Jurisprudence : CEDH, 29-11-1991, Req. 44/1990/235/301, Vermeire c. Belgique

CEDH, 29-11-1991, Req. 44/1990/235/301, Vermeire c. Belgique

A6413AWG

Référence

CEDH, 29-11-1991, Req. 44/1990/235/301, Vermeire c. Belgique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1027971-cedh-29111991-req-441990235301-vermeire-c-belgique
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Cour européenne des droits de l'homme

29 novembre 1991

Requête n°44/1990/235/301

Vermeire c. Belgique



En l'affaire Vermeire c. Belgique*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement***, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président, Thór Vilhjálmsson, Mme D. Bindschedler-Robert, MM. B. Walsh, A. Spielmann, J. De Meyer, S.K. Martens, A.N. Loizou, J.M. Morenilla,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 mai et 24 octobre 1991,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier:

* L'affaire porte le n° 44/1990/235/301. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.

*** Les amendements au règlement entrés en vigueur le 1er avril 1989 s'appliquent en l'espèce.

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 11 juillet 1990, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12849/87) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Astrid Vermeire, avait saisi la Commission le 1er avril 1987 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration belge reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 8 et 14 (art. 8, art. 14).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, la requérante a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. J. De Meyer, juge élu de nationalité belge (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 27 août 1990, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. Thór Vilhjálmsson, Mme D. Bindschedler-Robert, M. B. Walsh, M. A. Spielmann, M. S.K. Martens, M. A.N. Loizou et M. J.M. Morenilla, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement belge ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et l'avocat de la requérante au sujet de la nécessité d'une procédure écrite (article 37 par. 1). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu, le 7 février 1991, le mémoire de la requérante puis, le 18, celui du Gouvernement. Le 13 mars, le délégué de la Commission l'a informé qu'il s'exprimerait de vive voix.

5. Le 9 avril, le secrétaire de la Commission a produit certaines pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier les lui avait demandées sur les instructions du président.

6. Le 12 octobre 1990, le président avait fixé au 23 mai 1991 la date de l'audience après avoir recueilli l'opinion des comparants par les soins du greffier (article 38 du règlement).

7. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. J. Lathouwers, secrétaire d'administration-juriste,
ministère de la Justice,
agent, Me F. Huisman, avocat,
conseil;

- pour la Commission

M. H. Danelius,
délégué;

- pour la requérante

Me K. Van Hoecke, avocat,
conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, Me Huisman pour le Gouvernement, M. Danelius pour la Commission et Me Van Hoecke pour la requérante.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

8. Ressortissante belge domiciliée à Bruxelles, Mme Astrid Vermeire est la fille naturelle reconnue de Jérôme Vermeire, décédé célibataire en 1939 et fils des défunts époux Camiel Vermeire et Irma Van den Berghe. Ceux-ci avaient deux autres enfants, Gérard et Robert, morts respectivement en 1951 et en 1978, le premier célibataire et sans descendant, le second laissant deux enfants de son mariage, Francine et Michel.

9. Les grands-parents de la requérante, qui l'avaient élevée après la disparition de son père, décédèrent tous deux ab intestat, Irma Van den Berghe le 16 janvier 1975 et Camiel Vermeire le 22 juillet 1980. Les héritiers de la grand-mère étant restés en indivision jusqu'à la mort du grand-père, les deux successions furent liquidées et partagées en une seule procédure entre les petits-enfants légitimes, Francine et Michel. Astrid Vermeire s'en trouva exclue par le jeu de l'article 756 ancien du code civil (paragraphe 13 ci-dessous).

10. Le 10 juin 1981, elle saisit le tribunal de première instance de Bruxelles d'une action en pétition d'hérédité. Par jugement du 3 juin 1983, il lui reconnut les mêmes droits qu'à un descendant légitime dans les successions litigieuses.

Il se fonda en particulier sur le paragraphe 59 de l'arrêt que la Cour européenne avait rendu le 13 juin 1979 dans l'affaire Marckx (série A n° 31, p. 26): selon lui, "l'interdiction de discriminer sur le plan successoral les enfants légitimes et naturels [était] formulée par l'arrêt d'une façon suffisamment claire et précise pour permettre au juge national d'en faire une application directe dans les cas soumis à son appréciation".

11. Sur recours des petits-enfants légitimes, la cour d'appel de Bruxelles réforma cette décision le 23 mai 1985. Elle releva notamment:

"en tant que l'article 8 (art. 8) comporte des obligations négatives qui prohibent l'immixtion arbitraire de l'Etat dans la vie privée et familiale des personnes qui résident sur son territoire, il énonce une règle suffisamment précise et complète qui revêt un caractère directement applicable, mais il n'en est pas de même en tant que l'article 8 (art. 8) inclut pour l'Etat belge l'obligation positive d'élaborer un statut juridique conforme aux principes que cette disposition de la Convention énonce; (...) dès lors que de multiples moyens s'offrent en la matière au choix de l'Etat belge pour réaliser cet impératif, cette disposition n'est plus suffisamment précise et complète et s'analyse en une obligation de faire dont le pouvoir législatif et non le pouvoir judiciaire doit assumer la responsabilité."

La cour d'appel refusa donc tout effet direct aux passages de l'arrêt Marckx relatifs à la vocation successorale de l'enfant naturel à l'égard des parents de l'auteur qui l'a reconnu.

12. Se ralliant en substance aux motifs de cet arrêt, conforme du reste à sa propre jurisprudence, la Cour de cassation rejeta le 12 février 1987 le pourvoi de la requérante.

II. Droit interne pertinent

13. Les articles 756 et 908 anciens du code civil portaient ce qui suit:

Article 756

"Les enfants naturels ne sont point héritiers; la loi ne leur accorde de droits sur les biens de leur père et mère décédés, que lorsqu'ils ont été légalement reconnus. Elle ne leur accorde aucun droit sur les biens des parents de leur père ou mère."

Article 908

"Les enfants naturels ne pourront, par donation entre vifs ou par testament, rien recevoir au-delà de ce qui leur est accordé au titre 'Des successions'."

14. Ces dispositions ont été abrogées par une loi du 31 mars 1987, entrée en vigueur le 6 juin, qui inséra aussi dans le code civil un nouvel article 334 aux termes duquel

"Quel que soit le mode d'établissement de la filiation, les enfants et leurs descendants ont les mêmes droits et les mêmes obligations à l'égard des père et mère et de leurs parents et alliés, et les père et mère et leurs parents et alliés ont les mêmes droits et les mêmes obligations à l'égard des enfants et de leurs descendants."

15. A titre transitoire, l'article 107 de cette loi prévoit:

"Les dispositions de la présente loi sont applicables aux enfants nés avant son entrée en vigueur et encore en vie à cette date, mais sans qu'il puisse en résulter aucun droit dans les successions ouvertes auparavant.

Toutefois, ne pourra être contestée la validité des actes et partages passés avant l'entrée en vigueur de la présente loi et qui auraient attribué à un enfant né hors mariage des droits supérieurs à ceux qui lui étaient reconnus par les dispositions abrogées par la présente loi."

16. Il y a lieu de tenir compte, en outre, des articles 718, 724 et 883 du code civil:

Article 718

"Les successions s'ouvrent par la mort."

Article 724 (texte en vigueur à la mort de la grand-mère)

"Les héritiers légitimes sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt, sous l'obligation d'acquitter toutes les charges de la succession: les enfants naturels, l'époux survivant et l'Etat doivent se faire envoyer en possession par justice dans les formes qui seront déterminées."

(texte en vigueur à la mort du grand-père)

"Les héritiers légitimes sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt, sous l'obligation d'acquitter toutes les charges de la succession: les enfants naturels et l'Etat doivent se faire envoyer en possession par justice dans les formes qui seront déterminées."

(texte résultant de la loi du 31 mars 1987)

"Les héritiers sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt, sous l'obligation d'acquitter toutes les charges de la succession. L'Etat doit se faire envoyer en possession par justice, dans les formes déterminées ci-après."

Article 883

"Chaque cohéritier est censé avoir succédé seul et immédiatement à tous les effets compris dans son lot, ou à lui échus en licitation, et n'avoir jamais eu la propriété des autres effets de la succession."

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

17. Dans sa requête du 1er avril 1987 à la Commission (n° 12849/87), Mme Astrid Vermeire reprochait aux juridictions belges de lui avoir dénié la qualité d'héritière de ses grands-parents. Elle affirmait avoir subi de la sorte, dans l'exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale, une ingérence discriminatoire incompatible avec les articles 8 et 14, combinés (art. 14+8), de la Convention.

18. La Commission a retenu la requête le 8 novembre 1988. Dans son rapport du 5 avril 1990 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion que les décisions litigieuses n'ont pas enfreint lesdits articles en ce qui concerne la succession de la grand-mère (sept voix contre six), mais les ont violées quant à celle du grand-père (unanimité). Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*.

* Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 214-C de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 14, COMBINE AVEC L'ARTICLE 8 (art. 14+8)

19. La requérante se plaint de s'être trouvée exclue des successions de ses grands-parents paternels. Elle invoque les articles 8 et 14, combinés (art. 14+8), de la Convention, aux termes desquels:

Article 8 (art. 8)

"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui."

Article 14 (art. 14)

"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."

L'intéressée souligne que par son arrêt Marckx du 13 juin 1979, la Cour européenne a jugé incompatible avec ces textes, parce que discriminatoire, l'absence totale de vocation successorale à raison du seul caractère "naturel" du lien de filiation entre l'une des requérantes et ses proches parents du côté maternel (série A n° 31, p. 26, par. 59). D'après Mme Vermeire, les tribunaux nationaux auraient dû appliquer directement aux dévolutions la concernant les articles 8 et 14 (art. 8, art. 14), ainsi interprétés; à tout le moins le législateur belge aurait-il dû rendre rétroactive à la date dudit arrêt la loi du 31 mars 1987 qui a modifié la législation incriminée (paragraphes 14-15 ci-dessus).

20. Dans l'affaire Marckx, la Cour a précisé que le principe de sécurité juridique dispensait l'Etat belge de remettre en cause des actes ou situations juridiques antérieurs au prononcé de l'arrêt (même arrêt, pp. 25-26, par. 58).

En l'espèce, il s'agit des successions d'une grand-mère et d'un grand-père décédés respectivement avant et après cette date.

A. La succession de la grand-mère

21. Selon la requérante, la succession de sa grand-mère ne saurait passer pour antérieure au 13 juin 1979. Le décès remontait certes au 16 janvier 1975, mais le partage, qui seul aurait déterminé la nature et l'étendue des prétentions des héritiers, ne se réalisa qu'après ledit arrêt, conjointement avec celui de l'hoirie du grand-père.

22. La succession d'Irma Van den Berghe s'ouvrit par la mort de celle-ci et ses héritiers "légitimes" s'en trouvèrent saisis dès ce moment (articles 718 et 724 du code civil, paragraphe 16 ci-dessus).

Sans doute ne fut-elle clôturée qu'après le 13 juin 1979, mais le partage, en vertu de sa nature déclaratoire, sortit ses effets dès le décès, c'est-à-dire le 16 janvier 1975 (article 883 du même code, ibidem).

Il s'agit donc d'une situation juridique antérieure au prononcé de l'arrêt Marckx; il n'y a pas lieu de la remettre en cause.

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