Lexbase Social n°608 du 9 avril 2015 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Transaction et rupture conventionnelle du contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 25 mars 2015, n° 13-23.368, FS-P+B (N° Lexbase : A6723NEQ)

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 09 Avril 2015

Dans une décision en date du 25 mars 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme les termes d'une précédente décision concernant la possibilité limitée reconnue aux parties à la rupture conventionnelle du contrat de travail, de transiger (I). La confirmation de cette jurisprudence n'est pas une surprise, mais elle ne convainc pas nécessairement et on peut se demander si ce n'est pas la possibilité de transiger après la conclusion de la rupture qui devrait plus radicalement être proscrite (II).
Résumé

Un salarié et un employeur ayant signé une convention de rupture ne peuvent valablement conclure une transaction, d'une part, que si celle-ci intervient postérieurement à l'homologation de la rupture conventionnelle par l'autorité administrative, d'autre part, que si elle a pour objet de régler un différend relatif, non pas à la rupture du contrat de travail, mais à son exécution sur des éléments non compris dans la convention de rupture.

Commentaire

I - La confirmation du rôle résiduel de la transaction dans le régime de la rupture conventionnelle du contrat de travail

Contexte. La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), a permis aux parties au contrat de travail de rompre le contrat d'un commun accord, dans le cadre du régime de la rupture conventionnelle. On sait, désormais, que ce régime est exclusif et que les parties ne peuvent plus, dès lors qu'elles en relèvent, recourir à la rupture amiable visée par l'article 1134, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), qui se trouve donc logiquement éclipsée par le régime spécial (1). C'est aussi pour protéger l'intégrité de ce régime que la Cour de cassation a souhaité cantonner la transaction dans un rôle subsidiaire, en ne l'admettant qu'une fois le contrat de travail rompu, c'est-à-dire après la date de l'homologation ou de l'autorisation administrative, et à condition qu'elle ne vienne pas interférer avec la rupture conventionnelle, c'est-à-dire qu'elle ne porte pas sur l'objet même de la convention, qui est la rupture du contrat, et par conséquent les causes de cette rupture, mais qu'elle vise à régler des différends accessoires (2). C'est cette solution que confirme ce nouvel arrêt.

L'affaire. Un salarié présent dans l'entreprise depuis plus de trente ans et occupant, au moment de quitter l'entreprise, les fonctions de directeur de production, avait conclu le 22 juillet 2009, avec son employeur, une rupture conventionnelle devant produire effet le 31 août, et qui fut homologuée par l'autorité administrative le 12 août. Entre le 22 juillet et le 28 août, les parties ont conclu une transaction destinée à mettre fin à toute contestation résultant de la conclusion, de l'exécution et de la rupture du contrat de travail. Le salarié fut licencié le 11 septembre pour faute lourde, et saisit la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de l'indemnité transactionnelle.

Devant les juges du fond, l'employeur avait, en vain, et pour échapper à la demande présentée par le salarié, excipé de la nullité de la transaction. La cour d'appel l'avait débouté en considérant que, la transaction, conclue après la signature de la rupture conventionnelle et avant son homologation, avait pour objet de régler le différend s'étant élevé au sujet de cette rupture entre les parties, que celles-ci avaient entendu régler de façon globale, forfaitaire et définitive tous litiges pouvant se rattacher à l'exécution du contrat de travail et à la rupture de celui-ci, et que moyennant le paiement d'une indemnité, le salarié avait renoncé à contester le principe et les modalités de la rupture conventionnelle. La cour d'appel avait également considéré que la nullité d'une transaction résultant du fait qu'elle a été conclue avant la date de la rupture du contrat de travail est une nullité relative qui ne pouvait être invoquée que par le salarié, et donc pas par l'employeur.

La cassation. Cet arrêt est cassé au visa des articles L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI), L. 1237-13 (N° Lexbase : L8385IAS) et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9) du Code du travail, ensemble l'article 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE). Après avoir affirmé, dans un attendu de principe, "qu'il résulte de l'application combinée de ces textes qu'un salarié et un employeur ayant signé une convention de rupture ne peuvent valablement conclure une transaction, d'une part, que si celle-ci intervient postérieurement à l'homologation de la rupture conventionnelle par l'autorité administrative, d'autre part, que si elle a pour objet de régler un différend relatif non pas à la rupture du contrat de travail mais à son exécution sur des éléments non compris dans la convention de rupture", la Chambre sociale de la Cour de cassation indique que "les parties à la rupture conventionnelle ne peuvent, pour remettre en cause celle-ci, éluder l'application des dispositions de l'article L. 1237-14 du Code du travail prévoyant la saisine du conseil de prud'hommes" et qu'il résultait des constatations opérées par la cour d'appel "que la transaction avait notamment pour objet de régler un différend relatif à la rupture du contrat de travail".

Une confirmation. La Cour confirme ainsi les termes de la précédente décision intervenue le 26 mars 2014, dans laquelle elle avait formulé la même règle, même si dans cette première affaire il s'agissait d'un salarié protégé et d'une décision d'autorisation délivrée par l'inspecteur du travail, et que la transaction avait été conclue le lendemain de l'autorisation administrative. Ce nouvel arrêt ne constitue donc pas à proprement parler une surprise. La solution adoptée n'est toutefois pas sans faire difficulté, et il nous semble qu'une autre approche pourrait prévaloir.

II - Proposition pour une interdiction pure et simple de toute transaction dans le champ des relations de travail

La nullité de la transaction en raison du moment de sa conclusion. La nullité de la transaction est donc, tout d'abord, justifiée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, par le fait qu'elle était intervenue "postérieurement à l'homologation de la rupture conventionnelle par l'autorité administrative".

On sait que cette formule est directement inspirée par les solutions qui prévalent traditionnellement en matière de licenciement (3). La Cour de cassation y subordonne, en effet, la validité de la transaction au fait qu'elle soit conclue après la notification de la rupture (4). Ainsi, la renonciation du salarié, qui constitue un effet inhérent à la transaction, intervient une fois les droits du salarié fixés par la notification, et est donc licite puisque seule une renonciation anticipée est contraire à l'ordre public (5).

Si nous comprenons bien l'origine de cette exigence, maintenue dans le cadre du régime de la rupture conventionnelle, elle ne nous paraît pas pleinement logique compte tenu de l'analyse que la Haute juridiction fait de l'objet de la transaction qui peut régler "un différend relatif non pas à la rupture du contrat de travail mais à son exécution sur des éléments non compris dans la convention de rupture". Si, en effet, la transaction ne peut régler ni le différend à l'origine de la rupture, ni celui qui résulterait de son exécution, mais qu'elle demeure possible pour tout ce qui n'est pas compris dans l'objet de la rupture conventionnelle, alors nous ne comprenons pas pourquoi il faudrait attendre l'homologation de la rupture par l'autorité administrative pour la conclure, puisque ce différend, de l'aveu même de la Cour, serait étranger au processus de rupture en cours. En toute logique, cette transaction là, qui ne heurte pas le régime de la rupture conventionnelle, devrait donc pouvoir intervenir à tout moment.

La nullité de la transaction en raison de son objet. Reprenant la formule inaugurée dans la précédente décision du 26 mars 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation impose une seconde condition pour qu'une transaction soit valablement conclue par les parties : elle doit en effet porter sur "un différend relatif non pas à la rupture du contrat de travail mais à son exécution sur des éléments non compris dans la convention de rupture".

Ici encore, nous comprenons l'argument ; il s'agit de faire en sorte que la transaction ne vienne pas concurrencer le régime de la contestation de la rupture conventionnelle, tel qu'il a été voulu par les partenaires sociaux, dans l'accord du 11 janvier 2008, et le législateur lorsqu'il a codifié le dispositif. C'est d'ailleurs ce qui ressort très clairement de l'attendu dans lequel la Haute juridiction relève que "les parties à la rupture conventionnelle ne peuvent, pour remettre en cause celle-ci, éluder l'application des dispositions de l'article L. 1237-14 du Code du travail prévoyant la saisine du conseil de prud'hommes". La transaction ayant autorité de la chose jugée entre les parties, pour le litige qu'elle renferme, elle rend effectivement irrecevable toute demande que le salarié, ou l'employeur, pourrait présenter au juge ; si la transaction porte sur la rupture, voire sur son exécution, alors effectivement elle aboutit à neutraliser le régime de la contestation mis en place en 2008.

Mais si nous comprenons pourquoi la Cour affirme cela, nous ne sommes pas totalement convaincus par l'argument.

La rupture conventionnelle a, en effet, ceci de particulier, par rapport au licenciement, qu'elle n'a pas à être motivée. A aucun moment, le Code du travail n'impose aux parties d'avoir à se justifier sur les motifs de leur accord, et l'autorité administrative doit se contenter de vérifier que le consentement du salarié est bien libre, et non que les parties ont un juste motif de se séparer. Il nous semble, par conséquent, plus qu'artificiel d'opérer une distinction entre ce qui aurait conduit les parties à vouloir rompre le contrat de travail, et qui ne serait donc pas "transigeable", et ce qui serait indifférent et qui pourrait l'être, puisqu'à aucun moment de la procédure cette distinction ne se matérialise (6). Seule la chronologie des événements nous semble, en effet, pertinente, les événements antérieurs à la signature par les parties de la rupture conventionnelle nous semblant nécessairement compris dans l'objet de celle-ci, la rupture du contrat faisant cesser toute relation entre les parties, et soldant, en quelque sorte, leurs relations passées (7).

Par ailleurs, et puisqu'il s'agit bien de préserver le droit d'accès au juge du salarié dans les conditions prévues par le Code du travail, alors nous ne comprenons pas pourquoi la solution devrait être réservée à l'hypothèse d'une contestation de la rupture conventionnelle et pourquoi elle ne devrait pas prévaloir également à chaque fois que le salarié conteste les conditions dans lesquelles son contrat de travail a été rompu, notamment en cas de licenciement.

C'est, à notre sens, le principal inconvénient de cette jurisprudence en demi-teinte qui cherche un compromis et à justifier ce qui nous semble finalement injustifiable, c'est-à-dire de fermer la voie de la contestation judiciaire en permettant aux parties de transiger à l'occasion de l'exécution ou la rupture du contrat de travail.

Faut-il le rappeler, le Code du travail n'a jamais repris à son compte la transaction du Code civil, alors qu'il a pourtant, à de nombreuses reprises, fixé le régime de la rupture du contrat et le régime de l'action en contestation du salarié. Bien au contraire, et c'est logique s'agissant d'un droit autant marqué par l'ordre public, il a mis en place des règles propres, garantissant et facilitant l'accès au juge, règles qui ne semblent pas compatibles avec la possibilité de transiger dans les conditions du droit commun. Dans ces conditions, ne faudrait-il pas se montrer plus radical encore et interdire purement et simplement aux parties de transiger lorsqu'elles ont rompu le contrat, peu important finalement la technique employée, de manière à laisser au juge prud'homal le soin de régler le différend, par application des dispositions normalement applicables du Code du travail et qui sont toutes d'ordre public ?

La nature de la nullité. Parmi les éléments qui avaient été retenus par la cour d'appel pour écarter la nullité de la transaction, figurait le fait que seul le salarié pourrait la demander (8). L'argument, tiré d'une analyse un peu simpliste des intérêts en cause dans la rupture conventionnelle, est de facto écarté par la Haute juridiction, qui considère donc que l'employeur pouvait demander l'annulation de la transaction, sans que l'on sache, d'ailleurs, si la Cour considère que la nullité relative protège les intérêts de l'employeur, qui est donc légitime à en demander l'annulation, ou qu'il s'agit d'une nullité absolue, qui peut donc être invoquée pour toute personne qui y a intérêt. C'est sans doute le caractère de nullité absolue qui prévaut ici, compte tenu de la règle dont l'application est en cause, la compétence prud'homale pour régler les différends qui naissent postérieurement à la conclusion de la rupture conventionnelle, les dispositions relatives aux juridictions compétentes étant d'ordre public (absolu) par nature.


(1) Cass. soc., 30 septembre 2014, n° 13-16.297, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7882MX9) et nos obs., Consécration de l'autonomie du régime de la rupture conventionnelle du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 587 du 16 octobre 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N4104BUK).
(2) Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-21.136, FP-P+B+R (N° Lexbase : A2556MII) et les obs. de S. Tournaux, Rupture conventionnelle, transaction et autorisation administrative, Lexbase Hebdo n° 566 du 10 avril 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N1736BUT) ; RDT, 2014, p. 330, obs. G. Auzero ; D., 2014, p. 115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; JCP éd. S, 2014, p. 1137, note G. Loiseau. Egalement Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 12-28.260, inédit (N° Lexbase : A9245MZG). Le ministère du Travail a pris acte de cette décision : QE n° 55914 de Mme Marianne Dubois, JOANQ, 20 mai 2014, p. 4009, réponse publ., 2 septembre 2014, p. 7472, 14ème législature (N° Lexbase : L2237I4M).
(3) En ce sens : Chronique de jurisprudence de la Cour de cassation - Sabine Mariette - Catherine Sommé - Fanélie Ducloz - Emmanuelle Wurtz - Alexis Contamine..., D., 2014, p. 1404 s..
(4) La solution est rappelée régulièrement : Cass. soc., 21 janvier 2015, n° 13-23.603, F-D (N° Lexbase : A2722NA3).
(5) En ce sens notre étude L'ordre public social et la renonciation du salarié, Dr. soc., 2002, p. 931-938.
(6) Certes, le formulaire CERFA 14598 comporte bien une rubrique "Remarques éventuelles [...] et autres commentaires", mais il est précisément conseillé aux employeurs de n'y mentionner aucun élément qui serait de nature à fragiliser la validité de l'accord, et donc pas l'existence d'un éventuel différend avec le salarié que la rupture viendrait régler.
(7) C'est d'ailleurs l'objet du reçu pour solde de tout compte, même si l'effet libératoire qui s'y attache ne vaut que pour autant que les sommes en cause y ont été expressément mentionnées.
(8) En 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait considéré que la clause de non-recours insérée dans la rupture conventionnelle elle-même devait être réputée non écrite, ce qui a l'avantage de ne pas contraindre les parties à saisir le juge pour en obtenir la nullité : Cass. soc. 26 juin 2013, n° 12-15.208, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2990KIL) ; Dr. soc., 2013, p. 860, obs. S. Tournaux ; RDT, 2013, p. 555, obs. G. Auzero ; RTDCiv., 2013, p. 837, obs. H. Barbier.

Décision

Cass. soc., 25 mars 2015, n° 13-23.368, FS-P+B (N° Lexbase : A6723NEQ).

Cassation partielle (CA Angers, 2 juillet 2013, n° 11/01941 N° Lexbase : A8618MTD).

Textes visés : C. trav., art. L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI), L. 1237-13 (N° Lexbase : L8385IAS) et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9) ; C. civ., art. 2044 (N° Lexbase : L2289ABE).

Mots clef : rupture conventionnelle ; transaction.

Liens base : (N° Lexbase : E0210E7W).

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