Jurisprudence : CEDH, 20-05-1998, Req. 38/1997/822/1025-1028, Gautrin et autres c. France

CEDH, 20-05-1998, Req. 38/1997/822/1025-1028, Gautrin et autres c. France

A6967AWX

Référence

CEDH, 20-05-1998, Req. 38/1997/822/1025-1028, Gautrin et autres c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1063886-cedh-20051998-req-38199782210251028-gautrin-et-autres-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

20 mai 1998

Requête n°38/1997/822/1025-1028

Gautrin et autres c. France



AFFAIRE GAUTRIN et AUTRES c. FRANCE

(38/1997/822/1025-1028)


ARRÊT

STRASBOURG

20 mai 1998

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

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SOMMAIRE

Arrêt rendu par une chambre

France – absence de publicité des débats devant le conseil régional d'Ile-de-France et la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins, et impartialité de ceux-ci

I. article 6 § 1 de la Convention

A. Applicabilité

Contentieux disciplinaire dont l'enjeu est le droit de pratiquer la médecine à titre libéral : donne lieu à des « contestations sur des droits (…) de caractère civil ».

B. Observation

1. Publicité

a) Exception préliminaire du Gouvernement (non-épuisement des voies de recours internes)

Exception tirée du défaut de pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat – recours ni adéquat ni effectif en l'espèce, le décret n° 48-1671 du 26 octobre 1948 excluant expressément la publicité des audiences devant les juridictions ordinales et le Conseil d'Etat jugeant l'article 6 § 1 inapplicable aux procédures devant celles-ci.

Conclusion : rejet (unanimité).

b) Bien-fondé du grief

Rappel de la jurisprudence de la Cour.

Nul n'invoque des circonstances autorisant à déroger au principe de la publicité –caractère public des débats devant le Conseil d'Etat sans pertinence.

Conclusion : violation (unanimité).

2. Impartialité

a) Exceptions préliminaires du Gouvernement (non-épuisement des voies de recours internes)

i. Défaut d'exercice du droit de récusation

Recours non « effectif » : grief relatif non à l'impartialité personnelle de tel ou tel membre des organes disciplinaires en cause mais à l'impartialité « objective » desdits

organes ; droit de récusation ne peut être exercé qu'à l'encontre des membres de la formation de jugement pris individuellement et impossibilité de récuser tous les membres de la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins.

ii. Omission de se pourvoir en cassation

Exception déjà soulevée devant la Commission : absence de forclusion.

Recours non « adéquat » : Conseil d'Etat non tenu de trancher l'affaire au fond en cas d'annulation de la décision de la section disciplinaire du conseil national de l'ordre – renvoi le cas échéant devant la même section disciplinaire sans qu'il soit requis qu'elle statue dans une formation différente et Conseil d'Etat tenu de statuer définitivement seulement à l'occasion d'un second pourvoi.

Conclusion : rejet (unanimité).

b) Bien-fondé du grief

Attribution du soin de statuer sur des infractions disciplinaires à des juridictions ordinales n'enfreint pas en soi la Convention – nécessité néanmoins soit que lesdites juridictions remplissent elles-mêmes les exigences de l'article 6 § 1, soit qu'elles subissent le contrôle ultérieur d'un organe judiciaire de pleine juridiction présentant les garanties de cet article.

« Impartialité » s'apprécie selon une double démarche. La première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel juge à telle occasion. La seconde – seule pertinente en l'espèce – amène à s'assurer qu'il offrait des garanties suffisantes : Cour vérifie si les appréhensions des requérants sont objectivement justifiées.

Existence d'un lien troublant entre des associations concurrentes de SOS Médecins et les juridictions ordinales – composition de ces dernières tendant à justifier les appréhensions des intéressés.

Conclusion : violation (unanimité).

II. Article 50 de la convention

A. Dommages

Dommage matériel : Cour ne saurait spéculer sur les conclusions auxquelles les juridictions ordinales auraient abouti en l'absence des manquements relevés.

Dommage moral : arrêt suffisant.

B. Frais et dépens

Remboursement partiel.

C. Autres demandes

Incompétence de la Cour.

Conclusion : Etat défendeur tenu de verser certaines sommes aux requérants (unanimité).

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

28.6.1978, König c. Allemagne ; 23.6.1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique ; 10.2.1983, Albert et Le Compte c. Belgique ; 22.4.1994, Saraiva de Carvalho c. Portugal ; 9.12.1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce ; 26.9.1995, Diennet c. France ; 19.2.1998, Higgins et autres c. France

En l'affaire Gautrin et autres c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A, en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. Thór Vilhjálmsson, président,

F. Gölcüklü,

F. Matscher,

L.-E. Pettiti,

C. Russo,

A.B. Baka,

M.A. Lopes Rocha,

P. Kûris,

U. Lôhmus,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 février et 22 avril 1998,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement français (« le Gouvernement ») le 14 avril 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouvent quatre requêtes (nos 21257/93 à 21260/93) dirigées contre la République française et dont cent cinq ressortissants de cet Etat avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 7 janvier 1993 en vertu de l'article 25. La première desdites requêtes a été déposée par M. Norbert Gautrin, la deuxième par M. Jérôme Fillion, la troisième par M. Dominique Mynard et la quatrième par Mme Anne Allemandou, M. Erick Altabe, M. Jean-Jacques Assouline, M. Stéphane Aszerman, M. Alexandre Athea, M. Michel Athouel, M. Jean-Jacques Avrane, M. Alain Batarec, M. Richard Benichou, M. Laurent Bennaim, M. Gabriel Benzaquen, M. Jean-Pierre Bertaud, M. Jean-François Biffaud, M. Pierre Bleichner, M. Eric Bocquillon, M. Jean-Claude Boerner, M. Bernard Bonduelle, M. Franck Boumandil, M. Christophe Boyer, M. Patrick Brasseur, M. Jacques Bray, M. Olivier Caste, Mme Sylvie Caupin, M. Bruno Chaumont, Mme Claire Chauvin, Mme Françoise Choquet-Croydon, M. Gilles Copin, M. Patrick Coulonges, Mme Catherine Daluzeau, M. Jean-Luc Daubigny, M. Arnaud Delaye, M. Jacques Denis, M. Francis Diez, M. Patrick Drosne, Mme Marie-Anne Duchateau, M. Henri Dumora, M. Loïc Etienne, M. Roland Fally, Mme Lorraine Fouchet, M. Pierre Fournier, M. Denis François, Mme Agnès Frely, M. Denis Gaildraud, M. Bertrand Galichon, M. Eric Gallois, M. Jean Giffard, M. Gérard Grangeret, Mme Patricia Guizol, M. Jean-Claude Guzzo, M. Michel Herouard, Mme Rolande Horowitz, M. Eric Kohennof, M. Gérard Lebars, M. Jacques Lebas Delacour, M. Dominique Lebrun, M. Jean-Philippe Ledos, M. Philippe Leminez, M. Christian Lherault, M. Jérôme Lichnierowicz, M. Patrick Machain, M. Denis Magny, M. Henri-Pierre Mao, M. Dominique Marsault, Mme Elisabeth Miailhe, Mme Annie Moan, M. Nabil Nassar, M. Jean-Yves Naudot, M. Patrick Noblinski, M. Denis Ovadia, M. Jean-Claude Pessereau, M. François Piot, M. Marc Pisarik, M. Alain Pras, M. Jean-François Pret, M. Jean-Marc Provini, M. Louis-Marie Prudhomme, M. Philippe Quenel, M. Claude Raffour, M. Patrick Rogel, M. Thierry Rosier, M. Joël Roth, M. William Roussel, M. Stéphane Rubinstein, M. Abraham Sabbah, M. Louis Schoonoed, M. Gérard Sedletzki, M. René Serieys, M. Didier Serrano, M. Serge Smadja, M. Claude Sylvain, M. Patrick Thibault, M. Alex Toumson, Mme Nicole Tricoire-Goulier, M. Marc Uzan, M. Laurent Vassort, M. Jérôme Vidal, M. Jean-Louis Vincent, M. Tan Vu, M. Bernard Weill, M. Jean-Paul Wellhoff, M. Bruno Wilhelm et M. Jean-Jacques Wolf.

La requête du Gouvernement renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention.

2. A l'exception de M. Pret, décédé, les requérants ont, en réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, exprimé le désir de participer à l'instance ; MM. Boyer et Fillion ont désigné pour les représenter devant la Cour Me Julien, avocat au barreau de Clermont-Ferrand, et les cent deux autres requérants Me Vally, avocate au barreau de Paris (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 28 avril 1997, en présence du greffier, M. R. Ryssdal, président de la Cour, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, F. Matscher, R. Macdonald, C. Russo, M.A. Lopes Rocha, P. Kûris et U. Lôhmus (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A). Par la suite, M. Bernhardt, empêché, a été remplacé à la présidence de la chambre par M. Thór Vilhjálmsson (article 21 § 6 du règlement A) et M. A.B. Baka a été appelé à compléter celle-ci (article 22 § 1) ; également empêché, M. Macdonald a été remplacé par M. F. Gölcüklü (ibidem).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Bernhardt avait consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, M. M. Perrin de Brichambaut, les avocats des requérants et le délégué de la Commission, M. J.-C. Soyer, au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire de MM. Fillion et Boyer le 21 novembre 1997, celui du Gouvernement, le 24 novembre 1997, et celui des cent deux autres requérants, le 25 novembre 1997. Les observations du délégué de la Commission sont parvenues au greffe le 12 janvier 1998.

5. Eu égard aux avis exprimés par les requérants, le Gouvernement et le délégué de la Commission, et convaincue du respect de la condition fixée pour déroger à sa procédure habituelle (articles 26 et 38 du règlement A), la chambre avait décidé de ne pas tenir d'audience en l'espèce et M. Bernhardt avait autorisé les requérants et le Gouvernement à formuler des observations sur la teneur de leurs mémoires respectifs.

6. Les observations complémentaires du Gouvernement et de MM. Fillion et Boyer sont parvenues au greffe le 21 janvier 1998 et celles des autres requérants le 22 janvier 1998.

EN FAIT

les circonstances de l'espèce

7. Dans chaque département, des associations dénommées « SOS Médecins » dont l'objet est d'assurer un service de gardes médicales d'urgence sur appel des patients ont été constituées ; elles sont regroupées au sein d'associations régionales elles-mêmes regroupées dans une association nationale dénommée « SOS Médecins France ». Praticiens dans la région Ile-de-France, les requérants sont tous membres de cette structure.

A. La contexte de l'affaire

8. Plusieurs syndicats de médecins et conseils départementaux de l'ordre des médecins saisirent les institutions ordinales de plaintes contre les membres de ces associations. Ils estimaient notamment qu'en utilisant des gyrophares sans autorisation administrative et en faisant figurer l'inscription « SOS Médecins » sur leurs véhicules, sur les annuaires téléphoniques et sur des prospectus publicitaires, ces derniers méconnaissaient l'article 23 du code de déontologie médicale qui prohibe la publicité.

B. Les procédures dirigées contre les requérants

1. Devant le conseil régional de l'ordre des médecins d'Ile-de-France

9. Le 2 mars 1989, le syndicat national des médecins de permanence de soins déposa une plainte contre chacun des requérants devant le conseil régional de l'ordre des médecins d'Ile-de-France. La Fédération française des médecins généralistes de Paris fit de même le 20 mars 1989.

Il était reproché aux intéressés de méconnaître l'article 23 du code de déontologie en faisant figurer la mention « SOS Médecins » sur leurs véhicules ou sur leurs ordonnances.

10. Le 28 janvier 1990, composé des Drs Fenoll, président, et Barkatz, Bernard, Boissin, Castello, Delamarche, Gasch, Groene-Richert, Manheulle, Pommey et Sorrel-Dejerine, membres, le conseil régional de l'ordre constata une infraction à l'article 23 du code de déontologie et infligea aux Drs Gautrin et Mynard deux mois de suspension de l'exercice de la médecine et au Dr Fillion ainsi qu'à quatre-vingt-seize médecins un mois de suspension ; six autres reçurent un blâme.

2. Devant la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins

11. Les requérants firent appel de ces décisions devant la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins.

12. Le 25 mars 1992, présidée par M. Coudurier, conseiller d'Etat honoraire, et composée des Drs Dusserre, Jung, Klepping, Vergeylen, Gatel et Gilbert, ladite section disciplinaire confirma les décisions du conseil régional en ce qu'elles avaient constaté des infractions au code de déontologie, mais les réforma quant aux sanctions prononcées : les Drs Gautrin et Mynard furent interdits d'exercice de la médecine pendant quinze jours, ceux qui avaient été suspendus pour un mois se virent infliger un blâme, et ceux qui avaient été blâmés reçurent un simple avertissement. Les intéressés reçurent notification des décisions le 7 juillet 1992. Ils ne se pourvurent pas en cassation.

Le droit et la pratique internes pertinents

Le code de déontologie médicale et la publicité

13. L'article 23 du code de déontologie médicale disposait :

« La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Tous les procédés directs ou indirects de réclame et de publicité sont interdits aux médecins.

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