La lettre juridique n°308 du 12 juin 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Nouvelle illustration de l'obligation de sécurité du salarié

Réf. : Cass. soc., 28 mai 2008, n° 06-40.629, Société Verreries du Courval, F-D (N° Lexbase : A7813D8U)

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par Gwenaëlle Marie, Secrétaire générale de rédaction - Droit social

le 07 Octobre 2010



Le chef d'entreprise ou un éventuel délégataire de pouvoirs n'est pas le seul à être dépositaire d'une obligation de sécurité, le salarié étant tenu, également, d'une obligation de sécurité pour lui-même mais, aussi, à l'égard de ses collègues de travail. Depuis un arrêt très largement publié du 28 février 2002 (1), cette obligation est même assortie d'une possibilité de sanction disciplinaire. Dès lors, on n'est pas surpris que la Haute juridiction, dans un arrêt du 28 mai 2008, énonce que "les manquements à l'obligation faite à un salarié de prendre soin de sa sécurité et de sa santé, ainsi que de celle des autres personnes, du fait de ses actes ou de ses omissions au travail, engagent sa responsabilité et peuvent constituer une faute grave" (2). Tandis que la cour d'appel prend en compte le fait que le salarié n'ait jamais fait l'objet de la moindre sanction disciplinaire, alors qu'il jouissait d'une ancienneté conséquente, pour ne pas retenir, à son encontre, la faute grave (I), la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel et rappelle avec force l'obligation de sécurité du salarié qui lui est imposée par l'article L. 230-3 du Code du travail (N° Lexbase : L5947ACA, art. L. 4122-1, recod. N° Lexbase : L1759HXG) (II).
Résumé


Les manquements à l'obligation faite à un salarié de prendre soin de sa sécurité et de sa santé, ainsi que de celle des autres personnes, du fait de ses actes ou de ses omissions au travail, engagent sa responsabilité et peuvent constituer une faute grave.


Commentaire


I La possible incidence de l'ancienneté et du fait unique sur la qualification de la faute grave


Il convient de rappeler que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis (3). La faute grave fait perdre au salarié l'indemnité de préavis et celle de licenciement (C. trav., art. L. 122-6 N° Lexbase : L5556ACR, art. L. 1234-1, recod. N° Lexbase : L9977HWG ; art. L. 122-8 N° Lexbase : L5558ACT, art. L. 1234-4 et s., recod. N° Lexbase : L9980HWK et art. L. 122-9 N° Lexbase : L5559ACU, art. L. 1234-9, recod. N° Lexbase : L9985HWQ).


En l'espèce, un salarié de la société Verreries du Courval qui l'employait en qualité d'emballeur au décor, a été licencié pour faute grave, le 13 novembre 2003, au motif que, malgré des consignes précises de sécurité qui lui avaient été personnellement données, il a circulé assis sur un chariot électrique de manutention dans une usine exploitant du verre, ce qui constituait un danger pour lui-même et les autres salariés.


La cour d'appel de Rouen, dans un arrêt prononcé le 13 décembre 2005, ne retient ni la faute grave du salarié, ni même que les faits sont susceptibles de justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse, car elle prend en compte deux éléments qui, classiquement, influencent la qualification de la faute grave, à savoir, d'une part, l'ancienneté du salarié et, d'autre part, le fait unique (4).


Il apparaît, dans de très nombreuses décisions, que l'ancienneté du salarié dans l'entreprise peut avoir comme conséquence d'atténuer la gravité de la faute (5). Ainsi, le refus d'exécuter les travaux d'entretien ne constitue pas une faute grave du salarié, dès lors que, âgé de 58 ans, il avait plus de 24 ans d'ancienneté sans jamais avoir fait l'objet de reproches (6). De même, ne commet pas une faute grave un salarié qui, comptant une ancienneté de 22 ans, refuse de porter un équipement de protection deux jours de suite, d'autant moins qu'il finit par se conformer aux directives de l'employeur (7). Dans le même sens, le refus par le salarié, qui a bénéficié pendant 21 ans d'un horaire réduit, de revenir à l'horaire initial, n'est pas de nature à rendre impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis et ne constitue pas une faute grave (8).


Le fait que le salarié commette une faute pour la première fois est, également, régulièrement pris en compte par la Haute juridiction. Ainsi, par exemple, elle a considéré que ne constitue pas une faute grave, la faible valeur des remises de prix que le salarié s'est irrégulièrement octroyées sur deux articles, car l'intéressé n'avait fait l'objet d'aucune sanction avant le licenciement (9). Un visiteur médical qui présente à son employeur une fausse facture en vue de se faire rembourser des frais de repas qu'il n'avait pas engagés dans l'intérêt du laboratoire et persiste dans ses dénégations lors de l'entretien préalable mettant, ainsi, en cause la probité des médecins contactés, ne commet pas, non plus, une faute grave, car le fait occasionnel reproché au salarié, qui n'avait jamais fait l'objet de reproches pour des faits similaires, et la modicité du préjudice causé au laboratoire ne caractérisent pas un comportement rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis (10).

L'arrêt de la cour d'appel de Rouen est cassé par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui affirme, au contraire, que le licenciement est fondé sur une faute grave pour manquement aux règles de sécurité.


II Le licenciement pour manquement aux règles de sécurité


Rendue, notamment, au visa de l'article L. 230-3 du Code du travail (art. L. 4122-1, recod.), issu de la loi du 31 décembre 1991 (N° Lexbase : L8301AIB), qui transpose dans notre législation la Directive 89/391 du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (N° Lexbase : L9900AU9), cette décision doit être approuvée.

En effet, selon l'article précité, conformément aux instructions qui lui sont données par l'employeur ou le chef d'établissement (et dans les conditions prévues par le règlement intérieur pour les entreprises qui y sont assujetties), il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail. Par conséquent, l'article L. 230-3 du Code du travail (art. L. 4122-1, recod.) contient, à la fois pour les salariés, une obligation de respecter les instructions de l'employeur, ce que, en l'espèce, le salarié avait enfreint, se moquant "des consignes précises de sécurité qui lui avaient été personnellement données" et une obligation de vigilance à l'égard de sa sécurité et de celle de ses collègues, ce que le salarié n'avait pas non plus pris en compte.


Une jurisprudence abondante et constante nous invite, d'ailleurs, à considérer que constitue une faute disciplinaire grave, tout manquement à une obligation d'hygiène (11) ou de sécurité. La Haute juridiction décide, par exemple, qu'un salarié qui s'endort sur son lieu de travail alors qu'il est gardien de nuit, compte tenu de la nature de son travail, viole les consignes de sécurité et commet, dans ce cas, une faute grave (12). De même, le chauffeur qui dépasse la vitesse autorisée ou ne respecte pas les temps de pauses obligatoires commet une faute disciplinaire (13). Plus récemment, la Cour a pu décider que le salarié qui refuse de présenter son sac ouvert et de décliner son identité, alors que la mesure est justifiée par des circonstances de sécurité commet une faute qui peut être sanctionnée (14) ou, encore, qu'un chef de chantier est tenu de porter son casque de sécurité obligatoire (15).


Ainsi, la décision commentée se situe dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour suprême qui condamne la désobéissance du salarié en matière de sécurité.


(1) Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-41.220, M. Roland Deschler c/ Société Textar France, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0693AYC), RJS 5/02, n° 582 ; Dr. soc., 2002, p. 533 avec les obs. de R. Vatinet, En marge des "affaires de l'amiante" : l'obligation de sécurité du salarié.
(2) V., dans le même sens, Cass. soc., 6 juin 2007, n° 05-45.984, Société Tape à l'oeil, F-D (N° Lexbase : A7877DWN) ; Cass. soc., 23 mars 2005, n° 03-42.404, M. Michel Levrat c/ Société SATRAS, F-P+B (N° Lexbase : A4236DHD), V. les obs. de G. Auzero, L'obligation de sécurité du salarié ou l'importance du port du casque !, Lexbase Hebdo n° 162 du 7 avril 2005 édition sociale (N° Lexbase : N2746AIK).
(3) Cass. soc., 26 février 1991, n° 88-44.908, M. Vaz c/ Compagnie d'armatures préfabriquées industrielles (N° Lexbase : A9347AAG), Bull. civ. V, n° 97.
(4) Les qualités professionnelles du salarié peuvent, également, atténuer la qualification de sa faute disciplinaire.
(5) Cass. soc., 14 mai 1987, n° 84-41.837, Fondation d'action sociale et culturelle du pays de Montbéliard, dite l'Arc-en-Ciel, et autre c/ M. Juncker (N° Lexbase : A7400AAC) ; Cass. soc., 10 décembre 2003, n° 01-44.732, M. Frédéric Derhy c/ M. Jean-Luc Pochan, FS-D (N° Lexbase : A4286DAY).
(6) Cass. soc., 26 mars 2003, n° 01-40.385, M. Abdelhafid Bouanaka c/ Société Pec Rhin, F-D (N° Lexbase : A5792A7N).
(7) Cass. soc., 9 octobre 2002, n° 00-44.297, Société Lifting Color c/ M. M'Hand Houfel, F-D (N° Lexbase : A9702AZD).
(8) Cass. soc., 18 février 2004, n° 01-45.890, Mme Simone Damprunt c/ Société Aproval, F-D (N° Lexbase : A3168DBX).
(9) Cass. soc., 5 janvier 2005, n° 02-45.013, Société Service automobile Carrefour c/ M. Luc Pilorget, F-D (N° Lexbase : A8694DEQ).
(10) Cass. soc., 12 juillet 2005, n° 03-44.368, M. Stéphane Natur c/ Société Laboratoires Schwarz Pharma, F-D (N° Lexbase : A9246DIB).
(11) Cass. soc., 5 décembre 2006, n° 04-41.199, Crédit industriel et commercial, F-D (N° Lexbase : A8276DSC).
(12) Cass. soc., 20 juillet 1977, n° 76-40.646, SA Sécurité du Centre c/ Fievet (N° Lexbase : A9078AAH).
(13) Cass. soc., 3 avril 1996, n° 94-44.610, M. Patrick Desmiers c/ Société Transports Goyault, société anonyme (N° Lexbase : A4113AAL) et Cass. soc., 22 juillet 1982, n° 80-41.011, Martin c/ SA Société Centrale de Produits Organiques (N° Lexbase : A1081ABN).
(14) Cass. soc., 3 avril 2001, n° 98-45.818, M. Sarrasin et autre c/ Société Métropole télévision M 6 (N° Lexbase : A2001ATB), v. A. Olivier, Le contrôle de sécurité à l'encontre des salariés d'une entreprise, Le quotidien Lexbase / Legalnews du 17 avril 2001 .
(15) Cass. soc., 23 mars 2005, n° 03-42.404, précit..


Décision


Cass. soc., 28 mai 2008, n° 06-40.629, Société Verreries du Courval, F-D (N° Lexbase : A7813D8U)


Cassation de CA de Rouen, 13 décembre 2005


Textes visés : C. trav., art. L. 122-6 (N° Lexbase : L5556ACR, art. L. 1234-1, recod. N° Lexbase : L9977HWG), L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT, art. L. 1234-4 et s., recod. N° Lexbase : L9980HWK), L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU, art. L. 1234-9, recod. N° Lexbase : L9985HWQ) et L. 230-3 (N° Lexbase : L5947ACA, art. L. 4122-1, recod. N° Lexbase : L1759HXG)


Mots clés : faute grave ; licenciement pour manquement aux règles d'hygiène et de sécurité.


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