Jurisprudence : CEDH, 30-07-1998, Req. 61/1997/845/1051, Aerts c. Belgique

CEDH, 30-07-1998, Req. 61/1997/845/1051, Aerts c. Belgique

A8218AWB

Référence

CEDH, 30-07-1998, Req. 61/1997/845/1051, Aerts c. Belgique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065145-cedh-30071998-req-6119978451051-aerts-c-belgique
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Cour européenne des droits de l'homme

30 juillet 1998

Requête n°61/1997/845/1051

Aerts c. Belgique



AFFAIRE AERTS c. BELGIQUE

(61/1997/845/1051)

ARRÊT

STRASBOURG

30 juillet 1998

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

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Belgique
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SOMMAIRE

Arrêt rendu par une chambre

Belgique – maintien pendant sept mois de l'internement, dans une annexe psychiatrique d'un établissement pénitentiaire ordinaire, et non dans un établissement de défense sociale désigné par la commission de défense sociale compétente

I. Exceptions préliminaires du Gouvernement

A. Défaut de qualité de « victime » du requérant

Le requérant peut se prétendre « victime » car le fait d'avoir été détenu trop longtemps à l'annexe psychiatrique de la prison de Lantin l'a touché directement.

Conclusion : rejet (unanimité).

B. Tardiveté de la requête

La décision du bureau d'assistance judiciaire près la Cour de cassation, qui a mis fin à l'action introduite par le requérant et a retiré toute chance de succès à une éventuelle demande en réparation, constitue la décision interne définitive à partir de laquelle le délai de six mois commence à courir – l'exception ne saurait être retenue.

Conclusion : rejet (unanimité).

II. ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

Aucune disposition légale ni aucun autre texte ne précise la durée de la détention provisoire dans l'attente d'un transfert – néanmoins, compte tenu de la finalité de la décision d'internement, il faut examiner si le maintien de cette détention provisoire pendant une période de sept mois peut passer pour régulière – les pièces déposées devant la Cour montrent à suffisance que l'annexe psychiatrique en question ne pouvait être considérée comme un établissement approprié à la détention d'aliénés – en conséquence, rupture du lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a eu lieu.

Conclusion : violation (unanimité).

III. ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

Dans les circonstances de l'espèce, le recours en référé, exercé par le requérant, était de nature à répondre aux exigences de l'article 5 § 4.

Conclusion : non-violation (unanimité).

IV. ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

En l'occurrence, il ne s'agissait pas de décider « du bien-fondé d'une accusation en matière pénale » – en revanche, l'issue de l'instance était déterminante pour des droits de caractère civil – le litige portait sur la légalité de la privation de liberté – le droit à la liberté, qui se trouvait en jeu, a un caractère civil.

Le requérant pouvait légitimement vouloir s'adresser au bureau d'aide judiciaire afin de se pourvoir en cassation puisque, en matière civile, la législation belge impose la représentation par un avocat à la Cour de cassation – en rejetant cette demande, ledit bureau a porté atteinte à la substance même du droit de l'intéressé à un tribunal.

Conclusion : violation (unanimité).

V. ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

Les conditions de vie à l'annexe psychiatrique de Lantin ne paraissent pas avoir eu sur la santé mentale du requérant des effets assez graves pour tomber sous le coup de l'article 3 – il n'a pas été montré à suffisance que le requérant a souffert d'un traitement pouvant être qualifié d'inhumain ou dégradant.

Conclusion : non-violation (sept voix contre deux).

VI. ARTICLE 50 DE LA CONVENTION

A. Dommage moral

L'intéressé a dû souffrir un certain tort moral que le constat de violations ne saurait suffire à compenser par lui-même – octroi d'une indemnité en équité.

B. Frais et dépens

Remboursement en équité.

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

24.10.1979, Winterwerp c. Pays-Bas ; 5.11.1981, X c. Royaume-Uni ; 28.5.1985, Ashingdane c. Royaume-Uni ; 30.10.1991, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni ; 15.11.1996, Bizzotto c. Grèce

En l'affaire Aerts c. Belgique,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement B, en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. R. Bernhardt, président,

L.-E. Pettiti,

J. De Meyer,

I. Foighel,

R. Pekkanen,

J.M. Morenilla,

B. Repik,

P. Jambrek,

U. Lôhmus,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 avril et 29 juin 1998,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

212. L'affaire a été déférée à la Cour le 7 juillet 1997 par M. Michel Aerts, de nationalité belge (« le requérant »), puis le 9 juillet 1997 par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission »), dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 25357/94) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont M. Aerts avait saisi la Commission le 8 août 1994 en vertu de l'article 25.

La requête du requérant à la Cour renvoie à l'article 48 de la Convention modifié par le Protocole n° 9 en ce qui concerne la Belgique, la demande de la Commission aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration belge reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause
révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 5 § 1 et 4, 6 et 3 de la Convention.

213. Le 30 juillet 1997, le requérant a désigné son conseil (article 31 du règlement B).

214. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. J. De Meyer, juge élu de nationalité belge (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 27 août 1997, en présence du greffier, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. L.-E. Pettiti, I. Foighel, R. Pekkanen, J.M. Morenilla, B. Repik, P. Jambrek et U. Lôhmus (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B).

215. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement B), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement belge (« le Gouvernement »), l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et du requérant les 9 et 14 janvier 1998 respectivement. Par une lettre du 3 avril 1998, le secrétaire de la Commission a indiqué que le délégué n'entendait pas répondre par écrit.

216. Le 2 avril 1998, la Commission avait produit les pièces de la procédure suivie devant elle ; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

217. Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 20 avril 1998, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

M. J. Lathouwers, conseiller juridique adjoint,

chef de service au ministère de la Justice, agent,

Me E. Jakhian, avocat au barreau de Bruxelles, conseil ;

pour la Commission

M. J.-C. Geus, délégué ;

pour le requérant

Mes J.-L. Berwart, avocat au barreau de Liège,

P. Fraipont, avocat au barreau de Liège, conseils.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Geus, Me Fraipont, Me Berwart et Me Jakhian.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

218. Le requérant, ressortissant belge né en 1964, a été arrêté le 14 novembre 1992 pour des faits de coups et blessures ayant entraîné une incapacité de travail commis sur son ex-épouse à l'aide d'un marteau. Il fut placé en détention préventive, d'abord en « cellule duo » (paragraphe 23 ci-dessous) puis en salle commune, à l'annexe psychiatrique de l'établissement pénitentiaire de Lantin.

A. L'ordonnance d'internement et son exécution

219. Le 15 janvier 1993, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège prit une ordonnance d'internement à l'encontre du requérant fondée sur l'article 7 de la loi de « défense sociale » du 1er juillet 1964 (paragraphe 21 ci-dessous). Elle décida qu'en attendant l'internement dans un établissement à désigner par la commission de défense sociale compétente (paragraphe 21 ci-dessous), M. Aerts serait provisoirement détenu à l'annexe psychiatrique de l'établissement pénitentiaire de Lantin. Son ordonnance était ainsi libellée :

« La chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège

(…)

Adoptant les motifs écrits du réquisitoire d'internement ;

(…)

Constate que l'inculpé a commis les faits repris au réquisitoire (…)

Constate que l'inculpé se trouvait au moment des faits dans un état grave de déséquilibre mental le rendant incapable du contrôle de ses actions et qu'il se trouve encore actuellement dans le même état ;

Ordonne l'internement de l'inculpé ;

Ordonne qu'en attendant que l'internement de l'inculpé, qui est en état de détention, ait lieu dans un établissement à désigner par la commission de défense sociale, celui-ci aura lieu provisoirement dans l'annexe psychiatrique du centre pénitentiaire à Lantin. »


220. Le 10 mars 1993, un médecin anthropologue adressa à la commission de défense sociale près l'annexe psychiatrique de la prison de Lantin un rapport rédigé dans les termes suivants :

« Interné, actuellement détenu à l'annexe psychiatrique de l'établissement pénitentiaire de Lantin, Aerts est un sujet dont la structure de personnalité me paraît une structure très fragile, mal organisée et qui est au mieux ce que l'on appelle un état limite. Toxicomane profond, il entretenait depuis de nombreuses années maintenant un mode de relations sadomasochistes avec une jeune femme. L'intéressé est extrêmement anxieux à l'annexe en salle commune, il est la source de demande continuelle de modifications de médicaments, et également la proie des ruminations mentales perpétuelles concernant son fonctionnement à l'extérieur avec son amie. Le masochisme moral paraît éclatant quand on l'écoute et il paraît urgent qu'il puisse bénéficier au mieux d'une structure mieux adaptée pour calmer cette anxiété perpétuelle qui est la sienne pour le moment, il est donc urgent qu'il puisse quitter l'annexe psychiatrique de l'établissement pénitentiaire de Lantin. »

221. Le 22 mars 1993, ladite commission de défense sociale désigna l'établissement de défense sociale de Paifve comme lieu d'internement du requérant.

222. Le 27 juillet 1993, le requérant formula une demande de congé pour retourner chez son grand-père. A l'appui de celle-ci, son médecin traitant, qui avait consulté le médecin anthropologue attaché à l'annexe psychiatrique, avait adressé la veille à la commission de défense sociale la feuille d'observation suivante :

« Je vous écris concernant M. Aerts Michel qui paraît présenter une évolution favorable ces derniers temps. Cette évolution concerne son comportement mais aussi ses projets à court et moyen termes.

Des congés renouvelables permettraient précisément d'observer ce comportement et la mise en route de ses projets à l'extérieur du milieu carcéral. »

223. Par décision du 2 août 1993, la commission de défense sociale rejeta la demande par les motifs suivants :

« Attendu qu'il n'est pas acceptable que notre décision du 22 mars 1993 de placement à l'établissement de défense sociale de Paifve ne soit toujours pas exécutée ;

Que cette carence de l'administration des autorités responsables nuit à l'intéressé qui ne bénéficie pas des soins que nécessite l'état qui est à l'origine de son internement ;

Attendu, cependant, que la commission de défense sociale ne peut envisager une mesure d'élargissement qui placerait l'intéressé en situation de danger pour lui-même et pour autrui »

224. Le 27 octobre 1993, cinq jours après l'arrêt rendu par la cour d'appel de Liège (paragraphe 19 ci-dessous), le requérant fut transféré à l'établissement de défense sociale de Paifve.


225. Le 19 novembre 1993, la commission de défense sociale compétente, à la demande de l'intéressé, décida de le libérer à l'essai au motif notamment « que l'état mental de l'interné [semblait] s'être suffisamment amélioré et que les conditions de sa réadaptation sociale permettant de croire qu'il ne [constituait] plus un danger pour la société [étaient] réunies ». Elle assortit sa décision de plusieurs conditions dont celles de se soumettre à des tutelles médicale et sociale ainsi que d'avoir une résidence fixe à l'hôpital de La Volière.

226. Le 24 novembre 1993, M. Aerts fut libéré.

227. Le 23 décembre 1996, eu égard à la dégradation de l'état comportemental du requérant et à la violation des conditions mises à sa libération, notamment la non-consommation d'héroïne et de boissons alcoolisées, la commission de défense sociale de Lantin ordonna une nouvelle fois son internement et désigna à cet effet l'établissement de défense sociale de Paifve.

B. Le déroulement de la procédure en référé

1. La procédure devant le président du tribunal de première instance de Liège

228. Le 14 avril 1993, en raison de son maintien à l'annexe psychiatrique de la prison de Lantin, M. Aerts, avec trois autres détenus se trouvant dans la même situation, saisit en référé le président du tribunal de première instance de Liège d'une action tendant à obtenir son transfert immédiat avec une astreinte de 10 000 francs belges (BEF) par jour de retard. Il alléguait entre autres que ses conditions d'internement constituaient un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention.

229. Le 10 mai 1993, le président du tribunal de première instance estima que le maintien du requérant à Lantin était illégal et constituait une voie de fait à laquelle il importait de mettre fin au plus tôt. Il enjoignit à l'Etat de transférer l'intéressé à Paifve et déclara qu'au cas où l'Etat ne se conformerait pas à son ordonnance dans les huit jours de sa signification, il devrait payer au requérant une astreinte de 10 000 BEF par jour de retard.

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