Jurisprudence : Cass. soc., 08-12-1983, n° 81-14.238, REJET

Cass. soc., 08-12-1983, n° 81-14.238, REJET

A1392AAS

Référence

Cass. soc., 08-12-1983, n° 81-14.238, REJET. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1015173-cass-soc-08121983-n-8114238-rejet
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Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les six moyens de cassation suivants :

Premier moyen : "Ce moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir retenu la compétence du tribunal de grande instance pour connaître d'une action intentée par des salariés non-grévistes contre des salariés grévistes aux fins d'indemnisation des salaires perdus par les premiers du fait de l'occupation des lieux du travail par les seconds pendant la première semaine de grève, alors qu'aux termes de l'article L. 511-1 alinéa 3 du Code du travail, dans sa rédaction applicable en l'espèce, le Conseil de Prud'hommes est seul compétent pour connaître des différends nés entre salariés à l'occasion du travail, de sorte que la Cour a ainsi violé le texte susvisé"

Deuxième moyen : "Ce moyen reproche à l'arrêt attaqué, confirmant le jugement du tribunal de grande instance du 27 juin 1977 statuant entre les seuls grévistes et non-grévistes, d'avoir jugé que l'occupation de l'usine constituait pour l'employeur un cas de force majeure le dispensant de payer les salaires aux non-grévistes durant la période d'occupation, aux motifs adoptés de ceux des premiers juges (jugement du 27 novembre 1977 page 3 paragraphe 6) qu'il n'existe aucune difficulté sérieuse à constater que l'employeur a fait décrire la situation par huissier de justice, et a fait toutes diligences pour obtenir l'expulsion des occupants, en sorte que l'exception préjudicielle prud'homale invoquée sur le plan contractuel est purement dilatoire et doit être écartée, alors qu'il incombe au seul employeur d'apporter la preuve, devant le Conseil de Prud'hommes, de l'impossibilité dans laquelle il aurait été mis de fournir travail et salaires aux non-grévistes, de sorte qu'en statuant ainsi, 1° la Cour a méconnu les dispositions de l'article L. 511-1 alinéa 1er du Code du travail, qui confèrent une compétence exclusive et d'ordre public au Conseil de Prud'hommes pour constater qu'une des parties au contrat de travail est exonérée des obligations qu'il tient d'un tel contrat, 2° la Cour a méconnu les dispositions de l'article 1147 du Code civil duquel il résulte que seul le débiteur peut justifier que l'inexécution de la convention provient d'une cause étrangère, 3° la Cour a omis de répondre aux conclusions des grévistes qui visaient essentiellement à faire déclarer irrecevable l'action des non-grévistes en l'absence de recours préalable ou subsidiairement de mise en cause de l'employeur, et a ainsi violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile (conclusions du 22 octobre page 5 paragraphes 5 et 1, p. 5 p. 6 paragraphe 1 ; conclusions du 24 novembre 1980 p. 3 in fine, p. 4 et p. 5 paragraphe 1 et 2)"



Troisième moyen : "Ce moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir retenu la participation de Mmes C..., A... et Philippe et de MM. Z..., B... et X... à l'occupation d'usine, au motif d'une part (arrêt page 7 paragraphe 3) que cette participation est vérifiable par la diffusion réalisée par divers organes d'information confirmant la confiance que la Direction a faite aux indications fournies par l'encadrement sur la présence active de chacun de ceux-ci à l'occupation litigieuse, alors que, les attestations et les pièces établissant cette diffusion par voie de presse ont été produites en annexe à des notes en délibérés, de sorte que la Cour, en se fondant sur des pièces produites après l'ordonnance de clôture, a violé l'article 783 du nouveau Code de procédure civile, au motif d'autre part (arrêt page 7 paragraphe 3) que les salariés sus-dénommés n'ayant pas contesté devant l'expert leur participation à l'occupation de l'usine, cette participation est acquise aux débats, alors que la renonciation au droit de contester sa participation à des agissements collectifs ne peut résulter que d'un acte positif et non équivoque ; que les salariés sus-dénommés ont expressément contesté dans leurs conclusions d'appel (24 novembre p. 5 paragraphe 3 et 22 octobre p. 7 paragraphes 5 et suivants) que leur participation à l'occupation litigieuse eût été démontrée ; qu'en écartant cette contestation des débats sur la seule considération que ces l'expert, la Cour a violé : - l'article 1134 du Code civil, - l'article 4 du nouveau Code de procédure civile"



Quatrième moyen : "Ce moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir retenu la responsabilité civile envers les non-grévistes de grévistes ayant prétendument participé à un piquet de grève, au motif (arrêt page 7 paragraphes 2 et 4) qu'en bloquant l'entrée de l'usine, ils avaient empêché les non-grévistes d'accéder à leur poste de travail, alors qu'en ne caractérisant de façon plus circonstanciée le comportement des grévistes, l'arrêt attaqué ne permet pas à la Cour de cassation de contrôler si cette attitude était de nature à engendrer la responsabilité civile des grévistes vis-à-vis des non-grévistes, et qu'ainsi la Cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 521-1 du Code du travail"



Cinquième moyen : "Ce moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir condamné in solidum six grévistes, qui auraient prétendument participé à l'occupation de l'usine, à verser à vingt-quatre non-grévistes, l'intégralité des salaires perdus du fait de cette occupation.

AU MOTIF (arrêt page 7 dernier paragraphe) que la participation des grévistes à un fait fautif commis avec d'autres participants non identifiés justifie une demande en réparation de l'entier préjudice subi dont ils sont tenus in solidum.

1) ALORS QUE D'UNE PART, ne peuvent être tenus in solidum que ceux dont les agissements ont concouru à l'entier dommage ; qu'étant acquis aux débats que six grévistes ne pouvaient à eux seuls, entraver la liberté de travail de l'ensemble du personnel, ces grévistes ne devaient en toute hypothèse, être tenus qu'à raison de la part de responsabilité qu'ils avaient prise dans les faits éventuellement dommageables, de sorte qu'en statuant ainsi, la Cour a violé l'article 1382 du Code civil.

2) ALORS QUE D'AUTRE PART, le principe selon lequel chacun des responsables d'un même dommage peut être condamné à le réparer en entier suppose que chaque responsable dispose d'un recours contre les autres co-responsables de sorte qu'en statuant ainsi, après avoir admis que l'occupation de l'usine avait été réalisée non seulement par les grévistes poursuivis, mais par d'autres participants non identifiés, contre lesquels les éléments d'une action récursoire ne pouvaient être caractérisés, la Cour a derechef violé l'article 1382 du Code civil.



SIXIEME MOYEN DE CASSATION

Ce moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli l'action en responsabilité dirigée contre les grévistes par les non-grévistes, qui avaient perçu les majorations de rémunération et divers avantages découlant du protocole de fin de conflit (arrêt page 8 dernier paragraphe).

1° AU MOTIF D'UNE PART (arrêt page 9 paragraphe 1) que la décision de ne pas faire grève peut procéder d'une analyse différente de celle des grévistes sur la conjoncture économique et que la perception des majorations n'empêche pas les bénéficiaires de considérer qu'à plus ou moins long terme ces majorations auront des conséquences défavorables sur le maintien de leur emploi ; ALORS QU'EN statuant ainsi, par un motif hypothétique, la Cour a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile.

2° AU MOTIF D'AUTRE PART (arrêt page 8 paragraphe 7) qu'à défaut d'écrit ou de consentement exprès, les grévistes ne peuvent soutenir que les non grévistes auraient acquiescé à la transaction aux fins de protocole d'accord.

ALORS QUE l'exécution tacite par les salariés de l'entreprise du protocole d'accord signé même par des grévistes dépourvus de mandat exprès emporte ratification de ce protocole et fait obstacle à toute demande en paiement des heures perdues lorsque ce document prévoit que les grévistes ne seront l'objet d'aucune poursuite, de sorte qu'en statuant ainsi, la Cour a violé l'article 2044 du Code civil ;

3° AU MOTIF ENFIN (page 9 paragraphe 2) que les avantages salariaux résultant du protocole ne pouvaient se compenser avec les indemnités dues à raison de la responsabilité quasi délictuelle des grévistes.

ALORS QUE les avantages résultant du protocole pour tous les salariés n'étaient pas invoqués par les grévistes pour faire jouer la compensation, mais pour éviter la Cour à rechercher si les conséquences de la grève n'avaient pas constitué dans leur ensemble pour les salariés de l'entreprise un avantage plutôt qu'un préjudice, d'où il suit que la Cour, en ne procédant pas à cette recherche, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil".

Sur quoi, LA COUR, en l'audience publique de ce jour,

Sur le premier moyen :

Attendu que l'usine de la société Sodipan ayant été occupée du 22 septembre au 1er octobre 1976 par une partie du personnel en grève, Mme Y... et 23 autres salariés non grévistes ont assigné devant le tribunal de grande instance M. Z... et cinq autres grévistes en réparation du préjudice résultant de la perte de salaire pendant la période au cours de laquelle l'accès de l'usine leur avait été interdit ; que l'arrêt confirmatif attaqué a fait droit à leurs demandes ;

Attendu qu'il est fait grief à cet arrêt d'avoir admis la compétence du tribunal de grande instance pour en connaître, alors qu'aux termes de l'article L. 511-1, alinéa 3 du Code du travail, le Conseil de Prud'hommes est seul compétent pour connaître des différends nés entre salariés à l'occasion du travail ;

Mais attendu que cette exception d'incompétence n'avait pas été soulevée devant les juges du fond ; qu'aux termes de l'article 74 du Code de procédure civile, les exceptions de procédure doivent à peine d'irrecevabilité être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public ; que le moyen, qui ne peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation, est irrecevable ;




Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens réunis :

Attendu qu'il est fait grief aux juges du fond d'avoir dit que l'occupation de l'usine constituait un cas de force majeure dispensant l'employeur de payer le salaire des non-grévistes et d'avoir retenu la participation de M. Z... et de cinq autres grévistes en cause à cette occupation en énonçant que les intéressés n'avaient pas contesté cette participation devant l'expert, alors que, d'une part, il incombait au seul employeur d'apporter la preuve devant le Conseil de Prud'hommes de l'impossibilité dans laquelle il aurait été mis de fournir du travail aux non grévistes, en sorte que la Cour d'appel a méconnu l'article L. 511-1 du Code du travail comme l'article 1147 du Code civil, alors que, d'autre part, le juge n'a pas répondu aux conclusions tendant à faire déclarer irrecevable l'action des non-grévistes en l'absence d'un recours préalable contre l'employeur ou de sa mise en cause, alors que, en outre, le juge a retenu la participation des intéressés en se fondant sur des pièces produites en délibéré et que la renonciation au droit de contester la participation à des agissements collectifs ne peut résulter que d'un acte positif et non équivoque, qu'à cet égard les conclusions contestaient que cette participation fut démontrée, et alors que, enfin, en énonçant qu'en bloquant l'entrée de l'usine les grévistes avaient empêché les non-grévistes d'accéder à leur poste de travail, la Cour d'appel, qui n'a pas caractérisé de façon plus circonstanciée le comportement des grévistes, n'a pas mis la Cour de cassation à même d'exercer son contrôle ;

Mais attendu que, d'une part, les juges d'appel n'avaient été saisis d'aucune demande contre l'employeur qui n'avait pas davantage été assigné devant la juridiction prud'homale, que, d'autre part, le juge du fond relève qu'en l'espèce il résulte du rapport d'expertise comme du constat d'huissier, pièces régulièrement versées aux débats, que chacun des six grévistes en cause avait personnellement participé au blocage des portes, interdisant de ce fait l'accès de l'usine aux autres salariés ; que la Cour d'appel était fondée à estimer que ces agissements, qui ne se rattachaient pas à l'exercice normal du droit de grève, étaient la cause directe du préjudice invoqué par les non-grévistes privés de leur salaire faute d'avoir pu travailler ;

Qu'aucun des griefs formulés n'est fondé ;

Sur le cinquième moyen :

Attendu qu'il est encore fait grief à la Cour d'appel d'avoir condamné in solidum six grévistes à la réparation de l'entier dommage, alors, d'une part, que ne peuvent être tenus in solidum que ceux dont les agissements ont concouru à l'entier dommage, que six grévistes ne pouvaient à eux seuls entraver la liberté du travail de l'ensemble du personnel et ne devaient donc être tenus qu'à raison de la part de responsabilité qu'ils avaient prise dans le fait dommageable, et alors, d'autre part, que la responsabilité in solidum suppose que chaque responsable dispose d'un recours contre les autres, ce qui n'était pas le cas en l'espèce puisque l'arrêt relève que l'usine avait été occupée par les six grévistes en cause et par d'autres participants non identifiés ;

Mais attendu que chacun des coresponsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité sans qu'il y ait lieu de tenir compte d'un partage entre eux qui n'affecte que leurs rapports réciproques et non le caractère et l'étendue de leurs obligations à l'égard de la partie lésée ; qu'il en est ainsi même si certains des responsables sont demeurés inconnus, le recours subrogatoire des auteurs connus se heurtant non à un empêchement de droit mais à un simple obstacle de fait ; qu'ayant relevé la participation des six grévistes en cause aux piquets de grève dont l'action collective avait causé le dommage, la Cour d'appel a donné une base légale à sa décision de les condamner in solidum à son entière réparation ;



Sur le sixième moyen :

Attendu qu'il est enfin reproché à l'arrêt d'avoir accueilli l'action des non-grévistes bien qu'ils eussent reçu en fin de conflit des majorations de salaire et divers avantages résultant du protocole d'accord, alors, d'une part, qu'en énonçant qu'ils avaient pu estimer qu'à plus ou moins long terme ces majorations auraient des conséquences défavorables sur le maintien de leur emploi, la Cour d'appel a statué par un motif hypothétique, alors, d'autre part, que l'exécution tacite par les non-grévistes du protocole d'accord en emportait ratification et faisait obstacle à toute demande en payement des heures perdues, ce protocole prévoyant que les grévistes ne feraient l'objet d'aucune poursuite, et alors, enfin, que la Cour d'appel aurait dû rechercher, comme elle y était invitée, si les conséquences de la grève n'avaient pas constitué dans leur ensemble pour les salariés non-grévistes, un avantage plutôt qu'un préjudice ;

Mais attendu que les condamnations prononcées avaient pour seul fondement la faute commise par les grévistes, en sorte que les majorations de salaire allouées par le protocole de fin de grève n'avaient pas à être prises en considération ; que le moyen ne peut être accueilli ;



PAR CES MOTIFS :

REJETTE LE POURVOI formé contre l'arrêt rendu le 28 avril 1981 par la Cour d'appel de Rouen ;

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