Jurisprudence : CEDH, 25-03-1999, Req. 31107/96, Iatridis c. Grèce

CEDH, 25-03-1999, Req. 31107/96, Iatridis c. Grèce

A7053AW7

Référence

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Cour européenne des droits de l'homme

25 mars 1999

Requête n°31107/96

Iatridis c. Grèce



AFFAIRE IATRIDIS c. GRÈCE

(Requête n° 31107/96)


ARRÊT

STRASBOURG

25 mars 1999

En l'affaire Iatridis c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu'amendée par le Protocole n° 11, et aux clauses pertinentes de son règlement2, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

Mme E. Palm, présidente,

MM. L. Ferrari Bravo,

Gaukur Jörundsson,

L. Caflisch,

I. Cabral Barreto,

K. Jungwiert,

M. Fischbach,

J. Casadevall,

. B. Zupanèiè,

Mme N. Vajiæ,

M. J. Hedigan,

Mmes W. Thomassen,

M. Tsatsa-Nikolovska,

MM. T. Panþîru,

E. Levits,

K. Traja,

C. Yeraris, juge ad hoc,

ainsi que de M. M. de Salvia, greffier,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 17 décembre 1998 et 24 février 1999,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour, telle qu'établie en vertu de l'ancien article 19 de la Convention3, par le gouvernement grec (« le Gouvernement ») le 30 juillet 1998, dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 31107/96) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Georgios Iatridis, avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 28 mars 1996, en vertu de l'ancien article 25.

La requête du Gouvernement renvoie aux anciens articles 44 et 48. Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 13 de la Convention et 1 du Protocole n° 1.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et désigné ses conseils (article 30), M. H. Tagaras et Mme M.N. Kanellopoulou, avocats au barreau d'Athènes.

3. En sa qualité de président de la chambre initialement constituée (ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement A) pour connaître notamment des questions de procédure pouvant se poser avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11, M. R. Bernhardt, président de la Cour à l'époque, a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement et les conseils du requérant au sujet de l'organisation de la procédure écrite. Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence le 8 septembre 1998, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement respectivement les 10 et 13 novembre 1998.

4. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l'article 5 § 5 dudit Protocole, l'examen de l'affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. C.L. Rozakis, juge élu au titre de la Grèce (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. L. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que M. J.-P. Costa et M. M. Fischbach, vice-présidents de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. L. Ferrari Bravo, M. L. Caflisch, M. I. Cabral Barreto, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert, Mme N. Vajiæ, M. J. Hedigan, Mme W. Thomassen, Mme M. Tsatsa-Nikolovska, M. T. Panþîru, M. E. Levits et M. K. Traja (articles 24 § 3 et 100 § 4 du règlement). Ultérieurement, M. Rozakis, qui avait participé à l'examen de l'affaire par la Commission, s'est déporté de la Grande Chambre (article 28 du règlement). En conséquence, le Gouvernement a désigné M. C. Yeraris pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

Par la suite, Mme Palm a remplacé M. Wildhaber, empêché, à la présidence de la Grande Chambre, et M. Gaukur Jörundsson, juge suppléant, l'a remplacé comme membre de celle-ci (articles 10 et 24 § 5 b) du règlement). De même, MM. Costa et Fuhrmann, également empêchés, ont été remplacés par M. J. Casadevall et M. B. Zupanèiè, juges suppléants (article 24 § 5 b)).

La Cour a décidé qu'il n'était pas nécessaire d'inviter la Commission à déléguer l'un de ses membres pour participer à la procédure devant la Grande Chambre (article 99 du règlement).

5. Ainsi qu'en avait décidé le président, une audience s'est déroulée en public le 17 décembre 1998, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

M. P. Georgakopoulos, conseiller

auprès du Conseil juridique de l'Etat, agent,

Mme V. Pelekou, auditeur auprès

du Conseil juridique de l'Etat, conseil ;

pour le requérant

MM. H. Tagaras, avocat au barreau de Thessalonique, conseil,

K. Zakaropoulos, avocat au barreau d'Athènes, conseiller.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leur réponse à la question d'un juge, M. Tagaras et M. Georgakopoulos.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. Procédures diligentées par les « propriétaires » du terrain sur lequel le cinéma « Ilioupolis » a été bâti

6. En 1929, K.N. hérita de son père adoptif les trois quarts d'un terrain connu sous le nom de « domaine Karras ». En 1938, la mère adoptive de K.N. lui vendit le quart restant, qu'elle avait hérité de son mari. Il fut mentionné dans le contrat de vente que la superficie du « domaine Karras » était de 12 000 000 m2.

7. En 1950, ayant obtenu l'autorisation nécessaire des autorités, K.N. construisit un cinéma de plein air, le cinéma « Ilioupolis », sur une partie de ce terrain.

8. En 1953, le ministre de l'Agriculture refusa de reconnaître K.N. comme propriétaire de la totalité du « domaine Karras », considérant que son père adoptif n'était propriétaire que d'une partie de celui-ci, à savoir une superficie entre 320 000 et 520 000 m2, qui ne comprenait pas la partie sur laquelle le cinéma « Ilioupolis » avait été bâti. Le reste de la zone était une forêt domaniale et ne figurait pas sur les titres de propriété produits par K.N. Celui-ci introduisit devant le Conseil d'Etat un recours en annulation de la décision du ministre de l'Agriculture, mais fut débouté. Le 8 février 1955, un décret royal classa la zone litigieuse comme terre à reboiser. K.N. demanda au Conseil d'Etat d'annuler le décret royal, mais la haute juridiction écarta la requête au motif que le terrain litigieux était une forêt domaniale.

9. Les 10 février 1965 et 11 mars 1966, par décisions du Conseil des ministres publiées au Journal officiel (Eöçìåñßäá ôçò ÊõâåñíÞóåùò) et retranscrites dans le registre communal d'Ilioupolis, l'Etat transféra une partie du « domaine Karras » d'une superficie de 220 000 m2, autre que la partie sur laquelle le cinéma « Ilioupolis » avait été bâti, à la coopérative pour le logement des fonctionnaires de police.

10. Le 28 juillet 1965 fut promulgué un décret royal pour le reboisement d'un terrain à Ilioupolis. Selon le Gouvernement, ce décret concernait, entre autres, une partie non spécifiée du « domaine Karras ». Le 2 décembre 1966, ce décret fut modifié par un autre, qui fut publié au Journal officiel.

11. Le 3 avril 1967, K.N. intenta une action contre la coopérative pour le logement des fonctionnaires de police afin de faire établir son droit de propriété sur le terrain qui avait été transféré à celle-ci. En tant qu'auteur du transfert, l'Etat intervint dans la procédure du côté de la coopérative. Cette action fut consignée dans le livre des hypothèques d'Ilioupolis. Mention des décisions ultérieures du tribunal de grande instance d'Athènes (n° 16992/1973) et de la cour d'appel (n° 4910/1977 – paragraphe 13 ci-dessous) déboutant K.N. et reconnaissant l'Etat propriétaire du terrain litigieux, fut portée dans la marge de la page pertinente.

12. En 1976, K.N. décéda et ses héritiers furent invités à payer des droits de succession pour le terrain sur lequel le cinéma avait été bâti. Pour garantir le paiement de ces impôts, l'Etat prit une hypothèque sur ce terrain. L'hypothèque fut levée en 1982.

13. Les héritiers de K.N. continuèrent l'action du 3 avril 1967. Le 21 juin 1977, la cour d'appel d'Athènes considéra que le terrain transféré à la coopérative de policiers appartenait à l'Etat. Dans son raisonnement la cour adopta la position du ministre de l'Agriculture, selon laquelle le père adoptif de K.N. n'était propriétaire que d'une partie du « domaine Karras », qui ne comprenait ni la partie sur laquelle le cinéma « Ilioupolis » avait été bâti ni la partie transférée à la coopérative. Pour parvenir à cette conclusion, la cour rappela, entre autres, qu'en 1905 le « domaine Karras » avait été enregistré comme forêt au cadastre des forêts nationales et que depuis lors l'Etat en avait, de bonne foi, la possession et l'usage en tant que propriétaire.

14. A la suite d'une décision du ministre adjoint des Finances du 19 septembre 1984, une partie du « domaine Karras », y compris la partie sur laquelle le cinéma avait été bâti, fut enregistrée au cadastre du domaine public le 27 juin 1985. Le 9 juillet 1985, ce fait fut mentionné dans les livres des hypothèques d'Ilioupolis. En 1987, les héritiers de K.N. entamèrent une action devant les tribunaux pour être reconnus propriétaires de la partie qui avait été enregistrée au cadastre du domaine public. En 1988, le tribunal de grande instance d'Athènes rejeta leur demande au motif que le 21 juin 1977 la cour d'appel d'Athènes avait considéré que le père adoptif de K.N. n'était propriétaire que d'une partie du « domaine Karras » d'une superficie entre 320 000 et 520 000 m2. Les héritiers de K.N. firent appel.

15. Le 9 février 1989, la cour d'appel d'Athènes considéra que, dans sa décision du 21 juin 1977, elle n'avait tranché que la question de la propriété des 220 000 m2 qui avait été transférée à la coopérative pour le logement des policiers. Les autres considérations figurant au raisonnement de cette décision ne liaient pas les héritiers de K.N. En conséquence, la cour annula la décision de 1988 du tribunal de grande instance et ordonna à ce tribunal d'examiner le fond de l'affaire.

16. Le 29 mai 1996, les héritiers de K.N. demandèrent au procureur auprès de la cour de grande instance d'Athènes d'ordonner des mesures provisoires contre l'Etat et la municipalité d'Ilioupolis. A une date non spécifiée, le procureur refusa d'accéder à leur demande. Les héritiers de K.N. firent appel. Le 30 mai 1997, le procureur adjoint auprès de la cour d'appel d'Athènes rejeta leur appel.

B. Procédures diligentées par le requérant

17. En 1978, les héritiers de K.N. louèrent le cinéma de plein air « Ilioupolis » au requérant, qui le restaura entièrement.

Le 4 juillet 1985, la préfecture de l'Attique informa le requérant qu'à partir du 27 juin 1985 le terrain sur lequel le cinéma avait été bâti était considéré comme propriété publique et qu'il le retenait abusivement. Par conséquent, l'Etat allait lui réclamer une indemnité, selon l'article 115 du décret présidentiel des 11/12 novembre 1929, sous réserve de son droit de l'expulser en vertu de la loi n° 1539/1938 sur la protection du domaine de l'Etat.

Le 16 novembre 1988, la Société des biens immobiliers de l'Etat (KôçìáôéêÞ Åôáéñßá ôïõ Äçìïóßïõ) céda le cinéma à la municipalité d'Ilioupolis. Le 24 novembre 1988, la préfecture de l'Attique en informa le requérant et l'invita à évacuer le cinéma dans les cinq jours, faute de quoi la loi n° 1539/1938 serait appliquée.

18. Le 9 février 1989, le Service des biens immobiliers (KôçìáôéêÞ Õðçñåóßá) de la préfecture de l'Attique ordonna l'expulsion du requérant, en vertu de la loi n° 1539/1938, telle que modifiée par la loi n° 263/1968. L'arrêté fut « communiqué » au requérant, le 16 mars 1989, par affichage sur la porte du cinéma. Le lendemain, alors que les avocats étaient en grève et que le requérant était absent, les services de la municipalité d'Ilioupolis exécutèrent l'arrêté et forcèrent la porte du cinéma. Un inventaire de quelques meubles (projecteurs, chaises, panneaux, équipement du bar) qui appartenaient au requérant fut dressé. M. G.L., qui avait des liens professionnels avec l'intéressé mais qui n'agissait pas comme son représentant, signa l'inventaire et demanda aux services de la municipalité de garder ces meubles.

19. Le requérant attaqua l'arrêté d'expulsion devant le juge de paix d'Athènes qui, ayant examiné le recours selon la procédure de référé, se prononça en faveur de l'Etat. L'intéressé fit appel devant le tribunal de grande instance d'Athènes, composé d'un juge unique. Le 23 octobre 1989, ayant examiné l'appel selon la procédure de référé, le tribunal annula l'arrêté d'expulsion. Le tribunal considéra que le Service des biens immobiliers ne pouvait prendre un arrêté d'expulsion que si un bien immobilier appartenait à l'Etat, s'il n'y avait pas de contestation quant au droit de l'Etat de posséder ce bien et si le bien était arbitrairement occupé par un tiers.

Le tribunal estima que ces conditions n'étaient pas réunies dans le cas d'espèce, puisque le requérant avait établi avec un certain degré de certitude les faits suivants : les tribunaux étaient saisis d'un litige existant entre les héritiers de K.N. et l'Etat à propos du terrain sur lequel le cinéma avait été bâti, les héritiers de K.N. se considéraient comme les propriétaires du terrain et du cinéma depuis fort longtemps et exerçaient tous les attributs du droit de propriété, et enfin le requérant occupait le cinéma depuis 1978 en vertu d'un contrat de bail.

20. A la suite de cette décision, le requérant entreprit plusieurs démarches auprès des autorités compétentes contre l'occupation continue du cinéma par la municipalité d'Ilioupolis. Le 2 avril 1990, le ministère des Finances considéra que, puisque l'arrêté d'expulsion avait été annulé, le terrain devait être restitué au requérant. Selon le ministère, il était souhaitable que la cession du cinéma à la municipalité d'Ilioupolis fût révoquée. Si cependant la municipalité insistait, il fallait, le cas échéant, déterminer qui devait dédommager le requérant, conformément à la loi sur les baux commerciaux.

21. Le 11 juillet 1991, le Conseil juridique de l'Etat (Nïìéêü Óõìâïýëéï ôïõ ÊñÜôïõò), répondant à une question posée par le ministère des Finances, considéra que le cinéma devait être restitué au requérant. Les prétentions de celui-ci pour le préjudice qu'il avait subi à cause de l'expulsion ne pouvaient être examinées qu'à la suite d'une demande de l'intéressé au Conseil juridique de l'Etat ou d'une action en justice. En outre, l'Etat pouvait défendre ses intérêts comme propriétaire du terrain en intentant une action contre les héritiers de K.N. ou en accélérant l'examen du litige avec ces derniers, pendant devant les tribunaux depuis 1987.

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