Jurisprudence : Cass. crim., 27-10-1992, n° 91-85.215, Irrecevabilité et rejet



Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 27 Octobre 1992
Irrecevabilité et rejet
N° de pourvoi 91-85.215, 91-85235
Président M. Le Gunehec

Demandeur X et autre
Rapporteur M. ...
Avocat général M. Amiel
Avocat la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
IRRECEVABILITÉ et REJET des pourvois formés par X, Y, 1°) contre l'arrêt avant dire droit de la cour d'appel de Besançon, chambre correctionnelle, en date du 14 mars 1991, qui, après avoir annulé une ordonnance de renvoi du juge d'instruction ainsi que la procédure suivie devant le tribunal correctionnel, a évoqué et dit qu'ils étaient prévenus, comme auteur ou complice, de publication interdite d'informations relatives à une constitution de partie civile, de publication d'actes de procédure correctionnelle et d'atteinte à l'indépendance de la justice ; 2°) contre l'arrêt de ladite cour d'appel, en date du 30 mai 1991, qui, après avoir déclaré prescrite l'infraction prévue par l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881, les a condamnés, des chefs d'atteinte à l'indépendance de la justice, et publication interdite d'informations relatives à une constitution de partie civile, le premier en qualité d'auteur principal, le second en qualité de complice, à 15 000 francs d'amende chacun, et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,.
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit ;
Sur la recevabilité du pourvoi formé contre l'arrêt du 14 mars 1991
Attendu que les articles 570 et 571 du Code de procédure pénale n'apportent aucune dérogation aux dispositions générales et absolues de l'article 568 du même Code, qui fixent, sauf en matière de presse, à 5 jours francs après celui où la décision a été prononcée le délai pour se pourvoir en cassation ; qu'en conséquence, le pourvoi déclaré le 4 juin 1991, à la fois contre l'arrêt du 14 mars 1991 et contre celui du 30 mai 1991, n'est recevable qu'à l'encontre de ce dernier ; qu'il y a lieu de déclarer le pourvoi irrecevable, en ce qu'il concerne l'arrêt du 14 mars 1991 ;
Sur le pourvoi formé contre l'arrêt du 30 mai 1991
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces produites que le quotidien régional Z a publié, dans son numéro 33 262 de l'édition Franche-Comté du 30 novembre 1988, en page " Région Franche-Comté ", un article intitulé " Deux médecins belfortains inculpés d'homicide involontaire ", en surtitre " Décès d'un malade après une intervention chirurgicale ", et en sous-titre " Le médecin de garde de la clinique A est resté injoignable toute la nuit l'opéré est mort au petit matin " ; que l'article était annoncé en première page du journal par un titre encadré " Bavure médicale deux inculpations à Belfort " ; qu'il relatait les circonstances du décès d'un patient, selon la " plainte " de sa veuve et de son fils, qui venait " d'aboutir à l'inculpation des docteurs ... et ... " ; qu'il était assorti de l'analyse du rapport d'un médecin-expert, dans un encadré intitulé " Le rapport d'expertise du professeur ... il aurait été possible d'appeler le SAMU " ;
Attendu que, sur plaintes avec constitution de partie civile des médecins mis en cause, des poursuites ont été exercées contre X, journaliste auteur de l'article, et contre Y, directeur de publication du journal, des chefs notamment d'infractions à l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 et à l'article 227 du Code pénal ;
En cet état
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 2 de la loi du 2 juillet 1931, 60 et 227 du Code pénal, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale
" en ce que la cour d'appel a déclaré Y, coupable de complicité des délits prévus par l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 et l'article 227 du Code pénal ;
" aux motifs que, en ce qui concerne l'infraction prévue par l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931, la complicité de ce délit, relève du droit commun, aucune disposition légale, comme pour la prescription, ne permettant de le rapprocher du régime particulier édicté par la loi du 2 juillet 1931, qu'il y a lieu de constater que Y n'apporte aucune preuve de l'existence d'une quelconque délégation de responsabilité au chef d'agence de Belfort, en outre, bien que s'agissant d'une information parue en page région, elle a bénéficié d'un encart en première page à côté d'informations à caractère national et international et d'un nombre important de colonnes à la page consacrée aux informations régionales, il paraît peu vraisemblable au moins en ce qui concerne la première page que le directeur de la publication n'ait pas eu connaissance de l'article relatif aux médecins de B, que l'argumentation de Y tendant à sa relaxe consiste à dire qu'il n'a exercé aucun contrôle sur la parution de l'article et qu'ainsi sa responsabilité doit être écartée, cette méthode de travail ne doit pas permettre d'aboutir à une exonération de responsabilité, sauf à permettre au prévenu de tirer argument de sa propre conception de sa fonction qui, par l'absence de contrôle, signifie qu'il accepte par avance de s'associer à n'importe quel écrit paru dans le journal qu'il soit licite ou non ; et en ce qui concerne l'infraction prévue par l'article 227 du Code pénal, Y doit être retenu comme complice sur les mêmes motifs que pour l'infraction à la loi du 2 juillet 1931 ;
" alors qu'en se bornant ainsi à constater, au demeurant en des termes hypothétiques, que le directeur de la publication aurait eu connaissance de l'article relatif aux médecins de Belfort, au moins en ce qui concerne la première page, qui était ainsi libellée bavure médicale deux inculpations à Belfort (en page région), la cour d'appel n'a pas fait apparaître que Y aurait eu connaissance de la teneur et de la portée des informations et imputations constitutives de chacun des deux délits reprochés au journaliste, et n'a donc pas légalement justifié sa décision " ;
Le moyen étant pris en ce qu'il invoque l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931, et l'article 60 du Code pénal ;
Attendu que pour déclarer Y complice du délit de publication interdite d'informations relatives à une constitution de partie civile, dont X a été reconnu auteur principal, les juges énoncent que le prévenu ne justifie d'aucune délégation de responsabilité au chef de l'agence de Belfort, qu'il est peu vraisemblable qu'un article annoncé en première page ait échappé à son contrôle, et qu'il est en tout cas malvenu de se prévaloir d'une conception de sa fonction qui lui permettrait de s'associer par avance à n'importe quel écrit, fût-il illicite, paru dans le journal ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui caractérisent la participation consciente du prévenu à la publication interdite dont X ne conteste pas l'illégalité, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 227 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné X et Y, respectivement jugés auteur principal et complice, à une amende de 15 000 francs chacun, du chef de publication de commentaires, avant décision juridictionnelle, tendant à exercer des pressions sur les déclarations des témoins ou sur la décision des juridictions d'instruction ou de jugement ;
" aux motifs que le mot bavure est devenu depuis quelques années d'un usage répandu dans le langage familier et dans la presse, il a donc pu perdre de sa vigueur, mais il reste utilisé pour désigner d'une manière critique une action regrettable commise suite à une maladresse ou un comportement fautif, il est donc à lui seul constitutif d'un commentaire sur celle-ci, l'article en page Région comporte plusieurs parties, tout d'abord, il relate selon la partie civile le déroulement des faits qui ont abouti au décès de M F, ce récit ne contient pas de critique précise sur le comportement des médecins ou du personnel hospitalier ni d'adjectif de nature à stigmatiser celui-ci, une deuxième partie débute après le mot question, elle est rédigée sous la forme d'une série de questions dont il est dit que la justice devra y répondre, ces questions, après le récit d'un drame, donnent à l'article par leur présentation une tournure encore plus dramatique, toutefois le procédé littéraire ainsi employé ne paraît pas en soi constituer le commentaire interdit par l'article 227 du Code pénal, une troisième partie reprend les termes du rapport d'expertise du professeur ... qui s'est livré à une vive critique des docteurs ... et ..., il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'article incriminé paraît critiquable et de nature à constituer des commentaires tendant à exercer des pressions sur les déclarations des témoins ou sur la décision des juridictions d'instruction ou de jugement ; en effet l'emploi du mot bavure, dans un encart bien signalé, en première page avant même que soit intervenue une décision juridictionnelle définitive, tend à l'évidence à influencer les lecteurs dans un sens défavorable aux médecins et donc à exercer des pressions au sens de l'article 227 du Code pénal, ce risque est encore accru par la troisième partie de l'article qui reprend les commentaires sévères faits par le professeur ... sur les circonstances du décès de M F, qui paraissent, tels qu'ils sont repris par le journaliste, de nature, d'autant plus qu'ils émanent d'un expert, à influer sur les acteurs de l'enquête, magistrats ou témoins amenés à faire des déclarations par exemple sur le déroulement de l'opération, son suivi, l'organisation de la clinique, l'état de marche de l'eurosignal d'un des médecins, etc ;
" alors que les commentaires publiés avant l'intervention d'une décision juridictionnelle définitive ne sont incriminés que pour autant qu'ils soient de nature, à raison de leurs termes et de leur orientation, à faire peser une contrainte sur les témoins ou sur la juridiction saisie, telle qu'elle puisse déterminer le sens de leurs déclarations ou de leur décision ; qu'ainsi, en se bornant à relever pour estimer le délit constitué, que l'emploi des mots bavure médicale en première page du quotidien, exprimait la critique d'une action regrettable, tout en soulignant la banalisation de cette formule, et que la relation de l'opinion d'un expert, en ce qu'elle suggérait que le décès du patient aurait pu être évité, devait être analysée comme un commentaire propre à influencer les témoins éventuels ou le magistrat instructeur, sans faire aucunement apparaître en quoi ni l'expression ni la relation litigieuses tendaient à exercer des pressions sur le libre arbitre de ces derniers, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes ci-dessus mentionnés " ;
Et sur le second moyen de cassation pris en ce qu'il vise l'article 227 du Code pénal
Les moyens étant réunis ;
Attendu que pour déclarer X, rédacteur de l'écrit incriminé, coupable du délit prévu par l'article 227 du Code pénal, en qualité d'auteur principal, et Y, directeur de la publication, complice de cette infraction, l'arrêt énonce que le terme de bavure constitue à lui seul un commentaire, tendant à influencer ses lecteurs dans un sens défavorable aux médecins, et que la publication conjointe des critiques sévères adressées aux médecins par l'expert judiciaire est de nature à " influer sur les acteurs de l'enquête, magistrats ou témoins amenés à faire des déclarations, par exemple sur le déroulement de l'opération, son suivi, l'organisation de la clinique, l'état de marche de l'eurosignal d'un des médecins " ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les propos incriminés ne comportaient, dans les termes et en les formes où ils ont été établis, aucune menace ou contrainte envers la juridiction d'instruction, pour la déterminer à prendre une décision, qui est intervenue seulement le 26 avril 1991, ni aucune incitation envers les témoins à travestir la vérité, la cour d'appel, qui a de surcroît omis d'appliquer l'article 285 du Code pénal, a violé les textes visés au moyen ;
Attendu que l'arrêt attaqué n'encourt cependant pas la cassation de ce chef, les peines et les réparations civiles étant justifiées par les déclarations de culpabilité fondées sur l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi formé contre l'arrêt du 14 mars 1991 ;
REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt du 30 mai 1991

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