Jurisprudence : CJCE, 17-12-1998, aff. C-153/97, Aristóteles Grajera Rodríguez c/ Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS)

CJCE, 17-12-1998, aff. C-153/97, Aristóteles Grajera Rodríguez c/ Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS)

A0488AWY

Référence

CJCE, 17-12-1998, aff. C-153/97, Aristóteles Grajera Rodríguez c/ Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1007052-cjce-17121998-aff-c15397-aristoteles-grajera-rodriguez-c-instituto-nacional-de-la-seguridad-social-i
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Cour de justice des Communautés européennes

17 décembre 1998

Affaire n°C-153/97

Aristóteles Grajera Rodríguez
c/
Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS)



61997J0153

Arrêt de la Cour (cinquième chambre)
du 17 décembre 1998.

Aristóteles Grajera Rodríguez contre Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS).

Demande de décision préjudicielle: Tribunal Supremo - Espagne.

Sécurité sociale - Pensions de vieillesse - Calcul des prestations - Annexe VI, D, point 4, du règlement (CEE) nº 1408/71.

Affaire C-153/97.

Recueil de Jurisprudence 1998 page I-8645

Sécurité sociale des travailleurs migrants - Assurance vieillesse et décès - Calcul des prestations - Législation nationale fixant la prestation en fonction d'une base de cotisation moyenne durant une période de référence - Modalités d'application à un travailleur cessant son activité dans un État membre appliquant une législation différente et n'ayant pas cotisé au titre de la législation applicable durant la période de référence - Calcul de la base de cotisation moyenne à partir des cotisations réellement versées au titre de la législation applicable et revalorisation du montant de la pension - Violation des principes du droit communautaire - Absence

(Traité CE, art. 51; règlement du Conseil n° 1408/71, art. 47, § 1, e), et annexe VI, D, point 4)

L'article 47, paragraphe 1, sous g), du règlement n° 1408/71 implique, d'une part, que lors de la liquidation des pensions de retraite et d'invalidité par application de la législation d'un État membre, selon laquelle le montant des pensions est calculé sur une base de cotisation moyenne correspondant au salaire perçu au cours d'un certain nombre d'années ayant précédé la mise à la retraite ou la survenance de l'invalidité, le calcul de la base de cotisation moyenne repose, dans le cas des travailleurs qui, après avoir été soumis à la législation de cet État membre, ont repris et continué à exercer jusqu'à la fin de leur vie professionnelle des activités salariées dans un autre État membre, sur le montant des seules cotisations versées au titre de la législation concernée et, d'autre part, que ce montant doit être actualisé et revalorisé de sorte qu'il corresponde à celui que les intéressés auraient effectivement versé s'ils avaient continué à exercer dans les mêmes conditions leur activité dans l'État membre en cause.

Les modalités d'application de l'article 47 concernant l'Espagne, introduites par le règlement n° 1248/92 à l'annexe VI, D, point 4, du règlement n° 1408/71, correspondent à cette interprétation. Ces dispositions se bornent, en effet, à préciser les modalités du règlement prévoyant que la base de cotisation moyenne est déterminée en fonction des seules périodes d'assurance accomplies sous la législation concernée, sans modifier pour autant le contenu de l'article 47, paragraphe 1, sous g), du règlement n° 1408/71 et visent seulement à garantir la compatibilité de cette règle avec les principes énoncés à l'article 51 du traité.

A cet égard, il n'y a pas lieu de faire de distinction, au regard des principes du droit communautaire, entre l'actualisation de la base de cotisation et la revalorisation du montant de la pension. Dans l'un et l'autre cas, l'objectif visé est le même, qui doit permettre, à partir des bases de cotisation réelles de l'assuré avant son départ à l'étranger et moyennant une actualisation effective prenant en compte l'évolution du coût de la vie et les majorations des prestations de même nature, de retenir finalement un montant de pension correspondant à celui qu'aurait perçu le travailleur migrant s'il avait continué à exercer dans les mêmes conditions son activité dans l'État membre en cause.

Dans l'affaire C-153/97,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Tribunal Supremo (Espagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Aristóteles Grajera Rodríguez

Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS),

Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS),

une décision à titre préjudiciel sur la validité de l'annexe VI, D, point 4, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6), tel qu'adapté par l'annexe I, partie VIII, de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23), puis modifié par le règlement (CEE) n° 1248/92 du Conseil, du 30 avril 1992 (JO L 136, p. 7), ainsi que sur l'interprétation dudit règlement,

LA COUR

(cinquième chambre),

composée de MM. J.-P. Puissochet (rapporteur), président de chambre, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann, D. A. O. Edward et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. A. La Pergola,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

- pour M. Grajera Rodríguez, par MM. Roque Méndez Robleda et Benjamín Mayo Martínez, avocats au barreau d'Orense,

- pour le gouvernement espagnol, par Mme Rosario Silva de Lapuerta, abogado del Estado, en qualité d'agent,

- pour le Conseil de l'Union européenne, par M. Diego Canga Fano et Mme Anna Lo Monaco, membres du service juridique, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Peter Hillenkamp, conseiller juridique, et Mme Isabel Martínez del Peral, membre du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M. Grajera Rodríguez, du gouvernement espagnol, du Conseil et de la Commission à l'audience du 16 juillet 1998,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 15 octobre 1998,

rend le présent

Arrêt

1 Par ordonnance du 17 mars 1997, parvenue à la Cour le 23 avril suivant, le Tribunal Supremo a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles sur la validité de l'annexe VI, D, point 4, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6), tel qu'adapté par l'annexe I, partie VIII, de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23), puis modifié par le règlement (CEE) n° 1248/92 du Conseil, du 30 avril 1992 (JO L 136, p. 7, ci-après le "règlement"), et sur l'interprétation dudit règlement.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Grajera Rodríguez à l'Instituto Nacional de la Seguridad Social (ci-après l'"INSS") et à la Tesorería General de la Seguridad Social, au sujet du mode de calcul de la pension de vieillesse de l'intéressé.

3 L'article 46 du règlement fixe les règles relatives à la liquidation des prestations prévues au chapitre des pensions de vieillesse et de décès. Son paragraphe 2 comporte notamment la règle suivante:

"a) l'institution compétente calcule le montant théorique de la prestation à laquelle l'intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d'assurance et/ou de résidence accomplies sous les législations des États membres auxquelles a été soumis le travailleur salarié ou non salarié avaient été accomplies dans l'État membre en cause et sous la législation qu'elle applique à la date de la liquidation de la prestation. Si, selon cette législation, le montant de la prestation est indépendant de la durée des périodes accomplies, ce montant est considéré comme le montant théorique visé au présent point a)."

4 L'article 47 du règlement énonce des règles complémentaires pour le calcul des prestations. Son paragraphe 1 arrête des dispositions particulières pour le calcul du montant théorique visé à l'article 46, paragraphe 2, sous a), parmi lesquelles figure notamment la suivante:

"g) l'institution compétente d'un État membre dont la législation prévoit que le calcul des prestations repose sur une base de cotisation moyenne, détermine cette base moyenne en fonction des seules périodes d'assurance accomplies sous la législation dudit État."

5 Enfin, dans l'annexe VI du règlement, qui mentionne, conformément à l'article 89 de celui-ci, les modalités particulières d'application des législations de certains États membres, figure à la rubrique "D. Espagne" un point 4 qui comprend les deux alinéas suivants:

"a) En application de l'article 47 du règlement, le calcul de la prestation théorique espagnole s'effectue sur les bases de cotisations réelles de l'assuré, pendant les années précédant immédiatement le paiement de la dernière cotisation à la sécurité sociale espagnole.

b) Le montant de la pension obtenu sera augmenté du montant des majorations et revalorisations calculées pour chaque année postérieure et jusqu'à celle précédant la réalisation du risque, pour les pensions de même nature."

6 Il ressort du dossier que, selon la législation espagnole, le montant des pensions de retraite et d'invalidité permanente des travailleurs salariés ne varie pas en fonction du nombre des périodes de cotisation ou de la longueur de la carrière des intéressés, mais découle de la prise en compte d'une base de cotisation moyenne correspondant au salaire perçu au cours d'un certain nombre d'années ayant précédé la mise à la retraite ou la survenance de l'invalidité. Plus précisément, en vertu de l'article 3 de la loi 26/85, du 31 juillet 1985, en vigueur à l'époque des faits du litige au principal et dont les termes ont été repris pour l'essentiel dans les articles 140 et 162 du texte refondu de la Ley General de Seguridad Social, approuvé par le décret royal législatif 1/1994, du 20 juin 1994, l'assiette de base des pensions est égale au quotient résultant de la division par 112 des bases de cotisation de l'intéressé au cours des 96 mois précédant immédiatement celui au cours duquel s'est réalisé le risque générateur de la prestation (demande de retraite ou déclaration d'invalidité permanente). Selon ces dispositions, les bases correspondant aux 24 mois antérieurs à celui de la réalisation du risque sont calculées à leur valeur nominale, tandis que les autres sont actualisées suivant l'évolution de l'indice des prix à la consommation. En outre, en cas d'absence d'obligation de cotiser pendant tout ou partie de la période considérée, les lacunes sont comblées par application des bases minimales applicables aux travailleurs de plus de 18 ans. Enfin, en toute hypothèse, l'assiette de cotisation ne peut être ni inférieure à la base minimale prévue par la législation en vigueur ni supérieure à la base maximale.

7 M. Grajera Rodríguez, travailleur de nationalité espagnole, a exercé des activités salariées, d'une part, en Espagne de 1953 à 1961 et de 1967 à 1969 et, d'autre part, en Allemagne de 1961 à 1967 et de 1969 à 1993.

8 En 1993, l'INSS lui a attribué une pension mensuelle de retraite de 5 141 PTA, calculée à partir des cotisations versées en Espagne avant 1969 et avec revalorisation, selon un mode de calcul conforme aux règles découlant de l'annexe VI, D, point 4, du règlement. L'intéressé a contesté le montant de cette pension, en soutenant que la période de référence qu'il convenait de retenir était celle comprise entre 1985 et 1992, c'est-à-dire les huit années précédant la date de sa mise à la retraite.

9 Par jugement du 24 janvier 1995, le Juzgado de lo Social n° 30 de Madrid a accueilli le recours de M. Grajera Rodríguez et a condamné l'INSS à lui verser une pension calculée sur la base des plafonds de cotisation applicables dans la catégorie des ouvriers en Espagne pendant cette dernière période, soit, en prenant en compte certains compléments, une pension mensuelle de 18 517 PTA.

10 Sur appel formé par l'INSS, le Tribunal Superior de Justicia de Madrid a, le 9 avril 1996, infirmé ce jugement et déclaré que la pension de vieillesse du demandeur devait être calculée sur la base des cotisations des huit années précédant 1969, dernière année de cotisation à la sécurité sociale espagnole, avec les revalorisations applicables depuis lors jusqu'à sa mise à la retraite.

11 Saisi à son tour par la voie d'un pourvoi en cassation, le Tribunal Supremo a eu des doutes sur la validité, au regard des articles 48 et 51 du traité CE, du système de calcul découlant de l'annexe VI, D, point 4, du règlement. Tout en reconnaissant que la Cour s'était déjà prononcée sur une question similaire dans l'arrêt du 12 septembre 1996, Lafuente Nieto (C-251/94, Rec. p. I-4187), la juridiction suprême espagnole a estimé que des incertitudes subsistaient et a décidé de poser les questions préjudicielles suivantes:

"1) Le système de calcul institué à l'annexe VI, D, point 4 du règlement n° 1408/71 dans la rédaction du règlement n° 1248/92, système selon lequel la pension théorique espagnole est déterminée conformément aux bases sur lesquelles le travailleur a cotisé pendant la période prise en compte immédiatement antérieure au paiement de la dernière cotisation à la sécurité sociale espagnole, avec une revalorisation de la pension théorique en résultant selon les mêmes modalités que celles dont aurait fait l'objet, conformément à la législation nationale espagnole, une pension née au moment du paiement de la dernière cotisation en Espagne, doit-il être considéré comme contraire aux articles 48 et 51 du traité instituant la Communauté européenne?

2) Pour garantir l'égalité de traitement du travailleur migrant en matière de sécurité sociale, l'assiette de base de la pension espagnole doit-elle être calculée à partir des bases sur lesquelles le travailleur migrant aurait cotisé s'il était resté en Espagne pendant la période prise en compte antérieure à la réalisation du risque, comme le prévoit de manière générale la législation espagnole?"

12 Par ses deux questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande si le système de calcul découlant de l'annexe VI, D, point 4, du règlement (ci-après l'"annexe litigieuse") doit être considéré comme contraire aux articles 48 et 51 du traité et si l'assiette de base de la pension espagnole doit être calculée à partir des bases théoriques sur lesquelles le travailleur migrant aurait cotisé s'il était resté en Espagne pendant la période précédant immédiatement la réalisation du risque.

13 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que la juridiction nationale semble considérer que seule l'actualisation de la base de cotisation serait conforme aux principes du droit communautaire, alors que la revalorisation du montant de la pension telle que prévue dans l'annexe litigieuse ne le serait pas. Selon elle, afin de ne pas pénaliser ni avantager le travailleur migrant qui n'a pas cotisé en Espagne pendant la période de référence prévue par la législation nationale, il serait préférable de "retenir comme assiette de base les bases moyennes de la période prise en compte précédant la réalisation du risque, c'est-à-dire la moyenne entre la base minimum et la base maximum de la classe de cotisation fixe correspondant à la catégorie professionnelle du travailleur au cours des huit dernières années".

14 M. Grajera Rodríguez soutient que le système de calcul institué par l'annexe litigieuse est contraire aux articles 48 et 51 du traité, notamment parce qu'il est pratiquement impossible à mettre en oeuvre en l'absence de données disponibles sur les bases de cotisation réelles de l'assuré et parce qu'il est manifestement discriminatoire à l'égard du travailleur migrant. Le requérant au principal estime qu'il faut prendre en compte, pour le calcul de l'assiette de base, les montants réellement perçus par le travailleur au cours de la période de huit ans précédant immédiatement la réalisation du risque (même s'ils l'ont été dans un autre État membre), sous réserve des limites fixées par la législation espagnole. A titre subsidiaire, il propose que l'assiette de base de la pension espagnole soit calculée à partir des bases de cotisation sur lesquelles le travailleur migrant aurait cotisé s'il était resté en Espagne pendant la période prise en compte antérieure à la réalisation du risque, comme le prévoit de manière générale la législation espagnole.

15 Le gouvernement espagnol fait valoir, au contraire, en se référant notamment à l'arrêt Lafuente Nieto, précité, que l'annexe litigieuse a précisément pour objet de garantir la compatibilité de l'article 47, paragraphe 1, sous g), avec les objectifs du traité. Il estime que le système de calcul prévu correspond aux principes généraux qui régissent la sécurité sociale en Espagne et il précise qu'il est procédé à une double actualisation des bases de cotisation, d'une part, et de la pension en résultant, d'autre part, afin de garantir une revalorisation correcte des bases de cotisation éloignées dans le temps.

16 Le Conseil et la Commission proposent également de s'en tenir aux principes définis par la Cour dans l'arrêt Lafuente Nieto, précité, selon lesquels les dispositions litigieuses impliquent que le montant théorique de la prestation, calculé sur la base des cotisations effectivement versées par l'assuré au titre de la législation espagnole, soit dûment revalorisé et majoré comme si l'intéressé avait continué à exercer son activité dans les mêmes conditions en Espagne. Selon eux, c'est à la lumière de ces principes que doivent être réglés les problèmes d'interprétation de la législation nationale tels que celui soulevé par la juridiction de renvoi. Le Conseil et la Commission n'excluent pas, en outre, qu'il faille éventuellement tenir compte de la convention de sécurité sociale conclue entre la République fédérale d'Allemagne et le royaume d'Espagne le 4 décembre 1973 et entrée en vigueur le 1er novembre 1977 (ci-après la "convention"), dans la mesure où son application se révélerait effectivement plus avantageuse pour l'intéressé que celle du règlement.

17 Il convient de rappeler que l'article 47 du règlement, dont l'annexe litigieuse précise les modalités d'application en ce qui concerne l'Espagne, constitue une règle complémentaire pour le calcul du montant théorique de la prestation visé à l'article 46, paragraphe 2, sous a), du même règlement. Elle doit donc être interprétée à la lumière de cette dernière disposition et, ainsi que la Cour l'a relevé dans l'arrêt du 9 août 1994, Reichling (C-406/93, Rec. p. I-4061), à la lumière de l'objectif fixé par l'article 51 du traité, qui implique notamment que les travailleurs migrants ne doivent pas subir de réduction du montant des prestations de sécurité sociale du fait qu'ils ont exercé leur droit à la libre circulation.

18 Cependant, contrairement à ce que prétend le requérant au principal, l'obligation de ne pas désavantager les travailleurs migrants qui ont exercé leur droit à la libre circulation ne signifie pas que la disposition en cause est nécessairement contraire à l'objectif fixé à l'article 51 parce qu'elle ne permet pas de tenir compte, pour la détermination de la base moyenne de cotisation, du montant des cotisations versées dans un autre État membre. Cette obligation implique seulement que ladite base soit la même pour le travailleur migrant que s'il n'avait pas exercé son droit à la libre circulation (arrêt du 9 octobre 1997, Naranjo Arjona e.a., C-31/96 à C-33/96, Rec. p. I-5501, point 21).

19 Ainsi, dans une situation telle que celle qui fait l'objet du litige au principal, s'il ne doit être tenu compte, conformément aux prévisions de l'article 47, paragraphe 1, sous g), du règlement, que du montant des cotisations versées au titre de la législation concernée, ce montant doit être actualisé et revalorisé de sorte qu'il corresponde à celui que les intéressés auraient effectivement versé s'ils avaient continué à exercer dans les mêmes conditions leur activité dans l'État membre en cause (arrêt Lafuente Nieto, précité, points 39 et 40).

20 La Cour a déjà relevé, tant dans l'arrêt Lafuente Nieto, précité (points 41 et 42), que dans l'arrêt Naranjo Arjona e.a., précité (points 23 et 24), que les dispositions introduites par le règlement n° 1248/92 à l'annexe VI, D, point 4, du règlement n° 1408/71 correspondent à cette interprétation. Ces dispositions se bornent, en effet, à préciser les modalités du règlement prévoyant que la base de cotisation moyenne est déterminée en fonction des seules périodes d'assurance accomplies sous la législation concernée, sans modifier pour autant le contenu de l'article 47, paragraphe 1, sous g), et visent seulement à garantir la compatibilité de cette règle avec les principes énoncés à l'article 51 du traité.

21 Compte tenu de ces éléments, il n'y a pas lieu de faire de distinction, au regard des principes du droit communautaire, entre l'actualisation de la base de cotisation et la revalorisation du montant de la pension. Dans l'un et l'autre cas, l'objectif visé est le même, qui doit permettre, à partir des bases de cotisation réelles de l'assuré avant son départ à l'étranger et moyennant une actualisation effective prenant en compte l'évolution du coût de la vie et les majorations des prestations de même nature, de retenir finalement un montant de pension correspondant à celui qu'aurait perçu le travailleur migrant s'il avait continué à exercer dans les mêmes conditions son activité dans l'État membre en cause.

22 A cet égard, ainsi que l'a souligné M. l'avocat général au point 18 de ses conclusions, les difficultés pratiques de mise en application des règles prévues par l'annexe litigieuse, qui découleraient notamment de l'éventuelle absence de données objectives fiables sur les bases de cotisation les plus anciennes, ne sont pas de nature à affecter la validité de ces règles. Celles-ci, en effet, n'imposent ni un mode particulier de détermination des bases de cotisation ni une quelconque méthode d'actualisation de ces bases ou de la pension correspondante. Elles visent seulement à atteindre le résultat mentionné au point précédent, tout en respectant l'obligation prévue à l'article 47, paragraphe 1, sous g), du règlement de tenir compte des seules périodes d'assurance accomplies sous la législation concernée.

23 Or, une méthode de calcul telle que celle préconisée par la juridiction de renvoi ne permet pas de respecter cette obligation, dans la mesure où elle retient comme période de référence une période pendant laquelle le travailleur migrant n'a pas effectivement participé au financement du régime de sécurité sociale nationale et qui est, par ailleurs, déjà prise en compte au titre de la législation de l'autre État membre dans lequel l'intéressé a travaillé.

24 L'annexe litigieuse implique donc seulement que le calcul de la base de cotisation soit fondé sur le montant des seules cotisations versées au titre de la législation espagnole et que le montant théorique de la prestation soit dûment revalorisé et majoré comme si l'intéressé avait continué à exercer dans les mêmes conditions son activité en Espagne. Dès lors, en cas de litige portant sur les modalités de détermination des bases de cotisation initiales à prendre en compte et sur la méthode d'actualisation de ces bases et de revalorisation du montant de la pension en résultant, il appartient à la juridiction saisie de déterminer quels sont, en droit interne, les moyens les plus appropriés pour atteindre un tel résultat.

25 Enfin, il convient d'observer que, comme l'a relevé le Conseil lors de l'audience, l'annexe litigieuse a fait l'objet d'une adaptation résultant du règlement (CE) n° 1223/98 du Conseil, du 4 juin 1998 (JO L 168, p. 1), et consistant en la suppression, à son alinéa b), du membre de phrase "et jusqu'à celle de l'année précédant la réalisation du risque". Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 21 de ses conclusions, il ressort du huitième considérant dudit règlement, qui se réfère expressément à l'arrêt Lafuente Nieto, précité, que cette adaptation vise à permettre, dans tous les cas, une actualisation intégrale du montant théorique de la prestation.

26 Cependant, on ne saurait déduire de cette seule adaptation que la limitation de la période d'actualisation figurant dans la version antérieure de l'annexe litigieuse, qui n'a d'ailleurs été mise en cause sur ce point ni par la juridiction de renvoi ni par les intéressés, est entachée d'invalidité au regard de l'objectif rappelé au point 21 du présent arrêt. En effet, même si le Conseil a jugé plus conforme à la jurisprudence de la Cour de supprimer la mention dont il s'agit, celle-ci n'a qu'une portée limitée, dans la mesure où elle se borne, selon une pratique de simplification assez largement répandue, à prendre en considération une actualisation "en année pleine" et à limiter en conséquence cette actualisation à la dernière année précédant celle du fait générateur. En tout état de cause, un tel choix, compte tenu de sa faible incidence sur le montant de la pension à retenir, doit être regardé comme faisant partie de la marge normale d'appréciation dont dispose le Conseil dans la fixation des règles de coordination des régimes de sécurité sociale des différents États membres.

27 Cela étant, comme l'ont relevé le Conseil et la Commission, les dispositions litigieuses du règlement ne doivent pas faire obstacle à l'application éventuelle de la convention mentionnée au point 16 du présent arrêt, dans la mesure où celle-ci, pour autant qu'elle se révélerait plus avantageuse, pourrait être invoquée par l'intéressé.

28 A cet égard, il convient de rappeler que, dans l'arrêt du 7 février 1991, Rönfeldt (C-227/89, Rec. p. I-323), la Cour a dit pour droit que les articles 48 et 51 du traité s'opposent à la perte des avantages de sécurité sociale qui découlerait de l'inapplicabilité, par suite de l'entrée en vigueur du règlement n° 1408/71, des conventions en vigueur entre deux ou plusieurs États membres et intégrées dans leur droit national. Dans l'arrêt du 9 novembre 1995, Thévenon (C-475/93, Rec. p. I-3813), la Cour a précisé que ce principe ne saurait, cependant, s'appliquer aux travailleurs qui n'ont exercé leur droit à la libre circulation qu'après l'entrée en vigueur dudit règlement.

29 Dans le litige au principal, il est constant que l'intéressé exerçait déjà ses activités salariées en Allemagne avant l'entrée en vigueur en Espagne, le 1er janvier 1986, du règlement, dont les dispositions se sont, sauf exception, substituées à celles de la convention. Il ne saurait être admis que cette substitution puisse, le cas échéant, le priver des droits et avantages résultant pour lui de la convention.

30 Ainsi que l'a relevé la Cour au point 28 de l'arrêt Naranjo Arjona e.a., précité, l'actualisation des cotisations, conformément aux dispositions du règlement telles qu'interprétées par la Cour, poursuit les mêmes objectifs que ceux de la convention et devrait normalement permettre de les atteindre. Il n'est pas exclu, cependant, que l'application des règles de la convention, qui permettent de tenir compte du niveau de base de cotisation à laquelle parvient le travailleur en fin de carrière en Allemagne tout en renvoyant aux bases de cotisation en vigueur en Espagne pour la catégorie professionnelle concernée, aboutisse à un résultat plus favorable pour l'intéressé que celui découlant des dispositions litigieuses.

31 Il appartient, dès lors, à la juridiction de renvoi de vérifier si l'application de cette convention se révèle effectivement plus ou moins avantageuse pour le travailleur intéressé que celle du règlement. Dans le premier cas, il conviendra d'appliquer, par exception et conformément au principe affirmé dans l'arrêt Rönfeldt, précité, les règles prévues par la convention. Dans le cas contraire, ce sont celles du règlement, telles qu'interprétées par la Cour, qui devront être appliquées.

32 Il y a donc lieu de répondre à la juridiction nationale que l'examen des questions préjudicielles n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l'annexe litigieuse.

Sur les dépens

33 Les frais exposés par le gouvernement espagnol, par le Conseil ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

(cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal Supremo, par ordonnance du 17 mars 1997, dit pour droit:

L'examen des questions préjudicielles n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l'annexe VI, D, point 4, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, tel qu'adapté

par l'annexe I, partie VIII, de l'acte relatif aux conditions d'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités, puis modifié par le règlement (CEE) n° 1248/92 du Conseil, du 30 avril 1992.

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