La lettre juridique n°399 du 17 juin 2010 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Juin 2010

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ont été sélectionnés, ce mois-ci, deux arrêts rendus par la Cour de cassation et tous deux promis aux honneurs de son Bulletin. Tout d'abord, dans le premier arrêt rendu le 11 mai 2010, ayant trait à la publicité des opérations de crédit-bail, la Chambre commerciale met en évidence deux points : d'une part, au regard des dispositions du Code monétaire et financier, la publicité de l'opération de crédit-bail qui ne permet pas l'identification des parties et des biens est sanctionnée au même titre que l'absence totale de publicité et conduit donc à une inopposabilité du droit de propriété du crédit-bailleur, et, d'autre part, l'inopposabilité du droit de propriété du crédit-bailleur mobilier posée par le Code monétaire et financier ne doit pas être confondue avec celle posée en tant que sanction du défaut de revendication.. Ensuite, dans le second arrêt sélectionné cette semaine et daté du 26 mai 2010, la Chambre commerciale répond à la question inédite de savoir si l'effet interruptif de prescription lié à la déclaration de créance au passif subsiste nonobstant la réformation de la décision d'ouverture de la procédure collective.
  • La sanction de l'absence de publicité régulière du contrat de crédit-bail (Cass. com., 11 mai 2010, n° 09-14.048, F-P+B N° Lexbase : A1706EXH)

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu, le 11 mai 2010, un arrêt ayant trait à la publicité des opérations de crédit-bail. Les liquidateurs judiciaires seront sans doute vivement intéressés par cette décision qui effrayera tout autant les établissements de crédit.

Dans l'espèce commentée, régie par les dispositions de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), un artisan avait signé avec un crédit-bailleur un contrat portant sur un véhicule utilitaire. Le contrat avait fait l'objet de la publicité, imposée par le Code monétaire et financier, auprès du greffe du tribunal de commerce. Fort de cette publicité, le crédit-bailleur avait, par suite du redressement puis de la liquidation judiciaires du crédit-preneur, sollicité la restitution du véhicule. Les juges du fond avaient cependant refusé d'ordonner la restitution au motif que la publicité n'avait pas été régulièrement effectuée. En effet, plusieurs erreurs avaient été commises sur l'identification du cocontractant : le contrat était au nom de "Patrick K'Nevez", alors que la publicité avait été faite au nom de "Bernard Nevez", il mentionnait "11 Croix de Charles" alors que la publicité indiquait "lieudit Lasserre", le contrat indiquait "33210 Roaillan" cependant que la publicité faisait état de "33730 Noaillan". De ces erreurs, il était résulté que l'état des inscriptions de crédit-bail obtenu du greffe du tribunal de commerce par le mandataire judiciaire était vierge.
Les juges en avaient déduit que les créanciers du débiteur n'avaient pas eu connaissance du contrat qui était donc inopposable aux créanciers ainsi qu'au mandataire judiciaire. Le crédit-bailleur s'était pourvu en cassation en soutenant, d'une part, que les "simples erreurs" dans la publicité ne pouvaient pas être assimilées à un défaut de publicité et que, d'autre part, l'option exercée pour la continuation du contrat de crédit-bail emportait reconnaissance du droit de propriété du crédit-bailleur sur les biens objet des contrats sans que celui-ci n'ait à exercer l'action en revendication prévue à l'article L. 624-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3492ICC).

La Chambre commerciale a rejeté le pourvoi par un arrêt dont la solution, quoique sévère pour le crédit-bailleur, doit être parfaitement approuvée au regard des dispositions législatives et réglementaires entourant la publicité des opérations de crédit-bail.

Cet arrêt met en évidence deux points :
- d'une part, au regard des dispositions du Code monétaire et financier, la publicité de l'opération de crédit-bail, qui ne permet pas l'identification des parties et des biens, est sanctionnée au même titre que l'absence totale de publicité et conduit donc à une inopposabilité du droit de propriété du crédit-bailleur (I) ;
- et, d'autre part, l'inopposabilité du droit de propriété du crédit-bailleur mobilier posée par le Code monétaire et financier ne doit pas être confondue avec celle posée en tant que sanction du défaut de revendication (II).

I - L'assimilation de l'irrégularité de la publicité à l'absence de publicité

Aux termes des dispositions de l'article L. 624-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L5569HDM), "le propriétaire d'un bien est dispensé de faire reconnaître son droit de propriété lorsque le contrat portant sur ce bien a fait l'objet d'une publicité". La justification de ce traitement de faveur est simple : puisque la publicité assure à elle seule l'opposabilité du droit de propriété, il est inutile de soumettre le propriétaire à une demande en revendication, laquelle a précisément pour objet de faire reconnaître opposable le droit de propriété à l'égard de la procédure collective.

Certains contrats, tel le contrat de crédit-bail, sont obligatoirement publiés aux fins d'opposabilité. En effet, aux termes des dispositions de l'article L. 313-10 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2972G9X), les opérations de crédit-bail "sont soumises à une publicité dont les modalités sont fixées par décret. Ce décret précise les conditions dans lesquelles le défaut de publicité entraîne l'inopposabilité aux tiers".
La publicité des opérations de crédit-bail est règlementée de façon très détaillée. Ainsi que le précise l'article R. 313-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5047HCW), elle "doit permettre l'identification des parties et des biens faisant l'objet de ces opérations", selon des modalités précisées, en matière de crédit-bail mobilier, aux articles R. 313-4 (N° Lexbase : L5049HCY) à R. 313-6.

Au sujet de l'identification du preneur, qui pose difficulté en l'espèce, l'article 2 de l'arrêté du 4 juillet 1972 prévoit que : "Les bordereaux d'inscription comportent les renseignements suivants : [...] 2° Sur les clients de ces entreprises [de crédit-bail] : [...] d) s'il s'agit d'une personne physique non commerçante : ses nom, prénoms, domicile et profession, ainsi que l'adresse du ou des lieux où elle est établie pour l'exercice de l'activité pour les besoins de laquelle a été souscrit le crédit-bail".
Ces renseignements permettent l'identification du preneur. En cas de discussion relative à cette identification, la question est laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond. Il semble parfaitement logique de considérer que dès lors que l'état des inscriptions de crédit-bail est vierge, cela signifie que, sauf erreur du greffe, la publicité des opérations de crédit-bail ne permet pas l'identification du crédit-preneur, et n'est donc pas régulière. C'est en ce sens que s'étaient, à juste titre, prononcés les juges du fond (1) dans l'espèce rapportée.
L'absence de publicité régulière est sévèrement sanctionnée, puisqu'aux termes des dispositions de l'article R. 313-10 du Code monétaire et financier, "si les formalités de publicité n'ont pas été accomplies dans les conditions fixées aux articles R. 313-4 à R. 313-6, l'entreprise de crédit-bail ne peut opposer aux créanciers ou ayants cause à titre onéreux de son client, ses droits sur les biens dont elle a conservé la propriété, sauf si elle établit que les intéressés avaient eu connaissance de l'existence de ces droits", cette dernière preuve étant quasiment impossible à rapporter en pratique. Ainsi, l'irrégularité de la publicité qui ne permettrait pas l'identification des parties ou des biens objets de l'opération est équipollente à une absence de publicité : elle est sanctionnée par l'inopposabilité du droit de propriété du crédit-bailleur à l'égard des créanciers du preneur et de leur représentant (mandataire judiciaire ou liquidateur).

II - L'absence d'assimilation de l'inopposabilité visée par le Code de commerce à celle posée par le Code monétaire et financier

L'inopposabilité du droit de propriété posée par le Code monétaire et financier ne doit cependant pas être confondue avec l'inopposabilité du droit de propriété résultant de l'absence de revendication imposée au propriétaire par l'article L. 624-9 du Code de commerce.

Leurs fondements sont radicalement différents de sorte qu'elles ne peuvent être assimilées. Le propriétaire se trouve dans l'une de ces situations :
- soit il aura régulièrement procédé à la publicité de son contrat et il sera alors dispensé de présenter une demande en revendication car son droit de propriété sera, du fait de cette publicité, opposable aux créanciers ainsi qu'au mandataire judiciaire qui représente ces derniers (cf. C. com., art. L. 624-10) ;
- soit il n'aura pas procédé à la publicité de son contrat ou y aura procédé irrégulièrement. L'article L. 624-9 du Code de commerce oblige alors tous les propriétaires n'ayant pas publié leur contrat (ou l'ayant irrégulièrement publié, ce qui revient au même) à faire reconnaître leur droit de propriété en présentant une demande en revendication. Cependant, pour que cette demande prospère, encore faut-il que le droit de propriété du revendiquant ne soit pas frappé par une inopposabilité en application d'un texte extérieur au droit des entreprises en difficulté, en l'occurrence, l'article R. 313-10 du Code monétaire et financier relatif au crédit-bail mobilier. Il ne servirait alors à rien au crédit-bailleur de présenter une demande en revendication car l'inopposabilité de son droit de propriété résultant de l'article R. 313-10 du Code monétaire et financier rendrait cette démarche inutile, le juge ne pouvant que constater cette inopposabilité "spéciale", extérieure au livre VI du Code de commerce.

Ainsi, point de salut pour le crédit-bailleur n'ayant pas régulièrement publié son contrat : l'exercice d'une action en revendication plutôt qu'une demande en restitution, ne peut pas constituer une deuxième chance pour lui. Il ne servait donc à rien de soutenir, comme tentait de le faire le malheureux propriétaire dans son pourvoi, que le crédit-bailleur -soumis à la revendication du fait de l'irrégularité de la publicité- était finalement dispensé de revendiquer dans la mesure où le contrat avait été poursuivi puis résilié par le liquidateur, qui avait ainsi reconnu "sans équivoque le droit de propriété du crédit-bailleur sur le matériel loué sans que celui-ci ait à exercer l'action en revendication prévue à l'article L 624-9 du Code de commerce" (2). En effet, l'inopposabilité frappant, en l'espèce, le crédit-bailleur n'est pas celle résultant de l'absence de revendication obligatoire posée par le Code de commerce mais celle issue d'un défaut de publicité imposée par le Code monétaire et financier.

Les deux protagonistes que sont les crédit-bailleurs et les liquidateurs devront donc faire preuve d'une extrême vigilance :
- les uns, en veillant à une publication régulière du contrat, gage d'opposabilité de leur droit ;
- les autres, en vérifiant le caractère régulier de la publicité pour, le cas échéant, soulever une inopposabilité du droit propriété du crédit-bailleur et ainsi augmenter les actifs du débiteur à liquider.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon

  • Réformation du jugement d'ouverture et interruption de la prescription liée à la déclaration de créance et à l'assignation en redressement judiciaire (Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-10.852, F-P+B N° Lexbase : A7246EXN)

Selon une jurisprudence aujourd'hui bien établie, la déclaration de créances équivaut à une demande en justice. Tirant les conséquences de cette analyse, la Cour de cassation devait logiquement décider que la déclaration de créances produit un effet important de cette demande en justice, celui d'interruption de la prescription (3).
Cet effet interruptif joue, non seulement, dans les rapports entre le créancier et le débiteur, mais également dans les rapports entre le créancier et le garant du débiteur, que ce dernier soit une caution (4), un codébiteur, ou encore une personne ayant affecté un bien en garantie de la dette du débiteur (5), autrefois dénommée caution réelle.

Cet effet interruptif de prescription se comprend : par l'effet du jugement d'ouverture, le créancier ne peut plus obtenir paiement d'une créance antérieure. Il ne peut davantage agir en justice contre le débiteur pour obtenir la condamnation de ce dernier au paiement. Corollaire de cette confiscation de droits au préjudice du créancier, ce dernier doit déclarer sa créance au passif.
Il est heureux que la Cour de cassation ait fait produire un effet interruptif de prescription à la déclaration de créance. Dans le cas contraire, la solution aurait été curieuse, car le créancier aurait été privé du droit d'agir en justice pour obtenir condamnation du débiteur au paiement, sans pouvoir, en contrepartie, interrompre la prescription.

La présente espèce nous donne l'occasion de réfléchir sur un aspect particulier de cet effet interruptif de prescription lié à la déclaration de créance au passif : subsiste-t-il nonobstant la réformation de la décision d'ouverture de la procédure collective ? C'est à cette question, inédite à notre connaissance, que répond, dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation.

En l'espèce, une banque consent des prêts à deux époux, pour les besoins de leur exploitation agricole. Une société civile agricole (SCA), en 1979, achète l'exploitation des époux, moyennant, d'une part, un prêt consenti par la même banque et, d'autre part, l'engagement de prise en charge des quatre prêts consentis aux époux par la banque. 
En 1990, la SCA est déclarée en redressement judiciaire. Mais ce jugement d'ouverture est infirmé en 1991. En 1994, la banque assigne la SCA en redressement judiciaire et déclare sa créance au passif. La créance est admise en 1996. Le jugement d'ouverture, frappé d'appel, est confirmé par la cour d'appel. Mais, en 2000, l'arrêt est cassé sans renvoi, déclarant irrecevable la demande d'ouverture de redressement judiciaire (Cass. com., 26 avril 2000, n° 96-22.509, Société Domaine de la Verane, société civile agricole c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) Alpes Provence et autres, inédit N° Lexbase : A5598C3Q). Par arrêt du même jour, l'arrêt ayant admis la créance de la banque au passif est cassé (Cass. com., 26 avril 2000, n° 96-22.511, Société civile agricole (SCA) Domaine de la Vérane c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) Alpes-Provence et autres, inédit N° Lexbase : A5599C3R).
En 2002, la banque assigne à nouveau la SCA en redressement judiciaire. La banque déclare sa créance, laquelle est admise au passif en 2007. Devant la cour d'appel, statuant sur appel de l'admission au passif intervenue, la SCA débitrice entend soulever la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la créance. La cour d'appel ne fait pas droit à cet argument qui, en revanche, va trouver écho devant la Cour de cassation. Cette dernière va statuer en deux points, qui présentent un égal intérêt.
La Cour de cassation a d'abord décidé que "l'assignation signifiée au débiteur par le créancier aux fins d'ouverture d'une procédure collective, qui contient implicitement une demande de reconnaissance du droit de ce dernier, constitue une citation en justice au sens du premier de ces textes [C. civ., art. 2244 N° Lexbase : L7178IA4] et interrompt la prescription ; que si la demande du créancier est rejetée ou déclarée irrecevable, l'interruption de la prescription doit être regardée comme non avenue".

Ainsi, l'assignation en ouverture d'une procédure collective est-elle interruptive de prescription. La précision est intéressante. Certes, objectera-t-on, cette interruption de prescription fait double emploi avec celle attachée à la déclaration de créance au passif. Mais l'affirmation peut présenter un intérêt si le créancier, après avoir assigné en redressement ou en liquidation judiciaire, oublie de déclarer sa créance. Celle-ci, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, n'est plus éteinte. L'effet d'interruption de prescription pourra alors être précieux pour le créancier, qui serait en droit de reprendre ses poursuites individuelles, après clôture de la procédure collective. La solution ne sera pas possible après complète exécution du plan de sauvegarde ou de redressement. Elle sera, en revanche, possible en cas de résolution du plan et autorisera, en conséquence, dans la procédure collective subséquemment ouverte, le créancier à déclarer sa créance au passif, sans que puisse lui être opposée la prescription, puisque pendant toute la durée de la procédure collective, il aura été dans l'impossibilité d'agir en justice pour obtenir paiement. Le créancier pourrait également reprendre ses poursuites après clôture de la liquidation judiciaire pour extinction du passif exigible. Il peut aussi reprendre ses poursuites après clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire, s'il se trouve dans l'un des cas exceptionnels de reprise des poursuites individuelles.

L'interruption de la prescription liée à l'assignation en redressement ou en liquidation judiciaire ne vaut toutefois, selon la Cour de cassation, que pour autant que le jugement d'ouverture n'est pas ensuite remis en cause. Si la demande d'assignation en ouverture de procédure collective émanant du créancier est rejetée ou déclarée irrecevable, l'interruption de prescription est non avenue.

Dans un deuxième temps, la Cour de cassation va affirmer que l'arrêt qui a déclaré irrecevable la demande de la banque tendant à obtenir l'ouverture du redressement judiciaire de la SCA a rendu non avenue l'interruption de la prescription (attachée à la déclaration de créance au passif).
La précision est importante et, à première vue, peut sembler convaincante. Si la Cour de cassation déclare irrecevable la demande d'ouverture de la procédure collective, par voie de conséquence, la décision d'admission au passif doit être anéantie et, plus encore, la déclaration de créance au passif cesse de produire un effet interruptif de prescription puisqu'aucune conséquence attachée à l'ouverture de la procédure collective ne peut plus désormais prospérer. C'est bien le sens de l'alinéa 2 de l'article 625 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6784H7E), qui énonce que la cassation "entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire". La procédure de déclaration et d'admission des créances est bien, à cet égard, la suite du jugement d'ouverture de la procédure collective. Si ce dernier est anéanti, se trouvent identiquement anéantis la décision d'admission au passif et les effets attachés non seulement à cette admission, par exemple l'interversion de prescription, mais encore ceux attachés à la déclaration de créance, et notamment l'effet interruptif de la prescription. Ainsi, les règles de la procédure civile conduisent-elles naturellement à la solution posée.

Pour autant, il importe de remarquer la très curieuse situation -que l'on peut qualifier d'ubuesque par son caractère profondément injuste- du créancier.
En l'espèce, en 1994, le créancier a déclaré sa créance et la décision qui a déclaré irrecevable l'ouverture de la procédure collective n'intervient qu'en l'an 2000. Pendant six ans, le créancier a été privé du droit d'ester en justice pour obtenir condamnation de son débiteur à payer, du fait de l'existence de la procédure collective. Pendant ce laps de temps, il peut donc être soutenu que la prescription ne peut courir contre le créancier, du fait de son impossibilité d'agir en justice. Le créancier aurait donc pu invoquer le principe général selon lequel la prescription ne peut pas courir contre une personne privée du droit d'agir. C'est la règle "contra non valentem".

Il apparaît, en effet, bien difficile de reprocher à un créancier de ne pas avoir agi justice pour empêcher le jeu de la prescription, alors précisément qu'il ne pouvait plus ester en justice, pour faire condamner son débiteur au paiement, dès lors qu'il avait décidé de l'assigner en redressement judiciaire. Pendant tout le cours de la procédure collective, sa demande était irrecevable. En outre, la règle du subsidiaire interdit au créancier d'agir simultanément en ouverture d'une procédure collective et en paiement. Le créancier, en l'espèce, aurait donc dû soulever le principe "contra non valentem", puisqu'il ne pouvait agir en justice pour interrompre une prescription, dès lors que la procédure collective était ouverte et que, en outre, le créancier ne pouvait, sans méconnaître l'interdiction du subsidiaire, assigner à titre principal en redressement ou en liquidation judiciaire, et à titre subsidiaire en paiement, ou inversement.

La solution a été rendue en l'état de la législation antérieure à la loi du 17 juin 2008 (loi n° 2008-561, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I), qui a modifié le droit de la prescription. Désormais, le principe "contra non valentem" est inscrit dans le Code civil. En effet, l'article 2234 du Code civil (N° Lexbase : L7219IAM) dispose que "la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure". En l'espèce, incontestablement, l'impossibilité d'agir du créancier résultait de la loi, et plus exactement de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles liée à l'ouverture de la procédure collective, pendant tout le cours de celle-ci.

Le créancier aurait donc été inspiré de soulever cet argument, qui constituait, à l'époque un principe général de droit et qui, depuis la loi du 17 juin 2008, est une disposition de notre Code civil.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) V., cependant, contra Cass. com. 16 mai 1995, deux arrêts, n° 93-15.041, M. Gérard Bouillot, mandataire-administrateur c/ Compagnie générale de location (CGL) (N° Lexbase : A8571AGK) et n° 93-15.042, M. Gérard Bouillot, mandataire administrateur c/ Compagnie générale de location CGL (N° Lexbase : A8572AGL) : en l'espèce, le locataire était désigné, dans le bordereau de publication, "Brigaud" au lieu de "Brigand", et son adresse contenait également une erreur (4 route de "Beaurainy", au lieu de "Beauraing"). Alors même que le greffe avait délivré un état "néant" des inscriptions du chef de Brigand Alain, les juges du fond ont souverainement estimé que le seul fait que le greffe délivre un état vierge d'inscription de crédit-bail au vu des coordonnées du crédit-preneur ne faisait pas irréfragablement présumer l'existence d'une publicité ne permettant pas l'identification du crédit-preneur. Cette solution est éminemment critiquable car dès lors que l'état des inscriptions est vierge, la publicité n'a manifestement pas pu porter le contrat à la connaissance des tiers, de sorte que le droit de propriété du crédit-bailleur doit être inopposable.
(2) Au demeurant, au lendemain de l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT), la doctrine n'est pas unanime sur la question de savoir si la revendication continue à devoir s'imposer lorsque, à l'intérieur du délai de l'action, l'organe compétent aura opté pour la continuation du contrat en cours. Pour une réponse affirmative, v. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2010/2011, n° 813.54 ; pour une réponse négative, v. Ph. Pétel, Le nouveau droit des entreprises en difficulté : acte II - commentaire de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, JCP éd. E, 2009, 1049, n° 37.
(3) Cass. com., 28 juin 1994, n° 92-13.477, Compagnie Préservatrice Foncière c/ M. Lecourtois et autres, publié au Bulletin (N° Lexbase : A6894ABX), Bull. civ. IV, n° 240, Rev. proc. coll., 1995, 315, n° 10, obs. B. Dureuil ; Cass. com., 12 décembre 1995, n° 94-12.793, Receveur principal des Impôts de Lyon (6e) c/ Consorts Recchia, publié au Bulletin (N° Lexbase : A1383ABT), Bull. civ. IV, n° 299 ; JCP éd. E, 1996, II, 829, note J. Brandeau ; Cass com., 15 mars 2005, n° 03-17.783, M. Pierre Maturana c/ Société Union matériaux, FS-P+B (N° Lexbase : A3022DHE), Bull. civ. IV, n° 63, D., 2005, AJ p. 1286, obs. A. Lienhard, D., 2005, somm. comm. p. 2016, obs. F.-X. Lucas, JCP éd. E, 2005, chron. 1860, p. 2205, n° 7, obs. Ph. Delebecque et Ph. Simler, et nos obs in Entreprises en difficulté : panorama de jurisprudence du troisième trimestre 2005 (1ère partie), Lexbase Hebdo n° 187 du 27 octobre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N9939AIX).
(4) Cass. com., 24 septembre 2003, n° 00-19.689, Banque nationale de Paris Paribas (BNP-Paribas) c/ Mme Diane Tiphaine, épouse Dubois, F-D (N° Lexbase : A6185C9X) ; Act. proc. coll., 2003/19, n° 242.
(5) Cass. com., 17 novembre 2009, n° 08-16.605, Société générale, FS-P+B (N° Lexbase : A7449EN9), D., 2009, AJ p. 2805, note A. Lienhard ; Gaz. pal., 8 à 10 janvier 2010, n° 8 et 9, p. 39, nos obs. ; Act. proc. coll., 2010/1, n° 9, note P. Cagnoli.

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