La lettre juridique n°479 du 29 mars 2012 : Éditorial

De l'anosognosie de Sisyphe simplifiant le droit

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Sans répit, sans repos... après 5 032 heures de séance publique, 4 615 heures de séance en commissions et fort de 75 858 amendements déposés en séance publique, le Président de l'Assemblée nationale sonne la fin de la XIIIème législature de la Vème République. Le bilan suscite l'orgueil pour les uns, la circonspection pour les autres. 533 lois et 172 ordonnances publiées au Journal officiel, pour 264 textes de loi adoptés : 2 lois par semaine, 3 ordonnances par mois. Et, à cela, on ajoutera 19 127 décrets (10 par jour) et 72 022 arrêtés (40 par jour)... Nemo censitur ? Qui disait...

Conscientes de cette inflation progressive et de l'inintelligibilité du droit, sans parler des problèmes de sécurité juridique induits, pour la quatrième fois depuis 2007, les commissions des lois de l'Assemblée et du Sénat ont été saisies d'une nouvelle proposition de loi de simplification du droit. C'est l'histoire du pompier pyromane ! Et, comme "l'homme devrait mettre autant d'ardeur à simplifier sa vie qu'il en met à la compliquer", nous enseigne Bergson, ces lois de simplification sont à l'image des dispositions qu'elles affectent : si la loi du 20 décembre 2007 comportait 30 articles, la loi du 17 mai 2011 en arborait 200. Bien heureusement, la loi du 22 mars 2012, relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives, revient à la raison, forte de 134 articles "seulement".

Il faut dire que la commission du Sénat avait donné de la voix, déplorant le fait que, sous couvert de simplification, le texte servait de "pavillon de complaisance" à des marchandises de toutes natures, qui parfois allaient bien au-delà de la stricte simplification du droit, même si cette nouvelle loi de simplification ne donnait plus, au même degré en tout cas, l'apparence d'un "assemblage hétéroclite de cavaliers législatifs' en déshérence", selon la formule de Bernard Saugey. Toujours est-il que, dans sa décision du 15 mars 2012, le Conseil constitutionnel a tout de même censuré neuf dispositions de la petite loi, dont certaines sous le joug des fameux picadors.

La harangue de la commission du Sénat est déroutante, venant de la part de la Chambre haute, mais emplie de bon sens. "La simplification permanente de notre droit, sans cesse répétée, année après année, contribue à l'instabilité comme à l'inflation législatives". Or, "les destinataires de la loi, a fortiori les entreprises, ont besoin de prévisibilité et de stabilité de la norme qui leur est applicable. Une loi peut-être imparfaite mais connue, stable et appliquée est souvent préférable à une loi méconnue car changeante et instable, sous prétexte de simplification". D'autant qu'il n'est pas rare que "des lois de simplification cachent de réelles novations juridiques, qui passent alors à peu près inaperçues et sont finalement adoptées sans réelle discussion. La démarche de simplification proposée au législateur doit elle-même être simple, lisible et cohérente pour être convaincante et pertinente".

Alors que restera-t-il de cette énième loi de simplification ? Un peu de la fin de la condition des 10 jours de travail effectif chez le même employeur pour bénéficier de congés payés ; la suppression de l'accord du salarié lorsque l'aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l'année est fait par accord collectif ; un brin de codification du télétravail ; un soupçon de rupture du contrat de travail du salarié licencié pour inaptitude physique non professionnelle dès la notification du licenciement et non plus au terme du préavis que le salarié ne peut, en tout état de cause, pas exécuter ; la négociation de branche sur les salaires lorsque le salaire minimum des salariés sans qualification est inférieur au SMIC ; l'harmonisation des références à la notion d'effectif dans le Code du travail ; et un certain nombre de procédures simplifiées (ex. : mise à jour moins fréquente pour les TPE du document unique d'évaluation des risques, déclarations préalables à l'embauche obligatoirement sous forme électronique pour certaines entreprises).

La France peut-elle se réfugier derrière l'anosognosie pour s'excuser de sa "législatite" aigue ? La faute de l'Europe tout cela ? Certes, 85 % des normes françaises sont tirées de la législation de l'Union. Et, qui a lu un jour une Directive en mal de transposition comprend, dès lors, qu'il faille remettre sans cesse son ouvrage. L'harmonisation législative n'est pas chose aisée, surtout lorsque le droit continental le cède peu à peu devant la common law. A changer de nature et à introduire de nouvelles terminologies en sus de celles déjà existantes dans notre droit, l'ontologie juridique en perd son langage naturel et la loi son intelligibilité. D'autant que les 15 % de lois d'initiative franco-française doivent, également, s'arquebouter pour satisfaire aux canons normatifs européens. Tel est le revers d'une intégration communautaire, certes nécessaire, mais à marche forcée... Et, la téléologie de la promotion du droit continental, aujourd'hui.

Comme chacun le sait, si "faire et défaire, c'est toujours travailler [...] ce n'est pas gros avancer"...

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