La lettre juridique n°504 du 8 novembre 2012 : Temps de travail

[Jurisprudence] Respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne : la preuve incombe à l'employeur

Réf. : Cass. soc., 17 octobre 2012, n° 10-17.370, F-P+B (N° Lexbase : A7125IUG)

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par Bernard Gauriau, Professeur à l'université d'Angers, Avocat au barreau de Paris (Cabinet Idavocats)

le 08 Novembre 2012

Neuf personnes ont été engagées en qualité d'éducateurs spécialisés ou de moniteurs-éducateurs soit dans un service d'accueil d'urgence, soit dans les foyers d'une l'association assurant l'hébergement et la prise en charge d'enfants, d'adolescents et d'adultes présentant des difficultés. Ils ont saisi le conseil de prud'hommes car ils estimaient ne pas avoir été payés intégralement de leurs permanences de nuit depuis leur embauche : leurs demandes tendaient au paiement d'heures supplémentaires, de congés payés afférents, de repos compensateurs et de dommages-intérêts pour non-respect des pauses et des repos quotidiens. Faisant droit à leurs demandes, la cour d'appel de Versailles (1) a condamné l'employeur à payer une somme à titre de dommages-intérêts, notamment pour non-respect des dispositions légales relatives aux temps de pause. Sa motivation s'est principalement fondée sur les règles relatives à la charge de la preuve.
Résumé

Les dispositions de l'article L. 3171-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0783H9U) relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, qui incombe à l'employeur.

Tout d'abord, selon la cour d'appel, l'employeur n'a pas établi par les pièces produites aux débats que les salariés ont bénéficié d'un temps de pause comme le prévoit l'article 4 de la Directive 93/104 (N° Lexbase : L7793AU8) durant les périodes où ils effectuaient des surveillances nocturnes dans des chambres de veille, entre janvier 2000 et novembre 2006. Le tableau fourni par l'employeur n'établissait aucunement le décompte des temps de pause, il s'avérait trop imprécis alors que la production des plannings hebdomadaires et/ou des fiches horaires en place dans certains établissements depuis novembre 2001, comme l'indiquaient certaines salariées, aurait permis d'opérer des vérifications et des calculs.

Ensuite, selon l'article L. 220-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7706IMD), qui est la transposition de l'article 3 de la Directive 93/104, applicable pour la période considérée entre janvier 2000 et novembre 2006, tout salarié bénéficie d'un repos quotidien minimal de 11 heures consécutives par période de 24 heures. Or, l'employeur n'a fait valoir aucune disposition dérogeant à cet article.

Par ailleurs, les heures de surveillance nocturne accomplies par certains salariés en chambre de veille ne sauraient de ce point de vue être considérées comme temps de repos au regard de la jurisprudence communautaire résultant de l'arrêt du 1er décembre 2005 de la CJCE (2) ainsi que de l'article 2 de la Directive 93/104 qui précise qu'une période de repos n'est pas du temps de travail, ce dernier s'analysant comme un temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l'employeur.

Du reste, tous les plannings hebdomadaires de travail du service d'accueil d'urgence des années 2001 à 2006 révèlent que certains salariés n'ont pas bénéficié d'un repos quotidien minimal de 11 heures consécutives par période de 24 heures lorsqu'ils travaillaient les samedis et/ou les dimanches. Il ressort en effet de ces plannings que leur amplitude horaire de travail pour ces jours là était entre 16 heures et 18 heures continues, les repos ou temps de pause n'étant nullement indiqués sur ces plannings.

La cour de Versailles poursuit en relevant que le seuil communautaire qui résulte de la Directive 93/104 modifiée par la Directive 2000/34/CE (N° Lexbase : L8021AUM) du Parlement et du Conseil du 22 juin 2000, fixant à 11 heures consécutives la période minimale du repos journalier (reprise à l'article L.220-1 du Code du travail applicable à l'espèce), se traduit en droit interne par l'interdiction de dépasser l'amplitude journalière de 13 heures, celle-ci étant définie comme le temps séparant la prise de poste de sa fin. De la même manière que pour le calcul du repos quotidien résultant de la Directive 93/104, celui de l'amplitude journalière doit s'effectuer sur une même journée de 0 heure à 24 heures.

En résumé, pour les magistrats versaillais, tous ces salariés étaient fondés à demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non respect des règles communautaires et nationales.

Dans son pourvoi, l'employeur fit valoir tout d'abord que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. En le condamnant, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG). Ensuite, la charge de la preuve des heures effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties. En jugeant que n'était pas établi le fait que les salariés aient bénéficié d'un temps de pause pendant les périodes où ils effectuaient les surveillances nocturnes, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-14 du Code du travail (N° Lexbase : L9122H9Q).

Selon ce texte en effet, "En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable".

La Cour de cassation va pourtant rejeter le pourvoi en ces termes : "Mais attendu que les dispositions de l'article L. 3171-4 du Code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, qui incombe à l'employeur...".

Cet arrêt est intéressant parce qu'il contribue à affiner sous un éclairage communautaire le champ d'application de l'article L. 3171-4 du Code du travail, lequel est l'objet d'une jurisprudence déjà nourrie.

I - Sur la substance de l'article L.3171-4 du Code du travail

Les litiges relatifs au nombre d'heures accomplies se focalisent assez souvent sur le nombre d'heures supplémentaires accomplies. Quoiqu'il en soit, ce texte introduit ce qu'il est convenu d'appeler un partage de la charge de la preuve à l'issu duquel le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par l'employeur et par le salarié. S'il s'avère que les éléments apportés par l'un et l'autre ne sont pas suffisants pour convaincre le juge de l'existence ou de l'absence d'heures supplémentaires, ce dernier peut ordonner toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

  • Sur la répartition de la charge de la preuve

La particularité de ce texte résulte dans le fait que, la preuve des heures litigieuses n'incombant spécialement à aucune des parties, le juge ne peut rejeter une demande d'heures complémentaires ou supplémentaires en se fondant sur la seule insuffisance des preuves apportées par une seule des parties (3).

Singulièrement, il lui appartient de rechercher, en fonction du salaire horaire du salarié, si la totalité des heures supplémentaires avait été payée (4). Pour ce faire, il doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectués par le salarié (5). Parallèlement, il n'appartient pas au juge de rechercher si les heures supplémentaires litigieuses ont été accomplies avec l'accord de l'employeur dès lors que l'employeur lui-même n'a pas soutenu que ces heures supplémentaires ont été accomplies contre sa volonté (6). Ainsi, la Cour de cassation a pu reprocher à une cour d'appel d'avoir fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, alors qu'elle n'avait pas recherché, si les heures supplémentaires du salarié correspondaient, à un surcroît de travail et si elles avaient été effectuées avec l'accord au moins tacite de l'employeur (7).

  • Sur les éléments de preuve

En pratique, les acteurs du contentieux savent que l'exercice probatoire bute souvent sur la matérialité des éléments de preuve.

La jurisprudence a pu considérer que la preuve de l'existence d'heures supplémentaires n'était pas forcément rapportée par des tableaux de service, des calendriers d'atelier, des fiches d'intervention et des attestations produites (8), ou qu'elle n'était pas établie lorsque les éléments produits par le salarié sont inexploitables et se trouvent contredits par les feuilles de routes, contresignées des parties, versées par l'employeur (9). En revanche, caractérise la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires réalisés, permettant à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments, la fourniture par un salarié de notes de service, d'un certificat du directeur et des décomptes (10). Si l'employeur ne prend pas les mesures pour s'assurer que les salariés remplissent les feuilles de route instituée par la convention collective, la preuve des horaires de travail peut être valablement rapportée par des feuilles de présence (11).

La jurisprudence a ainsi considéré que les tableaux établis par une salariée à une date indéterminée, sans documents réalisés au jour le jour et sans détails sur les tranches horaires, constituaient des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre par ses propres éléments (12), ce qui a pu susciter quelques critiques, puisqu'il peut suffire au salarié de présenter un brouillon pour que l'employeur ait ensuite à répondre pour en contester la substance. Ainsi la Cour de cassation a t-elle admis que constituait un élément de faits suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés, un décompte établi par le salarié au crayon, calculé mois par mois, sans autre explication ni indication complémentaire, auquel l'employeur pouvait répondre (13). Il en est de même pour les plannings mensuels produit par un salarié, correspondant à des documents prévisionnels, constituent des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments (14). Egalement, des fiches de temps établies par le salarié permettent valablement de rapporter la preuve des heures supplémentaires effectuées, lorsque le salarié était tenu, par l'employeur, d'établir de telles fiches (15), ou encore une attestation établie par le conseiller qui l'a assisté lors de l'entretien préalable au licenciement (16), voire des enregistrements chronotachygraphiques fournis par le salarié (17) ou des bordereaux de remises de marchandises à différents transporteurs (18).

Le salarié, qui produit un document manuscrit établi année par année sur les dimanches et jours fériés travaillés et les sommes qu'elle aurait ainsi reçues en espèce pour les années 2002, 2004, 2005, 2006 et 2007, étaye suffisamment sa demande (19), de même qu'un document intitulé récapitulatif des heures de route récapitulant, semaine après semaine, les heures permettant à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments (20).

Ajoutons que, par un arrêt du même jour que celui ici commenté, la Chambre sociale a jugé que l'utilisation du chèque emploi-service universel (CESU) ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 3171-4 du Code du travail relatives à la preuve de l'existence ou du nombre d'heures de travail accomplies (21). Ce qui nous conduit à envisager le champ d'application de cet article.

II - Sur le champ d'application de l'article L. 3171-4 du Code du travail

La Chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser les limites du champ d'application de cet article, soit pour inclure, soit pour exclure certaines situations.

  • Situations relevant du champ d'application du texte

A l'occasion de son licenciement, une assistante maternelle a contesté celui-ci et réclamé le paiement de diverses sommes. Pour la débouter de sa demande tendant au paiement de rappels de salaire, des congés payés afférents ainsi qu'à la remise des bulletins de paie et d'une attestation Assedic rectifiés, les juges du fond (en l'occurrence un conseil de prud'hommes statuant en dernier ressort) avaient considéré que les articles 6 (N° Lexbase : L1116H44) et 9 (N° Lexbase : L1123H4D) du Code de procédure civile rappellent respectivement qu'à l'appui de leurs prétentions les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder et d'en rapporter la preuve conformément à la loi. Faute d'avoir satisfait à cette exigence, la salariée ne permettait pas de calculer le rappel de salaire auquel elle prétendait. La Cour de cassation a cassé le jugement en deux temps.

Tout d'abord, elle a rappelé qu'en principe les dispositions du Code du travail relatives à la durée du travail ne sont pas applicables aux assistants maternels employés par les particuliers qui sont soumis à la convention collective nationale du 1er juillet 2004. Ce rappel s'évince de la simple lecture du Code de l'action sociale et des familles qui a accueilli les dispositions anciennement nichées dans le Code du travail, à l'occasion de la recodification du Code du travail. L'article L. 432-2 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L6101ISR) nous fournit toutefois la liste des dispositions du Code du travail qui s'appliquent toujours aux assistants maternels. Les seuls éléments qui pourraient relever d'une sémantique associée à la durée du travail sont relevés aux points 10° à 12° : la journée du 1er mai, la durée des congés payés, le congé pour évènements familiaux. Par ailleurs, certaines dispositions du Code de l'action sociale et des familles reprennent expressément des dispositifs inclus par ailleurs dans le Code du travail. Ainsi l'article L. 423-21 (N° Lexbase : L4191H8Q) prévoit-il un repos quotidien d'une durée minimale de onze heures consécutives, l'article L. 423-22 (N° Lexbase : L4192H8R) précise-t-il que la salariée ne saurait être employée plus de 6 jours consécutifs ou encore que s'applique à elle un plafond des 48 heures hebdomadaires en moyenne sur 4 mois (sauf accord de l'intéressé pour y déroger).

Ensuite, dressant une limite au principe ainsi rappelé, la Cour de cassation d'ajouter que les dispositions issues de l'article L. 3171-4 du Code du travail relatives à la preuve de l'existence ou du nombre des heures effectuées demeurent applicables. En conséquence, le conseil de prud'hommes, qui avait fait peser la charge de la preuve de l'existence et du nombre d'heures de travail accomplies sur la seule salariée, avait violé le texte susvisé (22). C'est donc que la Cour de cassation opère un "distingo" entre temps de travail et preuve du temps de travail (23) préférant en quelque sorte appliquer une loi spéciale plutôt que la loi générale qui régit la charge de la preuve.

  • Situations ne relevant pas du champ d'application du texte, le respect des seuils et plafonds communautaires

Pourquoi donc exclure l'application du texte litigieux lorsqu'il n'est pas question de la charge de la preuve des heures de travail mais de la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'UE, qui incombe à l'employeur ?

On pouvait en effet considérer qu'une interrogation sur le respect du repos quotidien de 11 heures équivalait à une interrogation sur l'amplitude de la journée de travail (13 heures) et équivalait donc à une interrogation sur le nombre d'heures de travail accomplies. Il s'agissait au fond des deux faces d'une même médaille, la problématique attachée au temps effectué suscitant en creux une problématique sur le repos accompli.

Cette question imposait à un moment ou à un autre le calcul du temps accompli ou du temps de repos accompli, donc un calcul horaire et la preuve de ce temps.

On sait que la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que si la preuve est partagée en matière d'heures supplémentaires, il en est autrement pour prouver l'existence d'une convention de forfait. En effet, c'est celui qui l'invoque qui doit apporter la preuve de son existence (24).

On sait, par ailleurs, qu'en matière de litige relatif à l'existence d'un compte épargne temps, la Cour de cassation, sous le visa du texte qui nous retient ici, fait au contraire jouer la répartition de la charge de la preuve entre employeur et salarié (25) : "en cas de litige relatif à l'existence d'un compte épargne-temps et de son alimentation en jours de congés annuels et en jours de réduction du temps de travail pour les jours de travail effectués par le salarié au-delà d'une convention de forfait jours, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les jours effectivement travaillés par le salarié et pouvant donner lieu à affectation à un compte épargne-temps dans les conditions et limites définies par la convention ou l'accord collectif de travail ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'ainsi la preuve n'incombe spécialement à aucune des parties, et le juge ne peut, pour rejeter la demande d'affectation de ces jours sur un compte épargne-temps, se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par le salarié mais doit examiner les éléments de nature à justifier l'existence et l'alimentation de ce compte que l'employeur est tenu de lui fournir".

Dans l'espèce qui nous retient ici, la Chambre sociale introduit un paramètre fort intéressant : "les dispositions de l'article L. 3171-4 du Code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, qui incombe à l'employeur".

La Cour de cassation distingue le temps accompli du temps non accompli, c'est-à-dire le repos. La Cour de cassation distingue surtout, en l'isolant, la question des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, pour soumettre ceux-ci à un régime probatoire qui pèse sur le seul employeur.

S'agissant du temps accompli, pour lequel le régime probatoire spécifique de l'article L. 3171-4 est applicable, la Cour de cassation ne fait pas autre chose que respecter la lettre même du texte qui vise les litiges relatifs "à l'existence ou au nombre d'heure de travail accomplies". Mais cette référence à un nombre d'heures accomplies ne saurait pour autant être pris au pied de la lettre. L'application du dispositif probatoire à la justification des jours effectivement travaillés par le salarié et pouvant donner lieu à affectation à un compte épargne-temps en est la preuve, si l'on peut dire. C'est bel et bien le temps accompli et non les heures accomplies qui importe ici.

C'est pourquoi l'arrêt du 21 novembre 2000 (précit.) pourrait surprendre, au premier abord. A la vérité, la preuve ne portait pas sur un temps accompli mais sur l'existence d'une convention de forfait-jour, ce qui est fort différent.

Dans ce contexte, le présent arrêt du 17 octobre 2012 ne saurait lui non plus totalement surprendre puisqu'il ne s'agit pas de prouver un temps accompli mais du respect d'un temps de repos. La Cour de cassation évite de peu le reproche d'un certain byzantinisme dans cette affaire, pour les raisons que nous évoquions plus haut, relatif à cette médaille à deux faces qu'est la durée du travail, faite de temps accompli et de repos.

Mais c'est surtout la référence au droit communautaire qui doit in fine retenir notre attention. Ce respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, dont la preuve incombe à l'employeur, focalise l'attention sur l'origine de la législation applicable, fruit d'une transposition en droit interne. En quoi la référence au droit communautaire joue-t-elle ?

La réponse se trouve dans l'arrêt rendu par la CJCE le 1er décembre 2005 (dans l'affaire C-14/04) relatif à la mise en cause du décret n° 2001-1384 (N° Lexbase : L0952AW8) (qui réglementait le régime d'équivalence applicable aux travailleurs au service de certains établissements sociaux et médico-sociaux) pour non-conformité envers la Directive 93/104/ CE du 23 novembre 1993 à laquelle a succédé la Directive n°2003/88/CE du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L5806DLM).

Chacun sait que le décret du 31 décembre 2001 (N° Lexbase : L0952AW8) fut, à la suite de cet arrêt, annulé par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 28 avril 2006 (27) car "entaché d'illégalité en tant qu'il ne fix[ait] pas les limites dans lesquelles devait être mis en oeuvre le régime d'équivalence créé pour garantir le respect des seuils et plafonds communautaires". Le Conseil d'Etat a, notamment décidé que "si la Directive ne fait pas obstacle à l'application des rapports d'équivalence aux durées maximales de travail fixées par le droit national, il ne saurait en résulter une inobservation des seuils et plafonds communautaires".

Cette Directive a pour objet de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des réglementations nationales concernant notamment la durée du temps de travail (27).

Dans cet arrêt du 1er décembre 2005, la CJCE rappelle qu'elle a déjà jugé à plusieurs reprises que, au regard tant du libellé de la Directive 93/104 que de la finalité et de l'économie de celle-ci, les différentes prescriptions qu'elle énonce en matière de durée maximale de travail et de temps minimal de repos constituent des règles du droit social communautaire revêtant une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé. Cette solution fut d'ailleurs reprise par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 29 juin 2011 (28).

Ainsi la Cour a-t-elle relevé que le respect de tous les seuils ou plafonds prévus par la Directive 93/104 dans le but de protéger de manière efficace la sécurité et la santé des travailleurs doit être assuré par les États membres.

Par ailleurs, cet arrêt se situe dans le droit fil d'un certain nombre d'arrêts déjà rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui ont tous en commun de vérifier le respect des seuils et plafonds communautaires. Mais il en est la traduction au plan probatoire en quelque sorte.

Ainsi relève-t-on un arrêt du 26 mars 2008 (29) indiquant qu'il "ne peut être tenu compte d'un système d'équivalence, au sens de l'article L. 212-4 5e alinéa, du Code du travail, pour vérifier, en matière de temps de travail effectif, le respect des seuils et plafonds communautaires fixés par la Directive 93/104/CE du Conseil, telle qu'interprétée par la Cour de justice des Communautés européennes (30), dont celui de la durée hebdomadaire maximale de 48 heures" et un autre arrêt du 24 septembre 2008 reprenant mot pour mot le même attendu (31), de même que deux arrêts du 20 janvier 2010 (32) ou encore un arrêt en date du 30 juin 2010 (33).

Dans ce courant jurisprudentiel, un arrêt du 23 septembre 2009 (34), précise que le seuil communautaire, qui résulte de la Directive 93/104/CE du Conseil du 31 décembre 1993, modifiée par la Directive 2000/34 CE du Parlement et du Conseil du 22 juin 2000, fixant à 11 heures consécutives la période minimale du repos journalier, se traduit en droit interne par l'interdiction de dépasser l'amplitude journalière de 13 heures, celle-ci étant définie comme le temps séparant la prise de poste de sa fin.

La référence aux prescriptions minimales et au respect des seuils et plafonds explique pourquoi la Chambre sociale de la Cour de cassation procède en quelque sorte à l'extraction de ces dispositions du champ d'application de l'article L. 3171-4 du Code du travail.

Cet impératif catégorique qui s'impose aux Etats-membres, dont la France, explique très probablement pourquoi la Cour de cassation subordonne la démonstration de son respect à un régime probatoire simple. La charge de la preuve en incombe pour cette raison au seul employeur, tenu par une obligation générale de prévention en matière de santé (et de sécurité) dans l'entreprise. Les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du Code du travail en sont une illustration connue de tous.

Décision : Cass. soc., 17-10-2012, n° 10-17.370, F-P+B (N° Lexbase : A7125IUG)

Textes visés : Directive 93/104 (N° Lexbase : L7793AU8), art. L. 3171 -4 du Code du travail (N° Lexbase : L0783H9U).

Mots-clés : Temps de travail, seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, charge de la preuve des heures de travail

Liens base: (N° Lexbase : E0595ET9)


(1) CA Versailles, 17ème ch., 24 février 2010, n° 08/02869 (N° Lexbase : A2555EWK).
(2) CJUE, 1er décembre 2005, aff. C-14/04 (N° Lexbase : A7836DLS).
(3) Cass. soc., 6 février 2001, n° 98-45.850 (N° Lexbase : A3589ARD), Cass. soc., 5 juin 1996, n° 94-43.502 (N° Lexbase : A4101AA7), Cass. soc., 3 juillet 1996, n° 93-41.645 (N° Lexbase : A9574AAT), Cass. soc., 16 octobre 2002, n° 00-46.245, inédit (N° Lexbase : A2570A3L), Cass. soc., 26 novembre 2002, n° 00-46.197, inédit (N° Lexbase : A1197A44), Cass. soc., 8 janvier 2003, n° 00-45.061, inédit (N° Lexbase : A5994A4R).
(4) Cass. soc., 20 janvier 1999, n° 97-40.286 (N° Lexbase : A3083AGB).
(5) Cass. soc., 16 juin1998, n° 95-42.263 (N° Lexbase : A4138AAI).
(6) Cass. soc., 20 octobre 2010, n° 08-70.433, F-P+B (N° Lexbase : A4163GC8).
(7) Cass. soc., 17 novembre 2010, n° 09-42.104, F-D (N° Lexbase : A5831GK8).
(8) Cass. soc., 5 octobre 2011, n° 10-23.990, F-D (N° Lexbase : A6076HYP).
(9) Cass. soc., 5 octobre 2011, n° 10-19.908, F-D (N° Lexbase : A6086HY3).
(10) Cass. soc., 23 novembre 2011, n° 10-24.279, F-D (N° Lexbase : A0177H3X).
(11) Cass. soc., 10 janvier 2012, n° 10-28.027, FS-P+B sur le premier moyen (N° Lexbase : A5285IAY).
(12) Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-26.298, F-D ([LXB =A8696IBP]).
(13) Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7544GLY).
(14) Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-28.499, F-D (N° Lexbase : A8996IBS).
(15) Cass. soc., 19 janvier 1999, n° 96-45.628 (N° Lexbase : A9606AAZ).
(16) Cass. soc., 27 mars 2001, n° 98-44.666, F-D (N° Lexbase : A0975ATB).
(17) Cass. soc., 22 janvier 2003, n° 00-45.543, inédit (N° Lexbase : A7351A4Z).
(18) Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06 -41.706, F-P+B (N° Lexbase : A3134DXD).
(19) Cass. soc., 21 juin 2011, n° 10-10.833, F -D (N° Lexbase : A5217HUR).
(20) Cass. soc., 5 juillet 2011, n° 10-11.279, F-D (N° Lexbase : A9523HUA).
(21) Cass. soc., 17 octobre 2012, n° 10-14.248, FS-P+B (N° Lexbase : A7065IU9).
(22) Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-19.684, FS-P+B (N° Lexbase : A4989HTX).
(23) V. T. Lahalle, note sous Cass. soc., 8 juin 2011, préc., JCP éd. S, 2011, 1375
(24) Cass. soc., 21 novembre 2000, n° 98-44.026, publié (N° Lexbase : A7534AXC).
(25) Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-45.361, F-D (N° Lexbase : A0471ESA).
(26) CE 1° et 6° s-s-r., 28-04 -2006, n° 242727 (N° Lexbase : A3809DPR).
(27) CJUE, 26 juin 2001, aff. C-173/99 (N° Lexbase : A1717AWI) Rec. p. I-4881, point 37.
(28) Cass. soc., 29 juin 2011, n° 10-14.743, FS-P+B (N° Lexbase : A6493HUZ).
(29) Cass. soc., 26 mars 2008, n° 06-45.469, FS-P+B (N° Lexbase : A6058D7I).
(30) CJUE, 1er décembre 2005, aff. C-14/04 (N° Lexbase : A7836DLS).
(31) Cass. soc., 24 septembre 2008 , n° 07-44.265, F-D (N° Lexbase : A5044EA3).
(32) Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 07-45.498 (N° Lexbase : A4590EQ3) ; Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 07-45.499, F-D (N° Lexbase : A4591EQ4).
(33) Cass. soc., 30 juin 2010, n° 08-70.416, F-D (N° Lexbase : A6696E3E).
(34) Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-44.226, F-D (N° Lexbase : A5792EL4).

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