Jurisprudence : CEDH, 24-08-1993, Req. 31/1992/376/450, Nortier c. Pays-Bas

CEDH, 24-08-1993, Req. 31/1992/376/450, Nortier c. Pays-Bas

A6581AWN

Référence

CEDH, 24-08-1993, Req. 31/1992/376/450, Nortier c. Pays-Bas. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1038906-cedh-24081993-req-311992376450-nortier-c-paysbas
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Cour européenne des droits de l'homme

24 août 1993

Requête n°31/1992/376/450

Nortier c. Pays-Bas



En l'affaire Nortier c. Pays-Bas*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
B. Walsh,
J. De Meyer,
N. Valticos,
S.K. Martens,
I. Foighel,
J.M. Morenilla, Sir John Freeland,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 février et 23 juin 1993,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:



Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 31/1992/376/450. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.


PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 11 septembre 1992, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 13924/88) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont un ressortissant de cet Etat, M. Erik Hans Nortier, avait saisi la Commission le 28 avril 1988 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration néerlandaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. S.K. Martens, juge élu de nationalité néerlandaise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 26 septembre 1992, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. Thór Vilhjálmsson, M. B. Walsh, M. J. De Meyer, M. N. Valticos, M. I. Foighel, M. J.M. Morenilla et Sir John Freeland, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement néerlandais ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et l'avocat du requérant au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 14 décembre 1992. Par une lettre du 30 novembre 1992, le Gouvernement a fait savoir qu'il n'en déposerait pas. Le 6 janvier 1993, le secrétaire de la Commission a indiqué au greffier que le délégué présenterait ses observations à l'audience.

5. Le 11 janvier 1993, la Commission a produit certains documents sollicités par le greffier à la demande du Gouvernement.

6. Ainsi qu'en avait décidé le président, qui avait autorisé l'avocat du requérant à s'exprimer en néerlandais (article 27 par. 3), les débats ont eu lieu en public le 23 février 1993, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

MM. K. de Vey Mestdagh, ministère des Affaires étrangères,
agent, A. Patijn, ministère de la Justice,
conseiller;

- pour la Commission

M. M.P. Pellonpää,
délégué;

- pour le requérant

Me J. Sap, avocat et avoué,
conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à sa question et à celles de certains de ses membres, M. de Vey Mestdagh pour le Gouvernement, M. Pellonpää pour la Commission et Me Sap pour le requérant.


EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

7. Citoyen néerlandais né le 13 mai 1972, le requérant avait quinze ans à l'époque des faits de la cause.

8. Le 19 septembre 1987, il sortit d'un centre de détention pour jeunes délinquants où il avait purgé une peine pour viol.

Soupçonné de tentative de viol, il fut à nouveau arrêté onze jours plus tard, le 30 septembre. Il avoua le crime à la police.

9. Assisté de son avocat, il comparut le 2 octobre 1987 devant M. Meulenbroek, juge des enfants (kinderrechter) au tribunal d'arrondissement (arrondissementsrechtbank) de Middelburg, qui siégeait en qualité de juge d'instruction (rechter-commissaris). L'association de droit privé assurant sa tutelle légale était représentée par deux travailleurs sociaux.

Il renouvela ses aveux.

A la demande du procureur (officier van justitie), M. Meulenbroek ordonna la mise en dépôt (bewaring) de l'intéressé. Il prescrivit en outre une instruction préparatoire (gerechtelijk vooronderzoek) aux fins d'expertise psychiatrique. Ni M. Nortier ni son défenseur ne protestèrent.

10. Sur de nouvelles réquisitions du parquet, M. Meulenbroek, statuant le 8 octobre 1987 comme chambre du conseil (raadkamer), décida le maintien en détention (gevangenhouding) de l'adolescent; il prorogea la mesure lors de contrôles périodiques les 10 novembre et 10 décembre 1987. A aucun moment le requérant et son avocat n'élevèrent d'objections.

11. Au cours de l'instruction préparatoire, M. Nortier subit un examen psychiatrique. Dans son rapport, l'expert formula une recommandation: si l'acte incriminé venait à être établi, il faudrait envoyer l'intéressé dans une institution de traitement psychiatrique (inrichting voor buitengewone behandeling), en vertu de l'article 77k du code pénal (Wetboek van Strafrecht), mais non le punir.

Craignant que le requérant n'eût passé ses aveux initiaux sous la contrainte, la défense demanda l'audition, comme témoins, des deux policiers qui avaient enregistré ses premières déclarations après son arrestation. Le juge Meulenbroek en chargea le juge Witziers, vice-président du tribunal d'arrondissement de Middelburg et juge des enfants suppléant, lequel les entendit les 22 et 23 décembre 1987. Au vu de leurs déclarations, la défense ne sollicita pas leur convocation au procès.

L'instruction préparatoire consista seulement dans l'interrogatoire desdits témoins et dans l'examen psychiatrique précité.

12. En décembre 1987, M. Nortier reçut une assignation à comparaître le 6 janvier 1988 devant le juge des enfants Meulenbroek, afin d'être jugé.

13. Par une lettre du 5 janvier 1988, la veille du jour fixé pour les débats son avocat récusa ledit magistrat pour défaut d'impartialité, au motif qu'il avait pris, pendant la phase préparatoire du procès, des décisions concernant la détention provisoire de son client.

M. Meulenbroek rejeta la demande le lendemain, pour défaut de fondement.

14. M. Nortier attaqua cette décision devant le tribunal d'arrondissement de Middelburg. Celui-ci la confirma le 22 janvier après avoir examiné en détail la pertinence de l'arrêt rendu le 26 octobre 1984 par la Cour européenne en l'affaire De Cubber c. Belgique (série A n° 86). Il estima qu'il y avait une différence fondamentale entre le juge d'instruction belge et le juge des enfants néerlandais, notamment quant à leur indépendance respective. Il ajouta que l'arrêt De Cubber n'impliquait pas que le cumul des fonctions de juge d'instruction et de juge du fond dans la même affaire violait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) en toute circonstance. Dans le cas de mineurs, la procédure pénale néerlandaise ménageait une exception à la règle générale interdisant pareil cumul (paragraphe 20 a) ci-dessous). Comme le juge des enfants l'avait souligné dans sa décision, il fallait en chercher la raison dans la prééminence du caractère éducationnel du droit pénal applicable aux enfants et dans l'importance d'une coordination optimale des diverses mesures adoptées à l'égard du mineur.

15. Assisté de son avocat, le requérant fut finalement jugé le 25 janvier 1988, par le juge des enfants Meulenbroek. L'un des travailleurs sociaux représentant l'association de droit privé chargée de sa tutelle légale était également là et put s'exprimer.

Confirmant ses déclarations antérieures, M. Nortier reconnut les faits, qui furent alors tenus pour prouvés à la lumière des éléments recueillis. Ainsi que l'avait recommandé le rapport psychiatrique (paragraphe 11 ci-dessus), on l'envoya dans une institution de traitement psychiatrique pour jeunes délinquants, en vertu de l'article 77k du code pénal. Le juge des enfants lui remémora qu'il avait le droit d'interjeter appel mais son avocat, seul habilité à l'exercer (paragraphe 22 ci-dessous), n'en usa pas.

En mars 1990, M. Meulenbroek opéra le contrôle bisannuel voulu par l'article 77r du code pénal, afin de déterminer si le requérant avait ou non intérêt à demeurer interné. Ni M. Nortier ni son conseil ne paraissent avoir élevé d'objections contre la prorogation de la mesure. L'adolescent fut élargi sans condition le 9 août 1991.

II. Droit et pratique internes pertinents

A. Structure légale du droit pénal et de la procédure pénale applicables aux enfants

16. Aux Pays-Bas, depuis 1901 droit pénal et procédure pénale ne s'appliquent pas, en principe, de la même manière aux jeunes délinquants et aux adultes. En ces matières, la loi introduit des exceptions pour les mineurs: les normes générales ne jouent à leur égard qu'en l'absence de dérogation expresse.

Les enfants ne peuvent être poursuivis pour des actes commis avant l'âge de douze ans (article 77a du code pénal).

On suit des règles de procédure pénale particulières si le suspect n'a pas encore dix-huit ans au moment de l'ouverture de poursuites contre lui (article 487 du code de procédure pénale, Wetboek van Strafvordering).

En principe, la même limite d'âge vaut en droit pénal (article 77b du code pénal). Toutefois, sous certaines conditions le code pénal permet d'appliquer le droit pénal général à un suspect qui avait seize ou dix-sept ans à l'époque de l'infraction (article 77c) et, inversement, d'appliquer le droit pénal des enfants à un suspect qui, à l'époque de l'infraction, avait atteint l'âge de dix-huit ans mais pas encore celui de vingt et un ans (article 77d).

17. Le droit pénal des enfants ne diffère de celui des adultes que par un ensemble de peines (straffen) et de mesures (maatregelen) curatives ou protectrices adaptées à ses finalités propres. Aux termes de l'exposé des motifs de la loi du 9 novembre 1961 (paragraphe 18 ci-dessous), il "a au premier chef un but pédagogique, les intérêts du mineur étant toujours pris en compte". Par conséquent, il vise pour l'essentiel à protéger et éduquer le mineur concerné.

Les peines prévues pour les enfants sont le placement dans une école de discipline (tuchtschool), pour une période pouvant aller jusqu'à six mois, les "arrêts" (arrest), d'une durée de quatorze jours au plus, l'amende, d'un montant maximal de cinq cents florins, et la réprimande (berisping) (article 77g). Parmi les mesures figurent la mise sous surveillance (ondertoezichtstelling) - il s'agit en réalité d'une mesure de protection instaurée par le droit civil (articles 1:245 et suiv. du code civil (Burgerlijk Wetboek)) - et le placement dans une institution de traitement psychiatrique pour jeunes délinquants (article 77h). De nature curative, ce dernier n'est utilisé que pour les jeunes gens au développement mental déficient ou qui souffrent d'un trouble mental grave (article 77k).

18. La procédure pénale applicable aux enfants cherche elle aussi à protéger et éduquer, mais ici les différences avec le droit commun sont considérables.

Principe directeur en la matière: la procédure

"doit être simple et compréhensible, à la fois pour les mineurs en cause et pour leurs parents. Il y a lieu de renoncer aux formalités présentant quelque intérêt pour les adultes, mais pratiquement dépourvues de sens pour les mineurs, tandis que des prescriptions spéciales doivent assurer un traitement adéquat des affaires de jeunes". (Extrait de l'exposé des motifs de la loi du 9 novembre 1961, entrée en vigueur en 1965, qui modernisa la procédure pénale applicable aux jeunes, laquelle datait de 1901 et avait subi une réforme complète en 1921).

Cette idée de base, jointe à la nécessité d'améliorer la protection des mineurs en établissant des liens avec celle dont les dote le droit civil - où le juge des enfants est l'acteur central, habilité à ordonner diverses mesures de protection -, explique pourquoi le juge des enfants joue le même rôle essentiel dans la procédure pénale applicable aux jeunes. On crédite ce système de plusieurs avantages:

- consulter au préalable le juge des enfants sur l'opportunité de poursuites pénales contribue à protéger le mineur, surtout s'il connaît déjà l'intéressé; il peut en aller ainsi, par exemple, si ledit juge a été associé à des mesures de protection ordonnées dans le cadre du droit civil, tel le placement du mineur sous surveillance judiciaire;

- une relation de confiance peut se développer entre, d'un côté, le juge des enfants et, de l'autre, le mineur ainsi que ses parents, ou son tuteur, car les seconds (les parents, ou le tuteur, sont invités à comparaître lors de l'instruction préparatoire et du procès et ont le droit de s'exprimer) ont affaire à un seul et même magistrat tout au long de la procédure, laquelle en outre se déroule à huis clos et sans formalisme;

- si le mineur est passé immédiatement aux aveux - chose habituelle chez de tels suspects -, on peut élaborer à un stade précoce un plan pour son avenir, y compris pendant l'instruction préparatoire;

- le juge des enfants est en l'occurrence la personne la plus indiquée, grâce à sa grande compétence en la matière et à ses amples pouvoirs de décision.

L'article 14a du code de procédure pénale illustre l'étroitesse du lien entre les mesures de protection du droit civil et les poursuites pénales: si une procédure civile relative à la protection du mineur - par exemple une demande visant à le placer sous contrôle judiciaire, ou tendant à retirer à ses parents leurs droits parentaux -chemine parallèlement aux poursuites pénales, ce texte autorise à suspendre les secondes jusqu'au moment où une décision définitive intervient dans la première.

19. Le rôle central du juge des enfants ressort clairement du fait que celui-ci est associé à la décision de poursuivre ou non. D'après l'article 493 du code de procédure pénale, le parquet doit d'abord recueillir l'avis du juge des enfants s'il veut renoncer sans conditions aux poursuites dirigées contre un mineur; il ne peut les abandonner sous conditions qu'avec l'autorisation dudit magistrat. Sauf en cas de classement immédiat, il doit se renseigner sur la personnalité et les conditions de vie du mineur auprès du service de protection de l'enfance, lequel peut alors s'exprimer sur l'opportunité des poursuites (article 495).

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