N° 1300012 et 1300014
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE BASTIA
N° 1300012 et 1300014 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
CORSICA FERRIES FRANCE et
CONFEDERATION GENERALE DES PETITES ET AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS MOYENNES ENTREPRISES DE CORSE
M. Hugues Alladio Le Tribunal administratif de Bastia Rapporteur
Mme Christine Castany
Rapporteur public
Audience du 3 octobre 2013
Lecture du 17 octobre 2013
135-04-02-03
C+
Vu, I, sous le n° 1300012, la requête, enregistrée le 8 janvier 2013, présentée pour la société Corsica Ferries France dont le siège est Le palais de la mer 5 bis rue chanoine Leschi BP 275 à Bastia (20296), par Me Ayache ; la société Corsica Ferries France demande au Tribunal :
1°) d’annuler la délibération en date du 9 novembre 2012 par laquelle l’Assemblée territoriale de Corse a fixé le régime des obligations de service public de transport maritime de passagers et de marchandises entre l’un des trois ports continentaux de Marseille, Toulon ou Nice et les ports de Corse ;
2°) de mettre à la charge de la Collectivité territoriale de Corse une somme de 5 000 euros au titre de l’
article L 761 1 du code de justice administrative🏛 ;
Elle soutient que :
- En ce qui concerne l'illégalité des dispositions instituant un régime d'autorisation préalable assortie d'un durcissement des obligations de service public :
- ces dispositions violent la clause de stand still prévue à l'article 7 du règlement sur le cabotage maritime ;
- aucun motif ne justifie légalement le durcissement des obligations de service public en l'absence de carence de l'initiative privée sur les liaisons entre le continent français et la Corse et en l'absence d'écrémage du marché ;
- ces dispositions violent le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;
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-les modalités de délivrance de l'autorisation préalable sont illégales en l'absence de critères objectifs et transparents et en raison du caractère discriminatoire du nouveau régime des obligations de service public ;
- l'Office des transports de la Corse n'a pas le pouvoir de modifier les services des compagnies ;
- enfin, le régime de pénalités prévues en cas de manquement aux obligations de service public est illégal en ce qu'il méconnaît les dispositions de l'
article L. 5421-3 du code des transports🏛 et le principe général de proportionnalité des sanctions administratives ;
- En ce qui concerne l'illégalité des dispositions tarifaires de la délibération attaquée :
- ces dispositions méconnaissent également le règlement sur le cabotage maritime ;
- elles sont contraires au droit de la concurrence en ce qu'elles violent le principe de libre détermination des prix ;
- elles auront pour effet de placer le futur titulaire de la délégation de service public en situation d'abus de position dominante ;
- en ce qui concerne l'illégalité des dispositions relatives aux règles en matière d'équipage, le
décret du 16 mars 1999🏛 ne rend pas applicable l'ensemble des dispositions du code du travail français ;
- en ce qui concerne le détournement de pouvoir, l'objectif de la délibération attaquée est de la soumettre à des obligations si lourdes qu'elles ne pourront qu'aboutir à son retrait progressif des liaisons maritimes au départ du Continent français ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2013, présenté pour la Collectivité territoriale de Corse, par Me Thierry, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Corsica Ferries France la somme de 5 000 euros au titres de l'
article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 ;
Elle soutient que
- en ce qui concerne l'instauration d'un régime d'autorisation préalable :
- le système mis en place ne viole pas les dispositions de l'article 7 du règlement sur le cabotage maritime dès lors que l'instauration d'obligation de service public sous la forme d'un dispositif d'autorisation préalable n'est pas interdite par principe ;
- le durcissement des obligations de service public est justifié dès lors que l'absence de carence de l'initiative privée n'est pas démontrée et qu'il y a un risque d'écrémage du marché ;
- les modalités de délivrance de l'autorisation préalable ne sont pas illégales dès lors que le nouveau régime d'obligation de service public n'est pas discriminatoire ;
- le droit de regard et d'adaptation de l'Office des transports de la Corse est justifié pour des motifs tenant à la nécessité d'assurer le bon fonctionnement dans les ports de Corse ;
- enfin, le régime des pénalités est régulier dès lors que les articles du code des transports s'appliquent sous réserve des dispositions spécifiques à la Corse et que la disproportion entre les manquements et le montant de la pénalité n'est pas caractérisée ;
- en ce qui concerne l'illégalité du régime tarifaire :
- l'argumentation de la société requérante est fondée sur une présentation dénaturée des dispositions tarifaires de la délibération attaquée ;
-le règlement sur le cabotage maritime autorise la fixation d'obligations de service public portant sur les prix ;
- le principe de libre détermination des prix n'est pas absolu ;
- les tarifs planchers pour les obligations de service public seront bien les tarifs minimum de la délégation de service public ;
- En ce qui concerne les règles en matière d'équipage, la délibération ne méconnaît pas les dispositions du décret du 16 mars 1999 ;
- le détournement de pouvoir allégué n'est pas démontré ;
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Vu le mémoire, enregistré le 6 juin 2013, présenté pour la société Corsica Ferries France qui conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens;
Elle soutient, en outre, que :
- sur l'illégalité des dispositions introduisant un régime d'autorisation préalable, il ne résulte pas des dispositions de l'
article L. 4424-18 du code général des collectivités territoriales🏛 que la Collectivité territoriale de Corse puisse introduire un régime d'autorisation préalable à l'exercice d'une activité de cabotage maritime et, surtout, la Collectivité territoriale de Corse n'apporte pas la preuve d’une carence de l'initiative privée ;
- sur l'illégalité des dispositions conduisant à un durcissement des obligations de service public, actuellement l'offre de transport répond très largement à la demande ce qui fait obstacle à la mise en place d'un régime d'obligation de service public plus contraignant et, en outre, le règlement sur le cabotage maritime interdit à la Collectivité territoriale de Corse de réglementer le service de transports maritime, faute pour cette dernière de démontrer l'existence d'un besoin réel de service public ;
- sur l'illégalité des modalités de délivrance, la seule qualité de délégation de service public n'est pas de nature à justifier une non applicabilité des nouvelles obligations de service public ;
- sur l'illégalité du pouvoir de l'Office des transports de modifier le service des compagnies, les contraintes liées à la gestion des ports corses ne sont pas crédibles ;
- sur l’illégalité des dispositions relatives au régime des pénalités, les dispositions de l'
article L. 5431-1 du code des transports🏛 s'appliquent à la Corse ;
- sur l'illégalité des dispositions tarifaires, l’instauration de tarifs planchers est irrégulière ;
Vu le mémoire, enregistré le 27 août 2013, présenté pour la Collectivité territoriale de Corse qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire, pour les mêmes motifs ;
Elle soutient, en outre, que :
- la primauté du règlement européen sur la législation nationale n’invalide en rien la possibilité d’instaurer un régime d’autorisation préalable ;
- la société requérante omet que le règlement sur le cabotage maritime soumet le cabotage entre les Îles à un traitement spécifique ;
- tant l’insuffisance de l’initiative privée que le risque d’écrémage du marché sont caractérisés ;
- aucune discrimination ne saurait résulter de l’exonération du dispositif des obligations de service public ;
- dans le cadre de ses misions, l’office des transports a un droit de regard sur les services des compagnies sous obligation de service public ;
- la délibération querellée n’entre pas dans le champ d’application du
décret n° 2008- 976 du 18 septembre 2008🏛 ;
- la situation d’insécurité juridique dont se prévaut la société requérante n’est manifestement pas caractérisée ;
- l’utilisation éventuelle par le délégataire des marges de manœuvre lui permettant de faire évoluer les tarifs de passagers sera sans impact sur les tarifs planchers applicables au délégataire comme aux compagnies sous obligations de service public ;
- la baisse des tarifs sur la future délégation de service public par rapport aux tarifs de la délégation de service public actuelle aura un effet baissier sensible sur le coût des marchandises transportées entre la Corse et le continent ;
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Vu le mémoire, enregistré le 16 septembre 2013, présenté pour la société Corsica Ferries France qui conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;
Elle soutient, en outre, que :
- la Collectivité territoriale de Corse se refuse toujours à démontrer l’existence d’un besoin réel de service public résultant d’une carence de l’initiative privée ;
- ce n’est pas l’existence d’un régime d’obligation de service public qui est contestée mais son incroyable durcissement ;
- l’existence d’embouteillages automobiles aux alentours des ports insulaires est sans incidence sur la réglementation du transport maritime ;
- S’agissant de la fixation des tarifs résidents, seul le délégataire percevra une subvention publique ;
- s’agissant des tarifs des autres passagers, la Collectivité territoriale de Corse reconnaît que c’est le délégataire qui les déterminera ;
- enfin, s’agissant des tarifs fret, la Collectivité territoriale de Corse n’apporte aucune explication crédible ;
Vu la mise en demeure adressée le 21 mars 2013 à la Collectivité territoriale de Corse, en application de l'
article R. 612-3 du code de justice administrative🏛, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu l'ordonnance en date du 18 juillet 2013 fixant la clôture d'instruction au 31 août 2013, en application des
articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative🏛🏛 ;
Vu l'ordonnance en date du 6 septembre 2013 fixant la réouverture de l'instruction, en application de l'
article R. 613-4 du code de justice administrative🏛 ;
Vu, II, sous le n° 1300014, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 janvier 2013 et 15 février 2013, présentés pour la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse, dont le siège est 2 A ingénierie Aa A Ab à Pietrosella (20166), par Me Nauges ; la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse demande au Tribunal :
1°) d’annuler la délibération en date du 9 novembre 2012 par laquelle l’Assemblée territoriale de Corse a fixé le régime des obligations de service public de transport maritime de passagers et de marchandises entre l’un des trois ports continentaux de Marseille, Toulon ou Nice et les ports de Corse ;
2°) de mettre à la charge de la Collectivité territoriale de Corse une somme de 5 000 euros au titre de l’article L 761 1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la délibération contestée est entachée de vices de procédure en ce que les délégations de signature ont été prises selon une procédure irrégulière, le quorum n’était pas atteint et le procès-verbal de la délibération ne reflète pas le déroulement de la procédure suivie ;
- le régime d’autorisation préalable imposé par la délibération attaquée est illégal en ce qu’il restreint la libre prestation des services, ne correspond pas à un besoin démontré de service public et en ce qu’il permet à l’Office des transports de la Corse de réduire discrétionnairement l’offre de transport des compagnies soumises aux obligations de service public ;
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- la tarification des obligations de service public est illégale dès lors qu’elle porte atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, au principe de la libre concurrence, crée les conditions d’un abus de position dominante et d’une entente anticoncurrentielle sur les prix ;
- les objectifs de la délibération attaquée sont manifestement contraires à la règlementation et étrangers à toutes fins d’intérêt général au regard des critères permettant de restreindre la libre circulation des services, caractérisant un détournement de pouvoir ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2013, présenté pour la Collectivité territoriale de Corse, par Me Thierry, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- les moyens tirés de l'existence de vices de procédure seront écartés dès lors que le vote par groupe est autorisé par le règlement intérieur de l'Assemblée de Corse, les délégations de vote ont bien été transmises au président de l'Assemblée, le quorum était atteint et le procès- verbal retranscrit fidèlement la procédure de vote suivie ;
- sur l'instauration d'un régime d'autorisation préalable, elle a la possibilité de substituer un régime d’autorisation à un régime de déclaration et la délibération attaquée ne confère pas un pouvoir discrétionnaire à l'Office des transports de Corse ;
- sur le régime tarifaire, la délibération attaquée ne contredit pas les
articles L. 410-2 du code du commerce🏛 et
L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales🏛, n'a pas pour effet de créer un abus de position dominante au profit du délégataire de service public et ne crée pas les conditions d'une entente sur les prix ;
- sur les objectifs de la délibération, elle est motivée par l'intérêt général et elle n'est pas entachée d'un détournement de pouvoir ;
Vu le mémoire, enregistré le 8 juillet 2013, présenté pour la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse qui conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;
Elle soutient, en outre, que :
- le régime d’autorisation préalable ne répond à aucun besoin de service public;
- la délibération accorde un pouvoir discrétionnaire à l'Office des transports de Corse pour mettre en œuvre le régime d'autorisation préalable ;
- les tarifs applicables sont illégaux ;
- le régime tarifaire porte atteinte à la liberté des prix et instaure un abus automatique de position dominante ;
- la délibération met en place une entente sur les prix ;
Vu le mémoire, enregistré le 27 août 2013, présenté pour la Collectivité territoriale de Corse qui conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes motifs ;
Elle soutient, en outre, que :
- le président de la confédération ne justifie pas d’une délibération de l’assemblée générale pour agir en justice ;
- le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 39 du règlement intérieur de l’Assemblée de Corse n’est pas fondé ;
- la primauté du règlement européen sur la législation nationale n’invalide en rien la possibilité d’instaurer un régime d’autorisation préalable ;
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- tant l’insuffisance de l’initiative privée que le risque d’écrémage du marché sont caractérisés ;
- dans le cadre de ses misions, l’office des transports a un droit de regard sur les services des compagnies sous obligation de service public ;
- la situation d’insécurité juridique dont se prévaut la société requérante n’est manifestement pas caractérisée ;
- l’utilisation éventuelle par le délégataire des marges de manœuvre lui permettant de faire évoluer les tarifs de passagers sera sans impact sur les tarifs planchers applicables au délégataire comme aux compagnies sous obligation de service public ;
- la baisse des tarifs sur la future délégation de service public par rapport aux tarifs de la délégation de service public actuelle aura un effet baissier sensible sur le coût des marchandises transportées entre la Corse et le continent ;
Vu la mise en demeure adressée le 11 janvier 2013 à Me Nauges, en application de l'
article R. 612-5 du code de justice administrative🏛, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu l'ordonnance en date du 18 juillet 2013 fixant la clôture d'instruction au 31 août 2013, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu l'ordonnance en date du 6 septembre 2013 fixant la réouverture de l'instruction, en application de l'article R. 613-4 du code de justice administrative ;
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces jointes aux dossiers;
Vu le règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil du 7 décembre 1992 concernant l'application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l'intérieur des États membres (cabotage maritime) ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des transports ;
Vu le règlement intérieur de l’Assemblée de Corse ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 octobre 2013 :
- le rapport de M. Hugues Alladio ;
- les conclusions de Mme Christine Castany, rapporteur public ;
- et les observations de Me Ayache, pour la société Corsica Ferries France, de Me Nauges, pour la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse, de Me Thierry, pour la Collectivité territoriale de Corse ;
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1. Considérant que, pour assurer le transport maritime entre les ports de Corse et l’un des trois ports continentaux de Marseille, Toulon ou Nice, la Collectivité territoriale de Corse a confié les liaisons entre la Corse et Marseille à deux compagnies bénéficiant d’une délégation de service public et a organisé un régime d’obligation de service public pour le reste du trafic ; que l’Assemblée territoriale de Corse a fixé les obligations de service public de transport maritime de passagers et de marchandises entre l’un des trois ports continentaux de Marseille, Toulon ou Nice et les ports de Corse, par une délibération en date du 9 novembre 2012 ; que la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse et la société Corsica Ferries France demandent l'annulation de cette délibération ; qu'ainsi les requêtes n° 1300014 présentée pour la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse et n° 1300012 présentée pour la société Corsica Ferries France présentent ainsi à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement ;
Sur la fin de non recevoir opposée par la Collectivité territoriale de Corse à la requête de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse :
2. Considérant que, contrairement à ce que soutient la Collectivité territoriale de Corse, le compte rendu de la délibération de l’assemblée générale de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse, joint en pièce n° 1 de la requête, doit être regardé comme le procès-verbal de cette délibération ; que ce procès-verbal mentionne l’habilitation conférée par la confédération requérante à son président pour ester en son nom dans le cadre de la présente requête ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient la Collectivité territoriale de Corse, le président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse a bien qualité pour agir au non de la confédération, conformément aux dispositions de l’article 11 des statuts de ladite confédération ; que, par suite, la fin de non recevoir opposée par la Collectivité territoriale de Corse doit être écartée ;
Sur les conclusions en annulation :
En ce qui concerne le moyen tiré d’un vice de procédure :
3. Considérant qu’aux termes du 3°"° alinéa de l’
article L. 4422-7 code général des collectivités territoriales🏛 : « Un conseiller à l'Assemblée empêché d'assister à une réunion peut donner délégation de vote pour cette réunion à un autre conseiller à l'Assemblée. Celui-ci ne peut recevoir qu'une seule délégation » ;
4. Considérant qu’aux termes de l’article 39 du règlement intérieur de l’Assemblée de Corse : « Chaque groupe politique désigne avant chaque séance de l’assemblée le conseiller chargé de représenter le groupe pour toute les questions relatives aux procédures et aux votes. Le nom de celui-ci doit être remis au président de l’assemblée avant le début de ladite séance » ; qu’aux termes de l’article 51 du même règlement : « Un membre de l’assemblée empêché d’assister à tout ou partie d’une réunion de l’assemblée peut déléguer son droit de vote à l’un des membres de l’assemblée. Il doit en ce cas en aviser par écrit le président de l’assemblée. Cette délégation ne pourra excéder la durée d’une réunion. Nul ne peut détenir plus d’un pouvoir » ;
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5. Considérant que l’article 51 du règlement intérieur qui reprend les dispositions du 2ème alinéa de l’article L. 4422-7 du code général des collectivités territoriales prévoit que le vote des conseillers territoriaux est personnel, nul ne pouvant recevoir plus d’une délégation ; que la Collectivité territoriale de Corse ne peut utilement invoquer les dispositions de l’article 39 de ce même règlement qui prévoient une représentation par groupes pour les questions relatives à l’organisation des débats et des votes, mais pas pour les votes eux-mêmes ; que, par suite, contrairement à ce que la Collectivité territoriale de Corse fait valoir, son règlement intérieur ne permet pas de voter par groupe ;
6. Considérant qu’il est constant que, lors du vote par lequel la délibération attaquée a été adoptée, un conseiller du groupe « Rassembler pour la Corse » a voté pour l’ensemble des membres de son groupe politique non présents ; que, par suite, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse est fondée à soutenir que cette délibération a été adoptée au terme d’une procédure irrégulière ;
7. Considérant que l’irrégularité commise présente un caractère substantiel ; qu’en tout état de cause, la Collectivité territoriale de Corse n’établit pas que cette irrégularité n’a pas eu d’influence sur le résultat du vote ;
En ce qui concerne la mise en place d’un régime d’autorisation :
8. Considérant qu’aux termes de l’article 4 du règlement susvisé du Conseil du 7 décembre 1992 : « 1. Un État membre peut conclure des contrats de service public avec des compagnies de navigation qui participent à des services réguliers à destination et en provenance d'îles ainsi qu'entre des îles ou leur imposer des obligations de service public en tant que condition à la prestation de services de cabotage. / Lorsqu'un État membre conclut des contrats de service public ou impose des obligations de service public, il le fait sur une base non discriminatoire à l'égard de tous les armateurs communautaires. / 2. S'ils imposent des obligations de service public, les États membres s'en tiennent à des exigences concernant les ports à desservir, la régularité, la continuité, la fréquence, la capacité à prester le service, les tarifs pratiqués et l'équipage du navire. / Toute compensation due, le cas échéant, en contrepartie d'obligations de service public doit être versée à tous les armateurs communautaires. / 3. Les contrats de service public existants peuvent rester en vigueur jusqu'à leur date d'expiration » ;
9. Considérant qu’il résulte de ces dispositions, éclairées par le neuvième considérant du règlement selon lequel « l’introduction de la notion de service public, assortie de certains droits et obligations pour les armateurs concernés, peut se justifier afin d’assurer la suffisance des services de transport régulier à destination et en provenance d’îles ainsi qu’entre îles », et interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’arrêt du 20 février 2001, Asociaciôn Profesional de Empresas Navieras de Lîineas Regulares (Analir, affaire C- 205/99), que la mise en place d’un régime d’autorisation préalable comme moyen d'imposer des obligations de service public d’un cabotage maritime est subordonnée à l’existence d’un besoin réel de service public résultant de l’insuffisance des services de transports réguliers, besoin qui doit être apprécié et constaté pour chaque ligne ou trajet ;
10. Considérant que la délibération du 9 novembre 2012 prévoit que toute compagnie désirant assurer des liaisons entre les ports de Corse et ceux du continent doit au préalable soumettre un projet de service et signer avec l’Office des transports de Corse une convention annuelle ; qu’il est précisé que nul opérateur ne peut assurer ce service en l’absence d’une telle
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convention ; que la Collectivité territoriale de Corse doit ainsi être regardée comme ayant établi un régime d’autorisation préalable ;
11. Considérant qu’il ressort des graphiques de l’Observatoire régional des transports de la Corse pour l’année 2011 que, sur les liaisons Marseille-Corse, Toulon-Corse et Nice-Corse, l’offre de transport effectuée par les trois compagnies assurant actuellement le service de ces lignes, soit la Société nationale Corse Méditerranée, la Compagnie méridionale de navigation et la société Corsica Ferries France, est très largement supérieure à la demande et ce en toute saison ;
12. Considérant que les obligations de services public des entreprises de transport maritime sont actuellement fixées par une délibération en date du 1” février 2001, laquelle établit un simple régime de déclaration qui assure actuellement une offre de transport suffisante en toutes saisons en imposant aux compagnies de transports maritimes des fréquences minimales de passage sur 12 mois; que l'offre effective est nettement supérieure à celle prévue par la délibération du 1° Février 2001; que la Collectivité territoriale de Corse ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'un régime d'autorisation serait nécessaire pour aboutir au même résultat dans le futur; que, de même, si elle fait également valoir que le système d’autorisation a été mis en place pour éviter des pratiques d’écrémage, soit la ponction au détriment des compagnies délégataires des trafics les plus rentables, elle ne fait état d'aucune donnée établissant que le régime d’obligation de service public actuellement en vigueur ne permettrait pas d’atteindre cet objectif ;
13. Considérant, par suite, que la Collectivité territoriale de Corse ne prouve pas que le régime d’autorisation préalable mis en place par la délibération attaquée soit rendu nécessaire par l’existence d’un besoin réel de service public résultant de l’insuffisance des services de transports réguliers ; que les requérantes sont donc fondées à soutenir que cette délibération est contraire au règlement susvisé du Conseil du 7 décembre 1992 ;
En ce qui concerne la possibilité pour l’Office des transports de la Corse de modifier le programme et de limiter les capacités des compagnies soumises au régime des obligations de service public :
14. Considérant que la délibération attaquée prévoit que : « Trois mois au moins avant le début de chaque saison, les programmes et les horaires sont déposées auprès de l’Office des transports de la Corse qui se réserve la possibilité de demander des adaptations » ; que ladite délibération prévoit également : « L’hyper saisonnalité de la desserte, son caractère unidirectionnel, l’insuffisance de services réguliers à l’année sur l’ensemble de la desserte de continuité territoriale, impliquent une régulation pour empêcher les surcapacités sans rapport avec les besoins réels du service public et les objectifs de développement durable. / En conséquence, les conventions établies avec les opérateurs répondront aux besoins estimés par l’Office des transports entre les ports de Marseille, Toulon ou Nice et la Corse » ;
15. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que l’Office des transports de Corse a la possibilité de modifier le programme et de limiter les capacités des compagnies soumises au régime des obligations de service public ; que, toutefois, l’exercice de ce pouvoir, qui limite la liberté du commerce et de l’industrie des compagnies concernées, n’est encadré par aucun critère objectif ; que, par suite, ces dispositions qui ne garantissent pas aux opérateurs économiques que les mesures prises répondront aux conditions de proportionnalité et de non-discrimination fixées par le règlement communautaire sont illégales ;
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En ce qui concerne le caractère discriminatoire du nouveau régime d’obligations de service public, notamment quant à la réglementation tarifaire :
16. Considérant que la grille tarifaire mise en place par la Collectivité territoriale de Corse impose un tarif résident qui est le même que celui prévu par la délégation de service public, un autre tarif plancher pour les passagers non résidents qui sera fixé par référence aux tarifs fixés pour la délégation de service public et un tarif plancher pour le transport de fret roulant qui est égal au tarif plafond de la délégation de service public, le tout sous réserve de possibilités d’ajustements mineurs tenant compte des différences de distance ;
17. Considérant qu’ainsi, du fait de cette grille tarifaire, d’une part, la délibération attaquée permet aux compagnies délégataires de fixer elles-mêmes les tarifs pour les passagers non résidents que devront appliquer leurs concurrents soumis au régime des obligations de service public du transport maritime et, d’autre part, pour le transport de fret roulant, les dispositions attaquées placeront les délégataires en situation de pratiquer des prix systématiquement inférieurs à ceux de ses concurrents, tout en bénéficiant de subventions publiques ; que cette délibération exclut donc toute concurrence par les prix entre les compagnies maritimes et favorise exagérément les délégataires ;
18. Considérant que, par suite, cette réglementation tarifaire avantage les titulaires de la délégation de service public au détriment des compagnies soumises au régime des obligations de service public et présente donc un caractère discriminatoire ;
En ce qui concerne les pénalités prévues en cas de manquement aux obligations de service public :
19. Considérant que la délibération attaquée dispose que : « En cas de non-respect de tout ou partie de l’engagement de la compagnie maritime de respecter les obligations de fréquence, régularité et de durée minimale du service, une pénalité de deux millions d’euros sera appliquée à la compagnie » ;
20. Considérant que la pénalité ainsi prévue de deux millions d’euros s’applique quelque que soit la durée et les motifs du manquement ; qu’en procédant ainsi, comme le soutient la société Corsica Ferries France, la délibération litigieuse méconnaît le principe de proportionnalité des peines et est donc entachée d’illégalité ;
21. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse et la société Corsica Ferries France sont fondées à demander l’annulation de la délibération attaquée de l’Assemblée territoriale de Corse en date du 9 novembre 2012 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
22. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation » ;
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23. Considérant que les dispositions susmentionnées de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse et de la société Corsica Ferries France qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que la Collectivité territoriale de Corse demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner la Collectivité territoriale de Corse à verser respectivement à la Confédération générale des petites et moyennes entreprises de Corse et à la société Corsica Ferries France une somme de 3 000 euros au titre des frais qu’elle ont exposés et non compris dans les dépens ;