Lexbase Social n°872 du 8 juillet 2021 : Social général

[Actes de colloques] Le vieillissement en entreprise

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N8082BYY

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par Bernard Bossu, Professeur agrégé des facultés de droit à l’université de Lille, Doyen honoraire, Directeur du LEREDS (CRDP)

le 12 Juillet 2021

 


Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.

Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).

Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.


Ce thème du vieillissement en entreprise s’inscrit dans une perspective plus large qui est celle de ce colloque : le vieillissement à l’heure des choix. Et il est effectivement question de choix lorsque l’on s’intéresse à la question du travailleur vieillissant. Ce choix peut au demeurant être radical : rester ou partir. C’est la deuxième alternative, à savoir partir, qui a d’abord été retenue. Les politiques publiques ont pendant longtemps encouragé et financé l’exclusion des personnes âgées du marché du travail pour permettre aux plus jeunes d’accéder aux emplois.

À partir de la fin des années 60, face à la montée du chômage, les seniors ont été invités à sortir du marché du travail à l’aide de nombreux dispositifs de cessation anticipée d’activité [1]. Au début des années 2000, notamment en raison de la difficulté à continuer à financer les retraites, c’est au contraire le souci de maintenir la personne âgée dans l’entreprise qui s’est manifesté. La loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM), dite loi « Fillon », illustre parfaitement ce changement de paradigme.

Cette volonté politique n’a pas nécessairement débouché sur les résultats attendus. Même si les études réalisées n’aboutissent pas toujours exactement au même constat, chacun s’accorde à penser que la problématique de l’emploi des seniors demeure délicate.  Dans son avis du 25 avril 2018 sur l’emploi des seniors en entreprise, le Conseil économique, social et environnemental relève que « les seniors sont particulièrement concernés par les licenciements ou toute forme de rupture de contrat et il leur est alors très difficile de retrouver un emploi » [2]. Le constat est largement partagé par le Sénat qui, dans son rapport sur « l’emploi des seniors » en date du 26 septembre 2019, note qu’à la différence de nos voisins européens, le marché du travail français s’avère plus difficile pour les actifs seniors [3]. Par ailleurs, selon le baromètre du défenseur des droits de 2012, l’âge est le premier critère de discrimination ressentie par les salariés dans l’emploi.

Comment expliquer cet état des lieux ? Comme l’expliquent de nombreux auteurs, il existe en France un préjugé tenace sur l’inadaptabilité des travailleurs les plus âgés. Ils seraient moins productifs et ne réussiraient pas à s’adapter aux évolutions techniques et technologiques alors qu’ils percevraient un salaire élevé [4]. Par ailleurs, en raison de l’évolution de leur état de santé, ils seraient fragilisés face aux contraintes du travail. Comme le note l’ANI du 13 octobre 2005, relatif à l’emploi des seniors, « les représentations socioculturelles des seniors constituent un frein important à l’augmentation du taux d’emploi de cette catégorie de salariés » [5].

Ces quelques éléments, et la liste pourrait être sensiblement augmentée, montrent qu’il existe une représentation négative sur le travailleur âgé. Comment peut-on utiliser le droit pour remettre en cause cette image défavorable ? Deux chemins peuvent être empruntés pour favoriser l’emploi des seniors. C’est d’abord le principe de non-discrimination, c’est-à-dire la lutte contre les stéréotypiques, qui doit être mobilisé. Ensuite, il convient de développer des politiques permettant le maintien dans l’emploi du travailleur âgé.

I. Lutter contre les discriminations

Le droit européen et le droit interne prohibent les discriminations liées à l’âge. Mais cette interdiction n’est pas absolue : des différences de traitement peuvent être justifiées dès lors qu’elles subissent avec succès les tests de justification et de proportionnalité.

A. Les différences de traitement prohibées

L’interdiction des discriminations en raison de l’âge a été proclamée par la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001, relative à la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L9122AUE[6]. De façon générale, on relèvera que sont prohibées les discriminations directes mais aussi les discriminations indirectes.

S’agissant de la discrimination directe, elle suppose qu’une personne soit traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’âge.

La discrimination directe est susceptible de se manifester dès le stade de l’embauche, un employeur refusant de recruter un salarié en raison de son âge. Dans une délibération du 27 avril 2009, la Halde a rappelé ce principe dans une affaire où le candidat à l’embauche était âgé de 56 ans [7]. L’idée que les travailleurs de plus de 50 ans sont moins performants est assez largement répandue et les politiques de ressources humaines ont parfois une approche très stéréotypée des travailleurs âgés. Mais la preuve de la discrimination au stade de l’embauche est très difficile à établir. Souvent, il sera utile d’établir une comparaison entre des personnes placées dans une situation comparable. Mais à qui comparer celui qui se prétend victime d’une discrimination en raison de son âge ? Faut-il regarder la situation des personnes qui appartiennent à la même catégorie d’âge ou la situation des personnes plus jeunes ?

C’est principalement à l’occasion de la rupture du contrat de travail que la discrimination en raison de l’âge donne lieu à des actions en justice. Le contentieux peut d’abord trouver sa source dans les licenciements fondés sur l’insuffisance professionnelle, le salarié âgé étant perçu comme moins productif. Mais l’incompétence alléguée doit reposer sur des éléments précis, objectifs et vérifiables et non sur une appréciation purement subjective de l’employeur. En pratique, le juge va être amené à opérer des comparaisons notamment chiffrées avec les résultats des autres travailleurs dans l’entreprise.

Bien évidemment, l’étude du contentieux conduit à déplacer notre regard vers la question de la mise à la retraite. Dans l’hypothèse de la requalification d’une mise à la retraite intervenue sans respect des conditions légales, on songe notamment à l’impossibilité pour le salarié de bénéficier d’une pension de retraite à taux plein, le seul motif avancé par l’employeur sera l’âge du salarié. Or, un tel motif est a priori discriminatoire. Dans un arrêt de principe en date du 21 décembre 2006, la Cour de cassation décide qu’en vertu de la loi « aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que toute disposition ou tout acte contraire à l’égard d’un salarié est nul ». En conséquence, dès lors que l’employeur n’invoquait comme cause de rupture que l’âge du salarié, lequel ne bénéficiait pas d’une retraite à taux plein, sa mise à la retraite constituait un licenciement nul [8].

S’agissant de la discrimination indirecte, elle est constituée lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’un âge par rapport à d’autres personnes. Souvent, les données statistiques vont être un outil efficace pour prouver qu’une mesure est défavorable à une classe d’âge [9]. À titre d’illustration, on peut s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 avril 2009 [10]. En l’espèce, un salarié licencié soutenait que le plafonnement d’une indemnité conventionnelle de licenciement, à partir de douze ans d’ancienneté, constituait une discrimination indirecte en raison de l’âge. Selon lui, il existe un rapport entre l’âge et l’ancienneté qui fait que les salariés les plus anciens sont souvent les moins jeunes. La Cour de cassation rejette son argumentation au motif qu’il ne résultait pas des constatations de la cour d’appel que ce plafonnement avait pour effet de désavantager les salariés en fonction de leur âge. La haute juridiction invite donc à distinguer entre le critère de l’ancienneté et l’âge. L’employeur peut, dans le cadre de son pouvoir d’individualisation, tenir compte de l’ancienneté. [11] La solution aurait pu être différente si le salarié avait démontré qu’en application de la convention collective d’entreprise, les plus anciens étaient aussi en proportion les plus âgés et subissaient de ce fait un désavantage [12].

B. Les différences de traitement autorisées

L’article 6, § 1, de la Directive n° 2000/78 (N° Lexbase : L3822AU4) ouvre aux États membres la faculté de justifier une mesure discriminatoire directement fondée sur l’âge. Aux termes de ce texte, les différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées dans le cadre du droit national et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. Les objectifs poursuivis doivent donc être légitimes mais aussi proportionnés au but poursuivi.

1) Le test de légitimité

Les motifs légitimes justifiant une différence de traitement fondée sur l’âge sont appréciés avec une grande souplesse par le juge. L’argumentation varie selon que la différence de traitement provient d’une disposition légale ou réglementaire, ou d’une pratique de gestion d’entreprise.

a. Les dispositions législatives et réglementaires

En raison des enjeux sociaux et financiers qui sous-tendent la plupart des dispositifs législatifs ou conventionnels, la CJUE valide fréquemment les justifications avancées par les États membres [13]. Est ainsi légitime, la réglementation qui vise à « réguler le marché national de l’emploi, notamment aux fins d’enrayer le chômage » [14]. De même, la promotion de l’embauche constitue incontestablement un objectif légitime de politique sociale ou de l’emploi des États membres [15]. Dans l’arrêt « Palacios de la Villa », la CJUE souligne encore qu’il incombe aux États membres de choisir entre des politiques tendant à « allonger la durée de la vie active des travailleurs ou, au contraire, de prévoir le départ à la retraite plus précoce de ces derniers » [16].

Cette jurisprudence est partagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 26 novembre 2013 mettant en scène un salarié qui avait été mis à la retraite conformément aux dispositions légales en vigueur, la Cour de cassation a décidé que la loi met en œuvre, dans un objectif de politique sociale, le droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre [17]. Cette solution peut être rapprochée d’une décision rendue par le 4 mai 2011 par le Conseil constitutionnel. Selon lui, « en fixant une règle générale selon laquelle, en principe, l’employeur peut mettre à la retraite tout salarié ayant atteint l’âge ouvrant droit au bénéfice d’une retraite à taux plein, le législateur n’a fait qu’exercer la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution pour mettre en œuvre le droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre ». Le régime de mise à la retraite prévu par la loi est donc conforme au droit à l’emploi garanti par le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 [18].

b. Les pratiques de gestion des entreprises

S’agissant des politiques de gestion des ressources humaines, toute référence à l’âge est en principe prohibée. C’est pourquoi l’employeur s’appuie fréquemment sur la fidélité, ou encore l’ancienneté ou l’expérience pour justifier une différence de traitement.  On comprend notamment que l’ancienneté implique normalement une augmentation de l’expérience professionnelle et donc un salarié qui travaille de manière plus efficace [19]. Fort logiquement, si le salaire ne peut pas en principe être fonction de l’âge du salarié, il pourra néanmoins être en partie lié à l’expérience acquise par le travailleur. 

L’entreprise peut aussi être tentée de justifier une mesure d’âge pour permettre l’accession à un emploi de ceux qui en sont privés. Ce motif peut être admis dès lors qu’il répond effectivement au souci de développer l’emploi. Ainsi, dans un arrêt en date du 17 mars 2015, le syndicat national des moniteurs du ski français avait organisé une réduction de l’activité des moniteurs âgés de 62 dans le but affiché de libérer des postes pour les plus jeunes. En réalité, l’objectif était de satisfaire la clientèle à la recherche de nouvelles techniques de glisse nécessitant une force physique adaptée. En conséquence, la Cour de cassation en déduit que la mesure n’était pas « objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime d’intérêt général, tenant notamment à la politique de l’emploi, au marché du travail ou à la formation professionnelle » [20].

C’est enfin parfois la protection de la santé qui est mise en avant par l’entreprise pour justifier une mesure d’âge, notamment la pénibilité des conditions de travail. Ce motif est admis par la Cour de cassation s’il est « étayé par des éléments précis et concrets tenant à la répercussion des travaux accomplis sur l’état de santé du salarié » [21]. En d’autres termes, la justification doit être appréciée in concreto et non d’une manière générale et abstraite.

2) Le test de proportionnalité

Poursuivre un objectif légitime n’est pas suffisant pour échapper au grief de discrimination : il faut encore que la mesure d’âge soit appropriée pour atteindre ledit objectif. En d’autres termes, si l’objectif ne peut être atteint par des moyens alternatifs à la limite d’âge, le test de proportionnalité est passé [22]. En pratique, la Cour de justice de l’Union européenne va vérifier, d’une part, que l’objectif n’aurait pas pu être atteint par d’autres moyens plus modérés et, d’autre part, que le dispositif est cohérent, c’est-à-dire adapté au résultat recherché [23]. La CJUE a ainsi statué sur une réglementation qui a fixé une limite d’âge (30 ans) pour accéder à un emploi de pompier. Cette limite d’âge répond à un objectif légitime : une condition physique optimale des agents est nécessaire pour assurer l’efficacité des interventions de protection des biens et des personnes. Le choix de l’âge de 30 ans passe aussi le test de proportionnalité car « un recrutement à un âge avancé aurait pour conséquence qu’un trop grand nombre de fonctionnaires ne pourraient être affectés aux tâches les plus exigeantes sur le plan physique » [24]. On notera que le dossier produit devant le juge contenait des données scientifiques résultant d’études menées dans le cadre de la médecine du travail et du sport, desquelles il ressortait que les capacités respiratoires, la musculature et l’endurance diminueraient avec l’âge [25]

Un contentieux important s’est également développé sur l’âge limite imposé aux pilotes de l’aviation pour voler. Le Code de l’aviation civile contient des dispositions qui imposent une limite d’âge aux pilotes. L’employeur doit alors proposer un reclassement dans un emploi au sol et, si le reclassement s’avère impossible ou si le salarié refuse ce dernier, la rupture du contrat est autorisée. Ces dispositions semblent répondre à un objectif légitime : la sécurité des vols, des équipages et des personnels explique la limite d’âge [26]. Mais encore faut-il que les moyens employés pour réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires. Le contrôle de proportionnalité doit conduire à écarter une mesure ou une disposition prenant en compte l’âge du salarié si d’autres moyens, moins désavantageux pour lui, peuvent être mis en œuvre [27]. Des tests médicaux réguliers peuvent sembler plus pertinents puisqu’ils permettent une évaluation individuelle de chaque pilote. Par ailleurs, il existe d’autres alternatives comme la possibilité, pour les pilotes âgés, de copiloter [28]. Ces différentes considérations vont conduire la Cour de cassation à décider le 11 mai 2010 qu’une cour d’appel ne peut se limiter à reconnaître le caractère légitime, en ce qu’il répond à un objectif de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de sécurité, des dispositions fixant à 60 ans l’âge de cessation d’activité des pilotes d’avion, mais doit rechercher si la cessation des fonctions à cet âge est nécessaire à la réalisation de ces objectifs [29]. On notera que la Cour de cassation va encore affirmer le 3 juillet 2012 que la limitation à 60 ans du métier de pilote dans le transport aérien public n’est pas un moyen approprié et nécessaire dans le cadre d’une politique de l’emploi [30].

II. Maintenir l’emploi

Comment maintenir dans l’emploi les travailleurs âgés ? La question est complexe et notre propos ne vise certainement pas à l’exhaustivité. On relèvera simplement que deux pistes doivent être examinées. D’abord, parce que la personne âgée est souvent présentée comme incapable de s’adapter aux évolutions du monde du travail, il faut veiller à maintenir ses compétences par des formations adaptées mais aussi permettre son éventuel reclassement sur un autre poste. Ensuite, une attention toute particulière doit être accordée aux conditions de travail, l’âge entraînant nécessairement une dégradation de l’état de santé.

A. Former et reclasser

Dans un contexte d’évolution permanente des emplois et des compétences, il paraît essentiel de préparer l’adaptation ou la reconversion des salariés. Ces dernières décennies ont été marquées par des transformations particulièrement importantes des technologies et des formes d’organisation du travail et notamment le développement de pratiques de travail dites « flexibles » ou « innovantes ». Et les salariés doivent être en mesure de s’adapter rapidement à l’utilisation de matériels et de méthodes de travail radicalement nouveaux. Pour maintenir l’emploi, il est indispensable de veiller à l’employabilité des salariés. Chacun comprendra que si un travailleur à la chaîne est licencié à 50 ans sans jamais avoir reçu la moindre formation, il va nécessairement demeurer à la charge de la société jusqu’à l’âge de sa retraite. Le coût est non seulement énorme sur le plan humain mais aussi pour la société dans son ensemble. L’entreprise socialement responsable, c’est l’entreprise qui prend en charge son environnement. Sur le plan juridique, une démarche individuelle mais aussi collective est imposée à l’entreprise.  

S’agissant de la démarche individuelle, la Cour de cassation va décider dans les années 90 que « l’employeur, tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois et de favoriser leur reclassement ». Deux mots imprègnent désormais le droit du licenciement économique : adapter et reclasser [31]. Si l’employeur prépare ses salariés aux emplois de demain, on pourra plus facilement assurer le reclassement de ces derniers.

L’obligation d’adaptation a été affirmée pour la première fois par la Cour de cassation le 25 février 1992 : « l’employeur tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois » [32]. La solution sera ensuite consacrée par loi, l’article L. 6321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9898LL8) affirmant aujourd’hui que « l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences ». Ces actions de formation sont mises en œuvre le cas échéant par un plan de développement des compétences (ancien plan de formation).

On retiendra de ce texte deux obligations distinctes. L’employeur doit tout d’abord adapter le salarié à son poste de travail afin qu’il possède les savoirs et les compétences nécessaires pour poursuivre son activité sur son poste de travail. Un salarié peut en conséquence contester son licenciement pour insuffisance professionnelle si l’employeur a manqué à son devoir d’adaptation. Il convient toutefois de ne pas se tromper sur la portée de cette première obligation. On ne demande pas à l’employeur d’assurer une formation initiale qui ferait défaut mais d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois en assurant des formations complémentaires [33]. Au-delà de l’obligation d’adaptation du salarié à son propre poste de travail, il faut aussi veiller à l’employabilité externe de l’intéressé, c’est-à-dire maintenir sa capacité professionnelle à occuper un emploi s’il se retrouve demain sur le marché du travail. Ainsi, viole l’article L. 6321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9898LL8), l’employeur qui en 16 ans d’exécution du contrat de travail, n’a pas fait bénéficier le salarié dans le cadre du plan de formation d’aucune formation permettant de maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations [34]. Et comme cette obligation incombe à l’employeur, il ne saurait être reproché à un salarié de n’avoir émis aucune demande de formation au cours de son contrat de travail [35]. En revanche, si le salarié refuse, sans motif légitime, de suivre une action de formation décidée par l’employeur dans l’intérêt de l’entreprise, il peut être licencié pour faute [36].

On notera encore que l’employeur ne peut refuser une formation à un salarié au motif qu’il est trop âgé. Ainsi, lorsqu’une compagnie aérienne refuse un stage de qualification à un pilote de ligne de 60 ans, en raison de l’amortissement aléatoire de son coût, eu égard à l’incertitude concernant, d’une part, l’évolution de son aptitude médicale et, d’autre part, la date de son départ en retraite, la discrimination en raison de l’âge est constituée [37].  Ce cas n’est malheureusement pas isolé. La croyance que le salarié âgé n’a pas la possibilité de profiter avec efficacité des formations proposées est tenace [38].

Dans de prolongement de l’obligation d’adaptation, on trouve l’obligation de reclassement. L’employeur a l’obligation de renégocier le contrat de travail lorsque l’évolution de l’entreprise empêche de fournir le travail convenu. D’origine jurisprudentielle, l’obligation de reclassement a été consacrée par la loi. En vertu de l’article L. 1233-4 du Code du travail (N° Lexbase : L7298LHR), le licenciement économique d’un salarié ne peut intervenir que si le reclassement est impossible. En résumé, c’est parce que l’employeur a respecté son obligation d’adaptation, qu’il pourra reclasser le moment venu ses salariés.

Sur un plan plus collectif, l’employeur peut décider de mettre en place un plan de développement des compétences qui comprend l’ensemble des formations organisées au bénéfice du personnel. Les actions prévues par ce plan peuvent être des actions d’adaptation au poste de travail ou des actions de développement des compétences destinées à faire acquérir au salarié une nouvelle qualification. On notera que le salarié peut aussi être à l’origine du développement de ses compétences, notamment grâce à la mobilisation de son compte personnel de formation.

Toujours sur le plan collectif, au titre des consultations récurrentes, l’article L. 2312-26 prévoit une consultation annuelle du CSE sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi. Elle porte notamment sur l’évolution de l’emploi, les qualifications, les actions de formation, l’apprentissage, les actions de prévention en matière de santé et de sécurité et les conditions de travail.

Enfin, l’idée d’anticiper les difficultés avant qu’elles ne surviennent pour permettre notamment d’adapter les emplois et les compétences aux stratégies de l’entreprise s’est traduite dans la loi du 18 juillet 2005 (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49) par l’obligation de négocier au moins tous les 3 ans dans les entreprises d’au moins 300 salariés sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Aujourd’hui, l’article L. 2242-20 du Code du travail (N° Lexbase : L9907LLI) parle d’une négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels, ainsi que sur les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, d’abondement du compte personnel de formation, de validation des acquis de l’expérience et du bilan de compétence. S’agissant de contenu de cette négociation, l’article L. 2242-21 (N° Lexbase : L7336LH8) prévoit qu’elle peut notamment porter sur « l’emploi des salariés âgés et la transmission des savoirs et des compétences ».  Dans le rapport du Sénat du 26 septembre 2019 sur l’emploi des seniors, il est proposé de rendre obligatoire la prise en compte de cette question [39]. Plus globalement, les auteurs du rapport considèrent qu’il est indispensable qu’à tous les niveaux, les partenaires s’emparent de la question du recrutement et du maintien dans l’emploi des seniors. L’ANI du 13 octobre 2005 relatif à la question de l’emploi des seniors s’est révélé décevant sans doute en raison de son caractère trop modeste. Il serait souhaitable d’afficher de nouvelles ambitions, en créant par exemple, comme pour l’égalité femmes/hommes, un index [40].

B. Surveiller les conditions de travail et l’état de santé

Ce n’est pas à l’homme à s’adapter au travail mais au travail à s’adapter à l’homme. Ce principe d’adaptation du travail à l’homme, qui est posée par l’article L. 4121-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6801K9R), s’applique en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production. L’employeur doit, en vertu de son obligation de sécurité, prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé de ses salariés.

Plusieurs éléments permettent de comprendre pourquoi une telle démarche de prévention est imposée à l’employeur, notamment pour les seniors.  On notera tout d’abord que de nombreuses études ont montré l’impact du travail sur l’usure prématurée de l’organisme. L’homme commence à vieillir entre 20 et 25 ans et les effets du vieillissement deviennent observables à partir de 40 ans [41]. Et le travail peut contribuer à accélérer ou amplifier le mécanisme du vieillissement. La remarque est importante car cela signifie que la question de l’amélioration des conditions de travail concerne tous les salariés, quel que soit leur âge. Ensuite, il apparaît que certaines contraintes sont en particulier pénalisantes pour le salarié âgé. La première contrainte est liée au temps : le rythme de travail est imposé par le collègue ou par le déplacement automatique de la pièce sur la chaîne de production. La seconde contrainte est physique, elle est liée au port de charges lourdes ou encore au maintien de postures douloureuses et pénibles. Enfin, la troisième contrainte est liée à l’organisation du travail : les horaires atypiques et le travail de nuit sont moins bien supportés par la personne âgée [42].

À partir de là, le défi de l’entreprise est d’identifier les problèmes et d’apporter des réponses adaptées comme par exemple éviter les contraintes de travail les plus pénalisantes pour les salariés âgés ou ménager des alternances entre les postes. Et, au-delà du chef d’entreprise qui doit veiller à la santé et à la sécurité des salariés, trois acteurs vont aider à résoudre les difficultés liées aux conditions de travail.

D’abord, le comité social et économique et éventuellement sa commission santé, sécurité et conditions de travail. L’article L. 2312-5, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L1435LKD) prévoit que la délégation du personnel au CSE « contribue à promouvoir la santé, la sécurité et l’amélioration des conditions de travail dans l’entreprise et réalise des enquêtes en matière d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel ». Par ailleurs, la consultation annuelle du CSE sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi va porter notamment sur les actions de prévention en matière de santé et de sécurité et les conditions de travail.

Le deuxième acteur clé est évidemment le médecin du travail. Même si la loi ne prévoit pas de surveillance physique particulière pour le travailleur âgé [43], le médecin du travail doit veiller à la préservation de son état de santé ainsi qu’à l’existence de conditions de travail optimales dans l’entreprise. On notera d’ailleurs, qu’en vertu de l’article R. 4623-1, le médecin du travail participe à la prévention des risques professionnels et à la protection de la santé des travailleurs, notamment par « l’adaptation des postes, des techniques et des rythmes de travail à la santé physique et mentale, notamment en vue de préserver le maintien dans l’emploi des salariés ».

Enfin, à côté des institutions représentatives du personnel et du médecin du travail, la question des conditions de travail doit devenir un objet de négociation. Il appartient aux partenaires sociaux d’imaginer des actions concrètes permettant de lutter contre les stéréotypes en encourageant par exemple les politiques favorisant une approche intergénérationnelle. Il est encore essentiel de développer des dispositifs innovants qui visent à favoriser le maintien dans l’emploi des travailleurs âgés (alternance, reconversion…) [44]. Par ailleurs, les accords pour améliorer la qualité de vie au travail devraient permettre de lutter contre les risques physiques et psychiques et donc contribuer au maintien en bonne santé des seniors [45].   

 

[1] Sénat, Rapport sur l’emploi des seniors, 26 septembre 2019, par M. Lubin et R.-P. Savary [en ligne].

[2] A. Cordesse, L’emploi des seniors, avis n° 2018-14 du 25 avril 2018 du Conseil économique, social et environnemental, p. 8 [en ligne].

[3] Sénat, Rapport sur l’emploi des seniors, 26 septembre 2019, op. cit.

[4] L. Behaghel, E. Caroli et M. Roger, Départ des travailleurs âgés, formation continue et changements technologiques et organisationnels, Travail et emploi, janvier - mars 2010, p. 7 [en ligne].

[5] Accord national interprofessionnel (ANI)  du 13 octobre 2005, relatif à l’emploi des seniors en vue de promouvoir leur maintien et leur retour à l’emploi, JO, 22 juillet 2006 [en ligne].

[6] C. trav., art. L. 1132-1 (N° Lexbase : L4889LXD).

[7] Halde, délibération n° 2009-199 du 27 avril 2009.

[8] Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-12.816, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3624DTE), JCP S 2007, 1244, note B. Bossu.

[9] F. Michéa, Le traitement judiciaire du critère discriminatoire de l’Âge, Droit social, 2010, p. 1060.

[10] Cass. soc., 30 avril 2009, n° 07-43.945, FS-P+B (N° Lexbase : A6457EGA), RDT, 2009, p. 519, note K. Berthou ; Cass. soc., 19 octobre 2010, n° 08-45.254, F-D (N° Lexbase : A4158GCY).

[11] F. Michéa, op. cit.

[12] P. Bailly et J.-P. Lhernould, Discrimination en raison de l’âge : sources européennes et mise en œuvre du droit interne, Dr.oit social, 2012, p. 223.

[13] F. Michéa, op. cit.

[14] CJUE, 16 octobre 2007, aff. C-411/05, Félix Palacios de la Villa c/ Cortefiel Servicios SA (N° Lexbase : A7508DYQ), Rec. CJCE, I, p. 8531 ; JCP S, 2008, 1152, note J. Cavallini.

[15] CJUE, 18 novembre 2010, aff. C-250/09, Vasil Ivanov Georgiev c/ Technicheski universitet - Sofia, filial Plovdiv (N° Lexbase : A5488GI4), RJS, 2/2011, p. 99, note J.-Ph. Lhernould.

[16] CJUE, 16 octobre 2007, aff. C-411/05, op. cit..

[17] Cass. soc., 26 novembre 2013, n° 12-24.690, FS-P+B (N° Lexbase : A4641KQX). JCP S, 2013, 1150, note B. Bossu.

[18] Cons. const., décision n° 2010-98 QPC du 4 février 2011 (N° Lexbase : A1691GR3).

[19] J.-L. Putz, Discrimination au travail, éd. Promoculture, 2010, n° 371.

[20] Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-27.142, FS-P+B (N° Lexbase : A1907NED), JCP S, 2015, 1298, note B. Bossu.

[21] Cass. soc., 14 septembre 2017, n° 15-17.714, FS-P+B (N° Lexbase : A0779WSN), RJS, 11/17, n° 764, 1ère espèce, n° 764 ; Cass. soc., 14 septembre 2017, n° 16-12.303, FS-P+B (N° Lexbase : A0872WS4), RJS, 11/17, n° 764, 2ème espèce ; JCP S, 2017, 1380, note L. Cailloux-Meurice.

[22] P. Bailly et J.-Ph. Lhernould, op. cit.

[23] Y. Leroy, Âge du salarié, Rép. Trav. Dalloz, n° 5.

[24] CJUE, 12 janvier 2010, aff. C-229/08, Colin Wolf c/ Stadt Frankfurt am Main (N° Lexbase : A2385EQE), JCP S, 2010, 1080, note J. Cavallini ; RJS, 4/10, p. 257, note. J. -Ph. Lhernould.

[25] P. Bailly et J-Ph. Lhernould, n° 9.

[26] P. Bailly et J.-Ph. Lhernould, op. cit., n° 33 ; CJUE, 13 septembre 2011, aff. C-447/09, Reinhard Prigge c/ Deutsche Lufthansa AG (N° Lexbase : A7249HXR).

[27] P. Bailly et J.-Ph. Lhernould, op. cit., n° 34.

[28] Y. Leroy, Âge du salarié, op. cit., n° 66.

[29] Cass. soc., 11 mai 2010, n° 08-45.307, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1608EXT), RJS 2010, n° 582, 2ème espèce ; RDT, 2010, p. 587, note Mercat-Bruns ; LPA, 7 juin 2011, n° 112, p. 10, note Y. Leroy.

[30] Cass. soc., 3 juillet 2012, n° 11-13.795, FS-P+B (N° Lexbase : A4816IQG), Bull. civ. V, n° 205, RJS, 10/12, n° 851 ; Cass. soc., 21 septembre 2017, n° 16-10.291, FS-P+B (N° Lexbase : A7507WST), RJS, 12/17, n° 843.

[31] B. Bossu, Loyauté et contrat de travail, in Droit et loyauté, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2015, p. 124.

[32] Cass. soc., 25 février 1992, D., 1992, p. 390, note M. Défossez.

[33] Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-13.876, FS-P+B (N° Lexbase : A2764MTK), RJS, 2014, n° 672.

[34] Cass. soc., 5 juin 2013, n° 11-21.255, F-P+B (N° Lexbase : A3212KG3), RJS, 2013, n° 629 ; LPA, 11 juin 2014, n° 116, p. 21, note P. Etiennot.

[35] Cass. soc., 18 juin 2014, n° 13-14.916, FS-P+B (N° Lexbase : A5993MRE), RJS, 2014, n° 718.

[36] Cass. soc., 5 décembre 2007, JCP S, 2008, 1233, note A. Barège.

[37] Cass. soc., 18 février 2014, n° 13-10.294, FS-P+B (N° Lexbase : A7686MEE).

[38] P.-Y. Verkindt et M. Wacongne, Le travailleur vieillissant, Droit social, 1993, p. 932.

[39] Sénat, Rapport sur l’emploi des seniors, 26 septembre 2019, op. cit..

[40] Voir Sénat, Rapport sur l’emploi des seniors, op. cit., recommandation n° 2.

[41] G. Kreutz, G. Vallet, M. Gilles et J.-P. Meyer, Vieillissement, santé, travail : état des lieux et perspectives de prévention, INRS, Documents pour le médecin du travail, n° 97, 1er trimestre 2004, p. 69 [en ligne].

[42] G. Kreutz, G. Vallet, M. Gilles et J.-P. Meyer, op. cit..

[43] P.-Y. Verkindt et M. Wacongne, op. cit..

[44] A. Jolivet, B. Lamotte et C. Massit, Négocier sur l’emploi des seniors ? Analyse d’accords d’entreprise de 1999 à 2006, Travail et emploi, janvier - mars 2010, p. 33 [en ligne].

[45] A. Cordesse, op. cit., p. 20.

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