Jurisprudence : CJCE, 27-10-1993, aff. C-127/92, Dr. Pamela Mary Enderby c/ Frenchay Health Authority et Secretary of State for Health

CJCE, 27-10-1993, aff. C-127/92, Dr. Pamela Mary Enderby c/ Frenchay Health Authority et Secretary of State for Health

A0066AWD

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CJCE, 27-10-1993, aff. C-127/92, Dr. Pamela Mary Enderby c/ Frenchay Health Authority et Secretary of State for Health. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1006479-cjce-27101993-aff-c12792-dr-pamela-mary-enderby-c-frenchay-health-authority-et-secretary-of-state-fo
Copier
Cour de justice des Communautés européennes

27 octobre 1993

Affaire n°C-127/92

Dr. Pamela Mary Enderby
c/
Frenchay Health Authority et Secretary of State for Health



61992J0127

Arrêt de la Cour
du 27 octobre 1993.

Dr. Pamela Mary Enderby contre Frenchay Health Authority et Secretary of State for Health.

Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (England) - Royaume-Uni.

Egalité de rémunération entre travailleurs masculins et féminins.

Affaire C-127/92.

Recueil de Jurisprudence 1993 page I-5535

Edition spéciale suédoise 1993 page 0383

1. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Demande d'interprétation n'étant pas manifestement sans rapport avec l'objet du litige - Obligation de statuer

(Traité CEE, art. 177)

2. Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Différence de rémunération entre deux fonctions de valeur égale exercées l'une presque exclusivement par des femmes, l'autre principalement par des hommes - Charge de la preuve de l'absence de discrimination

(Traité CEE, art. 119)

3. Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Différence de rémunération entre deux fonctions de valeur égale exercées l'une presque exclusivement par des femmes, l'autre principalement par des hommes - Justification tirée de la détermination des rémunérations par des négociations collectives séparées - Inadmissibilité s'agissant d'une différence de traitement entre deux groupes relevant du même employeur et représentés par le même syndicat

(Traité CEE, art. 119)

4. Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Différence de rémunération entre deux fonctions de valeur égale exercées l'une presque exclusivement par des femmes, l'autre principalement par des hommes - Appréciation par le juge national de l'existence de raisons économiques constituant des justifications objectives

(Traité CEE, art. 119)

1. L'article 177 du traité établit le cadre d'une coopération étroite entre les juridictions nationales et la Cour, fondée sur une répartition des fonctions entre elles. Dans ce cadre, il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour.

En conséquence, dès lors que la Cour se trouve saisie d'une demande d'interprétation du droit communautaire qui n'est pas manifestement sans rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, elle doit y répondre sans avoir à s'interroger elle-même sur la validité d'une hypothèse qu'il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier par la suite si cela s'avère nécessaire.

2. La charge de la preuve de l'existence d'une discrimination fondée sur le sexe, qui incombe, en principe, au travailleur qui, s'estimant victime d'une telle discrimination, agit en justice contre son employeur, peut être déplacée lorsque cela s'avère nécessaire pour ne pas priver les travailleurs victimes de discrimination apparente de tout moyen efficace de faire respecter le principe de l'égalité des rémunérations.

C'est ainsi que, lorsque des statistiques que le juge national estime significatives laissent apparaître une différence sensible de rémunération entre deux fonctions de valeur égale, dont l'une est exercée presque exclusivement par des femmes et l'autre principalement par des hommes, l'article 119 du traité impose à l'employeur de justifier cette différence par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

3. La circonstance que la détermination des rémunérations afférentes à deux fonctions de valeur égale, dont l'une est exercée presque exclusivement par des femmes et l'autre principalement par des hommes, résulte de négociations collectives qui ont été menées séparément pour chacun des deux groupes professionnels concernés et qui n'ont pas eu d'effet discriminatoire à l'intérieur de chacun de ces deux groupes ne fait pas obstacle, dès lors que ces négociations ont abouti à des résultats qui apparaître une différence de traitement entre deux groupes qui relèvent du même employeur et du même syndicat, à la constatation d'une discrimination apparente, laquelle impose à l'employeur la charge de prouver qu'il n'y a pas violation de l'article 119 du traité.

En effet, si, pour justifier la différence de rémunération, il lui suffisait d'invoquer l'absence de discrimination dans le cadre de chacune de ces négociations prise isolément, l'employeur pourrait facilement tourner le principe de l'égalité des rémunérations par le biais de négociations séparées.

4. Il appartient à la juridiction nationale, qui est seule compétente pour apprécier les faits, de déterminer, en appliquant si nécessaire le principe de proportionnalité, si et dans quelle mesure la pénurie de candidats à une fonction et la nécessité de les attirer par des salaires plus élevés constituent une raison économique objectivement justifiée de la différence de rémunération entre deux fonctions de valeur égale dont l'une est exercée presque exclusivement par des femmes et l'autre principalement par des hommes.

Dans l'affaire C-127/92,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par la Court of Appeal of England and Wales, et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Dr Pamela Mary Enderby

Frenchay Health Authority

Secretary of State for Health,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 119 du traité, consacrant le principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins,

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida et D. A. O. Edward, présidents de chambre, R. Joliet, F. A. Schockweiler, F. Grévisse, M. Zuleeg et J. L. Murray, juges,

avocat général: M. C. O. Lenz

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur

considérant les observations écrites présentées:

- pour le Dr Enderby, appelante au principal, par MM. Anthony Lester, QC, et David Pannick, QC,

- pour la Frenchay Health Authority (FHA), première intimée au principal, par Bevan Ashford, solicitors, MM. Eldred Tabachnik, QC, et Adrian Lynch, barrister,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mlle Sue Cochrane, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d'agent, assistée de M. Patrick Elias, QC, et de Mme Eleanor Sharpston, barrister,

- pour le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, par MM. Ernst Roeder et Claus-Dieter Quassowski, respectivement Ministerialrat et Regierungsdirektor au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme Karen Banks, membre du service juridique, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales du Dr Enderby, de la FHA, du gouvernement du Royaume-Uni, du gouvernement allemand et de la Commission, à l'audience du 15 juin 1993,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 14 juillet 1993,

rend le présent

Arrêt

1 Par ordonnance du 30 octobre 1991, parvenue à la Cour le 17 avril 1992, la Court of Appeal of England and Wales a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, des questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 119 du traité, consacrant le principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins.

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant Mme le Dr Pamela Enderby à la Frenchay Health Authority (ci-après "FHA") et au Secretary of State for Health, à propos de la différence de rémunération entre deux fonctions exercées au sein du National Health Service (ci-après "NHS").

3 L'appelante au principal, qui est employée en qualité d'orthophoniste par la FHA, s'estime victime d'une discrimination de rémunération qui est fondée sur le sexe et qui tient au fait qu'à son niveau de responsabilité au sein du NHS (Chief III), les membres de sa profession, principalement exercée par des femmes, sont sensiblement moins bien rémunérés que les membres de professions comparables dans lesquelles, à un niveau de carrière équivalent, les hommes sont plus nombreux que les femmes. Elle a, en 1986, engagé une action contre son employeur devant l'Industrial Tribunal, en faisant valoir que sa rémunération annuelle n'était que de 10 106 UKL alors que celles d'un psychologue clinicien principal et d'un pharmacien principal de grade III, fonctions qui étaient de valeur égale à la sienne, étaient respectivement de 12 527 UKL et 14 106 UKL.

4 La demande du Dr Enderby a d'abord été rejetée par l'Industrial Tribunal puis par l'Employment Appeal Tribunal. Les premiers juges ont estimé que les écarts de rémunération tenaient aux structures propres à chaque profession, et notamment à l'organisation de négociations collectives distinctes, lesquelles n'avaient pas eu de caractère discriminatoire. Les juges d'appel ont considéré également que ces écarts ne s'expliquaient pas par un facteur discriminatoire. Ils ont jugé, en outre, qu'il était établi que la situation du marché de l'emploi contribuait pour une certaine part à la différence de rémunération entre les orthophonistes et les pharmaciens et que cela suffisait à justifier l'ensemble de la différence constatée entre ces deux professions.

5 Saisie à son tour, la Court of Appeal, estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation de l'article 119 du traité, a décidé d'interroger la Cour par la voie du renvoi préjudiciel. Dans son ordonnance, elle a, pour exposer les faits, notamment appelé "fonction A" l'emploi d'orthophoniste chef et "fonction B" celui de pharmacien principal, en supposant, pour les besoins de l'espèce, que ces deux fonctions différentes étaient de valeur égale. Puis, elle a posé les questions suivantes:

"Question 1

Le principe de l'égalité des rémunérations, consacré à l'article 119 du traité de Rome, impose-t-il à l'employeur de justifier objectivement la différence de rémunération entre la fonction A et la fonction B?

Question 2

En cas de réponse affirmative à la première question, suffit-il à l'employeur, pour justifier la différence de rémunération, d'invoquer le fait que les rémunérations respectives de la fonction A et de la fonction B ont été déterminées par des processus de négociation collective différents, processus qui (considérés séparément) ne comportent pas de discrimination fondée sur le sexe et qui n'ont pas pour effet de désavantager les femmes en raison de leur sexe?

Question 3

Si l'employeur est en mesure d'établir qu'il y a à certains moments de graves pénuries de candidats valables pour la fonction B et qu'il verse une rémunération supérieure aux titulaires des emplois B pour les attirer vers la fonction B, mais s'il peut également être établi que seule une partie de la différence de rémunération entre la fonction B et la fonction A s'explique par la nécessité d'attirer des candidats valables vers la fonction B,

a) la différence de rémunération est-elle objectivement justifiée en totalité ou

b) la partie de la différence qui s'explique par la nécessité d'attirer des candidats valables vers la fonction B, et seulement elle, est-elle objectivement justifiée ou

c) l'employeur doit-il niveler les rémunérations des fonctions A et B au motif qu'il n'a pas démontré que la totalité de la différence était objectivement justifiée?"

6 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la première question

7 Par sa première question, la Court of Appeal cherche à savoir si le principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins impose à l'employeur de prouver, en la justifiant objectivement, qu'une différence de rémunération entre deux fonctions supposées de valeur égale, dont l'une est exercée presque exclusivement par des femmes et l'autre principalement par des hommes, ne constitue pas une discrimination fondée sur le sexe.

En ce qui concerne la pertinence de la question

8 Le gouvernement allemand soutient que la Cour ne peut pas statuer sur la question posée sans déterminer auparavant si les fonctions en cause sont équivalentes. Comme, selon lui, les fonctions d'orthophoniste et de pharmacien ne sont pas comparables, il ne peut pas y avoir de violation de l'article 119 du traité et les différences de rémunération n'ont donc pas à être justifiées objectivement.

9 Cette argumentation ne peut pas être retenue.

10 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l'article 177 du traité établit le cadre d'une coopération étroite entre les juridictions nationales et la Cour, fondée sur une répartition des fonctions entre elles. Dans ce cadre, il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour (voir, notamment, arrêt du 16 juillet 1992, Asociacion Española de Banca Privada, C-67/91, Rec. p. I-4785, point 25). En conséquence, dès lors que la demande du juge national porte sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire, la Cour est tenue d'y répondre, à moins qu'elle ne soit appelée à statuer sur un problème général de nature purement hypothétique sans disposer des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir arrêt du 16 juillet 1992, Meilicke, C-83/91, Rec. p. I-4871).

11 En l'espèce, comme les juridictions précédemment saisies du litige, la Court of Appeal a, ainsi que le permet la législation britannique et avec l'accord des parties, décidé d'examiner la question de la justification objective de la différence de rémunération avant celle de l'équivalence des fonctions en cause, qui peut nécessiter des investigations plus complexes. C'est pourquoi les questions préjudicielles ont été posées en partant de l'hypothèse selon laquelle ces fonctions étaient de valeur égale.

12 Dès lors que la Cour se trouve ainsi saisie d'une demande d'interprétation du droit communautaire qui n'est pas manifestement sans rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, elle doit y répondre sans avoir à s'interroger elle-même sur la validité d'une hypothèse qu'il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier par la suite si cela s'avère nécessaire.

En ce qui concerne la question posée

13 Il appartient normalement à la personne qui allègue des faits au soutien d'une demande d'apporter la preuve de leur réalité. La charge de prouver l'existence d'une discrimination de rémunération fondée sur le sexe incombe donc, en principe, au travailleur qui, s'estimant victime d'une telle discrimination, engage une action juridictionnelle contre son employeur en vue d'obtenir la disparition de cette discrimination.

14 Cependant, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la charge de la preuve peut être déplacée lorsque cela s'avère nécessaire pour ne pas priver les travailleurs victimes de discrimination apparente de tout moyen efficace de faire respecter le principe de l'égalité des rémunérations. Ainsi, lorsqu'une mesure qui distingue les employés selon leur temps de travail frappe défavorablement en fait un nombre beaucoup plus élevé de personnes de l'un ou de l'autre sexe, cette mesure doit être regardée comme contraire à l'objectif poursuivi par l'article 119 du traité, à moins que l'employeur n'établisse qu'elle est justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (arrêt du 13 mai 1986, Bilka, 170/84, Rec. p. 1607, point 31; arrêt du 27 juin 1990, Kowalska, C-33/89, Rec. p. I-2591, point 16; arrêt du 7 février 1991, Nimz, C-184/89, Rec. p. I-297, point 15). De même, lorsqu'une entreprise applique un système de rémunération qui est caractérisé par un manque total de transparence, l'employeur a la charge de prouver que sa pratique salariale n'est pas discriminatoire, dès lors que le travailleur féminin établit, par rapport à un nombre relativement important de salariés, que la rémunération moyenne des travailleurs féminins est inférieure à celle des travailleurs masculins (arrêt du 17 octobre 1989, H.K./Danfoss, 109/88, Rec. p. 3199, point 16).

15 En l'espèce, comme le remarquer la FHA et le gouvernement britannique, la situation n'est pas tout à fait la même que dans les cas qui ont fait l'objet de la jurisprudence précitée. D'une part, il ne s'agit pas d'une discrimination de fait découlant de dispositions particulières telle que celles qui peuvent s'appliquer, par exemple, aux travailleurs à temps partiel. D'autre part, il ne peut pas être reproché à l'employeur d'appliquer un système de rémunération caractérisé par un manque total de transparence puisque la détermination des rémunérations des orthophonistes et des pharmaciens du NHS résulte de négociations collectives régulières et qui n'ont pas fait apparaître, en ce qui concerne chacune de ces deux professions, des mesures discriminatoires.

16 En réalité, cependant, si la rémunération afférente aux emplois d'orthophoniste est sensiblement inférieure à celle afférente aux emplois de pharmacien et si les premiers sont presque exclusivement tenus par des femmes alors que les seconds sont principalement occupés par des hommes, une telle situation révèle une apparence de discrimination fondée sur le sexe dès lors, du moins, que les deux fonctions en cause ont une valeur égale et que les données statistiques caractérisant cette situation sont valables.

17 Il appartient au juge national d'apprécier s'il peut prendre en compte ces données statistiques, c'est-à-dire si elles portent sur un nombre suffisant d'individus, si elles ne sont pas l'expression de phénomènes purement fortuits ou conjoncturels et si, d'une manière générale, elles apparaissent significatives.

18 Dans une situation de discrimination apparente, c'est à l'employeur de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération constatée. En effet, les travailleurs seraient privés du moyen de faire respecter le principe de l'égalité des rémunérations devant la juridiction nationale si la présentation d'éléments permettant de révéler une discrimination apparente n'avait pas pour effet d'imposer à l'employeur la charge de prouver que la différence de rémunération n'est pas, en réalité, discriminatoire (voir, par analogie, arrêt H.K./Danfoss, précité, point 13).

19 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que, lorsque des statistiques significatives laissent apparaître une différence sensible de rémunération entre deux fonctions de valeur égale dont l'une est exercée presque exclusivement par des femmes et l'autre principalement par des hommes, l'article 119 du traité impose à l'employeur de justifier cette différence par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Sur la deuxième question

20 Par sa deuxième question, la Court of Appeal cherche à savoir s'il suffit à l'employeur, pour justifier une telle différence de rémunération, d'invoquer le fait que les rémunérations respectives des fonctions en cause ont été fixées par des processus de négociations collectives qui, bien que suivis par les mêmes parties, sont distincts et qui, considérés séparément, n'ont pas d'effet discriminatoire.

21 Ainsi qu'il ressort clairement de l'article 4 de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19), les conventions collectives doivent, tout comme les dispositions législatives, réglementaires ou administratives, respecter le principe consacré à l'article 119 du traité.

22 La circonstance que la détermination des rémunérations en cause résulte de négociations collectives qui ont été menées séparément pour chacun des deux groupes professionnels concernés et qui n'ont pas eu d'effet discriminatoire à l'intérieur de chacun de ces deux groupes ne fait pas obstacle à la constatation d'une discrimination apparente dès lors que ces négociations ont abouti à des résultats qui apparaître une différence de traitement entre deux groupes qui relèvent du même employeur et du même syndicat. Si, pour justifier la différence de rémunération, il lui suffisait d'invoquer l'absence de discrimination dans le cadre de chacune de ces négociations prise isolément, l'employeur pourrait facilement, ainsi que le relève le gouvernement allemand, tourner le principe de l'égalité des rémunérations par le biais de négociations séparées.

23 Il y a, dès lors, lieu de répondre à la deuxième question qu'il ne suffit pas, pour justifier objectivement la différence de rémunération entre deux fonctions de valeur égale, dont l'une est exercée presque exclusivement par des femmes et l'autre principalement par des hommes, d'invoquer la circonstance que les rémunérations respectives de ces deux fonctions ont été déterminées par des processus de négociations collectives qui, bien que suivis par les mêmes parties, sont distincts et dont chacun d'eux, pris séparément, n'a pas en lui-même d'effet discriminatoire.

Sur la troisième question

24 Par sa troisième question, la Court of Appeal cherche à savoir dans quelle mesure, totale, partielle ou nulle, le fait qu'une partie de la différence de rémunération s'explique par la pénurie de candidats à une fonction et par la nécessité de les attirer par des salaires plus élevés peut justifier objectivement cette différence de rémunération.

25 Selon la jurisprudence constante de la Cour, il appartient à la juridiction nationale, qui est seule compétente pour apprécier les faits, de déterminer si et dans quelle mesure les motifs exposés par un employeur pour expliquer l'adoption d'une pratique salariale qui s'applique indépendamment du sexe du travailleur mais qui frappe en fait davantage de femmes que d'hommes peuvent être considérés comme des raisons économiques objectivement justifiées (arrêts Bilka, précité, point 36, et Nimz, précité, point 14). Parmi ces raisons peuvent figurer, si on les rapporte aux besoins et aux objectifs de l'entreprise, différents critères tels que la flexibilité ou l'adaptabilité des horaires et des lieux de travail, la formation professionnelle ou encore l'ancienneté du travailleur (arrêt H.K./Danfoss, précité, points 22 à 24).

26 La situation du marché de l'emploi, qui peut conduire un employeur à majorer la rémunération d'un travail particulier pour attirer des candidats, peut constituer l'une des raisons économiques objectivement justifiées, au sens de la jurisprudence précitée. La détermination de la portée exacte d'un tel facteur dans les circonstances de chaque espèce nécessite une appréciation des faits et relève donc de la compétence du juge national.

27 Si, comme cela semble ressortir de la question posée, le juge national a pu déterminer précisément la part de la majoration salariale qui est imputable à la situation du marché, il doit nécessairement admettre que la différence de rémunération est objectivement justifiée dans la mesure de cette part. Il convient de rappeler, en effet, que le principe de proportionnalité s'impose aux autorités nationales lorsqu'elles ont à appliquer le droit communautaire.

28 Dans le cas contraire, il appartient au juge national d'apprécier si le facteur tenant à la situation du marché a, dans la détermination du montant de la rémunération, joué un rôle suffisamment important pour justifier objectivement une partie ou la totalité de la différence.

29 Il y a donc lieu de répondre à la troisième question qu'il appartient à la juridiction nationale de déterminer, en appliquant si nécessaire le principe de proportionnalité, si et dans quelle mesure la pénurie de candidats à une fonction et la nécessité de les attirer par des salaires plus élevés constituent une raison économique objectivement justifiée de la différence de rémunération entre les fonctions en cause.

Sur les dépens

30 Les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni, par le gouvernement allemand et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par la Court of Appeal of England and Wales, par ordonnance du 30 octobre 1991, dit pour droit:

1) Lorsque des statistiques significatives laissent apparaître une différence sensible de rémunération entre deux fonctions de valeur égale dont l'une est exercée presque exclusivement par des femmes et l'autre principalement par des hommes, l'article 119 du traité impose à l'employeur de justifier cette différence par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

2) Il ne suffit pas, pour justifier objectivement la différence de rémunération entre deux fonctions de valeur égale dont l'une est exercée presque exclusivement par des femmes et l'autre principalement par des hommes, d'invoquer la circonstance que les rémunérations respectives de ces deux fonctions ont été déterminées par des processus de négociations collectives qui, bien que suivis par les mêmes parties, sont distincts et dont chacun d'eux, pris séparément, n'a pas en lui-même d'effet discriminatoire.

3) Il appartient à la juridiction nationale de déterminer, en appliquant si nécessaire le principe de proportionnalité, si et dans quelle mesure la pénurie de candidats à une fonction et la nécessité de les attirer par des salaires plus élevés constituent une raison économique objectivement justifiée de la différence de rémunération entre les fonctions en cause.

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