Jurisprudence : CEDH, 27-06-2000, Req. 28871/95, Constantinescu c. Roumanie

CEDH, 27-06-2000, Req. 28871/95, Constantinescu c. Roumanie

A6768AWL

Référence

CEDH, 27-06-2000, Req. 28871/95, Constantinescu c. Roumanie. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1063687-cedh-27062000-req-2887195-constantinescu-c-roumanie
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Cour européenne des droits de l'homme

27 juin 2000

Requête n°28871/95

Constantinescu c. Roumanie



PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE CONSTANTINESCU c. ROUMANIE

(Requête n° 28871/95)

ARRÊT

STRASBOURG

27 juin 2000

[Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le recueil officiel contenant un choix d'arrêts et de décisions de la Cour.]

En l'affaire Constantinescu c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mme W. Thomassen, présidente,

M. L. Ferrari Bravo

M. Gaukur Jörundsson,

M. R. Türmen,

M. J. CASADEVALL,

M. B. Zupanèiè, juges

M. ª. Beligradeanu, juge ad hoc,

et de M. M. O'Boyle, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 21 mars et 6 juin 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par un ressortissant roumain, M. Mihail Constantinescu (« le requérant »), le 27 juillet 1999 et par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 11 septembre 1999, dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention.

2. A son origine se trouve une requête (n° 28871/95) dirigée contre la Roumanie et dont M. Constantinescu avait saisi la Commission le 4 avril 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Le requérant alléguait une atteinte à sa liberté d'expression, garantie par l'article 10 de la Convention, en raison de sa condamnation pour diffamation, de l'iniquité de la procédure y afférente, en violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'atteinte à sa liberté d'association garantie par l'article 11 de la Convention.

Le 23 octobre 1997, la Commission a déclaré recevables les griefs tirés de l'atteinte à la liberté d'expression et de l'iniquité de la procédure et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 19 avril 1999 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l'avis qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 (unanimité) et qu'il n'y a pas eu violation de l'article 10 (vingt et une voix contre sept).

3. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté devant la Cour par Me Dinu, avocat au barreau de Bucarest (Roumanie). Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme Rizoiu, du ministère de la Justice.

4. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l'article 5 § 4 dudit Protocole, combiné avec les articles 100 § 1 et 24 § 6 du règlement de la Cour (« le règlement »), un collège de la Grande Chambre a décidé, le 7 juillet 1999, que l'affaire serait examinée par une chambre constituée au sein de l'une des sections de la Cour.

5. Conformément à l'article 52 § 1 du règlement, le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a ensuite attribué l'affaire à la première section. La chambre constituée au sein de ladite section comprenait de plein droit M. C. Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (articles 27 § 2 de la Convention et 26 § 1 a) du règlement), et M. J. Casadevall, qui a assumé la présidence de la section lors des délibérations du 21 mars 2000 et donc de la chambre (articles 12 et 26 § 1 a) du règlement). Les autres membres désignés par ce dernier pour compléter la chambre étaient M. L. Ferrari Bravo, M. G. Jörundsson, M. R. Türmen, Mme W. Thomassen et M. R. Maruste (article 26 § 1 b) du règlement).

Ultérieurement, M. Bîrsan, qui avait participé à l'examen de l'affaire par la Commission, s'est déporté (article 28 du règlement). En conséquence, le Gouvernement a désigné M. Þerban Beligrãdeanu pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement). Le 6 juin 2000, Mme W. Thomassen a assumé la présidence de la section et donc de la chambre (articles 12 et 26 § 1 a) du règlement). M. Maruste, empêché, a été remplacé par M. Zupanèiè, premier suppléant (articles 24 § 5b) et 28 du règlement).

6. Le requérant et le Gouvernement ont chacun déposé un mémoire le 6 et le 9 novembre 1999 respectivement.

7. Ainsi qu'en avait décidé la chambre, une audience s'est déroulée en public le 21 mars 2000, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

Mmes R. Rizoiu, agent,

C. Tarcea, ministère de la Justice,

M. T. Corlãþean, ministère des Affaires étrangères, conseillers ;

pour le requérant

M. C. Dinu, avocat au barreau de Bucarest, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations Me Dinu et Mmes Rizoiu et Tarcea.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8. Le 8 juin 1992, l'assemblée générale du syndicat des enseignants de l'enseignement primaire et secondaire du 2ème arrondissement de la ville de Bucarest (ci-après "le syndicat") procéda à l'élection d'une nouvelle direction. Le requérant en fut élu président.

9. Le 29 juin 1992, le syndicat porta plainte contre A.P. et R.V., anciennes gestionnaires, et M.M., ancienne secrétaire du syndicat, toutes enseignantes, pour vol, abus de confiance et recel de biens. Le syndicat se plaignait que les intéressées, à la prise de fonctions de la nouvelle direction, avaient refusé de restituer les biens et les documents comptables du syndicat et les avaient utilisés pour la constitution d'une nouvelle organisation syndicale.

10. Par une lettre du 2 octobre 1992, le requérant, au nom du syndicat, demanda au parquet de la ville de Bucarest des informations sur le déroulement de l'enquête, mais ne reçut aucune réponse. Par une nouvelle lettre du 9 décembre 1992, il renouvela sa démarche auprès du même parquet, en se plaignant également de la lenteur de l'enquête pénale. Sa lettre resta sans réponse.

11. Le 8 février 1993, le procureur rendit une décision de non-lieu concernant la plainte du syndicat contre A.P., R.V. et M.M. Cette décision fut communiquée le 18 janvier 1994 uniquement à ces dernières.

12. En 1993, le requérant, en qualité de représentant du syndicat, assigna R.V. devant le tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest, demandant à ce qu'il lui soit ordonné, en application des articles 998 et 999 du code civil régissant la responsabilité civile, de restituer au syndicat la somme de 170 000 lei, correspondant à des cotisations syndicales.

13. A une date non précisée, le requérant eut une conversation avec un journaliste, au cours de laquelle il exprima son mécontentement quant à la lenteur de l'enquête pénale. Le 23 mars 1993, l'article suivant fut publié dans le journal « Tineretul Liber » :

« Le syndicat des enseignants de l'enseignement primaire et secondaire du 2ème arrondissement de la ville de Bucarest (...) est le syndicat le plus militant, car il lutte contre tout le monde pour le respect de la loi et des droits des enseignants. C'est ce qu'affirme le professeur Mihail Constantinescu du lycée M.S., qui nous explique : « J'ai déposé une plainte contre le rectorat (Inspectoratul) de la ville de Bucarest pour non-respect de la convention collective ; l'audience a été fixée au 29 avril. Nous préparons une plainte contre la police et le parquet, qui sont impliqués dans des actions anti-syndicales de ralentissement de l'enquête pénale concernant certaines receleuses (delapidatori) - R.V., A.P., M.M., enseignantes dans le 2ème arrondissement ; nous disposons contre celles-ci de témoignages écrits et des aveux de deux d'entre elles selon lesquels elles sont en possession d'une somme d'argent appartenant au syndicat, qu'elles n'ont pas restituée. Les actions anti-syndicales sont préméditées (...) »

14. Le 22 avril 1993, le requérant fut assigné par A.P., R.V. et M.M. devant le tribunal de première instance (judecatoria) du 3ème arrondissement de la ville de Bucarest pour diffamation.

15. L'audience eut lieu le 25 février 1994. Le tribunal, statuant à juge unique, rendit son jugement le 18 mars 1994.

16. Après avoir entendu six témoins à charge et trois à décharge, le requérant et les trois enseignantes, le juge acquitta le requérant. Il constata qu'à la date de la parution de l'article en question, les trois enseignantes faisaient l'objet d'une enquête pénale au sujet d'une accusation de recel et qu'elles n'avaient été informées de la décision de non-lieu que postérieurement à la parution de l'article, soit le 18 janvier 1994. En outre, le juge releva qu'il n'était pas contesté que les enseignantes n'avaient pas restitué certaines sommes d'argent appartenant au syndicat. Dès lors, il jugea que le requérant n'avait nullement eu l'intention de diffamer les enseignantes, mais uniquement d'informer le public que son syndicat s'apprêtait à déposer une plainte à l'encontre de la police et du parquet, accusés de ralentir l'enquête pénale concernant les trois enseignantes.

17. A.P., R.V. et M.M. formèrent un recours, qui fut accueillit par le tribunal départemental de Bucarest. Ce dernier annula la décision du 18 mars 1994 et décida de rejuger l'affaire sur le fond.

18. Les débats eurent lieu le 26 septembre 1994. Les documents dont dispose la Cour ne permettent d'établir si l'avocat du requérant put plaider. Cependant, celui-ci fit valoir, dans ses conclusions écrites en défense, d'une part, que son client s'était exprimé au nom du syndicat, que le but poursuivi était celui de reconstituer le patrimoine du syndicat et que la nouvelle organisation syndicale créée par les trois enseignantes avait été déclarée illégale par la justice. Il invoqua les dépositions des témoins devant le tribunal de première instance, qui faisaient ressortir la négligence des trois enseignantes dans l'administration du patrimoine du syndicat, ainsi que leur refus de restituer certaines sommes d'argent et documents. Il ajouta que l'article ne rapportait pas fidèlement les déclarations faites par le requérant au journaliste, mais que le requérant ne voulait pas s'engager dans un procès contre la presse.

19. Le requérant, bien que présent à l'audience, ne fut pas entendu par les juges. Aucun moyen de preuve ne fut administré. Le procès-verbal d'audience ne mentionnait pas la participation aux débats du procureur, qui aurait demandé l'acquittement du requérant, mais signalait seulement que les avocats des parties avaient pu prendre la parole.

20. La décision fut mise en délibéré au 3 octobre 1994, puis au 10 octobre 1994. Le prononcé eut lieu à cette dernière date, en l'absence du requérant et de son avocat. Le tribunal jugea que le requérant avait voulu porter atteinte à l'honneur et à la réputation des trois enseignantes, en violation de l'article 206 du code pénal, car ses propos avaient été publiés dans le journal après la décision de non-lieu du 8 février 1993. Le tribunal retint également qu'après cette date, le requérant s'était rendu dans les établissements où enseignaient A.P., R.V. et M.M., et les avaient accusées de s'être enfuies avec l'argent du syndicat.

21. Le requérant fut condamné pour diffamation à une amende de 50 000 lei et au paiement de 500 000 lei à chacune des trois enseignantes au titre du dommage moral.

22. Le requérant interjeta appel le 19 octobre 1994. Le 18 novembre 1994, la cour d'appel de Bucarest le déclara irrecevable, indiquant que la décision attaquée n'était pas susceptible d'appel et qu'elle était définitive.

23. A une date non précisée, le requérant paya aux trois enseignantes les sommes qu'il avait été condamné à leur verser. Le 28 mars 1995, il acquitta la somme de 50 000 lei correspondant à l'amende qui lui avait été infligée.

24. A une date non précisée, le requérant demanda au procureur général près la Cour suprême de justice de former un recours en annulation contre l'arrêt du 10 octobre 1994.

25. Le 26 mai 1995, le requérant fut informé du refus du procureur général de former un recours en annulation.

26. Par un arrêt du 28 janvier 1997, le tribunal départemental de Bucarest, examinant l'affaire d'office et siégeant à huis clos, prononça un arrêt de rectification des erreurs matérielles du procès-verbal d'audience du 26 septembre 1994 et de l'arrêt du 10 octobre 1994.

27. Quant au procès-verbal d'audience du 26 septembre 1994, le tribunal fit mentionner dans celui-ci la présence du procureur L.S., qui aurait demandé dans ses conclusions écrites que les recours des enseignantes soient accueillis et que le requérant soit condamné à une peine d'amende pour diffamation et au paiement d'une indemnité au titre du dommage moral. En outre, selon le tribunal, le requérant aurait pris la parole en dernier le 26 septembre 1994.

28. Le tribunal décida aussi de rectifier l'arrêt du 10 octobre 1994 en y faisant mentionner l'ajournement du prononcé du 3 au 10 octobre 1994, ainsi que la présence, lors du prononcé, du procureur L.S.

29. Les parties ne furent pas citées à comparaître et n'étaient pas présentes lors du prononcé de l'arrêt du 28 janvier 1997.

30. Par un jugement du 12 mars 1997, le tribunal de première instance de Bucarest admit l'action en responsabilité civile introduite en 1993 par le syndicat à l'encontre de R.V., et ordonna à cette dernière de restituer la somme de 170 000 lei, plus des intérêts. Le tribunal releva que R.V. avait été trésorière du syndicat de 1990 à 1992, et qu'en cette qualité, elle avait reçu la somme de 170 000 lei correspondant aux cotisations versées par les membres du syndicat pendant cette période. Le tribunal releva également qu'après avoir quitté ses fonctions, R.V. avait refusé de restituer au syndicat les documents de dépôt en banque de ladite somme, de sorte que le syndicat n'avait jamais pu la récupérer.

31. Le 6 janvier 1998, sur demande de la Commission européenne des Droits de l'Homme, le Gouvernement lui soumit une copie du registre des audiences du tribunal départemental de Bucarest des 3 et 10 octobre 1994. Ce document mentionne uniquement l'ajournement du prononcé du 3 au 10 octobre 1994, et le verdict de condamnation du requérant.

32. Par lettre du 14 décembre 1998, le Gouvernement informa la Commission qu'il ne lui était pas possible de soumettre une copie des notes prises par le greffier (caietul grefierului) pendant l'audience du 26 septembre 1994, car, en application de la circulaire n° 991/C/1993 du ministre de la Justice (Ordinul ministrului), les registres enfermant les notes du greffier sont scellés et archivés pendant trois ans.

33. Le 11 décembre 1998, le procureur général près la Cour suprême de justice forma un recours en annulation contre l'arrêt du 10 octobre 1994. Il demanda l'acquittement du requérant au motif que les éléments constitutifs de l'infraction de diffamation n'étaient pas réunis en l'espèce.

34. A l'audience du 21 mars 2000, le Gouvernement a soumis à la Cour une décision du 4 février 2000 de la Cour suprême de justice, accueillant le recours en annulation formé par le procureur général contre la décision du 10 octobre 1994 et acquittant le requérant, au motif que l'intention de diffamer, élément constitutif de l'infraction de diffamation, n'avait pas été prouvée.

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