Lexbase Affaires n°335 du 18 avril 2013 : Baux commerciaux

[Le point sur...] Bail commercial et procédure collective : la question des délais de grâce à la lumière de l'article 512 du Code de procédure civile (1)

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par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à Aix-Marseille Université, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et du Centre de droit du sport d'Aix-Marseille

le 18 Avril 2013

Le propriétaire de locaux donnés à bail commercial à un preneur tombant par la suite en procédure collective est particulièrement malmené par le droit des entreprises en difficulté (2). En effet, sauf à avoir obtenu une décision passée en force de chose jugée au jour du jugement d'ouverture constatant l'acquisition de la clause résolutoire en cas de défaut de paiement de loyers antérieurs (3), le bailleur devra attendre trois mois -contre deux avant la loi de sauvegarde de 2005 (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT)- à compter dudit jugement pour agir en résiliation du bail pour défaut de paiement de loyers postérieurs. Si la mise en demeure de se prononcer sur la poursuite ou pas du bail n'a plus vraiment d'utilité (4), si ce n'est celle d'informer de l'existence d'un tel bail en cours, le bailleur devra au surplus respecter la formalité du commandement de payer et son délai incompressible d'un mois de l'article L. 145-41 du Code commerce (N° Lexbase : L5769AII) pour mettre en oeuvre la clause résolutoire (5). Ce délai d'un mois ne s'ajoute pas nécessairement à celui de trois mois ; il peut même se retrouver à l'intérieur de ces trois mois voire avoir commencé à courir avant ce dernier. Tout dépend au vrai de la diligence du bailleur, et du moment à partir duquel il a entendu faire jouer la clause résolutoire : avant, concomitamment au le jugement d'ouverture, ou après celui-ci. Le délai de trois mois n'empêche pas le bailleur de faire délivrer à son preneur le commandement de payer. Simplement, le délai d'un mois écoulé et le commandement demeuré infructueux, la résiliation ne pourra pas intervenir avant la fin des trois mois. Se pose surtout la question des délais de grâce des articles 1244-1 (N° Lexbase : L1358ABW) à 1244-3 du Code civil (6), auxquels renvoie l'alinéa 2 de l'article L. 145-41 du Code de commerce, que le juge saisi pourrait éventuellement accorder au preneur. La jurisprudence l'a clairement affirmé. De tels délais peuvent être accordés par le juge saisi (7), et venir ainsi augmenter d'autant le délai de trois mois et celui d'un mois précités. Les délais de grâce ont même fait l'objet d'une QPC n'ayant pas abouti (8).

Un texte pourtant semblait y faire expressément échec, à savoir l'article 512 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6643H78) qui disposait, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012 (N° Lexbase : L8264IRI), que "le délai de grâce ne peut être accordé au débiteur dont les biens sont saisis par d'autres créanciers, ni à celui qui est en état de règlement judiciaire ou de liquidation des biens [de redressement ou de liquidation judiciaires], ou qui a, par son fait, diminué les garanties qu'il avait données par contrat à son créancier.
Le débiteur perd, dans ces mêmes cas, le bénéfice du délai de grâce qu'il aurait préalablement obtenu".

Mais bizarrement aucun juge n'y a été sensible (9), et le sera à l'avenir encore moins dans la mesure où l'article 34 du décret du 20 janvier 2012 a supprimé le syntagme "ni à celui qui est en état de règlement judiciaire ou de liquidation des biens [de redressement ou de liquidation judiciaires]" (cf. C. proc. civ., art. 512, version à jour du décret du 20 janvier 2012 N° Lexbase : L8427IRK), étant précisé que seul le Code de procédure civile Dalloz 2013 est à jour de cette modification, et non le Code Litec.

N'est-il pas possible, pour autant, de voir dans la procédure collective d'un preneur les deux autres cas de figure faisant obstacle aux délais de grâce, à savoir le débiteur dont les biens sont saisis par d'autres créanciers, et celui qui a, par son fait, diminué les garanties qu'il avait données par contrat à son créancier ?

Si la première hypothèse nous semble naturellement exclue, observation faite qu'elle renvoie à l'article 513 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6645H7A), aux termes duquel "le délai de grâce ne fait pas obstacle aux mesures conservatoires", et donc à la loi "Petroplus" (loi n° 2012-346 du 12 mars 2012, relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet N° Lexbase : L3777ISP) et à son décret d'application (décret n° 2012-1190 du 25 octobre 2012, pris pour l'application de la loi n° 2012-346 du 12 mars 2012 N° Lexbase : L2663IU8) (10), la seconde, en revanche, mérite attention .

En d'autres termes, la mise en procédure collective d'un débiteur peut-elle être assimilée au cas du débiteur qui a, par son fait, diminué les garanties qu'il avait données par contrat à son créancier, et permettre ainsi au bailleur de solliciter l'application de l'article 512 du Code de procédure civile en vue de faire échec aux éventuels délais de grâce que le juge pourrait accorder ?

A notre connaissance, cela n'a encore jamais été jugé, et pour tout dire il est très difficile de trouver de la jurisprudence relative à l'article 512 du Code de procédure civile. Nous ne pensons pas que du seul fait de l'ouverture d'une procédure collective, et il faudrait distinguer selon qu'il y ait ou non cessation des paiements, un preneur fasse ainsi perdre des garanties à son bailleur. Néanmoins, l'ouverture d'une telle procédure peut être l'occasion pour le cocontractant forcé à poursuivre la relation avec le débiteur défaillant d'imposer certaines conditions qui, si elles ne se réalisent pas, lui permettront de mettre fin au contrat continué, venant dès lors diminuer les garanties. Ainsi, un propriétaire de locaux commerciaux s'était engagé envers le repreneur des actifs de son locataire à réduire le loyer à condition que celui-ci obtienne une garantie bancaire. Or, la garantie promise n'ayant pu être fournie à temps, le locataire a logiquement perdu la réduction de loyer (11). On pense par ailleurs à la caution qui, si elle doit en principe respecter ses engagements, conformément à l'article 1134, aliéna 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), peut aussi en être déchargée dans les conditions de l'article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1373HIP) qui peut trouver à s'appliquer, même en procédure collective (12).

Gageons, quoi qu'il en soit, que nos tribunaux soient plus prolixes sur l'article 512 du Code de procédure civile.


(1) Cet article fait suite à une formation sur les baux commerciaux ayant eu lieu à Nice le 2 avril 2013 dans le cadre de la formation continue des avocats, que nous avons animée aux côtés du Bâtonnier Henri Charles, et du débat initié à cette occasion par Maître Roy Spitz, avocat au barreau de Nice.
(2) Par exemple v., CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 15 janvier 2013 n° 12/17592 (N° Lexbase : A1232I3Z), BRDA, 3/2013, inf. 26 ; les obs. de F. Kendérian, Le sort des clauses résolutoire et de préemption en cas de transfert d'un bail commercial dans le cadre d'un plan de cession de l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 333 du 4 avril 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N6438BTM). Plus favorable au bailleur, toutefois, cf., CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 19 septembre 2012, n° 10/22363 (N° Lexbase : A0819ITI), JCP éd. E, 2013, 1187, note F. Kendérian ; Cass. com., 19 février 2013, n° 12-13.662, FS-P+B (N° Lexbase : A4171I8Y) et les obs de P.-M. Le Corre in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Mars 2013 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 331 du 21 mars 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N6245BTH), également J. Prigent, Résiliation pour défaut de paiement des loyers et charges postérieurs à la liquidation judiciaire : précision sur le point de départ du délai de trois mois, Lexbase Hebdo n° 329 du 28 février 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N6027BTE).
(3) Cass com., 15 février 2011, n° 10-12747, F-D (N° Lexbase : A1641GX3) ; Cass. civ. 3, 17 mai 2011, n° 10-15.957, F-D (N° Lexbase : A2573HS4).
(4) Cass. com., 2 mars 2010, n° 09-10.410, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6008ESC), Bull. civ. IV, n° 266 ; JCP éd. E, 10 juin 2010, 1553, note P.-H. Brault ; P.-M. Le Corre in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de - Mars 2010 (2nd comm.), Lexbase Hebdo n° 387 du 18 mars 2010 - édition privée (N° Lexbase : N5949BNN) ; et toutes les références citées in P.-M. Le Corre, Questions-réponses sur la résiliation du bail commercial après l'ouverture d'une procédure collective, Gaz. Pal, éd. spéc., 18 et 19 janvier 2013, p. 43.
(5) Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-19.331, F-D (N° Lexbase : A6449HUE), Dalloz atualités, 18 juillet 2011, obs. A. Lienhard, et toutes les références citées in P.-M. Le Corre, Questions-réponses sur la résiliation du bail commercial après l'ouverture d'une procédure collective, préc..
(6) Cf. F. Macorig-Venier et M.-H. Monsèrié-Bon, Bail commercial et procédures collectives - Questions d'actualités, Dr. et patrimoine, n° 215, juin 2012, p. 81, et toutes les références citées ; P.-M. Le Corre, Questions-réponses sur la résiliation du bail commercial après l'ouverture d'une procédure collective, préc. et toutes les références citées ; J.-E. Kuntz et V. Nurit, Le bail et la procédure collective : une valse à trois temps, BJED, novembre 2011, p. 349 ; F.-H. Briard, A. Duffour, B. Raclet et J.-D. Barbier, in Des procédures autour du bail commercial - Compte-rendu de la réunion de la Commission de droit immobilier du barreau de Paris de A.-L. Lonné-Clément, Lexbase Hebdo n° 503 du 25 octobre 2012 - édition privée (N° Lexbase : N4181BTZ).
(7) Cass. civ. 3, 4 mai 2011, n° 10-16.939, FS-D (N° Lexbase : A2575HQG), Loyers et copropriété, 2011, comm. 219, obs. E. Chavance ; Cass. com., 6 décembre 2011, n° 10-25.689, F-P+B (N° Lexbase : A1984H4A), Bull. civ. IV, n° 204 et les obs. de A. Confino et A. Figaro, La mise en oeuvre de la clause résolutoire pour non paiement de loyers et charges postérieurs au jugement de liquidation judiciaire du preneur commerçant et l'octroi de délais, Lexbade Hebdo n° 284 du 16 février 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N0221BTD) ; Cass. com., 30 octobre 2007, n° 05-17.719, F-D (N° Lexbase : A2279DZG), RJDA, 3/2008, n° 238 ; Cass. com., 10 juillet 2001, n° 99-10.397, publié (N° Lexbase : A1717AU7), RJDA, 8-9/2002, n° 910 ; CA Amiens, ch. éco., 2 octobre 2012, n° 10/03307 (N° Lexbase : A6954ITQ), BRDA, 23/2012, inf. 16 ; Cass. com., 13 décembre 2005, n° 04-16.255, FS-P+B (N° Lexbase : A1211DMS), RJDA, 4/2006, n° 391 ; Cass. civ. 3, 19 mai 1999, n° 97-19.608, inédit (N° Lexbase : A9891CWA), RJDA 7/1999 n° 765.
(8) Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 09-71.209, P+B (N° Lexbase : A4037E3W) ; Bail commercial et clause résolutoire (suite) : la Cour de cassation garde le cap en refusant de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC sur le délai de grâce et en rappelant les limites à la mise en oeuvre de la clause, obs. F. Kendérian : RTDCom., 2011, p. 57, n° 1.
(9) Par exemple, CA Aix-en-Provence, 1ère ch., sect. C, 25 mars 2010, n° 09/13199 (N° Lexbase : A6190EZB).
(10) Cf., not., P.-M. Le Corre, "Petroplus" : commentaire de la loi et du décret, Lexbase Hebdo n° 308 du 13 septembre 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N3459BTB).
(11) Cass. civ. 3, 23 janvier 2013 n° 11-25.594, FS-D (N° Lexbase : A8812I3R).
(12) Cass. com., 19 février 2013, n° 11-28.423, F-P+B (N° Lexbase : A4256I87) Dalloz actualité, 27 février 2013, obs. A. Lienhard.

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