Jurisprudence : Cass. crim., 26-04-1988, n° 87-82.011, Rejet



Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 26 Avril 1988
Rejet
N° de pourvoi 87-82.011
Président M. Berthiau, conseiller doyen faisant fonction

Demandeur ... ... Yves
Rapporteur M. ...
Avocat général Mme Pradain
Avocats la SCP Waquet et Farge, M. ...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

REJET du pourvoi formé par ... ... Yves, contre un arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 28 novembre 1986, qui l'a condamné, pour abstention délictueuse de porter secours à personne en péril, à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende ainsi qu'à des réparations civiles
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789, 4, 63 du Code pénal, 592 et 593 du Code de procédure pénale
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Yves Le ... du chef de non-assistance à personne en danger ;
" aux motifs qu'à la réception des lettres de Michel Bonnal, Yves Le ... ne pouvait douter de la détermination du signataire de réaliser son intention suicidaire ; que la lecture de la seconde lettre était suffisante pour lui faire prendre conscience de l'état de dépression de Michel ... et de l'imminence du danger auquel était exposé celui qui n'attendait qu'une réponse de sa part pour mettre à exécution son projet de disparition en douceur ; qu'à l'évidence une intervention immédiate était nécessaire pour prévenir un péril mortel constant et imminent couru par Michel ... dont l'état de détresse et la fragilité psychique étaient connus d'Yves Le ... ; qu'il était possible à Yves Le ..., soit d'user de l'influence qu'il pouvait avoir sur cet être faible pour le dissuader de son projet, soit d'alerter à cette fin une association de prévention ; que non seulement il s'est abstenu de provoquer toute aide et de tenter de conjurer le péril, mais encore, en fournissant au désespéré les renseignements par lui demandés, il lui a permis de mettre à exécution son projet suicidaire ;
" alors que, d'une part, le délit de non-assistance à personne en danger, qui réprime une omission, ne peut en aucun cas être retenu pour punir un acte positif ; que le suicide ne constituant pas, en droit français, un crime ou un délit contre l'intégrité corporelle d'une personne, les faits qui ont concouru à l'exécution du suicide ou l'ont facilitée ne sont susceptibles d'aucune qualification pénale ; que, dès lors, en condamnant Yves Le ... pour avoir fourni à Michel ... les renseignements qu'il lui demandait et qui lui ont permis d'exécuter son projet suicidaire, la Cour a non seulement violé par fausse application l'article 63 du Code pénal mais a méconnu le principe constitutionnel de la légalité des peines et des délits ;
" alors que, d'autre part, le péril imminent nécessaire pour caractériser le délit de non-assistance à personne en danger s'entend de celui auquel il apparaît qu'il doit être fait face sur l'heure ; que la loi a seulement égard à la nature du péril à l'heure même où la personne qui peut y porter secours en a connaissance, sans que l'on puisse prendre en considération, pour apprécier l'imminence et la gravité du péril, des circonstances ultérieures ; qu'en l'espèce la lettre adressée le 8 janvier 1983 par Michel ... à Yves Le ..., formulée en termes neutres, posant une question technique et qui ne comportait aucune considération personnelle sur l'état dépressif ou le désespoir de son auteur, ne pouvait en aucun cas caractériser un péril imminent auquel il devait être fait face sur l'heure ; que, dès lors, l'arrêt attaqué, qui a pris en considération le suicide ultérieur de Michel ..., le 2 mars 1983, soit près de deux mois après la lettre du 8 janvier 1983, pour affirmer que celle-ci révélait un péril mortel, imminent et constant, a violé
l'article 63 du Code pénal ;
" alors, enfin, que le péril doit être imminent et constant pour le prévenu, lequel ne doit avoir aucun doute sur la nécessité absolue de son intervention immédiate, dont l'omission ne peut être sanctionnée que si elle était possible ; qu'en l'espèce Yves Le ..., qui ne connaissait pas Michel ... et ne l'avait jamais vu, n'a pu procéder à aucune constatation personnelle sur la gravité de son état psychique et de son désespoir ; que, de plus, les lettres de Michel ... lui étaient adressées de Montpellier ; que, dès lors, non seulement Yves Le ... ne pouvait avoir conscience de l'imminence du péril, mais il lui était au surplus impossible d'intervenir, puisque, demeurant à Paris, il ne pouvait sur l'heure intervenir personnellement auprès de Michel ..., qu'il lui était impossible de faire appel à un médecin qui, en l'absence d'urgence, ne pouvait intervenir qu'à la demande de l'intéressé, et qu'il lui était également impossible, en l'absence de demande de Michel Bonnal lui-même, de provoquer l'intervention des associations de prévention ; que, d'ailleurs, les seules paroles de réconfort que l'arrêt attaqué lui reproche de ne pas avoir adressées ne caractérisent pas le devoir de secours dont l'abstention est pénalement réprimée " ;
Attendu que l'arrêt attaqué et le jugement auquel il se réfère constatent que souffrant d'une grave dépression nerveuse, Bonnal s'est par deux fois adressé aux auteurs du livre " Suicide mode d'emploi " pour leur demander d'abord des précisions sur certaines des méthodes décrites dans l'ouvrage, ensuite sur la dose mortelle d'un médicament cité dans le livre et qu'on venait de lui prescrire ; que Le Bonniec, l'un des auteurs, a répondu en indiquant la première fois qu'il préconisait l'intoxication médicamenteuse comme étant la plus susceptible de procurer une mort douce, la seconde fois en précisant la quantité de comprimés à absorber ; que quelque temps plus tard Bonnal se donnait la mort par absorption massive dudit médicament ; que la cour d'appel relève ensuite que dès réception de la première lettre dans laquelle Bonnal faisait part de son désespoir et de sa pensée profonde de disparaître, Le Bonniec était avisé du risque de mort encouru par son correspondant, qu'au reçu de la seconde lettre traduisant la volonté persistante de celui-ci et son attente de renseignement sur les moyens d'aboutir au suicide à l'aide du médicament à lui prescrit, le prévenu ne pouvait douter de la détermination du signataire des lettres dont la lecture était suffisante pour lui faire prendre conscience de l'imminence du danger ; qu'à l'évidence une intervention immédiate était nécessaire pour prévenir le péril mortel constant et imminent couru par Bonnal dont l'état de détresse et la fragilité psychique lui étaient connus ; que les juges énoncent enfin qu'il était possible à Le Bonniec soit d'user de l'influence qu'il pouvait avoir sur cet être faible pour le dissuader, soit d'alerter une association de prévention ; que non seulement il s'est abstenu de provoquer toute aide et de tenter de conjurer le péril mais encore en fournissant au désespéré les renseignements demandés, il lui a permis de mettre son projet à exécution ; qu'un tel comportement témoigne de sa volonté de ne pas porter assistance à une personne qu'il savait en danger ;
Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel a caractérisé les éléments matériels et intentionnel, du délit prévu à l'article 63, alinéa 2, du Code pénal sans encourir les griefs du moyen, qui ne tendent qu'à remettre en cause les constatations souveraines des juges ; que ceux-ci ont acquis la conviction qu'en fournissant des renseignements à son correspondant, le demandeur n'avait jamais eu l'intention de lui porter secours ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi

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