La lettre juridique n°839 du 8 octobre 2020 :

[Jurisprudence] La perte des recours de la caution en cas de nullité du contrat principal

Réf. : Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-14.568, F-P+B (N° Lexbase : A54323TD)

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par Gaël Piette, Professeur à l’Université de Bordeaux, CRDEI / IRJS, Directeur scientifique des Encyclopédies Lexbase «Droit des sûretés» et «Droit des contrats spéciaux»

le 07 Octobre 2020


Mots-clés :  annulation du contrat principal • restitutions consécutives à la nullité • article 2038 du Code civil • perte partielle de ses recours par la caution 

Dans un arrêt du 9 septembre 2020, la Cour de cassation fait une juste application de l’article 2308 du Code civil, relatif à la perte des recours de la caution contre le débiteur principal. La caution avait payé sans être poursuivie par le créancier et sans en avoir averti le débiteur, alors que le contrat principal a été annulé. De ce fait, elle ne peut recourir contre la caution pour les intérêts et accessoires du crédit. En revanche, elle peut demander le remboursement des sommes versées au titre du capital remboursé, puisque le débiteur principal aurait dû restituer ces sommes après annulation du crédit.


Voici un arrêt rendu en matière de cautionnement qui change un peu, en traitant d’une autre question que l’exigence de proportionnalité, les mentions manuscrites ou le bénéfice de subrogation. Était en cause en l’espèce la perte de ses recours par la caution, visée par l’article 2308 du Code civil (N° Lexbase : L1207HIK).

Un couple avait souscrit auprès d’une banque un crédit immobilier, garanti par le cautionnement de la Compagnie européenne de garanties et cautions. À la suite d'échéances impayées, l’établissement de crédit a prononcé la déchéance du terme. La caution a payé à la banque les sommes réclamées, et a mis les emprunteurs en demeure de lui rembourser ces sommes. Ceux-ci ont alors assigné la banque et la caution en nullité du contrat de prêt et du cautionnement et en paiement de dommages-intérêts. La caution, quant à elle, a assigné les emprunteurs en remboursement. La nullité du contrat de prêt a ensuite été prononcée, en raison d'un démarchage irrégulier des emprunteurs.

La cour d’appel de Versailles, par arrêt en date du 24 janvier 2019, a condamné les emprunteurs à rembourser la caution, mais en limitant le montant au capital prêté, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, déduction faite des sommes versées par les emprunteurs. La caution a formé un pourvoi contre cet arrêt, et les emprunteurs ont formé un pourvoi incident.

Dans son arrêt du 9 septembre 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette les deux pourvois. Pour rejeter le pourvoi principal, elle retient que la caution a perdu son recours contre les débiteurs, car elle a, d’une part, payé la banque à la suite de la présentation d'une simple lettre de celle-ci, l'engageant à la tenir informée de sa décision à la suite d'impayés des emprunteurs, et qu'elle n'a pas, d’autre part, averti de cette sollicitation ces derniers qui disposaient d'un moyen de faire annuler le crédit. Pour rejeter le pourvoi incident, la Cour se fonde sur l’effet très particulier de la nullité du contrat de crédit sur le cautionnement.

Cette décision est fondée, mais mérite, pour être comprise, un bref retour sur la perte de ses recours par la caution, sur le fondement de l’article 2308 (I), avant de remarquer que cette perte est nécessairement limitée lorsqu’est en cause la nullité d’un crédit (II).

I. La perte de ses recours par la caution

La caution n’est pas un codébiteur : elle est obligée à la dette, mais n’y contribue pas. Par conséquent, lorsqu’elle est appelée en paiement par le créancier, elle doit en principe s’exécuter. Mais après avoir payé, puisqu’elle n’assume pas de contribution à la dette, elle dispose de recours contre le débiteur principal. Ce n’est que justice : c’est en effet ce dernier qui profite du contrat principal, et non la caution. Le Code civil ouvre deux recours à la caution : un recours personnel (C. civ., art. 2305 N° Lexbase : L1203HIE) et un recours subrogatoire (C. civ., art. 2306 N° Lexbase : L1204HIG).

La caution peut évidemment renoncer à ses recours, ce qui est relativement fréquent dans le cercle familial. Mais la caution peut également perdre ses recours. L’article 2308 du Code civil prévoit deux hypothèses dans lesquelles la caution qui a payé le créancier ne pourra recourir contre le débiteur principal. La première hypothèse est celle dans laquelle la caution a payé le créancier sans en avertir le débiteur principal, alors que celui-ci a également payé. La seconde, qui était au cœur de l’arrêt commenté, est celle dans laquelle la caution a payé sans être poursuivie par le créancier et sans avoir averti le débiteur principal, alors que ce dernier, au moment du paiement, aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte.

L’article 2308 révèle que, dans cette seconde hypothèse, qui seule nous intéressera dans le cadre de ce commentaire, trois conditions sont nécessaires pour que la caution perde son recours. D’abord, il faut que la caution ait payé sans être poursuivie par le créancier. Il faut un paiement en quelque sorte « spontané ». Ensuite, il est nécessaire que la caution n’ait pas averti le débiteur principal qu’elle allait payer. Enfin, il faut que le débiteur principal ait disposé, au moment du paiement par la caution, d’un moyen de faire déclarer la dette éteinte. On perçoit ainsi le lien qui unit les deux dernières conditions : si la caution avait averti le débiteur principal qu’elle allait payer, celui-ci aurait pu l’en dissuader, en l’informant qu’il avait la possibilité de faire déclarer la dette éteinte.

Les trois conditions étant remplies en l’espèce, la Cour de cassation rejette le pourvoi principal formé par la caution : celle-ci ne pourra obtenir le remboursement par les débiteurs principaux des sommes que ceux-ci n’auraient pas eu à régler du fait de la nullité du crédit, telles que les intérêts et les accessoires. La troisième condition était à l’évidence remplie, puisque les débiteurs principaux avaient par la suite obtenu la nullité du crédit, en raison d’un démarchage irrégulier. L’arrêt est plus intéressant en ce qui concerne les deux premières conditions. S’agissant de la première, la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a considéré que la caution avait spontanément payé, sans être poursuivie par le créancier. Ce dernier avait adressé un courrier à la caution, dans lequel il s’engageait à la tenir informée de sa décision à la suite du non-paiement par le débiteur principal. Un tel courrier pouvait difficilement s’analyser en des « poursuites », pour reprendre le vocabulaire employé par l’article 2308. Pour la deuxième condition, celle tenant à l’absence d’avertissement du débiteur principal, la Cour ne retient pas un argument soulevé par la caution. Celle-ci prétendait en effet que la déchéance du terme prononcée par la banque avait nécessairement dû avertir les emprunteurs que le créancier allait demander paiement à la caution. Ainsi, ceux-ci ne devaient pouvoir ignorer, au regard des circonstances, le paiement prochain par la caution. La Cour refuse d’admettre un tel avertissement implicite. À juste titre nous semble-t-il. En effet, si l’on admettait que l’avertissement du débiteur principal peut résulter des circonstances, il conviendrait de considérer qu’il est toujours averti du paiement par la caution, puisque, par hypothèse, dès lors que le débiteur principal ne paye plus les échéances, il est en mesure de se douter que le créancier va se tourner vers la caution. La deuxième condition posée par l’article 2308 serait donc totalement inutile. Il apparait ainsi beaucoup plus judicieux d’exiger de la caution qu’elle avertisse expressément le débiteur principal du paiement qu’elle va effectuer.

Enfin, il convient de rappeler un élément important de la perte de ses recours par la caution. Malgré les apparences, il ne s’agit aucunement d’une sanction envers la caution. On perçoit mal en quoi le fait d’avoir payé le créancier pourrait valoir une sanction à la caution. Payer le créancier est quand même la plus grande vertu d’une caution ! La perte des recours n’est qu’une mesure de simplification des relations tripartites se nouant à l’occasion d’une opération de cautionnement. La caution a payé le créancier alors que le débiteur a également payé ou dispose d’un moyen de faire déclarer la dette éteinte. Dans les deux cas, la caution a payé alors qu’elle n’aurait pas dû (et que le simple fait d’avertir le débiteur principal aurait permis d’éviter ce paiement). Le créancier a donc obtenu un paiement indu (soit deux paiements au lieu d’un, soit un paiement au lieu d’aucun). Si l’on admettait que la caution puisse recourir contre le débiteur principal, il faudrait ensuite ouvrir à ce dernier une action contre le créancier pour récupérer le paiement indu. Plutôt que ces deux actions en cascade, il est beaucoup plus simple de considérer que la caution ne peut recourir contre le débiteur, et qu’elle doit agir en répétition contre le créancier : une seule action, au lieu de deux…

Que la perte du recours de la caution contre le débiteur ne soit pas une sanction rend discutable une affirmation de la Cour de cassation dans le présent arrêt. Elle énonce en effet « qu'en l'absence d'information préalable des emprunteurs conformément aux dispositions de l'article 2308 du Code civil, la caution avait manqué à ses obligations à leur égard et devait être déchue de son droit à remboursement à hauteur des sommes que ces derniers n'auraient pas eu à acquitter » [1]. De notre point de vue, cette affirmation encourt une double critique. D’une part, sauf convention contraire, la caution n’a pas d’obligation à l’égard du débiteur principal. Lorsque l’article 2308 envisage le défaut d’avertissement du débiteur par la caution, c’est pour régler des hypothèses de paiements indus, non pour imposer une obligation nouvelle à la caution. D’autre part, l’emploi du terme « déchu » est certainement inapproprié. La déchéance peut se définir comme la « perte d’un droit […] encourue à titre de sanction, pour cause d’indignité, d’incapacité, de fraude, d’incurie, etc. » [2]. N’est-ce pas un peu fort pour une caution qui a payé le créancier, certes sans en avertir le débiteur principal ?

II. Une perte partielle en raison de la spécificité de la nullité

Nul n’ignore que la nullité a, en droit français, un effet rétroactif. Un contrat annulé est censé n’avoir jamais existé. L’une des conséquences majeures de cette rétroactivité est que des restitutions sont rendues nécessaires. Lorsque cela est possible, chaque partie doit restituer à l’autre ce qu’elle a reçu dans le cadre du contrat. Ainsi, les cocontractants sont remis dans la situation qui était la leur avant le contrat.

Il apparait que la nullité n’est pas une cause d’extinction tout à fait comme les autres, car elle fait subsister des obligations entre les parties. Ces obligations ne sont plus celles issues du contrat, mais celles issues de la nullité de celui-ci.

Cette particularité a conduit les tribunaux à décider, par une jurisprudence constante, que les sûretés doivent survivre à la nullité du contrat principal, malgré leur caractère accessoire, le temps des restitutions [3]. Cette jurisprudence est parfaitement fondée : si le contrat de crédit est annulé, le débiteur ne doit plus le rembourser (capital, intérêts et autres accessoires). Mais il doit tout de même restituer les fonds débloqués par l’établissement de crédit. Si une sûreté garantissait le remboursement, il est cohérent qu’elle subsiste jusqu’à ce que le débiteur ait restitué les sommes prêtées (sans les intérêts et accessoires évidemment).

Cette obligation de restitution, et la survie du cautionnement qui en résulte, explique qu’en l’espèce, la caution n’ait que partiellement perdu ses recours. Par le biais de la nullité, les débiteurs principaux n’obtenaient pas une extinction totale de la dette. C’est d’ailleurs ce que souligne l’arrêt, quand il affirme que « au moment du paiement effectué par la caution, les emprunteurs n'avaient pas de moyens de faire déclarer leur dette éteinte, mais disposaient de la possibilité d'obtenir l'annulation du contrat de prêt ». Se retrouve bien l’idée que la nullité n’est pas une cause d’extinction comme les autres.

Ainsi, le contrat de crédit disparait, mais l’obligation de restitution demeure à la charge de l’emprunteur. Le créancier conservait donc des droits envers le débiteur principal, malgré la nullité. Le paiement effectué par la caution n’était par conséquent pas totalement indu, ou dit autrement, il n’entrait pas totalement dans les prévisions de l’article 2308 du Code civil. Il en résulte que la caution avait bien droit au remboursement de ce que les emprunteurs auraient dû restituer à la banque, à savoir le capital emprunté, diminué des sommes déjà remboursées.

En plus d’être fondée juridiquement, la solution est en outre opportune, car si l’article 2308 avait abouti à ce que les questions de remboursements ne se dénouent qu’entre la caution et la banque, les débiteurs principaux auraient pu conserver les fonds versés par l’établissement bancaire en application du contrat de crédit. Il est bon de rappeler que l’annulation d’un crédit ne le nove pas en donation !


[1] Nous soulignons.

[2] Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, PUF, déchéance.

[3] Cass. com., 17 novembre 1982, n° 81-10.757, publié (N° Lexbase : A3673AG7) ; JCP G, 1984, II, 20216, note Ch. Mouly et Ph. Delebecque – Cass. com., 13 juin 1989, n° 88-10.906, publié (N° Lexbase : A0005ABS) ; Defrénois 1990, art. 34761, n° 23, note L. Aynès – Cass.com., 2 novembre 1994, n° 92-14.487, publié (N° Lexbase : A6957ABB) – Cass.  civ. 1, 1er juillet 1997, n° 95-15.642, publié (N° Lexbase : A0519AC9) ; D., 1998, p. 32, note L. Aynès ; Cass. civ. 3, 5 novembre 2008, n° 07-17.357, FS-P+B (N° Lexbase : A1640EBD) ; RTD civ., 2009, p. 148, obs. P. Crocq.

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