La lettre juridique n°434 du 31 mars 2011 : Droit du sport

[Doctrine] "Affaire de la banderole" : la CEDH ne souhaite pas la bienvenue aux supporters parisiens

Réf. : CEDH, 22 février 2011, Req. 6468/09 (N° Lexbase : A1377G77)

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 15 Février 2012

Les juges de Strasbourg, s'ils n'ont peut-être pas tous visionné la comédie de Dany Boon "Bienvenue chez les Ch'tis" qui a triomphé en France il y a trois ans, se sont, toutefois, montrés particulièrement sourcilleux à l'égard du respect dû à la population du Nord-Pas-de-Calais, que des supporters du Paris Saint-Germain avaient copieusement injuriée par banderole interposée à l'occasion d'un match opposant leur équipe fétiche à celle du RC Lens, outrage s'étant déroulé devant la France entière puisque la rencontre avait été diffusée à la télévision. Ce fait d'armes aura été le dernier de l"Association nouvelle des Boulogne Boys", qui s'était déjà signalée par de nombreux débordements, le chef du Gouvernement ayant ensuite pris un décret actant leur dissolution, décision confirmée par le juge administratif français, puis par le juge européen le 22 février 2011. Si ces multiples décisions ne suffiront peut-être pas à ramener le calme à l'intérieur et en dehors du parc des Princes (de nombreux supporters du PSG demeurant particulièrement "remuants"), elles sont l'occasion de revenir sur la conciliation entre le respect des libertés d'association et d'expression, d'une part, et la nécessaire interdiction des propos injurieux ou diffamatoires à l'encontre de certaines catégories de la population, d'autre part. Il faut dire que les antécédents du club de supporters en cause ne plaidaient pas en sa faveur : de 2006 à 2008, des membres de l'association requérante, forte d'environ 600 supporters, s'étaient rendus coupables de jets de projectiles sur les forces de l'ordre, et avaient participé à des faits graves de violence sur des policiers ou des supporters des équipes adverses. En 2010, à l'occasion de cette fameuse soirée de finale de la coupe de la Ligue opposant les équipes de Lens et du Paris Saint-Germain au stade de France, une banderole contenant les inscriptions "pédophiles, chômeurs, consanguins, bienvenue chez les Ch'tis" fut déployée dans les tribunes où siégeaient les supporters parisiens. A la suite de ce nouvel incident, le Premier ministre décida de dissoudre l'association requérante par un décret du 17 avril 2008 (décret portant dissolution d'une association N° Lexbase : L5009IP9), se fondant, notamment, sur les dispositions de l'article L. 332-18 du Code du sport (N° Lexbase : L6119IGQ). Créé par la loi n° 2006-784 du 5 juillet 2006, relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives (N° Lexbase : L1814HKE), et modifié par la loi la loi du 2 mars 2010, renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public (loi n° 2010-201 N° Lexbase : L6036IGN), ses dispositions prévoient cette possibilité de dissolution en cas d'"actes répétés et d'une particulière gravité et qui sont constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d'incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée [...]". Dans une décision rendue le 25 juillet 2008, le Conseil d'Etat avait confirmé cette mesure de dissolution (CE 2° et 7° s-s-r., 25 juillet 2008, n° 315723, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7938D9U). C'en était donc fini de l'existence de l'"Association nouvelle des Boulogne Boys" sur le territoire national.

Toutefois, si une telle mesure a logiquement pour objectif d'éliminer le débat et d'entraîner une privation du droit à la liberté d'expression, la jurisprudence européenne permet à une formation dissoute sur le territoire national de poursuivre son combat devant la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 30 juin 2009, Req. 25803/04 N° Lexbase : A2769HL7), même si celle-ci est assez peu étoffée sur la dissolution d'associations, hormis pour les partis politiques (CEDH, 13 février 2003, Req. 41340/98 N° Lexbase : A0425A7U) ou les groupes religieux (CEDH, 5 octobre 2006, Req. 72881/01 N° Lexbase : A2770HL8). Les juges strasbourgeois rejettent donc, en l'espèce, le grief tiré d'une éventuelle inexactitude des faits reprochés à l'association de supporters. La constatation, par les autorités nationales et européennes de la relation temporelle et causale avec une manifestation sportive, des actes commis en réunion, constitutifs de dégradation de biens ou de violence sur les personnes, et de manière répétée, aura donc été fatale à l'association requérante qui voit la mesure nationale de dissolution confirmée par les juges européens. Ceux-ci estiment, en effet, que le droit à un procès équitable a bien été respecté (I), et que la dissolution de l'"Association nouvelle des Boulogne Boys" est fondée sur la nécessité de faire respecter l'ordre public (II).

I - Une décision de dissolution qui respecte les impératifs procéduraux

Invoquant l'article 6 §§ 1 et 3 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), l'association requérante se plaignait de ne pas avoir disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense devant la commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives (la commission), le délai de six jours imparti à son président pour présenter ses observations, étant, selon elle, trop court. Or, le rôle de la commission se limitant à recueillir les observations et à émettre, ensuite, un avis consultatif au Premier ministre, l'on était donc pas en présence d'une contestation au sens de l'article 6 de la Convention, lequel ne peut donc trouver à s'appliquer, en l'espèce, au caractère exclusivement consultatif de la commission. En cas d'instances ayant un pouvoir véritablement décisionnel, à l'inverse, les dispositions de l'article 6 devront impérativement être respectées, notamment quant à l'impartialité de cette commission. Le requérant doit alors être en mesure de s'assurer de l'absence d'un lien éventuel de l'un des membres de la commission avec la partie en cause, susceptible de vicier la procédure (CEDH, 20 janvier 2011, Req. 30183/06 N° Lexbase : A0835GQY). Concernant l'applicabilité stricto sensu de l'article 6 à la procédure suivie devant la commission, la Cour constate d'emblée que le volet pénal de l'article 6 n'est pas applicable en l'espèce puisque la procédure ne porte pas sur une "accusation en matière pénale". Quant à l'applicabilité du volet civil de cette disposition, les juges strasbourgeois indiquent que la notion de "contestations sur [des] droits et obligations de caractère civil" couvre toute procédure dont l'issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé (CEDH, 16 juillet 1971, Req. 2614/65 N° Lexbase : A5087AY3).

L'on peut remarquer que juge administratif français se montre moins pointilleux quant au respect de cette impartialité. Il juge, en effet, que la dissolution ou la suspension d'une association de supporters d'un club sportif professionnel présente le caractère d'une mesure de police administrative. La conséquence est que le principe général des droits de la défense ne leur est pas applicable en l'absence de texte, pas davantage que les stipulations de l'article 6 § 1 de la Convention. La circonstance que l'association dissoute n'a pas été mise à même de répliquer aux observations présentées de manière écrite ou orale, par des représentants du préfet de police, n'entache pas d'irrégularité l'avis émis par la commission (CE référé, 13 juillet 2010, n° 339257, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3247E4Z et n° 339293, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3248E43).

En outre, la Cour de Strasbourg, rappelant que les autorités nationales sont mieux à même d'apprécier la portée de tels faits s'étant déroulés sur leur territoire (CEDH, 16 décembre 2010, Req. 25579/05 N° Lexbase : A2929GNS), observe que le décret litigieux n'apparaît pas insuffisamment motivé. Il fait, en effet, mention de plusieurs événements violents dans lesquels plusieurs membres de l'association requérante ont pris part, événements qui ont tous été commis en relation, ou à l'occasion, de manifestations sportives. Ainsi, dans la décision du 25 juillet 2008 précitée, la Haute juridiction administrative avait estimé que "l'auteur du décret attaqué, qui ne s'est pas fondé sur des faits matériellement inexacts et qui n'était pas tenu d'identifier individuellement les membres de l'association auteurs des agissements mentionnés ci-dessus, a fait une exacte application des dispositions précitées de l'article L. 332-18 du Code du sport, et n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'association au regard des motifs d'intérêt général qui justifiaient cette mesure".

II - Une ingérence dans la liberté d'association proportionnée aux conditions posées par la CESDH

L'on ne peut nier que la mesure de dissolution constitue, effectivement, une ingérence dans le droit de la requérante à sa liberté d'association protégé par l'article 11 de la Convention (N° Lexbase : L4744AQR), aux termes duquel "toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association [...]", ingérence qui ne peut être autorisée que si elle répond aux exigences du paragraphe 2 de ce même article 11, à savoir les mesures nécessaires "à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui". C'était bien le cas en l'espèce, puisque la mesure contestée était prévue par la loi, en l'occurrence l'article L. 332-18 du Code du sport, et poursuivait un but légitime, à savoir la protection de l'ordre public. Toute la question était de savoir si cette ingérence devait être considérée comme proportionnée. A cet égard, la Cour observe que les faits reprochés à plusieurs des membres du club de supporters mis en cause sont particulièrement graves et constitutifs de troubles à l'ordre public. Elle rappelle qu'en marge de plusieurs matches de football, des incidents ont opposé des membres de l'association aux forces de l'ordre. Plus particulièrement, au terme d'un match entre le Paris Saint-Germain et l'équipe de Tel-Aviv en novembre 2006, cent cinquante supporters parisiens ont commis des actes de violence à l'encontre des supporters israéliens ; des affrontements ont eu lieu à cette occasion, qui se sont terminés par l'attaque d'un policier tombé au sol. Enfin, la Cour ne peut que constater que les termes contenus dans la banderole déployée au stade de France le 29 mars 2008 étaient particulièrement injurieux à l'égard d'une certaine catégorie de la population.

En France, les juges du Palais-Royal avaient adopté des positions de la même sévérité à l'occasion de plusieurs affaires de dissolution d'associations de supporters de la même équipe de football en 2010 (CE référé, 13 juillet 2010, n° 339257, publié au recueil Lebon et n° 339293, inédit au recueil Lebon, précités). Dans ces derniers cas, cependant, les faits incriminés avaient abouti à la mort d'une personne, le degré de gravité constaté étant donc sans commune mesure avec le déploiement d'une banderole au goût douteux. Ils présentent, toutefois, selon le Conseil d'Etat, le caractère d'un acte d'une particulière gravité au sens de l'article L. 332-18 du Code du sport, justifiant à lui seul la dissolution de l'association. Le Conseil en conclut logiquement qu'une telle dissolution ne constituait pas une mesure excessive et disproportionnée au regard des risques pour l'ordre public que présentaient les agissements de certains des membres de l'association. Certains pourront évoquer un affaiblissement de la liberté d'association, un des piliers les plus importants de la vie démocratique d'un pays. L'on peut rappeler que, dans une décision datant de 1971, le Conseil constitutionnel avait déjà écarté une loi qui avait méconnu le principe de la liberté d'association, considéré comme un "principe fondamental reconnu par les lois de la République" (Cons. const., décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971 N° Lexbase : A7886AC3). Cependant, cette liberté n'a jamais été absolue car, dès l'entre-deux-guerres, le législateur a permis la dissolution "de toutes les associations ou groupements de fait [...] qui provoqueraient à des manifestations armées dans la rue [...] ou qui auraient pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou d'attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement [...]". Les juges administratifs et judiciaires n'ont, d'ailleurs, jamais hésité à faire usage de ces dispositions pour mettre fin aux agissements de groupes politiques extrémistes (CE 9° et 10° s-s-r., 17 novembre 2006, n° 296214, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5509DST ; CE 10° et 7° s-s-r., 8 septembre 1995, n° 155161, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5486ANI ; TGI Paris, ord. réf., 8 août 2002, n° 02/57758 N° Lexbase : A2178AZP).

Par ailleurs, d'autres groupes de supporters du Paris Saint-Germain ayant eu à subir les foudres du Conseil d'Etat se sont vu refuser le recours au Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la dissolution de ces associations ayant commis des violences n'ayant pas été transmise à la rue de Montpensier (CE 2° et 7° s-s-r., 8 octobre 2010, n° 340849, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3560GBH). Cette dissolution, répondant à la nécessité de sauvegarder l'ordre public, avait été considérée comme n'emportant, par ailleurs, aucune atteinte à la liberté individuelle ou à la séparation des pouvoirs. Toutefois, et c'est là le point fondamental de divergence avec l'affaire dite "de la banderole", étaient en cause "des actes graves ou répétés de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d'incitation à la haine ou à la discrimination". Concernant la banderole "anti-ch'tis", il aurait pu être plaidé une atteinte à la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la Convention (N° Lexbase : L4743AQQ) (CEDH, 21 janvier 1999, Req. 29183/95 N° Lexbase : A7713AWL), même si celle-ci est utilisée pour proférer des stupidités. Par la présente décision, les juges de la Cour européenne des droits de l'Homme continuent donc de délimiter strictement les contours de la liberté d'expression tels qu'ils la conçoivent, bannissant, notamment, tout discours pouvant inciter à la haine raciale (CEDH, 20 avril 2010, Req. 18788/09 N° Lexbase : A0656EXL), laquelle peut même englober l'appel au boycott d'un Etat (CEDH, 16 juillet 2009, Req. 10883/05 N° Lexbase : A8882EIS). Elle accepte, cependant, que tout individu qui s'engage dans un débat public d'intérêt général puisse recourir à une certaine dose d'exagération, voire de provocation (CEDH, 7 novembre 2006, Req. 12697/03 N° Lexbase : A1924DS3). L'on peut simplement espérer qu'à l'avenir, la volonté légitime des juges strasbourgeois de protéger telle ou telle catégorie de la population d'attaques verbales ne les poussera pas à mettre la liberté d'expression trop souvent hors-jeu...

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