Le Quotidien du 12 juillet 2021 : Données personnelles

[Brèves] Communication d'informations à destination des services de renseignement : non-conformité à la Constitution en raison de l'absence de garantie prévue par le législateur

Réf. : Cons. const., décision n° 2021-924 QPC, du 9 juillet 2021, La Quadrature du Net (N° Lexbase : A54744YE)

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N8291BYQ

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[Brèves] Communication d'informations à destination des services de renseignement : non-conformité à la Constitution en raison de l'absence de garantie prévue par le législateur. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/70204489-breves-communication-d-informations-a-destination-des-services-de-renseignement-non-conformite-a-la
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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

le 12 Juillet 2021

► Le deuxième alinéa de l'article L. 863-2 du Code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste, est contraire la Constitution ; en effet, le législateur n'a prévu aucune garantie encadrant les transmissions d'informations à destination des services de renseignement ; ainsi, le deuxième alinéa de l'article précité méconnaît le droit au respect de la vie privée ;

Toutefois, les premier et troisième alinéas du même article, dans sa rédaction résultant de la même loi, sont conformes à la Constitution.

Faits et procédure. Le 19 mai 2021, le Conseil constitutionnel est saisi par le Conseil d'État (CE 9° et 10° ch.-r., 19 mai 2021, n° 431980, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A10124SB) d'une question prioritaire de constitutionnalité, posée pour l'association La Quadrature du Net par son avocat, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 863-2 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L4486K9Z), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste (N° Lexbase : L4410K99).

Griefs. Selon l'association requérante, rejointe par l'association Ligue des droits de l'homme comme association intervenante, en autorisant le partage d'informations entre services de renseignement et la communication d'informations à ces derniers par certaines administrations sans encadrer ces pratiques, le législateur aurait méconnu le droit au respect de la vie privée, la protection des données personnelles, le secret des correspondances ainsi que la liberté d'expression.

À l'appui de ces griefs, elle reproche notamment aux dispositions renvoyées de ne pas définir les informations pouvant être partagées, les catégories de personnes pouvant accéder à ces dernières, les finalités de ce partage ainsi que son régime juridique.

L'association requérante dénonce également l'absence de contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Pour les mêmes motifs, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans une mesure affectant les droits et libertés précédemment mentionnés.

Concernant la communication d'informations aux services de renseignement. Le deuxième alinéa de l'article L. 863-2 du Code de la sécurité intérieure autorise certaines autorités administratives à communiquer des informations aux services de renseignement précédemment mentionnés.

Le Conseil constitutionnel précise qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu améliorer l'information des services de renseignement. Ce faisant, ces dispositions mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation.

Le Conseil constitutionnel rappelle que les autorités administratives autorisées à transmettre des informations aux services de renseignement sont celles mentionnées à l'article 1er de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives (N° Lexbase : L4696HDB), soit :

  • les administrations de l'État,
  • les collectivités territoriales,
  • les établissements publics à caractère administratif,
  • des organismes gérant des régimes de protection sociale,
  • les autres organismes chargés de la gestion d'un service public administratif,
  • les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives.

Le Conseil constitutionnel souligne que cette transmission peut avoir lieu, le cas échéant, à la seule initiative d'autorités administratives dont les missions peuvent être sans lien avec celles des services de renseignement.

Le Conseil constitutionnel ajoute que peuvent être communiquées aux services de renseignement toutes les « informations utiles » à l'accomplissement des missions de ces derniers sans que le législateur n'ait précisé la nature des informations concernées. Par ailleurs, la communication d'informations ainsi autorisée peut porter sur toute catégorie de données à caractère personnel, dont notamment des informations relatives à la santé, aux opinions politiques et aux convictions religieuses ou philosophiques des personnes.

Le Conseil constitutionnel considère que le législateur n'a prévu aucune garantie encadrant ces transmissions d'informations.

Non-conformité. Le Conseil constitutionnel en déduit que le deuxième alinéa de l'article L. 863-2 du Code de la sécurité intérieure méconnaît le droit au respect de la vie privée. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs, cet alinéa doit être déclaré contraire à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel estime que l'abrogation immédiate du deuxième alinéa de l'article L. 863-2 entraînerait des conséquences manifestement excessives. C'est pourquoi elle est reportée au 31 décembre 2021. Les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Concernant le partage d'informations entre services de renseignement. Le Conseil constitutionnel rappelle tout d'abord le rôle du législateur. En vertu de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S), il appartient à ce dernier de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et, d'autre part, le droit au respect la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1366A9H).

Les services de renseignement mentionnés aux articles L. 811-2 (N° Lexbase : L5013KKU) et L. 811-4 (N° Lexbase : L4886K8H) du Code de la sécurité intérieure peuvent partager, sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 863-2, toutes les informations utiles à l'accomplissement de leurs missions. Le troisième alinéa de cet article renvoie à un décret en Conseil d'État les modalités et les conditions d'application de ce partage.

Afin de justifier l'existence de garanties suffisantes prévues par le législateur pour encadrer le partage d'informations entre services de renseignement, le Conseil constitutionnel construit son raisonnement en quatre points distincts :

  • en premier lieu, en application de l'article L. 811-1 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L5012KKT), la politique publique de renseignement concourt à la stratégie de sécurité nationale ainsi qu'à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu organiser et sécuriser le partage d'informations entre les services de renseignement et améliorer leur capacité opérationnelle. Ce faisant, ces dispositions mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation ;
  • en deuxième lieu, d'une part, les services mentionnés à l'article L. 811-2 du même code sont les services spécialisés de renseignement. Ils ont pour missions la recherche, la collecte, l'exploitation et la mise à disposition du Gouvernement des renseignements relatifs aux enjeux géopolitiques et stratégiques ainsi qu'aux menaces et aux risques susceptibles d'affecter la vie de la Nation. À cette fin, ils peuvent recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du Code de la sécurité intérieure pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation énumérés à l'article L. 811-3 (N° Lexbase : L4942KKA). D'autre part, les services mentionnés à l'article L. 811-4 sont ceux, autres que les services spécialisés de renseignement, qui peuvent être autorisés à recourir à ces techniques pour une ou plusieurs des finalités mentionnées à l'article L. 811-3. Le partage d'informations autorisé par les dispositions contestées ne concerne ainsi que des services concourant à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation ;
  • en troisième lieu, le service de renseignement détenteur d'une information ne peut la partager que si cette information est nécessaire à l'accomplissement des missions du service destinataire ;
  • en dernier lieu, d'une part, les informations ainsi partagées sont soumises au respect des règles encadrant les traitements de données à caractère personnel par les services de renseignement et, s'agissant des données recueillies au moyen de techniques de renseignement, des règles mentionnées au livre VIII du Code de la sécurité intérieure. D'autre part, les dispositions contestées ne font pas obstacle au contrôle susceptible d'être exercé, par les autorités compétentes, sur les informations partagées.

Conformité. Le Conseil constitutionnel conclut que les premier et troisième alinéas de l'article L. 863-2 du Code de la sécurité intérieure ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée. Ces dispositions, qui ne sont pas non plus entachées d'incompétence négative et qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

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