Lexbase Public n°374 du 21 mai 2015 : Fonction publique

[Jurisprudence] L'appréciation d'une discrimination syndicale à l'égard d'un agent public influe sur la qualification de mesure d'ordre intérieur le concernant

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 15 avril 2015, n° 373893, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9522NGR)

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[Jurisprudence] L'appréciation d'une discrimination syndicale à l'égard d'un agent public influe sur la qualification de mesure d'ordre intérieur le concernant. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/24499694-cite-dans-la-rubrique-b-fonction-publique-b-titre-nbsp-i-lappreciation-dune-discrimination-syndicale
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par Laura Derridj, Avocate spécialisée en droit de la fonction publique, cabinet L. Derridj

le 21 Mai 2015

Dans une décision du 15 avril 2015, le Conseil d'Etat rappelle les règles afférentes à la charge de la preuve en matière de discrimination dans la fonction publique et distingue la décision individuelle discriminatoire de la décision individuelle non discriminatoire, la première excluant la qualification de mesure d'ordre intérieur, insusceptible de recours contentieux. Mme A, agent contractuel de droit public, a vu sa candidature au poste de "correspondant régional justice" rejetée par le directeur régional d'un Pôle emploi. Cette décision du 23 février 2012 ainsi que celle du 12 mars suivant rejetant le recours gracieux présenté par l'intéressée ont été annulées, par jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 10 octobre 2013.

Le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation par Pôle emploi, a cependant censuré ce jugement, pour erreur de droit, les premiers juges ayant estimé que les décisions litigieuses révélaient une discrimination syndicale à l'égard de la requérante, sans rechercher si les éléments de fait présentés par elle "étaient de nature à faire présumer une discrimination, avant d'en déduire que les éléments produits par l'administration ne permettaient pas d'établir que les décisions attaquées reposaient sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination".

Réglant l'affaire au fond, la Haute juridiction administrative a, d'abord, considéré "qu'en faisant état de ce que sa candidature était meilleure que celle de la personne retenue, de ce qu'elle n'a pas bénéficié de certaines formations et de ce qu'elle a fait l'objet d'une discrimination en raison de ses responsabilités syndicales, Mme [A] n'apporte pas des faits précis et concordants de nature à faire présumer, alors que le candidat retenu exerçait également des responsabilités syndicales, que les décisions qu'elle conteste reposeraient sur une discrimination en raison de son engagement syndical". Elle en a, ensuite, tiré pour conséquence que les décisions querellées ne portant atteinte ni aux perspectives de carrière, ni à la rémunération de l'intéressée, constituent de simples mesures d'ordre intérieur, insusceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Mme A n'est, par conséquent, pas recevable en sa demande d'annulation.

Cette décision, publiée au recueil Lebon, est l'occasion de rappeler la manière dont le juge administratif apprécie si une décision administrative individuelle est fondée sur une discrimination syndicale. Elle pose, par ailleurs, que lorsque celle-ci est établie, la qualification de mesure d'ordre intérieur est exclue.

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I - Le contrôle de l'existence d'une discrimination syndicale par le juge administratif

Le principe d'égalité est mentionné, à plusieurs reprises, dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Notamment, son article 6 (N° Lexbase : L1370A9M) indique que tous les citoyens "sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents".

Le Conseil d'Etat a, au surplus, donné au principe d'égalité de traitement valeur de principe général du droit, lequel bénéficie, entre autres, aux fonctionnaires et aux agents non titulaires de droit public.

Plus précisément les concernant, l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3), prohibe toute distinction, directe ou indirecte, fondée sur leurs opinions syndicales. Ce principe de non-distinction ou de non-discrimination s'applique, largement, au recrutement, à la titularisation, à la formation, à la notation, à la discipline, à la promotion, à l'affectation et à la mutation, etc..

Ainsi a-t-il été jugé que :

- la mention de l'appartenance syndicale dans le dossier d'un candidat à un concours est irrégulière (1) ;
- les opinions ou activités syndicales d'un agent ne doivent pas apparaître dans un document intégré dans son dossier administratif (2), sauf si cela est nécessaire à la gestion de sa situation administrative (3) ;
- une fiche d'évaluation professionnelle ne doit pas faire mention des conséquences sur le service de l'activité syndicale normale d'un agent (4) (en revanche, il peut être tenu compte de l'exercice d'une activité syndicale en méconnaissance des nécessités du service et des obligations statutaires (5) ;
- est discriminatoire un refus de nomination pris en considération de la décharge de service pour raisons syndicales du candidat requérant (6), ou un refus de mutation tiré des positions prises par l'intéressé dans l'exercice normal de son mandat syndical (7) ;
- est illégale la mutation d'un représentant du personnel en rapport avec ses fonctions représentatives normalement exercées ou son appartenance syndicale (8).

Pour ce qui concerne la charge de la preuve d'agissements attentatoires au principe de non-discrimination, ses règles sont issues de la décision "Perreux", laquelle s'inspire de la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4), dont l'article 10 prévoit que "les Etats membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement".

La Haute juridiction administrative, considérant "que, de manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction ; que cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes ; qu'en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile", a traduit la Directive précitée comme suit :

- il appartient au requérant qui s'estime victime d'une discrimination de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de la faire présumer ;
- il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;
- la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires (9).

Il est notable que les règles d'administration de la preuve sont les mêmes en matière de harcèlement moral (10).

La décision ici commentée s'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence "Perreux" (11) et est un rappel à la méthode, en matière de preuve, adressé aux juges de première instance.

II - L'appréciation de la discrimination influe sur la qualification de la décision attaquée

L'apport de la décision du 15 avril 2015 se trouve davantage dans l'ordre des questions examinées par le Conseil d'Etat et les conséquences que celui-ci tire de la reconnaissance d'une discrimination sur la qualification de la décision administrative en cause.

Classiquement, une mesure d'ordre intérieur ne peut pas être utilement déférée devant le juge administratif (c'est le cas, par exemple, des instructions ministérielles n'ayant que le caractère d'actes d'administration intérieur). Cette catégorie de décisions couvre, dans le domaine de la fonction publique, toute décision d'organisation du service ne portant pas atteinte aux droits, aux prérogatives, à la situation administrative ou à l'évolution de carrière des agents concernés. Ne leur faisant pas grief, elles ne sont, par suite, pas susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux.

Dans le cas contraire, l'action est jugée irrecevable sans que l'affaire soit jugée au fond. Tel est, par exemple, le cas d'un changement d'affectation ou d'un refus d'autorisation d'absence pour motif personnel. Le juge administratif peut, alors, être appelé à apprécier si la décision fait grief, à défaut de quoi il juge le recours en excès de pouvoir irrecevable (12).

Pour revenir à la décision commentée, il est remarquable que, dans le cadre du règlement de l'affaire au fond, le Conseil d'Etat n'ait pas, avant toute chose, apprécié si les décisions en litige revêtaient le caractère de mesure d'ordre intérieur. En effet, il a plutôt, dans une premier temps, vérifié l'existence d'une discrimination syndicale et a, dans un second temps, considéré que "dés lors qu'elles ne traduisent aucune discrimination", les décisions querellées, "qui ne portent atteinte ni aux perspectives de carrière ni à la rémunération de l'intéressée, ont le caractère de simples mesures d'ordre intérieur, qui sont insusceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir".

Il en résulte qu'une mesure "objectivement" qualifiable de mesure d'ordre intérieur perd automatiquement cette nature lorsqu'elle repose sur une discrimination, laquelle doit être appréciée prioritairement.


(1) CE 1° et 4° s-s-r., 28 septembre 1988, n° 43958, au recueil Lebon N° Lexbase : A7774APM).
(2) Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, art. 18 ; CE 1° et 6° s-s-r., 27 novembre 2013, n° 359801, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4042KQR).
(3) CE 4° et 6° s-s-r., 25 juin 2003, n° 251833, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2213C9T) ; CE 4° et 6° s-s-r., 27 septembre 2000, n° 189318, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9659AH9).
(4) CAA Marseille, 2ème ch., 10 mai 2005, n° 01MA01678 (N° Lexbase : A7193DIA).
(5) CE, Sect., 9 novembre 1983, n° 15116, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1302AM8) ; CE, Sect., 31 janvier 1975, n° 84791, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1180B9L).
(6) CAA Marseille, 2ème ch., 25 juillet 2006, n° 02MA02265 (N° Lexbase : A8938DQ4).
(7) CE 2° et 6° s-s-r., 18 avril 1980, n° 11540, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6004AI9).
(8) CE 2° et 7° s-s-r., 24 février 2011, n° 335453, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7017GZW).
(9) CE, Ass., 30 octobre 2009, n° 298348, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6040EMN). Voir aussi CE 1° et 6° s-s-r., 10 janvier 2011, n° 325268, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8727GPW), AJDA, 9 mai 2011, p. 901.
(10) CE, Sect., 11 juillet 2011, n° 321225, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0246HWZ), AJFP, janvier-février 2012, p. 41, AJDA, 31 octobre 2011, p. 2072, AJCT, octobre 2011, p. 474 ; CE 4° et 5° s-s-r., 1er octobre 2014, n° 366002, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7784MXL).
(11) CE, Ass., 30 octobre 2009, n° 298348, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6040EMN).
(12) CE 2° et 6° s-s-r., 18 mars 1996, n° 141089, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8134ANL) ; CE 2° et 6° s-s-r., 8 mars 1999, n° 171341, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4742AXW) ; CE 2° et 7° s-s-r., 11 mai 2011, n° 337280, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8761HQK).

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