La lettre juridique n°784 du 23 mai 2019 : Droit financier

[Textes] La réglementation des initial coin offerings (ICO) en France par la loi «PACTE»

Réf. : Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises (N° Lexbase : L3415LQK)

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[Textes] La réglementation des initial coin offerings (ICO) en France par la loi «PACTE». Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/51430539-textes-la-reglementation-des-initial-coin-offerings-ico-en-france-par-la-loi-pacte
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par Hubert de Vauplane et Victor Charpiat, avocats, Kramer Levin LLP

le 23 Mai 2019

Les initial coin offerings («ICO») sont-elles déjà passées de mode ? Selon la plateforme d’échange de crypto-actifs BitMex, les sommes levées par le biais d’ICO au premier trimestre 2019 sont en baisse de 97 % par rapport au premier trimestre 2018 [1]. Dans une crypto-économie en perpétuelle évolution, les grands acteurs ont depuis de longs mois inventé de nouveaux acronymes, comme STO (pour security token offering -une offre de tokens ayant des caractéristiques proches de celles des titres financiers-) ou IEO (pour initial exchange offering -une ICO directement réalisée sur une plateforme d’échange de crypto-actifs-), pour attirer les investisseurs vers leurs levées de fonds.

 

Qu’importe, le calendrier législatif n’est pas celui des innovations technologico-financières. La loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (loi «PACTE»), qui crée un cadre réglementaire pour les ICO (francisées en «offres de jetons») et les prestataires de services sur actifs numériques, est le résultat d’un long processus législatif et politique initié durant le second semestre 2017, en parallèle de la fièvre spéculative qui a vu le cours du Bitcoin passer d’environ 2 000 euros à 17 000 euros entre juillet 2017 et décembre 2017 et les fonds levés par le biais d’ICO atteindre des records. Dès le mois d’octobre 2017, l’Autorité des marchés financiers (AMF) avait lancé une consultation sur la nécessité de créer un cadre ad-hoc pour les ICO [2]. L’AMF avait au même moment créé en interne un programme de suivi dédié aux ICO : le programme «UNICORN» [3]. Il était ressorti de la consultation d’octobre 2017 une volonté de donner aux ICO un cadre réglementaire adapté, à même de favoriser le développement d’une «crypto-économie» française saine et régulée [4]. C’est notamment sur la base de cette consultation qu’a été élaboré le cadre législatif initialement intégré dans le projet de loi «PACTE» à l’article 26.

 

D’abord limité à la définition du cadre législatif des ICO, le projet de loi «PACTE» a été enrichi d’un article établissant un régime réglementaire pour les prestataires de services sur actifs numériques lors de la première lecture par l’Assemblée nationale [5]. Par la suite, le Sénat y a ajouté un article précisant l’application des règles relatives au démarchage aux offres de jetons et aux actifs numériques [6].

 

La loi «PACTE» crée donc dans le Code monétaire et financier un nouveau chapitre dédié aux émetteurs de jetons [7]. Ceux-ci partageront le titre V du livre V avec les intermédiaires en biens divers,  clin d’œil involontaire à ceux qui avaient suggéré que, en l’absence de cadre législatif, la qualification la plus adaptée aux offres de jetons était l’activité d’intermédiation en biens divers [8]. Les détails et modalités de ce régime seront contenus dans un nouveau chapitre du règlement général de l’AMF (RG AMF) [9].

 

Le jeton est désormais défini par l’article L. 552-2 du Code monétaire et financier comme «tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien». Les actifs numériques, définis à l’article L. 54-10-1, recouvrent quant à eux un champ plus large : ils comprennent d’une part les jetons, et d’autre part, «toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement».

 

L’offre au public de jetons est quant à elle définie par l’article L. 552-3 comme le fait de proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à des jetons.

 

La loi «PACTE» crée donc un nouveau mode de financement réglementé, strictement distinct des offres au public de titres financiers (I). Le visa de l’AMF, optionnel, peut être obtenu dans le cadre d’une procédure simplifiée inspirée de la procédure classique du prospectus (II). L’obtention du visa emporte plusieurs effets juridiques, mais n’a aucun effet extraterritorial (III). Enfin, la loi «PACTE» précise les sanctions pénales et réglementaires applicables aux émetteurs de jetons (IV).

 

I - Le champ d’application du régime des offres au public de jetons

 

A - La distinction stricte entre les offres au public de jetons et les offres de titres financiers

 

Le nouvel article L. 552-1 du Code monétaire et financier précise que les dispositions relatives aux offres au public de jetons «s’appliquent à toute offre de jetons qui n’est pas régie par les livres Ier à IV, le chapitre VIII du titre IV du [livre V] ou le chapitre Ier du [titre V]». Est ainsi établie une distinction claire entre les offres au public de jetons et tous les autres modes de financement réglementés par le Code monétaire et financier, et notamment l’offre au public de titres financiers [10], les offres de titres exemptées en vertu de l’article L. 411-2 (N° Lexbase : L3763I3R), ou les levées de fonds relevant du financement participatif. Aucune offre de titres financiers ne peut donc être structurée sous la forme d’une offre de jetons.

 

Cette précision est cruciale car de nombreux acteurs de la crypto-économie considèrent déjà le financement direct des entreprises par le biais de l’émission de jetons comme la nouvelle frontière de l’innovation financière. Il s’agit ici des «security tokens», qui font déjà l’objet de nombreux débats et dont la définition n’est pas aisée. Selon certains, doivent être considérés comme des security tokens les titres financiers classiques inscrits sur une blockchain (ou plutôt un «dispositif d’enregistrement électronique partagé») conformément au régime issu de l’ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 (N° Lexbase : L5575LHX) et de son décret d’application n° 2018-1226 du 24 décembre 2018 (N° Lexbase : L5595LNK) [11]. Pourtant, il peut également être soutenu que l’enregistrement sur une blockchain n’est qu’une modalité technique d’inscription du titre financier qui ne change pas sa nature. Il faudrait alors voir dans les security tokens un hybride entre les titres financiers et les jetons au sens de l’article L. 552-2, ou plus précisément un jeton «remplissant les caractéristiques des instruments financiers», pour reprendre la terminologie de l’article L. 54-10-1, qui définit les actifs numériques. En effet, cette définition (utilisée pour le régime des prestataires de services sur actifs numériques) suggère explicitement que certains jetons pourraient remplir «les caractéristiques des instruments financiers ou des bons de caisse». De tels jetons ne pourraient toutefois pas être qualifiés d’actifs numériques -précisément parce que la qualification qui l’emporterait serait celle d’instrument financier-.

 

Si le traitement des security tokens est pour l’instant clarifié par cet article, la communauté française des crypto-actifs s’attend à ce que l’AMF prenne publiquement position sur cette nouvelle notion et fasse part de son analyse de l’application du droit français aux security tokens.

 

B - Offres de jetons et cercle restreint de souscripteurs

 

Le second alinéa de l’article L. 552-3 précise que «ne constitue pas une offre au public de jetons l’offre de jetons ouverte à la souscription par un nombre limité de personnes agissant pour compte propre». Ce nombre sera fixé ultérieurement par le RG AMF. On reconnaît ici un régime similaire à l’exemption au régime de l’offre au public de titres financiers dite du «cercle restreint» [12]. Une petite différence toutefois : là où l’offre de titres financiers ne bénéficie de l’exemption que lorsqu’elle est «adressée exclusivement» à un cercle restreint d’investisseurs, l’offre de jetons exemptée est celle qui est «ouverte à la souscription». Il serait donc théoriquement possible de contacter un nombre d’investisseurs supérieur au seuil défini par le RG AMF, dès lors que le nombre final de souscripteurs resterait limité.

 

L’utilité de cette exemption semble limitée, dans la mesure où l’obtention du visa n’est pas obligatoire. Il n’est ainsi pas interdit à une entité française ou étrangère de réaliser une offre au public de jetons en France sans solliciter le visa de l’AMF. En outre, en ce qui concerne l’application de la réglementation relative au démarchage aux offres au public de jetons (décrite en détail ci-dessous), le fait de bénéficier de l’exemption de l’article L. 552-3 n’autorise pas pour autant l’émetteur à démarcher des investisseurs potentiels. En effet, l’article L. 341-10, 6° du Code monétaire et financier interdit tout démarchage sur les actifs numériques, à l’exception notamment des «jetons proposés dans le cadre d’une offre au public ayant obtenu le visa» de l’AMF. Il en ressort que le démarchage relatif à une offre de jetons adressée à un cercle restreint de souscripteurs est interdit – -ce qui, au demeurant, est tout à fait logique-.

 

Notons enfin que la rédaction de l’article L. 411-2 du Code monétaire et financier s’apprête à être revue dans le cadre de l’entrée en vigueur du Règlement (UE) n° 2017/1129 du 14 juin 2017, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé (N° Lexbase : L0645LGY le Règlement «Prospectus») le 21 juillet 2019. La consultation publique lancée par la direction générale du Trésor [13] propose en effet de remplacer les énumérations négatives de l’article L. 411-2 («Ne constitue pas une offre au public au sens de l’article L. 411-1 l’offre qui […]») par une formule comme : «Par dérogation aux dispositions de l’article précédent, mais sans préjudice du principe d’interdiction d’émettre des titres négociables, les offres au public suivantes sont autorisées à toutes personnes ou entités : […]». Il sera donc peut-être nécessaire d’envisager une réécriture du deuxième alinéa de l’article L. 552-3 sur le même modèle.

 

II - La procédure d’obtention du visa

 

A - Le dépôt et le contenu de la demande de visa

 

Comme précisé ci-dessus, la demande de visa est une faculté, et non une obligation [14]. En l’absence de l’obtention d’un visa, rien n’interdit la tenue en France d’une offre au public de jetons.

 

La procédure s’apparente à une demande simplifiée de visa sur un prospectus. L’émetteur désireux d’obtenir le visa, qui est tenu d’être implanté en France (si nécessaire sous la forme d’une filiale ou d’une succursale [15]  -l’idée étant de favoriser le développement de l’industrie française des crypto-actifs-), dépose à l’AMF un projet de document d’information «destiné à donner toute information utile au public sur l’offre proposée et sur l’émetteur» [16]. Ce document peut être rédigé en anglais, à condition d’être accompagné d’un résumé en français [17].

 

Le document d’information doit présenter un contenu exact, clair et non trompeur et permettre de comprendre les risques afférents à l’offre [18]. Il doit, en outre, indiquer les conditions dans lesquelles une information sera fournie annuellement aux souscripteurs sur l’utilisation des actifs recueillis [19]. Cette référence aux «actifs recueillis» et non aux «sommes recueillies» permet d’autoriser les levées de fonds en crypto-actifs (qui représentent la méthode privilégiée de levée de fonds par ICO [20]), sans pour autant empêcher les levées en monnaie ayant cours légal.

 

L’AMF examine ensuite la documentation fournie et «vérifie si l’offre envisagée présente les garanties exigées d’une offre destinée au public» [21]. L’AMF doit notamment s’assurer que l’émetteur «met en place tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre» [22]. Cette condition résulte du fait que, lors de la flambée spéculative du second semestre 2017, de nombreuses ICO se sont révélées être partiellement frauduleuses, quand elles n’étaient pas tout simplement des arnaques. En outre, de nombreux émetteurs d’ICO ont été victimes d’attaques informatiques, débouchant parfois sur le vol des crypto-actifs recueillis lors de l’offre. Ce risque de vol ou d’arnaque est très spécifique aux levées de fonds en crypto-actifs, car les transactions portant sur les principaux crypto-actifs sont irréversibles (sauf conditions très particulières).

 

L’AMF appose ensuite son visa sur le document d’information dans un délai qui sera défini par le RG AMF [23]. Les modalités de la demande de visa, les pièces nécessaires à l’instruction du dossier et le contenu du document d’information seront aussi précisés par le RG AMF [24].

 

Le pouvoir de contrôle de l’AMF ne s’arrête pas au document d’information. L’alinéa 4 de l’article L. 552-5 précise que l’AMF examine également «les projets de communication à caractère promotionnel destinées au public postérieurement à la délivrance du visa». En outre, l’alinéa selon lequel le document d’information doit présenter un contenu exact, clair, non trompeur et permettant de comprendre les risques afférents à l’offre s’applique aussi aux communications à caractère promotionnel.

 

Cette revue par l’AMF des communications promotionnelles a suscité des critiques au sein de la communauté française des crypto-actifs. En effet, un émetteur ayant déposé une demande de visa aurait en principe l’interdiction de communiquer sur son projet d’ICO avant l’obtention du visa, alors que cette procédure serait susceptible de durer plusieurs mois. Cette limitation semble peu compatible avec le caractère très fluctuant de l’économie des crypto-actifs et pourrait dissuader certains acteurs de s’implanter en France pour déposer une demande de visa. Toutefois, il serait théoriquement possible pour de tels acteurs de communiquer sur leur future offre dans le cadre de l’exemption du cercle restreint décrite ci-dessus. L’articulation entre ces dispositions devra être précisée par l’AMF.

 

B - La communication des résultats de l’offre

 

Une fois le visa obtenu et l’offre achevée, les souscripteurs doivent être informés des résultats de celle-ci [25]. L’article précise que les souscripteurs doivent également être informés, le cas échéant, de l’organisation d’un marché secondaire des jetons. Cette mention est particulièrement importante car elle entérine le fait que l’attractivité des ICO tient en particulier à la possibilité pour les émetteurs de garantir la cotation des jetons sur une plateforme d’échange de crypto-actifs dans un délai très court après la fin de l’offre.

 

L’article ne donne aucune précision sur la nature du marché secondaire sur lequel pourront être cotés les jetons. Des précisions pourront être formulées par le RG AMF. En l’état, il est intéressant de relever que cette mention ne fait pas référence à l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier, qui décrit les différents services sur actifs numériques, et parmi lesquels se trouve «l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques». Ainsi, l’article L. 552-7 du Code monétaire et financier semble adopter une position agnostique vis-à-vis de la cotation des jetons sur un marché secondaire, en n’imposant pas qu’ils soient cotés sur une plateforme exploitée par un prestataire de services sur actifs numériques titulaire d’un agrément conformément à l’article L. 54-10-5. En principe, donc, les jetons pourront être cotés sur toute plateforme adaptée, en France ou à l’étranger, même si celle-ci ne dispose d’aucun statut réglementaire particulier.

 

C - Le retrait du visa

 

L’AMF sera en mesure de retirer son visa si elle constate que l’offre «n’est plus conforme au contenu du document d’information ou ne présente plus les garanties prévues à l’article L. 552-5» [26]. Le retrait du visa pourra être réalisé à titre définitif ou «jusqu’à ce que l’émetteur satisfasse de nouveau aux conditions du visa». L’AMF aura aussi la faculté d’ordonner «qu’il soit mis fin à toute communication concernant l’offre faisant état de son visa». Les détails de cette procédure seront précisés par le RG AMF.

 

L’AMF disposera enfin de la faculté de faire des déclarations publiques nominatives en cas de diffusion par une entité ayant sollicité ou non un visa d’informations «comportant des indications inexactes ou trompeuses concernant la délivrance du visa, sa portée ou ses conséquences» [27].

 

III - Les effets juridiques de l’obtention du visa

 

Le visa optionnel de l’AMF sur les offres au public de jetons a d’abord été pensé comme un facteur d’attractivité de la France dans le cadre de l’économie mondiale des crypto-actifs. Le visa est considéré comme un label de qualité, à même de favoriser la réussite de la levée de fonds en France et à l’étranger, grâce à la crédibilité et la réputation de l’AMF. L’obtention du visa emporte aussi naturellement certains effets juridiques, bien qu’elle reste dépourvue d’effet extraterritorial.

 

A - Obtention du visa et démarchage

 

1° - Les règles applicables au démarchage public et financier

 

La possibilité pour les émetteurs de jetons ayant obtenu le visa de l’AMF de réaliser des actes de démarchage bancaire ou financier est le principal effet juridique attaché à l’obtention du visa. Les dispositions relatives au démarchage ont été introduites par amendement lors de la lecture par le Sénat [28], c’est-à-dire assez tardivement dans le processus législatif.

 

L’acte de démarchage est défini par l’article L. 341-1 du Code monétaire et financier comme «toute prise de contact non sollicitée, par quelque moyen que ce soit, avec une personne physique ou une personne morale déterminée, en vue d'obtenir, de sa part, un accord» sur divers types d’opérations financières ou bancaires, relatives notamment à des instruments financiers, des services d’investissement ou des opérations de banque. La définition de l’acte de démarchage est étendue par la loi «PACTE» aux prises de contact relatives à «la réalisation d’une opération sur un des actifs numériques mentionnés à l’article L. 54-10-1, notamment dans le cadre d’une offre au public de jetons» [29].

 

Cette modification de l’article L. 341-1 est logiquement accompagnée de celle de l’article L. 341-3, qui établit la liste des entités ou personnes autorisées à se livrer à l’activité de démarchage. Les émetteurs de jetons ayant obtenu le visa de l’AMF sont donc inclus dans cette liste [30].

 

En outre, comme évoqué ci-dessus, l’article L. 341-10, qui établit la liste des produits ne pouvant pas faire l’objet de démarchage, est enrichi d’un alinéa précisant que ne peuvent faire l’objet de démarchage les jetons proposés dans le cadre d’une offre au public n’ayant pas obtenu le visa de l’AMF [31].

 

L’article L. 341-16, IV, relatif au délai de réflexion obligatoire de quarante-huit heures bénéficiant aux personnes démarchées, est également étendu à la fourniture des actifs numériques mentionnés à l’article L. 54-10-1 (ce qui inclut les jetons  -qu’ils aient fait l’objet ou non d’une demande de visa-). Par conséquent, les entités se livrant au démarchage sur des offres au public de jetons ayant obtenu le visa auront l’interdiction de recueillir des ordres ou des fonds de la part des personnes démarchées avant l’expiration du délai de réflexion de quarante-huit heures.

 

D’autres articles relatifs au démarchage sont aussi modifiés par souci de cohérence.

 

2° - Les règles applicables aux contrats conclus à distance portant sur des services financiers

 

Ce panorama de l’intégration des offres de jetons dans le cadre juridique protégeant les investisseurs individuels contre le démarchage ne serait pas complet sans la mention de la modification de deux dispositions appartenant au Code de la consommation.

 

Tout d’abord, l’article L. 222-16-1 du Code de la consommation est modifié de manière à interdire «toute publicité, directe ou indirecte, diffusée par voie électronique, ayant pour objet d’inviter une personne, par le biais d’un formulaire de réponse ou de contact, à demander ou à fournir des informations complémentaires, ou à établir une relation avec l’annonceur, en vue d’obtenir son accord pour la réalisation d’une opération relative à […] une offre au public de jetons», sauf lorsque l’annonceur a obtenu un visa sur son offre. Cette disposition réduit les facultés de communication des émetteurs de jetons n’ayant pas obtenu le visa de l’AMF, sans pour autant leur interdire de recourir à la publicité en ligne pour promouvoir leur offre. En effet, l’article n’empêche pas toute forme de publicité en ligne, mais seulement celles «ayant pour objet» d’inviter le destinataire, par le biais d’un formulaire de réponse ou de contact, à entrer en contact avec l’émetteur en vue d’établir une relation avec celui-ci ou de demander des informations complémentaires. Il sera nécessaire, ici aussi, de préciser les limites concrètes de cette interdiction, car, en pratique, toutes les publicités en ligne contiennent un lien hypertexte vers le site de l’annonceur. Or, ce site contient généralement un encart invitant le visiteur à communiquer son adresse électronique, afin par exemple de recevoir une newsletter.

 

Enfin, la loi «PACTE» modifie l’article L. 222-16-2 du Code de la consommation, qui prohibe les opérations de parrainage et de mécénat «ayant pour objet ou pour effet la publicité, directe ou indirecte, en faveur de services d'investissement portant sur les contrats financiers définis à l'article L. 533-12-7 du Code monétaire et financier» (l’article L. 533-12-7 fait référence aux contrats dont le risque maximal n’est pas connu au moment de la souscription, dont le risque de perte est supérieur au montant de l’apport financier initial, ou dont le risque de perte rapporté aux avantages éventuels correspondants n'est pas raisonnablement compréhensible au regard de la nature particulière du contrat financier proposé.) Les opérations de parrainage et de mécénat interdites incluent désormais celles portant sur les offres au public de jetons, «sauf lorsque le parrain ou le mécène a obtenu le visa» de l’AMF.

 

B - Un accès facilité à un compte bancaire

 

Parmi les autres effets juridiques de l’obtention du visa figure l’accès facilité à un compte bancaire pour l’émetteur. La loi «PACTE» impose désormais aux établissements de crédit de mettre en place «des règles objectives, non discriminatoires et proportionnées pour régir l’accès des émetteurs de jetons ayant obtenu le visa mentionné à l’article L. 552-4 […] aux services de comptes de dépôt et de paiement qu’ils tiennent» [32]. L’article renforce cette obligation en précisant que ces émetteurs doivent pouvoir «recourir à ces services de manière efficace et sans entraves». En cas de refus des établissements de crédit, l’émetteur de jetons disposera de voies de recours qui seront précisées par décret, et qui pourraient s’inspirer de la procédure du droit au compte définie à l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9624LGK). Enfin, l’établissement de crédit récalcitrant devra communiquer les raisons de son refus à l’AMF et à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution [33].

 

Cette disposition incitera probablement de nombreux émetteurs à déposer une demande de visa au lieu d’opter pour une offre au public de jetons dépourvue de visa. L’accès au compte bancaire et aux services bancaires est en effet un frein récurrent au développement des acteurs français de l’économie des crypto-actifs. De nombreuses banques, pour des raisons de politique interne de conformité, refusent en effet d’ouvrir des comptes aux entreprises ayant réalisé une ICO ou ayant une activité liée aux crypto-actifs [34]. Il arrive également fréquemment que des comptes préalablement ouverts se retrouvent bloqués voire fermés lorsque la banque s’aperçoit que son client a développé une activité liée aux crypto-actifs.

 

Dans le texte voté en première lecture par l’Assemblée nationale figurait un alinéa supplémentaire permettant aux émetteurs de jetons rencontrant des difficultés persistantes d’accès aux services de dépôt et de paiement d’ouvrir un compte bancaire auprès de la Caisse des dépôts et consignations [35]. Cet alinéa a fait l’objet d’une vive contestation de la part de la Caisse des dépôts et consignations [36] et a été ensuite supprimé lors de la première lecture par le Sénat.

 

C - L’assujettissement aux obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

 

Autre effet juridique aux vastes conséquences, les émetteurs de jetons ayant obtenu le visa seront désormais assujettis aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme [37]. Cet assujettissement sera limité aux «transactions avec les souscripteurs prenant part à [l’] offre». On comprend que l’objectif du législateur est ici d’imposer aux émetteurs de contrôler la provenance des crypto-actifs recueillis dans le cadre de l’offre, afin d’éviter que les offres de jetons bénéficiant du visa soient utilisées dans des schémas de blanchiment.

 

L’AMF sera l’autorité chargée de contrôler le respect par ces émetteurs de leurs obligations relatives à la lutte contre le blanchiment [38].

 

D - L’absence de reconnaissance internationale du visa de l’AMF

 

Enfin, il est important de préciser que l’obtention du visa n’a aucun effet extraterritorial. En l’absence d’une réglementation européenne unifiée, le visa apposé par l’AMF ne dispose d’aucune forme de reconnaissance de la part des autorités de régulation des autres états membres de l’Union européenne. En pratique, l’émetteur de jetons ayant obtenu le visa et désirant commercialiser ses jetons à l’étranger devrait, dans chaque pays, se conformer à la réglementation applicable en matière d’offres de jetons. En l’absence d’une telle réglementation, il devra respecter les règles générales applicables à la vente de biens à distance.

 

Il est toutefois utile de noter qu’une réflexion sur l’élaboration d’une réglementation européenne dédiée aux ICO a été engagée au niveau européen à la suite de la publication le 9 janvier 2019 par l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) d’un rapport sur les crypto-actifs [39]. Prenant acte de l’élaboration par la France et certains autres états membres (comme Malte) de régimes réglementaires ad-hoc pour les crypto-actifs et les ICO, l’ESMA a fait part de son inquiétude que ces démarches ne permettent pas la création d’un cadre homogène dans l’Union européenne. Le régime issu de la loi «PACTE» risquerait donc d’être dans quelques années contredit par une réglementation européenne issue des travaux de l’ESMA [40].

 

Conscient probablement de ce risque, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a confirmé le 15 avril 2019, lors du Paris Blockchain Week Summit, son intention de défendre «la mise en place d’un cadre unique de régulation des crypto-actifs inspiré de l’expérience française au niveau européen» [41]. Le régime issu de la loi «PACTE» aura donc peut-être le privilège d’inspirer la réglementation européenne des ICO.

 

IV - Sanctions pénales et réglementaires

 

La loi «PACTE» ajoute une section consacrée aux émetteurs de jetons dans le titre du livre V du Code monétaire et financier relatif aux dispositions pénales. Cette section contient le seul article L. 572-27, qui punit de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende «le fait, pour toute personne procédant à une offre au public de jetons au sens de l’article L. 552-3, de diffuser des informations comportant des indications inexactes ou trompeuses ou d’utiliser une dénomination, une raison sociale, une publicité ou tout autre procédé laissant croire qu’elle a obtenu le visa prévu à l’article L. 552-4».

 

L’article L. 572-27 doit être rapproché de la nouvelle rédaction du I de l’article L. 621-13-5 du Code monétaire et financier, qui permettra au président de l’AMF d’adresser une mise en demeure aux opérateurs procédant à une offre au public de jetons «qui diffusent des informations comportant des indications inexactes ou trompeuses ou utilisent une dénomination, une raison sociale, une publicité ou tout autre procédé laissant croire qu’ils ont obtenu le visa prévu à l’article L. 552-4».

 

Enfin, en ce qui concerne les sanctions réglementaires, la loi «PACTE» modifie l’article L. 621-15, II du Code monétaire et financier, relatif aux sanctions que peut prononcer la Commission des sanctions de l’AMF. La Commission des sanctions aura désormais le pouvoir de sanctionner «toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s’est livrée ou a tenté de se livrer à la diffusion d'une fausse information ou s’est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 621-14, lors […] d’une offre de jetons pour laquelle l’émetteur a sollicité le visa prévu à l’article L. 552-4». Dans la mesure où la référence à la diffusion d’une fausse information est inopérante en ce qui concerne les offres de jetons, il convient de se référer aux manquements visés au premier alinéa du II de l’article L. 621-14. Ceux-ci sont particulièrement nombreux : ils couvrent notamment «tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs, au bon fonctionnement des marchés ou à tout autre manquement aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme».

 

[1] BitMex, Initial Exchange Offerings, 13 mai 2019.

[2] AMF, consultation publique de l’AMF sur les Initial Coin Offerings (ICOs), 26 octobre 2017.

[3] AMF, communiqué de presse du 26 octobre 2017. 

[4] AMF, synthèse des réponses à la consultation publique portant sur les Initial Coin Offerings (ICO) et point d’étape sur le programme  «UNICORN», 22 février 2018.

[5] Article 26 bis A du texte adopté par l’Assemblée nationale le 9 octobre 2018.

[6] Article 26 bis B du texte adopté par le Sénat le 12 février 2019.

[7] Ce chapitre contient les articles L. 552-1 à L. 552-7.

[8] AMF, Synthèse des réponses à la consultation publique portant sur les Initial Coin Offerings (ICO) et point d’étape sur le programme " «UNICORN», 22 février 2018, préc., p. 10 : «De façon générale, les observations des répondants rejoignent pour l’essentiel l’analyse de l’AMF, dans son document de consultation, selon laquelle les ICO présentent des caractéristiques comparables à des offres de biens divers».

D’un avis contraire : Th. Bonneau, «Tokens», titres financiers ou biens divers ?, RD Bancaire et fin., 2018, repère 1.

[9] L’article L. 621-7 précise désormais que « [l]e règlement général de l'Autorité des marchés financiers détermine notamment : […] Les règles qui s’imposent aux émetteurs de jetons, au sens du chapitre II du titre V du livre V du présent code».

[10] Le régime de l’offre au public de titres financiers, défini par les articles L. 411-1 (N° Lexbase : L6070ICS) et suivants du Code monétaire et financier, relève du livre IV.

[11] J. Sutour et K. Lachgar, L’avènement des Securities Token Offerings de droit français - décret du 24 décembre 2018, Option Finance, 21 janvier 2019

[12] C. mon. fin., art. L. 411-2, II (N° Lexbase : L3763I3R): «Ne constitue pas une offre au public au sens de l'article L. 411-1 l'offre qui s'adresse exclusivement : […] 2. A des investisseurs qualifiés ou à un cercle restreint d'investisseurs, sous réserve que ces investisseurs agissent pour compte propre».

Le plafond du cercle restreint est fixé à 150 personnes (C. mon. fin., art.  D. 411-4 N° Lexbase : L3900IUY).

[13] Direction générale du Trésor, article du 17 avril 2019.

[14] C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 1er.

[15] C. mon. fin., art. L. 552-5, 1°.

[16]  C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 2.

[17] C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 3.

[18] C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 4.

[19] C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 4.

[20] Traditionnellement, les émetteurs d’ICO émettent leurs jetons en échange de bitcoins ou d’ethers. D’autres crypto-actifs moins répandus peuvent être acceptés selon les préférences des porteurs du projet.

[21] C. mon. fin., art. L. 552-5, al. 1er.

[22] C. mon. fin., art. L. 552-5, 2°.

[23] C. mon. fin., art. L. 552-5, al. 4.

[24] C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 5.

[25]  C. mon. fin., art. L. 552-7.

[26] C. mon. fin., art. L. 552-6, al. 1er.

[27] C. mon. fin., art. L. 552-6, al. 2.

[28] Amendement n° COM-538 présenté par le sénateur Jean-Paul Husson, 15 janvier 2019

[29]  C. mon. fin., art. L. 341-1, 8°.

[30]  C. mon. fin., art. L. 341-3, 7°.

[31] C. mon. fin., art. L. 341-10, 6°.

[32] C. mon. fin., art. L. 312-23, al. 2.

[33]  C. mon. fin., art. L. 312-23, al. 3.

[34] Les difficultés rencontrées par les utilisateurs de crypto-actifs (s’agissant en l’occurrence de particuliers) ont par exemple fait l’objet d’un sondage par l’association CryptoFR : Journal du Coin, Les banques & Bitcoin : plus de 500 réponses au sondage de l’AssoCryptoFR, 6 mai 2019.

[35] Projet de loi «PACTE», art. 26, 13°.

[37]  C. mon. fin., art. L. 561-2, 7° ter.

[38]  C. mon. fin., art. L. 561-36, 2°.

[39] ESMA, Advice - Initial Coin Offerings and Crypto-Assets, 9 janvier 2019.

[40] F. Drummond, Les superviseurs européens s'invitent dans la discussion de la loi PACTE sur les jetons et actifs numériques, Bull. Joly Bourse, janvier 2019, p. 1.

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