont plusieurs émanaient du juge Claus Larsen, l'intéressé demeura en détention provisoire jusqu'à l'ouverture du procès public devant le tribunal le 27 avril 1981 (paragraphes 19-21 ci-dessous) et resta en réclusion cellulaire jusqu'au 27 août 1980.

12. Pendant l'enquête, la police saisit d'autres documents et des biens. Des recherches eurent lieu aussi au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Belgique, en Suisse, au Liechtenstein et aux Etats-Unis. En vertu de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, du 20 avril 1959, le juge du tribunal de Copenhague autorisa plusieurs fois le parquet à solliciter la coopération d'autres Etats européens pour se procurer des pièces et à d'autres égards (paragraphe 22 ci-dessous).

Long de 86 pages, l'acte d'accusation fut signifié au requérant le 4 février 1981. Il énumérait huit chefs d'escroquerie et de détournement de fonds pour une valeur approximative de 45 millions de couronnes danoises.

2. Le procès en première instance

13. Le procès commença le 27 avril 1981 devant le tribunal de Copenhague composé d'un juge de carrière, M. Larsen, et de deux assesseurs non professionnels. M. Hauschildt affirme s'être plaint du juge président avant les débats, mais ne présenta pas de demande formelle à ce sujet. Ses avocats lui indiquèrent que l'article 60 par. 2 de la loi empêchait de récuser ledit magistrat à raison des décisions préparatoires qu'il avait prononcées (paragraphes 20-22 et 28 ci-dessous).

14. En plus de 130 audiences, le tribunal ouït quelque 150 témoins, ainsi que le prévenu, et examina beaucoup de documents. Il recueillit en outre les avis d'experts désignés, en particulier des comptables, et rendit nombre d'ordonnances concernant la détention provisoire et la réclusion cellulaire de l'intéressé, l'envoi de commissions rogatoires et d'autres questions de procédure (paragraphe 24 ci-dessous).

15. Siégeant sous la présidence de M. Larsen, le tribunal statua le 1er novembre 1982. Il déclara le requérant coupable sur tous les points et lui infligea sept ans de prison.

3. La procédure d'appel

16. M. Hauschildt attaqua le jugement devant la cour d'appel du Danemark oriental (Østre Landsret). Comprenant trois juges de carrière et trois juges non professionnels, elle jouissait de la plénitude de juridiction, pour le fait comme pour le droit.

Les audiences débutèrent le 15 août 1983. Auparavant, l'intéressé avait soulevé auprès du président une objection contre l'un des assesseurs, au motif que celui-ci avait participé, au sein du tribunal de Copenhague, à la décision de saisir de la correspondance et des biens du requérant. L'avocat de la défense refusa cependant de plaider cette thèse, en raison des termes de l'article 60 par. 2 de la loi, et M. Hauschildt retira l'objection.

17. Le 2 mars 1984, la cour d'appel estima l'intéressé coupable de six chefs de prévention sur huit et le condamna à cinq ans d'emprisonnement. Elle considéra comme une circonstance aggravante l'envergure de l'escroquerie commise, mais comme une circonstance atténuante le fait que le requérant se trouvait en détention provisoire depuis le 31 janvier 1980, régime selon elle plus rigoureux qu'un emprisonnement après jugement. M. Hauschildt recouvra sa liberté le jour même.

18. Le 4 mai 1984, le ministère de la Justice lui refusa l'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême (Højesteret).

B. La détention provisoire de M. Hauschildt et autres questions de procédure

1. Pendant l'enquête

19. Le 2 février 1980, on le sait (paragraphe 11 ci-dessus), le juge du tribunal de Copenhague avait décidé de placer provisoirement l'inculpé en réclusion cellulaire. Selon lui, il y avait des raisons de penser que ce dernier, si on l'élargissait, s'enfuirait ou entraverait l'enquête (articles 762 par. 1, alinéas 1 et 3, et 770 par. 3 de la loi, paragraphes 33 et 36 ci-dessous). A l'appui de la détention, il citait les éléments suivants:

1) la circonstance que le requérant avait vécu hors du Danemark jusqu'en 1976 et à l'époque de son arrestation envisageait de s'établir en Suède;

2) ses intérêts économiques à l'étranger;

3) l'importance de l'affaire;

4) le risque qu'il gênât l'instruction en influençant des tiers au Danemark et à l'étranger.

20. Conformément à l'article 767 de la loi, le maintien de la détention provisoire donna lieu à un contrôle judiciaire constant exercé à des intervalles de quatre semaines au maximum. Les motifs énumérés dans la décision initiale du 2 février 1980, rendue par le juge Rasmussen, en constituèrent la base jusqu'au 10 avril 1980.

A cette dernière date, le juge Larsen, qui devait ultérieurement présider la juridiction de jugement (paragraphe 13 ci-dessus), se fonda de surcroît sur l'article 762 par. 1, alinéa 2 (danger de nouvelles infractions, paragraphe 33 ci-dessous). En effet M. Hauschildt, de sa prison, avait communiqué secrètement avec son épouse, la priant de retirer de l'argent de certains comptes bancaires ainsi que certains biens personnels. Le 30 avril, le même magistrat prescrivit de la placer en détention provisoire et d'intercepter une lettre de son mari.

Plus tard, la cour d'appel, en statuant le 5 septembre 1980 sur un recours contre une ordonnance de maintien en détention, se référa en outre au paragraphe 2 de l'article 762 (paragraphe 33 ci-dessous): des recherches menées par la police jusqu'alors, il ressortait que les victimes pouvaient avoir subi un préjudice d'environ 19.500.000 couronnes danoises. A partir du 24 septembre, le juge Larsen s'appuya lui aussi sur ce paragraphe également.

La détention provisoire de l'intéressé continua de reposer sur chacun des trois alinéas du paragraphe 1 et le paragraphe 2 de l'article 762 (paragraphe 33 ci-dessous) jusqu'au 17 août 1982, date après laquelle l'alinéa 3 du premier ne fut plus invoqué.

21. De l'arrestation (31 janvier 1980) à l'ouverture du procès (27 avril 1981), les enquêtes de police et le maintien de la détention provisoire dépendaient de décisions du tribunal siégeant avec un juge unique professionnel. Une quarantaine d'audiences au total se déroulèrent en l'espèce au cours de cette période; vingt d'entre elles concernaient la détention provisoire et, de plus, du 31 janvier au 27 août 1980, la réclusion cellulaire. Quinze de ces décisions furent prononcées par le juge Larsen (10 avril, 30 avril, 28 mai, 25 juin, 20 août, 27 août, 24 septembre, 15 octobre, 12 novembre, 3 décembre et 10 décembre 1980; 4 février, 25 février, 11 mars et 8 avril 1981); à cinq reprises, il prescrivit de prolonger la réclusion cellulaire (10 avril, 30 avril, 28 mai, 25 juin et 20 août 1980), à laquelle il mit fin le 27 août 1980.

22. Pendant la même période, le tribunal de Copenhague sollicita par trois fois (5 mars, 16 juin et 13 août), à la demande de la police, la coopération d'autres pays pour se procurer des pièces et à d'autres fins (paragraphe 12 ci-dessus). Deux de ces décisions émanaient du juge Larsen (16 juin et 13 août 1980).

Le juge du tribunal eut à trancher de surcroît d'autres questions de procédure telles que la saisie de biens et documents de l'inculpé, les contacts de celui-ci avec la presse, son accès à des rapports de la police, les visites à recevoir par lui en prison, le paiement des honoraires de son conseil et sa correspondance. En sus de l'ordonnance du 30 avril 1980 plaçant Mme Hauschildt en détention provisoire (paragraphe 20 ci-dessus), le juge Larsen donna des directives quant à l'interception d'une deuxième lettre de l'intéressé (28 mai 1980), à la saisie d'une somme appartenant, selon lui, à ce dernier (12 novembre 1980), à un changement de l'avocat de la défense (4 février 1981) et à l'accès du requérant à certains éléments des dossiers de la police. Il statua de la sorte à la demande tantôt de l'accusation, tantôt de la défense.

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