Jurisprudence : CEDH, 27-10-1993, Req. 37/1992/382/460, Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas

CEDH, 27-10-1993, Req. 37/1992/382/460, Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas

A6587AWU

Référence

CEDH, 27-10-1993, Req. 37/1992/382/460, Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1038955-cedh-27101993-req-371992382460-dombo-beheer-bv-c-paysbas
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Cour européenne des droits de l'homme

27 octobre 1993

Requête n°37/1992/382/460

Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas



En l'affaire Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
R. Bernhardt,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
S.K. Martens,
I. Foighel,
R. Pekkanen,
M.A. Lopes Rocha,
G. Mifsud Bonnici,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 23 avril et 22 septembre 1993,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:



Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 37/1992/382/460. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Tel que l'a modifié l'article 11 du protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.


PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 26 octobre 1992, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 14448/88) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont une société à responsabilité limitée (besloten vennootschap) de droit néerlandais, Dombo Beheer B.V., avait saisi la Commission le 15 août 1988 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration néerlandaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, la requérante a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30), que le président a autorisé, le 1er mars 1993, à s'exprimer en néerlandais (article 27 par. 3).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. S.K. Martens, juge élu de nationalité néerlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 30 octobre 1992, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. L.-E. Pettiti, B. Walsh, I. Foighel, R. Pekkanen, M.A. Lopes Rocha, G. Mifsud Bonnici et B. Repik, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). A compter du 1er janvier 1993, M. R. Bernhardt, suppléant, a remplacé M. Repik, dont le mandat avait expiré en raison de la dissolution de la République fédérative tchèque et slovaque (articles 38 et 65 par. 3 de la Convention, articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement) (art. 38, art. 65-3).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement néerlandais ("le Gouvernement"), le conseil de la requérante et la déléguée de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément aux ordonnances rendues en conséquence, le greffier a reçu le mémoire de la requérante le 1er mars 1993 et celui du Gouvernement le 4. Le secrétaire de la Commission l'a informé que la déléguée s'exprimerait à l'audience.

5. Le 1er mars 1993, la Commission a fourni certaines pièces de son dossier, dont le greffier avait sollicité la production à la demande de la requérante.

6. Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 21 avril 1993, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La chambre avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. K. de Vey Mestdagh, ministère des Affaires étrangères, agent, Me J.L. de Wijkerslooth de Weerdesteijn, landsadvocaat, conseil, M. P.A.M. Meijknecht, ministère de la Justice,
conseiller;

- pour la Commission

Mme J. Liddy,
déléguée;

- pour la requérante

Me D.W. Byvanck, avocat et avoué,
conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations Me de Wijkerslooth de Weerdesteijn pour le Gouvernement, Mme Liddy pour la Commission et Me Byvanck pour la requérante, ainsi que des réponses à la question d'un de ses membres.


EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

7. La requérante (ci-après: "Dombo") est une société à responsabilité limitée de droit néerlandais, continuation d'une société anonyme (naamloze vennootschap) fondée à l'origine en 1958. Elle a son siège social à Nimègue. A l'époque considérée, elle possédait des parts du capital de plusieurs autres sociétés, de caractère commercial, dont elle assurait la gestion. Ses propres actions étaient détenues par une fondation (stichting) qui en délivrait des certificats, lesquels se trouvaient apparemment tous entre les mains de M. H.C. van Reijendam.

L'intéressé figurait aussi parmi les dirigeants de la société. Il en fut le directeur général unique de 1963 à son licenciement (paragraphe 15 ci-dessous), à l'exception d'une brève période - du 4 février au 23 mars 1981 - durant laquelle il fut suspendu de ses fonctions et remplacé par M. C.U. et Mme van L.

8. Dombo avait alors pour banquier la Nederlandsche Middenstandsbank N.V. (ci-après: "la banque"), plus précisément sa succursale de Nimègue dont le gérant était M. van W. D'après les statuts de la société, celui-ci n'était pas directeur de la banque elle-même; il ne pouvait la représenter - notamment par l'octroi de crédits à concurrence d'un montant déterminé - que dans des limites précises.

Entre Dombo et la banque existait un accord selon lequel Dombo et ses filiales bénéficiaient de facilités de crédit sur compte courant, à savoir des autorisations de découvert. En août 1980, la ligne de crédit en question s'élevait à 500 000 florins, plus une autorisation temporaire de découvert à hauteur de 250 000 florins. Cet arrangement avait été consacré par la confirmation écrite d'une convention verbale à cet effet et par un contrat du 11 août 1980, aux termes duquel la banque ouvrait un compte joint au nom de Dombo et de ses filiales, qui assumaient une responsabilité solidaire et indivisible quant au respect de leurs obligations envers la banque.

9. Un litige surgit entre Dombo et la banque au sujet du développement de leurs relations financières de décembre 1980 à février 1981. Au cours de la procédure civile qui s'ensuivit, les parties donnèrent des faits des versions qui divergeaient sur des points importants.

10. Celle de Dombo peut se résumer ainsi:

a) Au début de décembre 1980, la banque, par l'intermédiaire du gérant de sa succursale de Nimègue, M. van W., aurait promis oralement d'augmenter de 1 600 000 florins le crédit dont disposait Dombo, lequel se monterait donc à 2 100 000 florins au total. Comme M. van Reijendam l'aurait expliqué à M. van W., Dombo en avait besoin pour reprendre les activités commerciales d'une société à responsabilité limitée, O., qui avait fait faillite; il fallait agir vite. L'accord verbal devait être rédigé plus tard, mais dès ce stade M. van Reijendam aurait consenti par écrit à se porter lui-même garant pour Dombo et ses filiales à concurrence de 350 000 florins. A la suite de cette modification du contrat du 11 août 1980, Dombo aurait ouvert auprès de la banque un compte affecté à ses activités relatives au rachat de O., et la banque aurait délivré plusieurs fois des lettres de crédit.

b) Au début de janvier 1981, Dombo se serait vu offrir l'occasion de reprendre deux autres sociétés à responsabilité limitée, T. et D., qui se débattaient dans des difficultés financières. Pour couvrir le prix de ces acquisitions, elle aurait sollicité une nouvelle extension de sa ligne de crédit; M. van Reijendam et M. van W. en auraient débattu. A la suite de ces discussions, la banque aurait proposé par écrit à Dombo, le 22 janvier 1981, de hausser le plafond de crédit jusqu'à 5 000 000 florins. Anticipant cette extension, elle aurait versé 350 000 florins pour le rachat de T. et D. et accepté ultérieurement le prélèvement, par M. van Reijendam, de 100 000 florins de plus aux mêmes fins. M. van W. aurait exigé une hypothèque à titre de sûreté pour ces montants et aurait amené M. van Reijendam à signer une procuration en blanc. La banque aurait utilisé ce document pour faire passer devant notaire un acte hypothéquant tous les biens immeubles de Dombo, de ses filiales et de M. van Reijendam en personne. Destiné à garantir un crédit de 1 600 000 florins, il aurait donc constitué une sûreté supplémentaire pour la rallonge visée à l'alinéa a) ci-dessus.

c) Le 28 janvier 1981, la banque, par l'intermédiaire de M. van W., aurait inopinément et sans explication retiré sa confiance à M. van Reijendam. Elle l'aurait invité à se démettre et gelé sans préavis tous les comptes de Dombo, dont le solde débiteur global, à savoir 783 436 florins 06, restait bien en deçà de la limite convenue de 2 100 000 florins.

11. Quant à la version de la banque, elle peut se résumer ainsi:

a) Dombo aurait effectivement sollicité une ligne de crédit plus élevée en vue de reprendre les activités commerciales de la société O. Tout en lui donnant son accord de principe, la banque lui aurait demandé certains renseignements complémentaires, et notamment ses comptes de l'année précédente (1979); or elle ne les aurait jamais reçus, ce qui aurait empêché de conclure la convention élargissant les facilités de crédit. Toutefois, dans le contexte de la reprise des activités de la société O. (qu'elle approuvait en principe), la banque se serait montrée disposée, vu l'urgence des besoins de financement, à permettre à Dombo de devancer l'extension desdites facilités, en lui fournissant plusieurs lettres de crédit. Elle aurait prié M. van Reijendam de s'en porter lui-même garant à concurrence de 350 000 florins. A la fin de janvier 1981, la somme pour laquelle elle s'était engagée atteignait 848 000 florins. La banque précisait qu'il existait une différence entre une lettre de crédit et un crédit fondé sur un contrat de compte courant; la première s'accompagnerait seulement de risques occasionnels et à court terme, tandis que le second en impliquerait de plus permanents et à long terme.

b) La banque reconnaissait aussi la deuxième demande d'extension des facilités de crédit pour la reprise des sociétés T. et D. A cet égard, M. van Reijendam aurait annoncé que d'autres personnes donneraient leur caution personnelle pour au moins 2 000 000 florins. Sur la foi de cette déclaration, la banque aurait écrit à Dombo, le 22 janvier 1981, qu'elle consentait en principe à hausser le plafond de crédit jusqu'à 5 000 000 florins, sous réserve toutefois de certaines conditions relatives aux comptes annuels et aux sûretés. N'ayant reçu ni les uns ni les autres, elle aurait annulé son offre par une lettre du 19 mars 1981 à Dombo.

Elle confirmait le transfert de 350 000 florins, mais niait avoir su à quoi devait servir cette somme. M. van Reijendam l'aurait trompée sur ce point. Il en irait de même du retrait de 100 000 florins. La banque aurait relevé cette tromperie dans sa lettre du 19 mars 1981, ajoutant qu'en conséquence elle résilierait la convention de crédit (qu'elle avait pourtant continué à honorer) si M. van Reijendam devait assumer à nouveau les fonctions de gérant de Dombo (alinéa c) ci-dessous).

Elle disait avoir exigé les hypothèques à titre de sûreté pour les lettres de crédit visées à l'alinéa a) ci-dessus et pour le retrait des sommes précitées de 350 000 et 100 000 florins. Les hypothèques auraient été constituées en vertu d'une procuration rédigée par un notaire qui - cela ressortait du document lui-même - en avait donné lecture avant que M. van Reijendam la signât. La banque démentait l'existence d'une procuration en blanc.

c) Elle se défendait catégoriquement d'avoir bloqué les comptes de Dombo le 28 janvier 1981. En tout cas, le total des retraits opérés sur eux excédait alors la limite convenue de 750 000 florins puisqu'il laissait un solde négatif de 784 657 florins 75. La banque aurait cependant précisé qu'elle n'avait plus confiance en M. van Reijendam après la découverte de l'imposture susmentionnée. Ses doutes sur l'aptitude de l'intéressé à demeurer à la tête de Dombo se seraient vérifiés plus tard quand il fut suspendu de ses fonctions de directeur général, avec effet du 4 février 1981, et envoyé peu après dans un institut psychiatrique en exécution d'une ordonnance judiciaire. Du 4 février 1981 au 23 mars 1981, la banque aurait poursuivi ses relations avec Dombo, désormais dirigée par M. C.U. et Mme van L. Elle aurait continué à lui allouer du crédit afin de financer les activités reprises de la société O. Après le retour de M. van Reijendam, elle aurait offert à Dombo toutes facilités pour réduire sa dette; quand il apparut que M. van Reijendam n'entendait pas agir en ce sens, elle aurait résilié la convention de crédit, à partir du 30 octobre 1981. Alors seulement elle aurait bloqué les comptes.

II. Procédure devant les tribunaux internes

12. Le 11 mars 1983, en vertu d'une ordonnance judiciaire qu'elle avait obtenue, Dombo saisit certaines sommes qu'elle devait encore à la banque et assigna celle-ci devant le tribunal d'arrondissement (arrondissementsrechtbank) d'Arnhem; elle réclamait une indemnité pour le dommage que lui aurait causé le manquement de la banque à ses engagements.

13. Il y eut d'abord un large échange d'écritures: chaque partie présenta des observations à trois reprises et produisit de nombreux documents; en outre, Dombo proposa l'audition de témoins, en particulier les directeurs généraux, M. C.U. et Mme van L., qui avaient temporairement remplacé M. van Reijendam, pour prouver que des négociations avaient eu lieu à l'époque en vue d'élever la ligne de crédit de 2 100 000 à 2 600 000 florins. Là-dessus, le tribunal rendit, le 2 février 1984, un jugement interlocutoire autorisant Dombo à citer des témoins afin d'établir, premièrement, que la banque avait gelé ses comptes le 28 janvier 1981 et, deuxièmement, que les facilités de crédit existantes avaient été augmentées de 1 600 000 florins en décembre 1980. De plus, il ordonna la comparution personnelle, devant l'un de ses membres, de représentants de Dombo et de la banque capables de fournir des renseignements et habilités à conclure un règlement amiable.

14. La banque attaqua le jugement devant la cour d'appel (gerechtshof) d'Arnhem, alléguant qu'il eût fallu débouter Dombo d'emblée. D'après elle, Dombo avait abandonné la base initiale de son action et celle qu'elle avait adoptée entre-temps ne pouvait donc manifestement pas lui servir d'appui. Elle ne justifiait d'ailleurs d'aucun intérêt et la demande de preuves formulée par le tribunal d'arrondissement était en tout cas trop vague et unilatérale.

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