Lexbase Public n°287 du 1 mai 2013 : Institutions

[Le point sur...] Le statut du chef de l'Etat

Lecture: 22 min

N6876BTT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] Le statut du chef de l'Etat. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8203302-cite-dans-la-rubrique-b-institutions-b-titre-nbsp-i-le-statut-du-chef-de-letat-i-nbsp-le-point-sur-l
Copier

par Lauréline Fontaine, Professeur de droit public, Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris III

le 01 Mai 2013

Les interrogations, voire les atermoiements sur le statut du chef de l'Etat en France, sont, depuis les débuts de la Vème République, le signe d'une spécificité quasi inédite dans l'histoire institutionnelle française. Plus, le chef de l'Etat français présente aussi une spécificité au sein de l'Union européenne. Certes, il est loin d'être le seul chef d'Etat élu au suffrage universel direct, car quinze autres pays de l'Union européenne ont, à ce jour, adopté ce système. Mais il est le seul, avec le président chypriote, à être le véritable leader de l'exécutif, là où partout ailleurs c'est le chef du Gouvernement qui exerce cette fonction. Preuve de ce particularisme, les deux Présidents français et chypriote sont les seuls chefs d'Etat à siéger au Conseil européen qui réunit les "chefs d'Etat et de Gouvernement" : vingt-cinq chefs de Gouvernement, bientôt vingt-six, pour deux chefs d'Etat. La situation reste, d'ailleurs, la même dans l'hypothèse d'une cohabitation, où le Gouvernement a seul le soutien de l'assemblée parlementaire, même si, dans cette hypothèse, des aménagements collaboratifs sont organisés. Mais c'est bien là, sans doute, la raison des discussions autour du statut du chef de l'Etat : son statut ne coïnciderait pas vraiment avec ses pouvoirs. Parce qu'il dispose de pouvoirs importants, le chef de l'Etat en France devrait avoir un statut qui le mette dans une situation de responsabilité dans l'exercice de ses pouvoirs. Car, du point de vue des fonctions politiques, le chef de l'Etat dispose de prérogatives essentielles. Elles sont repérables à travers la distinction posée par l'article 19 de la Constitution française (N° Lexbase : L0845AHR), entre les actes soumis au contreseing ministériel et ceux dispensés de cette formalité, qui, justement, n'en n'est pas une. En contresignant un acte du chef de l'Etat, le Premier ministre et les ministres responsables, le cas échéant, endossent la responsabilité de cet acte, responsabilité qui s'exerce ensuite devant la représentation nationale en vertu des articles 49 (N° Lexbase : L0867AHW) et 50 (N° Lexbase : L0877AHX) de la Constitution. C'est ainsi que les décrets délibérés en Conseil des ministres et que signe le Président de la République sur le fondement de l'article 13 de la Constitution (N° Lexbase : L0839AHK), sont contresignés par le Premier ministre et les ministres responsables. Ces décrets, comme d'ailleurs les projets de loi du Gouvernement qui sont délibérés en Conseil des ministres, ou les ordonnances prises sur la base d'une habilitation parlementaire, elles aussi signées par le Président de la République en vertu du même article 13, constituent une modalité essentielle de la politique conduite par l'exécutif que le Parlement est porté à contrôler et à évaluer, jusqu'à la mettre en cause en renversant le Gouvernement.

Que le chef de l'Etat soit, lui, irresponsable des actes qu'il signe pourtant, ne devrait donc pas constituer une véritable difficulté, dès lors que les auteurs du contreseing peuvent en être tenus responsables : s'ensuivrait en quelque sorte logiquement, une possibilité pour le Premier ministre et les ministres de ne pas apposer leur contreseing sur les actes présidentiels. Mais cela apparaît évidemment plus problématique dès lors que, en période "normale", c'est-à-dire quand le chef de l'Etat est le chef de la majorité parlementaire, la discipline ministérielle entraîne une obligation politique de contresigner. Et que dire des actes qui, eux, sont dispensés de contreseing ? Dans cette hypothèse, il y a exercice d'un pouvoir sans la contrepartie "démocratique" de cet exercice, à savoir la responsabilité. Et ces pouvoirs ne sont pas inoffensifs, notamment pour la démocratie ; ils peuvent même être déterminants : recours direct, sans passer par le Parlement, au référendum législatif (ou constitutionnel comme l'a illustré la pratique gaullienne), dissolution de l'Assemblée nationale, exercice du droit de grâce, nomination de trois membres du Conseil constitutionnel, saisine du Conseil constitutionnel, et enfin, last but not least, décision de faire usage de pouvoirs "exceptionnels", dans une situation déterminée par lui seul. Ces pouvoirs apparaissent de toute évidence exorbitants et, nonobstant, ne le conduisent à "rendre des comptes" politiques que s'il décide de briguer un nouveau mandat présidentiel. On comprend évidemment le hiatus existant entre les pouvoirs présidentiels et son irresponsabilité pourtant corrélative.

Ce hiatus se trouve renforcé par les positions institutionnelles conférées par la fonction présidentielle. Le chef de l'Etat n'exerce pas seulement des pouvoirs exorbitants, il intervient aussi, de manière plus ou moins décisive, dans l'exercice des pouvoirs et fonctions d'autres institutions ou organes constitués. Ainsi, le chef de l'Etat est-il, pendant l'exercice de son mandat, le chef des armées, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire et, à ce titre, "assisté" par le Conseil supérieur de la magistrature, et, enfin, il nomme aux plus hautes fonctions et organes de l'Etat : nomination du Premier ministre et des membres du Gouvernement certes, mais aussi nomination de trois membres du Conseil constitutionnel, de membres du Conseil supérieur de la magistrature et de bien d'autres autorités administrativo-politiques, nomination des hauts fonctionnaires, magistrats et administrateurs. Des réformes ont permis au Parlement d'être impliqué dans certaines de ces nominations (Conseil constitutionnel par exemple), ce qui est une bonne chose, mais qui ne nuance qu'assez modérément le statut ainsi conféré au chef de l'Etat. Il faut ajouter à cela l'incompréhensible maintien jusqu'à aujourd'hui du "droit" pour un ancien Président de la République de siéger au Conseil constitutionnel, qui porte actuellement le nombre de membres à douze (au lieu de neuf), même si les trois anciens chefs d'Etat aujourd'hui concernés ne siègent qu'occasionnellement.

On relève, à ce propos, que, jusqu'à la cessation des fonctions du Président Jacques Chirac, on avait coutume d'entendre que cette règle constitutionnelle qui faisait d'un ancien Président de la République française un membre de droit du Conseil constitutionnel, était coutumièrement tombée en désuétude, par son non usage par ceux qui auraient pu en faire usage (ceux n'étant pas empêchés par la maladie ou, a fortiori, le décès). C'est la preuve que le maintien de l'inscription d'une règle dans un texte maintient en même temps la possibilité d'en faire usage à tout moment, dès lors qu'il n'existe pas d'autorité compétente pour affirmer le contraire et sanctionner le comportement déviant. En bref, compte tenu de ces éléments, il apparaît particulièrement légitime de continuer à s'interroger sur le statut du chef de l'Etat, pas très en adéquation avec les règles d'un régime démocratique contemporain. A cela s'ajoute encore le fait que, même pour des comportements qui ne sont pas liés à l'exercice de la fonction présidentielle, les règles ne sont, à ce jour, pas encore parfaitement établies, et paraissent avoir trop souvent fait du chef de l'Etat une personne véritablement privilégiée. Si donc, en France, on semble plutôt s'accorder sur l'idée qu'il est nécessaire d'instaurer un régime de responsabilité plus clair et en conformité avec les exigences minimales de la démocratie, toutefois, pour ne pas céder à la tentation de l'ordinarité ou de la normalité absolue de la fonction, qui est précisément unique dans le pays, on considère aussi que le chef de l'Etat, incarnation de l'unité nationale, doit pouvoir bénéficier d'une protection spéciale pour ne pas être entravé dans l'exercice de ses fonctions. C'est le fondement même du particularisme de son statut.

Depuis de nombreuses années, les politiques hésitent donc entre responsabilité et irresponsabilité, entre lui conférer le statut d'un citoyen ordinaire et nier cette qualité. En bref, et à ce jour, la présidence "normale" reste tout de même en dehors de la norme, mais dans le cadre d'un mouvement tendant à la normalisation. Il en résulte une dualité de statut, mais dont les éléments sont loin d'être parfaitement clairs et homogènes, à tel point que c'est souvent le terme de schizophrénie auquel on recourt pour décrire le statut du chef de l'Etat. Selon les hypothèses, il se détermine en considérant la fonction seulement, indépendamment de la personne qui l'exerce (I), ou si c'est en considérant la personne physique citoyenne, ce n'est jamais indépendamment de la fonction présidentielle (II).

I - Le statut du chef de l'Etat comme autorité constituée

Le chef de l'Etat est non seulement la plus haute autorité de l'Etat, mais, comme il est dit partout depuis 1958, la "pierre angulaire" du système politique français, c'est-à-dire du système démocratique en vigueur en France. Les conditions de son statut politique et leurs évolutions s'apprécient, en conséquence, toutes au regard de la manière dont la démocratie est ainsi conçue. L'enjeu est de mettre en adéquation les modalités juridiques du statut du chef de l'Etat avec la conception idoine de la démocratie, tant du point de vue de son statut électif (1), que du point de vue de sa responsabilité comme chef de l'Etat, au plan politique comme au plan pénal (l'hypothèse d'une responsabilité civile de la fonction présidentielle étant exclue par celle de l'existence de la responsabilité administrative) (2).

1 - La lente construction d'un statut électif démocratique du chef de l'Etat

a) La candidature et le mandat présidentiel : entre conception politique et effort de démocratisation

Il n'est pas possible de dégager une doctrine "claire" du statut électif du chef de l'Etat. Sa conception politique ne paraît pas toujours an adéquation avec les règles effectivement établies pour son élection, qui en font indéniablement une élection partisane. Le statut initial du chef de l'Etat fut conçu à partir de la doctrine selon laquelle il devait être "au-dessus des partis" et donc détaché des structures politiques faisant naturellement la part belle à ceux-ci, à savoir le Parlement : son mandat était donc distinct, sept ans, contre cinq pour les députés et neuf pour les sénateurs. Pourtant, il était élu par un collège composé d'élus nationaux et locaux (environ 80 000 électeurs), impliquant presque structurellement un lien partisan. Son élection au suffrage universel direct à partir de 1965 a permis de distendre un peu ce lien partisan, quoique la condition pour être candidat à l'élection présidentielle dépende toujours en partie des élus puisque le système de parrainages instauré, et en vigueur aujourd'hui, implique qu'il doive obtenir auparavant l'assentiment de cinq cent élus, issus d'au moins trente départements ou collectivités d'outre-mer différents sans que plus d'un dixième de ces élus proviennent du même département ou de la même collectivité d'outre-mer. Le Conseil constitutionnel vérifie la validité des candidatures.

L'élection du chef de l'Etat au suffrage universel a aussi et simultanément créé les conditions d'une bipolarisation de la vie politique autour des grands partis susceptibles de procurer à la France un personnage présidentiable. Le Président "de tous les français" est, ainsi, surtout celui qui réussit à s'imposer comme présidentiable au plus haut niveau de l'un des deux grands partis politiques français. La réforme de la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans et la mise en coïncidence des deux calendriers électoraux, présidentiels et législatifs, a accentué, à partir de 2002, le caractère partisan de la fonction, par la proximité qu'il entretient désormais bien plus avec les parlementaires. En bref, sans parler de l'exercice postérieur du pouvoir par le chef de l'Etat élu, les conditions politiques de l'élection présidentielle créent une "ambiance" sensiblement préjudiciable au lien que le Président de la République pourrait entretenir avec l'ensemble des électeurs. Le système des parrainages, par exemple, est mis en accusation depuis de nombreuses élections déjà. C'est ainsi que la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, dite "Commission Jospin", à l'automne 2012, a proposé que les parrainages soient désormais "citoyens", avec un seuil minimum de 150 000, issus d'au moins cinquante départements (ou collectivités d'outre-mer) sans qu'un département ou une collectivité ne puisse représenter plus de 5 % des parrainages (c'est-à-dire pas plus de 7 500 signatures sur 150 000).

Ces nouvelles règles, si elles étaient effectivement adoptées, participeraient d'une démarche de démocratisation de la fonction (il peut désormais être candidat à partir de l'âge de dix-huit ans et ne peut briguer plus de deux mandats successifs), qui doivent être lues en combinaisons avec les règles relatives à l'organisation et au contrôle de l'élection présidentielle.

b) L'organisation et le contrôle de l'élection présidentielle : une déontologie affichée pour une pratique ambiguë

Il existe des règles relativement détaillées sur l'obligation de respect du pluralisme, tant au niveau de la campagne que des modalités du scrutin, qui sont pour l'essentiel mises en oeuvre par les autorités publiques (par exemple les règles sur l'impression, la distribution et la disposition des bulletins de vote), ou par les autorités privées (par exemple les règles sur le temps de parole dans les médias). Si des irrégularités dans les votes ou des manoeuvres particulières des candidats avant le scrutin sont susceptibles d'entraîner l'annulation du scrutin présidentiel par le Conseil constitutionnel, dans la mesure où ces irrégularités ou ces manoeuvres auraient été déterminantes, les règles sur les conditions du financement des candidats sont celles qui, bien qu'a priori non susceptibles d'entraîner l'invalidation du scrutin, ont suscité le plus de débats et d'évolution ces dernières années. Elles ont évolué vers le sens d'une limitation des dons privés (et de leur forme aussi), vers un accroissement du financement public, sous conditions, et bien sûr au plafonnement des dépenses de campagne.

L'ensemble de ces règles implique que chaque candidat à la fonction présidentielle a l'obligation de tenir un compte de campagne, géré par un mandataire. Le compte doit, par la suite, être déposé devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), au plus tard le neuvième vendredi suivant le second tour de scrutin, qui vérifiera les comptes, un appel étant ensuite possible devant le Conseil constitutionnel. Les conséquences de ce contrôle peuvent être de plusieurs ordres : d'une manière générale, la non-validation des comptes entraîne le non-remboursement légal des dépenses. Celui-ci est prévu pour tous les candidats selon des modalités distinctes, selon qu'ils sont présents ou non au deuxième tour, et selon que, pour les candidats présents seulement au premier tour, ils ont obtenu plus ou moins 5 % des suffrages exprimés. Le taux de remboursement est fixé par référence au plafond par ailleurs instauré pour les dépenses. Un candidat du premier tour de l'élection présidentielle de 1995 (Jacques Cheminade) a vu ses comptes non validés, sanction qui a entraîné le non remboursement de ses dépenses. Actuellement, le Conseil constitutionnel examine l'appel formé par Nicolas Sarkozy contre la décision de la CNCCFP d'invalider ses comptes pour la campagne de 2012. Sont en jeu près de onze millions d'euros, qui pourraient ne pas être reversés à l'UMP, parti du candidat perdant. Il est difficile de prédire la décision du Conseil constitutionnel, mais le précédent de 1995 et les révélations postérieures sur les choix opérés à cette époque par le Conseil pour ne pas entacher de soupçon le déroulement du scrutin illustrent qu'il est bien difficile d'appliquer les règles sans perturber la vie démocratique. Entre l'un et l'autre, les juges choisissent souvent la deuxième solution, celle d'une paix, mais toujours provisoire.

2 - Entre irresponsabilité et quasi irresponsabilité de la fonction présidentielle

L'exercice de la fonction présidentielle depuis 1958 ne laisse aucun doute sur les pouvoirs du chef de l'Etat. La cohabitation n'a pas amoindri ses pouvoirs et on a même parlé ces dernières années d'hyperprésidence. La question de sa responsabilité politique semble pourtant être vainement posée depuis les débuts de la Vème République. Politiquement, seul le Gouvernement est responsable, et c'est lui qui a été sanctionné en 1962 lorsque le général de Gaulle a décidé de se passer de l'accord du Parlement pour proposer la révision de la Constitution sur le mode d'élection du chef de l'Etat en recourant directement à l'article 11 de la Constitution (N° Lexbase : L0837AHH) qui lui permet d'organiser un référendum. On a bien pu arguer de la responsabilité du chef de l'Etat devant les électeurs lorsqu'il brigue un nouveau mandat, mais celle-ci apparaît bien maigre, surtout depuis que le nombre de mandats successifs est fixé à deux. Le problème démocratique posé par l'irresponsabilité politique a entraîné, toutefois, des changements dans le statut pénal du chef de l'Etat, dont on pouvait définitivement accepter qu'il lui confère une totale inviolabilité. Auparavant seulement responsable pour une infraction mal définie, la "haute trahison", il était jugé par la Haute Cour de justice constituée de parlementaires, la procédure étant virtuellement très longue.

Depuis la réforme constitutionnelle de 2007 (loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007, portant modification du titre IX de la Constitution N° Lexbase : L4654HUW), qui a réécrit les articles 67 (N° Lexbase : L0896AHN) et 68 (N° Lexbase : L0897AHP) de la Constitution, il peut être "destitué" par la Haute Cour, nouvelle formation remplaçant la Haute Cour de justice, cette fois constituée de l'intégralité des parlementaires (l'article 68 précise que le Parlement se constitue en Haute Cour). Cette nouvelle procédure de destitution est applicable en cas de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat". C'est la seule hypothèse de responsabilité du chef de l'Etat envisagée par la Constitution, avec, toutefois, l'article 53-2 (N° Lexbase : L0882AH7), qui permet à la République française de "reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale". La réforme du statut du chef de l'Etat en 2007 vise, avec le remplacement de la haute trahison par celle de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions", et avec la simplification considérable de la procédure, à rendre possible la mise en oeuvre de la responsabilité pénale du chef de l'Etat pour les actes accomplis dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, hypothèse qui avait toujours paru pratiquement impossible jusqu'alors. Si la notion de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat" n'est pas plus définie que l'ancien chef d'infraction que constituait la haute trahison, elle paraît plus en relation avec la problématique contemporaine et semble aussi laisser une plus grande latitude aux parlementaires. Mais du coup, d'une responsabilité sans conteste pénale à l'origine, elle pourrait être désormais considérée comme politique car ne reposant plus sur une infraction proprement dite. Au surplus, la procédure, qui est désormais enfermée dans des courts délais, sans actes particuliers autres que la proposition de réunion de la Haute Cour et la décision de destitution prises à la majorité des deux tiers des membres de l'assemblée ou de la Haute Cour, pourrait plaider en faveur d'une simplicité de sa mise oeuvre et permettre, ainsi, au Parlement d'y recourir plus aisément. Mais il semble que nous soyons loin d'en être à ce stade et le phénomène majoritaire semble devoir en limiter fortement la portée.

II - Le statut du chef de l'Etat comme personne privée

S'il ne fait aucun doute que la personnalité élue au suffrage universel pour exercer la fonction présidentielle est bien une personne physique comme les autres, un "sujet de droit", le régime juridique qui s'applique à lui cesse d'être comme les autres à compter de son élection. D'ailleurs, les différents titulaires de la fonction présidentielle se sont généralement tenus à distance du système judiciaire. Leur statut comme personne privée étant alors assez incertain, on estimait plutôt que la question ne se posait pas vraiment, faute, effectivement, de l'existence d'un contentieux. L'avant-dernier titulaire de la fonction a, toutefois, donné des occasions assez nombreuses de préciser le statut du chef de l'Etat.

Il ne peut participer à des instances civiles ou pénales que dans certaines conditions, qui sont directement déterminées comme la conséquence de sa fonction. Pour les faits impliquant le chef de l'Etat, que ces faits soient antérieurs ou concomitants à l'exercice de la fonction présidentielle, il bénéficie d'un régime particulier, construit au fil des affaires soumises à la justice depuis surtout la fin des années 1990. En tout état de cause, et malgré une volonté parfois affichée de faire du chef de l'Etat un citoyen "ordinaire", son traitement dans les différentes instances judiciaires, civiles ou pénales, ne paraît pas, pour l'heure, susceptible d'être aligné sur celui des simples particuliers. Pendant l'exercice de son mandat, il faut distinguer selon la circonstance que le chef de l'Etat prend lui-même l'initiative d'une action judiciaire (1), ou qu'il a, au contraire, le statut de défendeur à l'instance (2).

1 - L'admissibilité des initiatives judiciaires du chef de l'Etat et l'inapplication subséquente de la totalité du statut de partie au procès

Signalons, d'abord, qu'il existe encore aujourd'hui une infraction spécifique d'"offense au chef de l'Etat" institué par l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW). Auparavant passible de prison, le fait d'offenser le chef de l'Etat n'est plus sanctionné aujourd'hui que par une amende de 45 000 euros depuis l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 (N° Lexbase : L0609ATQ). Une récente affaire a permis à la Cour européenne des droits de l'Homme de se prononcer sur cette infraction (1), qu'elle ne semble pas avoir remise en cause, même si elle a condamné la France pour atteinte à la liberté d'expression. Mais la France s'apprête tout de même à renoncer à cette infraction. A l'occasion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France, l'abrogation de l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 a été proposée, puis a été adoptée le 27 mars 2013 par la Commission des lois de l'Assemblée nationale. Il est assez probable que l'abrogation soit effectivement et définitivement adoptée par le Parlement dans les semaines qui viennent, qui fera du titulaire de la fonction présidentielle un individu soumis au droit commun de l'injure et de la diffamation. Il pourra donc, en principe, toujours défendre son honneur par l'invocation du délit d'injure publique, puni de 12 000 euros ou même de l'outrage, puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende, lorsqu'il est fait à l'égard d'une personne dépositaire de l'autorité publique (C. pén., art. 433-5 N° Lexbase : L1857AMQ).

Indépendamment des affaires impliquant le statut présidentiel lui-même, c'est surtout la "vie privée" du chef de l'Etat qui a provoqué un contentieux substantiel depuis plusieurs années. Pendant l'exercice de son mandat, Nicolas Sarkozy a intenté sept actions civiles et pénales, pour s'opposer à la diffusion d'une publicité usant de son image (et de celle de sa compagne), pour obtenir le retrait d'un produit le représentant (poupée vaudou), pour obtenir la condamnation d'un journaliste qui avait publié un SMS pour faux, usage de faux et recel ou encore pour interdire la confection de tee-shirts où figurait son nom accompagné du commentaire "zéro tolérance". Ces différentes affaires ont permis de déterminer que, pendant l'exercice de son mandat, le chef de l'Etat pouvait, d'une part, se constituer partie civile dans un procès pénal et, d'autre part, entamer une action civile, y compris une procédure de divorce, dès lors que celle-ci n'implique aucune des parties, c'est-à-dire en réalité le chef de l'Etat- en reposant sur le consentement mutuel.

Cette possibilité que le Président de la République soit partie à un procès, dès lors qu'il est une partie demanderesse, a soulevé beaucoup de discussions et d'arguments à propos de son statut de partie "ordinaire". En effet, plusieurs éléments sont susceptibles de venir troubler le déroulement normal d'un procès, puisque il n'est pas étranger à la constitution du corps judiciaire, par son rôle de garant de l'autorité judiciaire, de participation au Conseil supérieur de la magistrature et de nomination des plus hauts magistrats. Son lien avec la magistrature pourrait faire du chef de l'Etat une partie, en quelque sorte, et par nature faire obstacle au principe d'impartialité et d'indépendance du tribunal, garantie nécessaire au déroulement d'un procès équitable. Par ailleurs, ces liens, et parce qu'aussi le Président de la République est inattaquable devant un tribunal ordinaire (2), interrogent sur le principe de l'égalité des armes au procès. Des arguments furent soulevés en ce sens dans le cadre des poursuites engagées pour escroquerie en bande organisée auxquelles s'est associé Nicolas Sarkozy pour usurpation de son identité bancaire.

Dans un premier temps, le tribunal correctionnel de Nanterre, par un jugement rendu le 29 octobre 2009, choisit de surseoir à statuer sur la demande dommages-intérêts du chef de l'Etat, "jusqu'à l'expiration du délai d'un mois après la cessation de ses fonctions", car "le lien entre le Président de la République et les magistrats peut laisser croire aux justiciables qu'ils ne bénéficieraient pas d'un tribunal indépendant et impartial". Mais dans un second temps, le 8 janvier 2010, la cour d'appel de Versailles a infirmé ce jugement (3). Dans le même temps, et à propos de l'affaire "Clearstream", le tribunal de grande instance de Paris, par un jugement rendu le 28 janvier 2010, a considéré que, si le chef de l'Etat n'était pas un justiciable ordinaire, "le principe de l'égalité des armes doit s'apprécier in concreto dans une instance en cours". Le tribunal considère, en l'espèce, que "le déroulement des débats a montré l'effectivité de ce principe en ce que chacune des parties a été en mesure de librement présenter ses propres arguments et de combattre ceux qui lui étaient opposés". Le tribunal accepte, ainsi, la constitution de partie civile du chef de l'Etat, en indiquant, au passage, pour répondre à l'argument de la contrariété aux exigences du procès équitable posées par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, qu'il ne lui appartient pas "d'apprécier l'inconventionnalité d'une norme constitutionnelle".

La Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, a confirmé ce statut de demandeur du chef de l'Etat le 15 juin 2012 (4). D'abord, elle a considéré que "la nomination des juges par le Président de la République ne crée pas, en lui-même, un lien de dépendance à son égard dans la mesure où les juges demeurent protégés par leur inamovibilité et, de manière générale, ne peuvent pas faire l'objet de pression ou d'instruction diverses provenant de l'exécutif". A l'appui du principe d'égalité des armes, qui ne serait pas respecté en l'espèce, était invoquée l'inapplicabilité des articles 91 (N° Lexbase : L7165A47), 472 (N° Lexbase : L9928IQR) et 516 (N° Lexbase : L3908AZR) du Code de procédure pénale, donnant la possibilité à un prévenu d'engager une action en dommages et intérêts contre la partie civile lorsque celle-ci est abusive ou non justifiée. La Cour de cassation a considéré, que, dans les faits de l'espèce, les conditions nécessaires à l'ouverture de ces moyens d'action (décision de non-lieu ou de relaxe du prévenu et seulement lorsque c'est la partie civile qui est à l'origine de la mise en mouvement de l'action publique) manquaient en fait. D'autres moyens furent invoqués dans le même esprit, qui furent tous rejetés par la Cour sur le fondement d'une appréciation in concreto certes, mais relativement rapide et laconique, laissant tout de même demeurer une sensible insatisfaction sur la pertinence de ce déséquilibre entre le chef de l'Etat demandeur et le chef de l'Etat défendeur, dans la mesure où, dans une même instance, une partie peut être tour à tour l'un ou l'autre : car si son action est recevable, il est lui inviolable, et donc inattaquable tant que dure son (ou ses) mandat(s).

2 - L'inviolabilité du chef de l'Etat pendant la durée de son mandat

Lorsque des "affaires" mettant en cause un chef de l'Etat français en exercice ont commencé à être traitées par la justice à partir des années 1990, le statut du chef de l'Etat comme justiciable devant les juridictions ordinaires était assez incertain, mais semblait plutôt procurer à celui-ci une immunité absolue. Quelques tempéraments ont été formulés depuis, même si c'est la notion d'immunité qui reste prégnante. Pour les actes relevant de l'exercice de ses fonctions, il bénéficie d'une immunité absolue devant les juridictions de droit commun, et d'un "privilège" de juridiction puisque seul le Parlement réuni en Haute Cour pourrait prononcer sa destitution. Il résulte donc de la jurisprudence et de la Constitution que, pendant son mandat, le chef de l'Etat ne saurait être convoqué par un juge d'instruction, ni même être convoqué comme témoin dans une affaire pénale. Mais, pour les actes ne relevant pas de l'exercice de ses fonctions, qu'ils soient accomplis postérieurement ou concomitamment à celui-ci, l'immunité dont il bénéficie, inscrite à l'article 67, alinéa 2, de la Constitution, est temporaire puisqu'elle ne dure que le temps de son mandat, pour cesser aussitôt après son terme. Grâce à un arrêt du 10 octobre 2001 rendu par la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière (5) (à la demande d'un militant associatif demandant à ce que Jacques Chirac, président alors en exercice, soit entendu comme témoin dans le cadre de l'instruction sur l'affaire dite de "l'imprimerie de la ville de Paris"), dont la solution a finalement été inscrite dans la Constitution par la réforme de 2007, l'immunité temporaire ne ressortit plus ses effets négatifs puisque le délai de prescription applicable aux faits en cause est interrompu le temps de la durée du mandat présidentiel. L'exercice de la fonction présidentielle n'est donc pas susceptible de permettre à son titulaire d'échapper définitivement au système judiciaire, dès lors que l'immunité temporaire n'emporte pas comme conséquence une immunité définitive et donc absolue.

Mais, comme l'a relevé le rapport "Jospin" remis le 7 novembre 2012, "l'impossibilité absolue, pour les demandeurs potentiels, de faire entendre leur cause devant un tribunal civil pendant une période de cinq ans, voire de dix ans en cas de second mandat, pose un grave problème, en particulier dans l'hypothèse d'actions relevant de l'état des personnes et du droit de la famille (divorce, filiation, autorité parentale...). Et l'idée suivant laquelle leurs droits et intérêts seraient sauvegardés par le mécanisme de suspension des délais de prescription et de forclusion reste largement théorique". La Commission juge, ainsi, que "l'extension de l'inviolabilité au champ des actions civiles est tout à la fois contestable dans son principe, disproportionnée par rapport au but poursuivi et choquante du point de vue de ses conséquences". La Commission a, également, considéré qu'en matière pénale, les règles actuellement en vigueur "empêchent que le Président de la République soit poursuivi et jugé dans un délai raisonnable pour des crimes ou des délits qu'il aurait commis avant son élection ou au cours de son mandat". Ces règles, souligne encore la Commission, parce qu'elles empêchent aussi qu'il fasse l'objet, pendant son mandat, "de tout acte d'enquête ou d'information préalable au renvoi au jugement", ont été particulièrement critiquées. "Au-delà du risque d'atteinte au principe du droit à être juge dans un délai raisonnable, dont la Cour européenne des droits de l'Homme rappelle qu'il trouve à s'appliquer, en matière pénale, à l'auteur de l'infraction comme à la victime, c'est l'effectivité même de la répression qui a été mis en doute". A partir de l'ensemble de ces constatations, la Commission a, ainsi, formulé deux propositions remettant en cause le principe de l'inviolabilité du chef de l'Etat pour les actes qui n'ont pas été accomplis en sa qualité de chef de l'Etat

En attendant, et comme l'a relevé le tribunal de grande instance de Paris, par son jugement du 28 janvier 2010, "l'immunité dont bénéficie le chef de l'Etat en vertu des dispositions de l'article 67 de la Constitution peut être de nature à créer un déséquilibre entre les parties à un procès pénal, en ce que son statut le protège de toute attaque judiciaire sans pour autant lui interdire d'agir comme justiciable ordinaire". Quand bien même l'égalité des armes s'apprécie in concreto, il paraît à peu près évident que la dualité judiciaire du chef de l'Etat manque aux objectifs de modernisation et de moralisation de la vie politique française, qui certes ne se limite pas au droit, mais dont le droit constitue une donnée incontournable.


(1) CEDH, 14 mars 2013, Req. 26118/10 (N° Lexbase : A6606I9K) ; lire "Casse toi, pov'con" : le délit d'offense au Président de la République méconnaît la liberté d'expression - Questions à Dominique Noguères, avocate au barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 282 du 27 mars 2013 - édition publique (N° Lexbase : N6358BTN).
(2) Voir infra, point 2.
(3) CA Versailles, 9ème ch., 8 janvier 2010, n° 09/02791 (N° Lexbase : A6211EQ4).
(4) Ass. plén., 15 juin 2012, n° 10-85.678, P+B+R+I (N° Lexbase : A8936INB).
(5) Ass. plén., 10 octobre 2001, n° 01-84.922 (N° Lexbase : A1629AWA).

newsid:436876

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.