Jurisprudence : CEDH, 08-12-1999, Req. 28541/95, Pellegrin c. France

CEDH, 08-12-1999, Req. 28541/95, Pellegrin c. France

A7533AWW

Référence

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Cour européenne des droits de l'homme

8 décembre 1999

Requête n°28541/95

Pellegrin c. France



AFFAIRE PELLEGRIN c. FRANCE

(Requête n° 28541/95)


ARRÊT

STRASBOURG

8 décembre 1999

En l'affaire Pellegrin c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu'amendée par le Protocole n° 11, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

Mme E. Palm, présidente,

MM. A. Pastor Ridruejo,

L. Ferrari Bravo,

L. Caflisch,

J.-P. Costa,

Mme F. Tulkens,

MM. W. Fuhrmann,

K. Jungwiert,

M. Fischbach,

V. Butkevych,

J. Casadevall,

B. Zupanèiè,

Mme N. Vajiæ,

M. J. Hedigan,

Mme W. Thomassen,

MM. T. Panþîru,

K. Traja,

ainsi que de Mme M. de Boer-Buquicchio, greffière adjointe,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 10 juin 1999 et 17 novembre 1999,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 9 décembre 1998 dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 28541/95) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Gilles Pellegrin, avait saisi la Commission le 8 juillet 1995 en vertu de l'ancien article 25.

La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention.

2. Le 6 janvier 1999, le requérant a désigné son conseil (article 36 § 3 du règlement).

3. Conformément à l'article 5 § 4 du Protocole n° 11, lu en combinaison avec les articles 100 § 1 et 24 § 6 du règlement, un collège de la Grande Chambre a décidé, le 14 janvier 1999, que l'affaire serait examinée par la Grande Chambre de la Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. J.-P. Costa, juge élu au titre de la France (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. L. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que M. M. Fischbach, vice-président de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. L. Ferrari Bravo, M. L. Caflisch, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert, M. J. Casadevall, M. B. Zupanèiè, Mme N. Vajiæ, M. J. Hedigan, Mme W. Thomassen, Mme M. Tsatsa-Nikolovska, M. T. Panþîru, M. E. Levits et M. K. Traja (article 24 § 3 du règlement).

4. A l'invitation de la Cour (article 99 du règlement), la Commission a délégué l'un de ses membres, M. J.-C. Geus, pour participer à la procédure devant la Grande Chambre.

5. Le greffier a reçu le mémoire du requérant le 7 avril 1999 et le mémoire du gouvernement français (« le Gouvernement ») le 16 avril 1999.

6. Ainsi qu'en avait décidé le président, une audience s'est déroulée en public le 10 juin 1999, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.

Ont comparu :

– pour le Gouvernement

MM. J.-F. Dobelle, directeur adjoint des affaires juridiques,

ministère des Affaires étrangères,
agent,

P. Boussaroque, sous-direction des droits de l'homme,

direction des affaires juridiques,

ministère des Affaires étrangères,
conseil ;

– pour le requérant

Me C. Pettiti, avocat au barreau de Paris, conseil ;

– pour la Commission

M. J.-C. Geus, délégué,

Mme M.-T. Schoepfer,
secrétaire de la Commission.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Geus, Me Pettiti et M. Dobelle.

7. Mme Palm a remplacé, à la présidence de la Grande Chambre, M. Wildhaber, qui ne pouvait assister à l'audience, et Mme F. Tulkens, juge suppléant, l'a remplacé comme membre de celle-ci (articles 10 et 24 § 5 b) du règlement). M. Levits, lui aussi empêché, a été remplacé par M. V. Butkevych, juge suppléant (article 24 § 5 b) précité). Mme Tsatsa-Nikolovska n'ayant pu prendre part aux délibérations du 17 novembre 1999, elle a été remplacée par M. A. Pastor Ridruejo, juge suppléant (article 24 § 5 b) précité).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. Les faits litigieux

8. Le requérant était, jusqu'en 1989, salarié dans le secteur privé en qualité notamment d'auditeur en gestion et comptabilité. Sur la base de l'expérience professionnelle ainsi acquise, il postula à une mission de coopération à l'étranger pour le compte de l'Etat français.

9. Le ministère français de la Coopération et du Développement le recruta – par un contrat signé le 13 mars 1989 – en qualité de coopérant-conseiller technique du ministre de l'Economie, de la Planification et du Commerce de la Guinée équatoriale. En tant que chef de projet, il devait établir le budget des investissements de l'Etat pour 1990 et participer à l'élaboration du plan triennal et du programme triennal d'investissements publics en liaison avec les fonctionnaires guinéens et les organisations internationales.

10. Le contrat stipulait que le requérant était mis à la disposition du gouvernement de la République de la Guinée équatoriale pour une durée de deux fois dix mois, entrecoupée d'un congé administratif calculé sur la base de cinq jours par mois de travail effectif. Le contrat fixait également les conditions de rémunération et renvoyait, pour le reste, aux dispositions réglementaires prises en application de la loi du 13 juillet 1972 (voir paragraphe 36 ci-dessous).

11. Le 9 janvier 1990, à la suite de différends locaux, les autorités guinéennes remirent le requérant à la disposition des autorités françaises. Cela mit un terme au contrat à l'échéance du congé administratif (voir paragraphe 31 ci-dessous).

12. Le ministère entendait conclure un nouveau contrat avec le requérant à l'issue de ce congé pour l'affecter au Gabon. Cela supposait la réunion de deux conditions préalables, exigées de tout postulant : l'agrément des autorités étrangères d'affectation et la vérification de l'aptitude médicale du postulant à servir à l'étranger.

13. L'agrément des autorités gabonaises tardant à venir, le ministère de la Coopération et du Développement notifia au requérant – par lettre du 2 février 1990 – la résiliation de son contrat et l'avertit de sa radiation subséquente des effectifs du ministère à compter du 15 mars 1990.

14. L'agrément des autorités gabonaises fut ultérieurement donné pour un poste d'analyste financier au ministère de la Réforme du secteur public. Par lettre du 7 février 1990, le ministère de la Coopération et du Développement en prit acte et déclara en conséquence nulle et non avenue la radiation annoncée le 2 février 1990. Le requérant fut alors convoqué à l'examen médical obligatoire d'aptitude.

15. Le 22 février 1990, le médecin responsable du cabinet médical interministériel, spécialiste de médecine tropicale, examina le requérant et ordonna un complément de diagnostic psychiatrique. Au vu des résultats du diagnostic complémentaire, le médecin conclut, le 15 mars 1990, à l'inaptitude définitive de l'intéressé à servir à l'étranger.

16. Le 23 mars 1990, le ministère de la Coopération et du Développement prit acte de cet avis et notifia en conséquence au requérant sa radiation des effectifs à compter du 15 mars 1990.

B. La procédure litigieuse

17. Le 16 mai 1990, le requérant déposa un recours devant le tribunal administratif de Paris aux fins d'annulation pour illégalité de la décision de radiation du 23 mars 1990.

18. Le 9 novembre 1990, le ministre de la Coopération et du Développement déposa des conclusions en défense.

19. Par jugement avant dire droit du 16 avril 1992, le tribunal administratif de Paris ordonna une expertise médicale aux fins de déterminer si le requérant était, en raison de son état de santé, inapte à l'exercice des fonctions de coopérant technique à l'étranger en mars 1990.

20. Le 21 novembre 1992, l'expert déposa son rapport après avoir procédé, le 3 septembre 1992, à l'audition et à l'examen médico-psychologique et neuropsychiatrique du requérant. Il estima que la réaction administrative du ministère de la Coopération et du Développement avait été excessive et que l'état de santé du requérant ne le rendait pas inapte à la reprise de ses fonctions après un arrêt maladie de trois mois, à l'issue duquel il aurait pu passer une visite médicale.

21. Le 22 décembre 1992, le requérant déposa des conclusions indemnitaires. Il sollicita la condamnation de l'Etat à lui verser deux indemnités, l'une d'un montant de 550 000 francs français (FRF), montant qu'il estimait être égal à la rémunération qu'il aurait perçue s'il était resté en poste, et l'autre d'un montant de 500 000 FRF à titre de réparation du préjudice personnel, moral et financier qu'il estimait avoir subi du fait de sa radiation.

22. Par ordonnance du 4 janvier 1993, le tribunal administratif de Paris fixa le montant de la somme due au titre des frais d'expertise. Par ordonnance du 1er mars 1993, le tribunal administratif de Paris corrigea une erreur matérielle contenue dans le dispositif de l'ordonnance.

23. Le 8 mars 1993, le ministre de la Coopération et du Développement présenta ses observations sur le rapport d'expertise.

24. Le 14 avril 1993, le requérant déposa ses conclusions en réponse.

25. Le 3 mai 1993, le ministre de la Coopération et du Développement présenta ses conclusions en réponse aux conclusions indemnitaires du requérant du 22 décembre 1992. Il y contestait le bien-fondé des prétentions du requérant.

26. Les 14 septembre et 4 octobre 1994, le ministre de la Coopération et du Développement déposa de nouvelles conclusions et des pièces.

27. Le 13 décembre 1994, le requérant déposa des conclusions en réponse.

28. L'affaire fut inscrite au rôle de l'audience du 19 janvier 1995. Le 9 janvier 1995, le requérant fut avisé du report de l'affaire à une date à fixer ultérieurement.

29. Les 11 et 18 janvier 1995, le ministre de la Coopération et du Développement présenta des observations complémentaires et des pièces.

30. Le 16 février 1995, le requérant présenta des observations en réponse.

31. Par jugement du 23 octobre 1997, suivant audience du 25 septembre 1997, le tribunal administratif de Paris rejeta la requête du requérant, tant en ce qu'elle visait l'annulation de la décision de radiation qu'en ce qu'elle visait le versement d'indemnités. Le tribunal s'exprima notamment comme suit :

« (...) Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du ministre de la coopération en date du [23] mars 1990

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des pièces du dossier que le contrat liant M. Pellegrin à l'Etat pour servir en Guinée en qualité de coopérant a été résilié à la suite de la remise de l'intéressé à disposition de l'Etat français par les autorités équato-guinéennes ; que si, par lettre du 7 février 1990, le ministre a annulé la décision en date du 2 février 1990 fixant au 15 mars 1990 la radiation des effectifs du ministère, et ce dans la perspective de la conclusion d'un nouveau contrat, il n'a pas entendu remettre en vigueur le contrat affectant M. Pellegrin en Guinée, dès lors que celui-ci se trouvait résilié de plein droit du fait de la remise à disposition de l'intéressé par l'Etat étranger ; que, par suite, M. Pellegrin n'est pas fondé à soutenir que la décision du [23] mars 1990 aurait illégalement retiré la décision en date du 7 [février] 1990 ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'en fixant au 15 mars 1990 la radiation de l'intéressé des effectifs du ministère, le ministre n'a fait que tirer les conséquences de l'expiration à cette date du contrat affectant M. Pellegrin en Guinée, et de l'absence de conclusion d'un nouveau contrat ; que, par suite, il n'a entaché sa décision d'aucune rétroactivité illégale ; (...)

Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte du rapport d'expertise en date du 21 novembre 1992 que M. Pellegrin ne remplissait pas, à la date du [23] mars 1990, les conditions d'aptitude physique pour exercer des fonctions outre-mer ; que, par suite, M. Pellegrin n'est pas fondé à soutenir que la décision du [23] mars 1990, qui s'est fondée sur l'avis d'inaptitude (…) pour refuser à M. Pellegrin le bénéfice d'un nouveau contrat de coopération au Gabon, est entachée d'erreur d'appréciation ; (...)

Sur les conclusions aux fins indemnitaires

Considérant qu'il résulte du rejet des conclusions aux fins d'annulation de la décision du [23] mars 1990 que M. Pellegrin n'est fondé à se prévaloir d'aucune illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que, par suite, les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice résultant de la décision du [23] mars 1990 doivent être rejetées ; (...) »

32. Le 16 janvier 1998, le requérant interjeta appel du jugement notifié le 13 janvier 1998 et déposa des conclusions.

33. Le 10 juin 1998, le ministre de la Coopération et du Développement déposa un mémoire.

34. Le 30 juin 1998, le requérant déposa un mémoire complémentaire.

35. L'affaire est pendante devant la cour administrative d'appel de Paris.

II. éléments pertinents de droit interne

Loi n° 72-659 du 13 juillet 1972 relative à la situation du personnel civil de coopération culturelle, scientifique et technique auprès d'Etats étrangers

36. Les dispositions pertinentes de la loi régissant la situation du personnel civil de coopération culturelle, scientifique et technique auprès d'Etats étrangers (qui a fait l'objet de deux décrets d'application en date du 25 avril 1978) prévoient :

Article 1er

« Les personnels civils auxquels l'Etat fait appel, pour accomplir hors du territoire français des missions de coopération culturelle, scientifique et technique auprès d'Etats étrangers, notamment en vertu d'accords conclus par la France avec ces Etats, sont régis par les dispositions de la présente loi (...) »

Article 3

« Sous réserve des règles propres à l'exercice des fonctions judiciaires, les personnels visés par la présente loi servent, pendant l'accomplissement de leurs missions, sous l'autorité du Gouvernement de l'Etat étranger ou de l'organisme auprès duquel ils sont placés, dans des conditions arrêtées entre le Gouvernement français et les autorités étrangères intéressées.

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