Jurisprudence : CJCE, 07-12-1995, aff. C-449/93, Rockfon A/S c/ Specialarbejderforbundet i Danmark

CJCE, 07-12-1995, aff. C-449/93, Rockfon A/S c/ Specialarbejderforbundet i Danmark

A0067AWE

Référence

CJCE, 07-12-1995, aff. C-449/93, Rockfon A/S c/ Specialarbejderforbundet i Danmark. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1006480-cjce-07121995-aff-c44993-rockfon-as-c-specialarbejderforbundet-i-danmark
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Cour de justice des Communautés européennes

7 décembre 1995

Affaire n°C-449/93

Rockfon A/S
c/
Specialarbejderforbundet i Danmark



61993J0449

Arrêt de la Cour (première chambre)
du 7 décembre 1995.

Rockfon A/S contre Specialarbejderforbundet i Danmark.

Demande de décision préjudicielle: Østre Landsret - Danemark.

Licenciements collectifs - Article 1er de la directive 75/129/CEE - Notion d'établissement - Société faisant partie d'un groupe d'entreprises.

Affaire C-449/93.

Recueil de Jurisprudence 1995 page I-4291

1. Politique sociale ° Rapprochement des législations ° Licenciements collectifs ° Directive 75/129 ° Mise en place au sein d'un groupe d'entreprises d'un service commun d'embauche ou de licenciement ° Admissibilité

(Directive du Conseil 75/129, art. 1er, § 1, a))

2. Droit communautaire ° Interprétation ° Textes plurilingues ° Interprétation uniforme ° Divergences entre les différentes versions linguistiques ° Économie générale et finalité de la réglementation en cause comme base de référence

3. Politique sociale ° Rapprochement des législations ° Licenciements collectifs ° Directive 75/129 ° Notion d'établissement ° Unité d'affectation des travailleurs pour l'exercice de leur tâche ° Absence en son sein d'une direction pouvant effectuer de manière indépendante des licenciements collectifs ° Absence d'incidence

(Directive du Conseil 75/129, art. 1er, § 1, a))

1. L'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 75/129, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que deux ou plusieurs entreprises faisant partie d'un groupe d'entreprises et ayant des liens réciproques, mais dont aucune n'a d'influence prépondérante sur l'autre ou les autres, mettent en place un service commun d'embauche ou de licenciement de sorte que, notamment, les licenciements dans l'une des entreprises ne peuvent avoir lieu qu'avec l'approbation de ce service. En effet, la directive 75/129 a exclusivement pour objet l'harmonisation partielle des procédures de licenciements collectifs et n'a pas pour but de restreindre la liberté des entreprises de procéder à l'organisation de leurs activités et d'aménager leur service du personnel de la manière qui leur semble la plus conforme à leurs besoins.

2. Les diverses versions linguistiques d'un texte communautaire doivent être interprétées de façon uniforme et dès lors, en cas de divergence entre ces versions, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l'économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément.

3. Par le terme "établissement" figurant à l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 75/129, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, il y a lieu d'entendre, selon les circonstances, l'unité à laquelle les travailleurs concernés par le licenciement sont affectés pour exercer leur tâche. Que l'unité en cause dispose d'une direction pouvant effectuer de manière indépendante des licenciements collectifs n'est pas essentiel à la définition de la notion d'"établissement". En effet, faire dépendre la notion d'"établissement", qui est une notion de droit communautaire et ne peut se définir par référence aux législations des États membres, de l'existence en son sein d'une telle direction serait incompatible avec la finalité de la directive puisque cela permettrait à des sociétés appartenant à un même groupe de chercher, en confiant la décision de licencier à un organe de décision distinct, à rendre plus difficile leur assujettissement à la directive et, par ce biais, à échapper à l'obligation de respecter certaines procédures protectrices des travailleurs, comme leur droit d'être informés et entendus.

Dans l'affaire C-449/93,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par l'OEstre Landsret (Danemark) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Rockfon A/S

Specialarbejderforbundet i Danmark, agissant en qualité de mandataire de Soeren Nielsen e.a.,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 1er de la directive 75/129/CEE du Conseil, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO L 48, p. 29),

LA COUR (première chambre),

composée de MM. D. A. O. Edward (rapporteur), président de chambre, P. Jann et L. Sevón, juges,

avocat général: M. G. Cosmas,

greffier: M. H. A. Ruehl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

° pour le Specialarbejderforbundet i Danmark, agissant pour Soeren Nielsen e.a., par Me Jens B. Bjoerst, avocat,

° pour le gouvernement belge, par M. Patrick Duray, conseiller adjoint au service juridique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

° pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John Collins, Assistant Treasury Solicitor, en qualité d'agent,

° pour la Commission des Communautés européennes, par MM. Anders Christian Jessen, membre du service juridique, et José Juste Ruiz, fonctionnaire national détaché auprès de ce service, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du Specialarbejderforbundet i Danemark et de la Commission à l'audience du 11 mai 1995,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 13 juillet 1995,

rend le présent

Arrêt

1 Par ordonnance du 16 novembre 1993, parvenue à la Cour le 23 novembre suivant, l'OEstre Landsret a posé, en application de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 1er de la directive 75/129/CEE du Conseil, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO L 48, p. 29, ci-après "la directive").

2 Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant la société Rockfon A/S au Specialarbejderforbundet i Danmark (le syndicat danois des ouvriers spécialisés, ci-après le "SID") à propos du licenciement d'un certain nombre de salariés, qui aurait été effectué sans respecter les procédures de consultation et d'information prescrites par la directive.

3 La directive a pour objectif de renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs. Elle impose ainsi à l'employeur diverses obligations afin d'éviter ou de limiter les licenciements collectifs en organisant en temps utile des consultations avec les travailleurs et leurs représentants ou en faisant intervenir, dans certains cas, les autorités publiques compétentes.

4 L'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive dispose:

"1. Aux fins de l'application de la présente directive:

a) on entend par licenciements collectifs les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus est, selon le choix effectué par les États membres:

° soit, pour une période de 30 jours:

1. au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs;

2. au moins 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs;

3. au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs;

° soit, pour une période de 90 jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés."

5 La directive a été mise en oeuvre au Danemark par la lov nr. 38 af 26 januar 1977 om aendring af lov om arbejdsformidling og arbejdsloeshedsforsikring (loi n° 38 du 26 janvier 1977, portant modification de la loi relative à la promotion de l'emploi et à l'assurance chômage, ci-après la "loi relative à la promotion de l'emploi"), modifiée à plusieurs reprises. Les dispositions de l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive ont été transposées en droit danois dans le chapitre 5 a de cette loi par l'article 23 a, qui, le royaume de Danemark ayant opté pour la première variante, est libellé comme suit:

° article 23 a, paragraphe 1:

"Le présent chapitre s'applique aux licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, lorsque le nombre de licenciements envisagés sur une période de 30 jours est:

1) au moins égal à 10 salariés dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 salariés;

2) au moins 10 % du nombre des salariés dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 salariés;

3) au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 salariés."

° article 23 a, paragraphe 3:

"Le ministre du Travail peut, après consultation du Conseil national du travail, arrêter les modalités de calcul du nombre de salariés en vertu de l'article 23 a, paragraphe 1, et définir les critères à prendre en considération pour déterminer s'il y a établissement au sens du présent chapitre."

6 Il y a lieu de préciser que les dispositions transposant en droit danois l'article 1er, paragraphe 1, de la directive sont restées inchangées dans les différentes versions successives.

7 Aux termes de l'article 102 a de la loi relative à la promotion de l'emploi, les infractions aux dispositions relatives à l'information et à la consultation sont sanctionnées d'une amende et l'employeur est tenu d'accorder aux salariés concernés une indemnité correspondant au versement du salaire durant une période de 30 jours à compter de la date de la résiliation.

8 En vertu de l'article 23 a, paragraphe 3, de la loi relative à la promotion de l'emploi, le ministre du Travail danois a adopté le bekendtgoerelse nr. 74 af 4 marts 1977 (arrêté n° 74 du 4 mars 1977), relatif à la notion d'établissement et au calcul du nombre de salariés dans le cadre des licenciements collectifs.

9 Cet arrêté définit en ses articles 2 à 4 la notion d'établissement. Aux termes de l'article 2, paragraphe 1:

"On entend par établissement, au sens du chapitre 5 a de la loi, une unité qui produit, achète ou vend des marchandises ou des prestations de services (par exemple atelier, usine, chantier, magasin, bureau ou entrepôt) et pourvue d'une direction qui peut effectuer de manière indépendante des licenciements collectifs, voir l'article 23 a, paragraphe 1, de la loi."

10 Il convient de préciser que cet arrêté a ensuite été abrogé avec effet au 1er décembre 1990 et remplacé par le bekendtgoerelse nr. 755 af 12 november 1990 (arrêté n° 755 du 12 novembre 1990), relatif à la notion d'établissement et au calcul du nombre des salariés en cas de licenciement collectif. Ce dernier arrêté contient en son article 2, paragraphe 1, la disposition suivante concernant la notion d'établissement:

"Notion d'établissement.

Article 2.

1. On entend par établissement, au sens du chapitre 5 a de la loi, une unité qui produit, achète ou vend des biens ou des services (par exemple atelier, usine, chantier, magasin, bureau ou entrepôt) et pourvue d'une direction qui peut effectuer de manière indépendante des licenciements collectifs au sens de l'article 23 a, paragraphe 1. Une unité organisée sous forme de filiale au sens de l'article 2 de la loi sur les sociétés par actions et de l'article 2 de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée ainsi que d'autres unités ayant un lien analogue avec une société mère doivent toutefois être considérées comme un établissement au sens du chapitre 5 a, même si la direction de la filiale ne peut effectuer de manière indépendante des licenciements collectifs."

11 La société Rockfon A/S (ci-après "Rockfon") est une société de production et de commercialisation de matériaux d'isolation à base de laine minérale. Elle appartient au groupe multinational Rockwool qui, en 1989, comptait un effectif total de 5 300 travailleurs, dont 1 435 au Danemark.

12 Rockfon et trois autres sociétés de production du groupe, également établies à Hedehusene (Danemark), à savoir Rockment A/S, Conrock A/S et Rockwool A/S, partagent un service commun du personnel, chargé des embauches et des licenciements, qui fait partie de Rockwool A/S. En vertu d'une instruction interne de janvier 1985 relative aux licenciements et aux départs volontaires, applicable aux quatre sociétés de production, toute décision de licenciement doit être prise en concertation avec le service du personnel de Rockwool A/S. En accord avec ce service, les chefs d'unité décident des salariés susceptibles d'être licenciés ou transférés dans un autre service. Au cas où le licenciement de plusieurs salariés est envisagé en raison d'un manque de travail, le chef d'unité doit informer le représentant du personnel du service concerné et s'assurer en même temps, auprès du service du personnel, que les quotas communautaires ne sont pas dépassés.

13 Entre le 10 et le 28 novembre 1989, Rockfon a licencié 24 à 25 personnes sur les 162 salariés qu'elle employait à l'époque. Rockfon n'a pas consulté au préalable les salariés concernés et n'a pas non plus informé par écrit l'autorité compétente des licenciements. Il est constant que, dans l'hypothèse où Rockfon constitue à elle seule un "établissement", les licenciements ont été effectués sans respecter les prescriptions en matière de concertation figurant au chapitre 5 a de la loi relative à la promotion de l'emploi, qui a mis en oeuvre la directive.

14 A la suite de ces licenciements, le SID a engagé, en qualité de mandataire de quatorze des salariés licenciés, une procédure contre Rockfon, dans laquelle il réclamait le paiement d'une indemnité pour violation des dispositions nationales relatives aux licenciements collectifs.

15 L'affaire a d'abord été portée devant la commission paritaire chargée du marché de l'emploi qui, par un avis rendu le 19 décembre 1989, a considéré que Rockfon faisait partie d'une entreprise plus importante, le groupe Rockwool, en sorte que les licenciements des salariés de Rockfon devaient être envisagés comme ayant été effectués par une entreprise de plus de 300 salariés. Elle en a donc conclu que Rockfon n'avait pas enfreint la loi, dès lors que celle-ci n'imposait le respect de procédures d'information et de consultation aux entreprises de plus de 300 salariés qu'à partir du licenciement d'au moins 30 salariés sur une période de 30 jours.

16 Le SID s'est pourvu en appel contre cette décision devant l'administration de l'emploi, qui a confirmé l'avis de la commission paritaire. Il a alors introduit un recours contre Rockfon devant le Byret i Taastrup.

17 Devant le Byret, Rockfon a reconnu qu'elle était une entreprise de production autonome mais a fait valoir qu'elle ne constituait pas un "établissement" au sens de la loi relative à la promotion de l'emploi et de l'arrêté n° 74, précité, puisque la fonction d'embauche et de licenciement était confiée à une autre société du groupe. Le Byret i Taastrup a cependant estimé que le service du personnel commun institué au sein du groupe Rockwool n'avait qu'un rôle consultatif et que Rockfon était compétente pour procéder elle-même à des licenciements. Rockfon constituant, selon lui, un "établissement" au sens de la loi relative à la promotion de l'emploi, elle a été condamnée, en application de l'article 102 a, paragraphe 2, de cette loi, à verser une indemnité aux salariés concernés pour violation des dispositions en matière d'information et de consultation, par un jugement du 1er octobre 1992.

18 Rockfon a interjeté appel de ce jugement devant l'OEstre Landsret et a conclu à la réformation du jugement en sa faveur. Comme en première instance, elle a soutenu ne pas être pourvue d'une direction pouvant procéder de manière autonome à des licenciements collectifs et ne pas constituer, en conséquence, un "établissement" au sens de la loi relative à la promotion de l'emploi. Devant l'OEstre Landsret, les parties ont demandé que l'affaire soit renvoyée à la Cour.

19 La loi relative à la promotion de l'emploi ayant mis en oeuvre la directive, la juridiction de renvoi s'interroge en substance sur la notion d'"établissement" au sens de l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive dans un cas tel que celui de l'espèce au principal. Elle a, en conséquence, sursis à statuer et posé à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Les dispositions figurant à l'article 1er de la directive 75/129/CEE, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles ne font pas obstacle à ce que deux ou plusieurs entreprises faisant partie d'un groupe d'entreprises et ayant des liens réciproques, mais dont aucune n'a d'influence prépondérante sur l'autre ou les autres, mettent en place un service commun en matière d'embauche ou de licenciement de sorte que, par exemple, les licenciements dans l'une des entreprises ne peuvent avoir lieu qu'avec l'approbation de ce service, avec la conséquence qu'il y a lieu de prendre en considération le chiffre total des salariés dans l'ensemble de ces entreprises lors du calcul des salariés prévu par l'article 1er, paragraphe 1, de la directive précitée?"

20 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi pose deux questions distinctes. En premier lieu, elle cherche à savoir si l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive s'oppose à ce que deux ou plusieurs entreprises faisant partie d'un groupe mettent en place un service commun d'embauche ou de licenciement de sorte que les licenciements dans l'une des entreprises ne peuvent avoir lieu qu'avec l'approbation de ce service. En second lieu, elle se demande si, dans de telles circonstances, il convient d'interpréter le terme d'"établissement" figurant à l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive comme désignant l'ensemble des entreprises ayant recours à ce service d'embauche ou de licenciement ou si, en revanche, chaque entreprise dans laquelle travaillent habituellement les salariés faisant l'objet du licenciement doit être qualifiée d'"établissement".

21 En ce qui concerne la première partie de la question préjudicielle, il suffit de constater que la directive a exclusivement pour objet l'harmonisation partielle des procédures de licenciements collectifs et n'a pas pour but de restreindre la liberté des entreprises de procéder à l'organisation de leurs activités et d'aménager leur service du personnel de la manière qui leur semble la plus conforme à leurs besoins. L'article 1er, paragraphe 1, sous a), en particulier, définit la notion de licenciement collectif, déterminant ainsi le champ d'application de la directive, mais n'établit aucune règle relative à l'organisation interne des entreprises ou à la gestion du personnel.

22 En conséquence, il convient de répondre sur ce point à la juridiction de renvoi que l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que deux ou plusieurs entreprises faisant partie d'un groupe d'entreprises et ayant des liens réciproques, mais dont aucune n'a d'influence prépondérante sur l'autre ou les autres, mettent en place un service commun d'embauche ou de licenciement de sorte que, notamment, les licenciements dans l'une des entreprises ne peuvent avoir lieu qu'avec l'approbation de ce service.

23 En ce qui concerne la seconde partie de la question préjudicielle, il y a lieu de relever tout d'abord que la notion d'"établissement" n'est pas définie dans la directive.

24 La société Rockfon soutient, en l'espèce, ne pas constituer un "établissement" au sens de la directive dès lors qu'elle n'est pas pourvue d'une direction pouvant effectuer de manière autonome des licenciements collectifs et ne remplit donc pas la condition posée par l'arrêté n° 74 pour constituer un "établissement". Selon elle, pour le calcul des travailleurs prévu à l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive, il faut tenir compte de l'ensemble des travailleurs des quatre sociétés et pas seulement de son propre effectif.

25 Il convient de relever à cet égard que la notion d'"établissement", au sens de la directive, constitue une notion de droit communautaire et ne peut se définir par référence aux législations des États membres.

26 Les différentes versions linguistiques de la directive utilisent des termes quelque peu différents pour désigner la notion en cause, à savoir "Betrieb" dans la version allemande, "establishment" dans la version anglaise, "virksomhed" dans la version danoise, "centro de trabajo" dans la version espagnole, "yritys" dans la version finnoise, "établissement" dans la version française, "**********" dans la version grecque, "stabilimento" dans la version italienne, "plaatselijke eenheid" dans la version néerlandaise, "estabelecimento" dans la version portugaise et enfin "arbetsplats" dans la version suédoise.

27 Or, il ressort d'une comparaison des termes utilisés qu'ils ont une connotation différente: à savoir, selon le cas, établissement, entreprise, centre de travail, unité locale ou lieu de travail.

28 Il résulte de l'arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, Rec. p. 1999, point 14), que les diverses versions linguistiques d'un texte communautaire doivent être interprétées de façon uniforme et que, dès lors, en cas de divergence entre ces versions, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l'économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément.

29 Or, la directive a été adoptée sur la base des articles 100 et 117 du traité CEE, cette dernière disposition ayant trait à la nécessité pour les États membres de promouvoir l'amélioration des conditions de vie et de travail de la main d'oeuvre permettant leur égalisation dans le progrès. Il résulte du premier considérant de la directive qu'elle vise précisément au renforcement de la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs.

30 A cet égard, deux observations peuvent être faites. D'abord, une interprétation de cette notion dans le sens préconisé par Rockfon permettrait à des sociétés appartenant à un même groupe de chercher, en confiant la décision de licencier à un organe de décision distinct, à rendre plus difficile leur assujettissement à la directive. Par ce biais, il leur serait ainsi possible d'échapper à l'obligation de respecter certaines procédures protectrices des travailleurs et d'importants groupes de travailleurs pourraient se voir dénier le droit d'être informés et entendus, qui leur revient normalement en vertu de la directive. Une telle interprétation apparaît donc comme étant incompatible avec la finalité de la directive.

31 Ensuite, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé que la relation de travail est essentiellement caractérisée par le lien qui existe entre le travailleur et la partie de l'entreprise à laquelle il est affecté pour exercer sa tâche (arrêt du 7 février 1985, Botzen e.a., 186/83, Rec. p. 519, point 15).

32 Il y a donc lieu d'interpréter la notion d'"établissement" figurant à l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive comme désignant, selon les circonstances, l'unité à laquelle les travailleurs concernés par le licenciement sont affectés pour exercer leur tâche. Que l'unité en cause dispose d'une direction pouvant effectuer de manière indépendante des licenciements collectifs n'est pas essentiel à la définition de la notion d'"établissement".

33 Cette interprétation est confortée par le fait que la proposition initiale de directive présentée par la Commission employait l'expression "entreprise" et que cette notion était définie à l'article 1er, paragraphe 1, dernier alinéa, de la proposition comme étant l'"unité locale d'emploi". Il apparaît que le Conseil a toutefois décidé de remplacer le terme d'"entreprise" par celui d'"établissement", avec pour conséquence la suppression de la définition initialement contenue dans la proposition, jugée superflue.

34 Il convient donc de répondre à la seconde partie de la question préjudicielle que, par le terme d'"établissement" figurant à l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive, il y a lieu d'entendre, selon les circonstances, l'unité à laquelle les travailleurs concernés par le licenciement sont affectés pour exercer leur tâche. Que l'unité en cause dispose d'une direction pouvant effectuer de manière indépendante des licenciements collectifs n'est pas essentiel à la définition de la notion d'"établissement".

Sur les dépens

35 Les frais exposés par les gouvernements belge et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

statuant sur la question à elle soumise par l'OEstre Landsret, par ordonnance du 16 novembre 1993, dit pour droit:

1) L'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 75/129/CEE du Conseil, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce que deux ou plusieurs entreprises faisant partie d'un groupe d'entreprises et ayant des liens réciproques, mais dont aucune n'a d'influence prépondérante sur l'autre ou les autres, mettent en place un service commun d'embauche ou de licenciement de sorte que, notamment, les licenciements dans l'une des entreprises ne peuvent avoir lieu qu'avec l'approbation de ce service.

2) Par le terme d'"établissement" figurant à l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive précitée, il y a lieu d'entendre, selon les circonstances, l'unité à laquelle les travailleurs concernés par le licenciement sont affectés pour exercer leur tâche. Que l'unité en cause dispose d'une direction pouvant effectuer de manière indépendante des licenciements collectifs n'est pas essentiel à la définition de la notion d'"établissement".

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