Le Quotidien du 17 septembre 2020 : Bancaire

[Brèves] Rôle du juge pour apprécier le caractère abusif de la clause visant le calcul du taux conventionnel sur une année de 360 jours

Réf. : Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-14.934, FS-P+B (N° Lexbase : A55083T8)

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par Jérôme Lasserre Capdeville

le 16 Septembre 2020

► Il incombe aux juges du fond, examinant le caractère abusif d’une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours, d’apprécier quels sont ses effets sur le coût du crédit, afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Les intérêts conventionnels liés à un prêt ont longtemps suscité une interrogation : est-il possible de les calculer en se fondant, non pas sur une année civile de 365 ou 366 jours, mais sur une année théorique de 360 jours (correspondant à 12 mois de 30 jours chacun), plus connue sous l’expression d’année « lombarde » ? Jusqu’à une date récente, la position de la Cour de cassation était simple. D’abord, si le crédit concerné avait une finalité professionnelle, cette méthode de calcul était parfaitement admise (Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-12.530, FS-P+B N° Lexbase : A2120EEA). En revanche, si le crédit était destiné à un consommateur, le recours à l’année « lombarde » n’était pas possible (Cass. civ. 1, 19 juin 2013, n° 12-16.651, FS-P+B+I N° Lexbase : A2042KH4). En procédant de la sorte, la banque prêteuse s’exposait à la nullité de la clause prévoyant le taux conventionnel et à la substitution du taux légal.

Cette dernière solution a connu une remise en cause notable à la suite de la décision de la première chambre civile de la Cour de cassation du 27 novembre 2019 (Cass. civ. 1, 27 nov. 2019, n° 18-19.097, FS-P+B+I N° Lexbase : A3629Z48 ; M. Correia, Lexbase Affaires, janvier 2019, n° 619 N° Lexbase : N1750BYH) ayant considéré que l’emprunteur « doit, pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts, démontrer […] que ce calcul a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L3654IPZ» (v. également, Cass. civ. 1, 11 mars 2020, n° 19-10.875, F-P+B N° Lexbase : A75773IH ; J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, mars 2020, n° 628 N° Lexbase : N2620BYP).

Mais le droit des clauses abusive ne pourrait-il pas utilement s’appliquer ici, et constituer ainsi un autre fondement aux actions éventuellement exercées par les emprunteurs ? Certaines décisions des juges du fond ont répondu à cette question par la positive (CA Limoges, 7 février 2019, n° 18/00156 N° Lexbase : A5126YWR ; CA Besançon, 8 octobre 2019, n° 18/01156 N° Lexbase : A9461ZQH) et d’autres par la négative (CA Lyon, 8 janvier 2019, n° 17/05319 N° Lexbase : A6070YSM ; CA Aix-en-Provence, 12 avril 2018, n° 16/15024 N° Lexbase : A8390XKX).

Faits et procédure. Dans l’affaire qui nous occupe, la banque A. avait consenti à M. X. et Mme Y. deux prêts destinés à l’acquisition d’un bien immobilier, le premier ayant fait l’objet d’un remboursement anticipé en juin 2014 et le second ayant été modifié par avenant du 25 septembre 2015. Soutenant que la clause du contrat qui prévoyait un calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours présentait un caractère abusif, les emprunteurs avaient assigné la banque en substitution de l’intérêt légal et remboursement des intérêts déjà versés excédant le taux légal.

La banque faisait alors grief, par l’intermédiaire de son pourvoi en cassation, à la décision de la cour d’appel de Limoges (CA Limoges, 7 février 2019, n° 18/00156, préc.) d’avoir déclaré abusive et non-écrite la clause de calcul des intérêts pendant la phase d'amortissement, de l’avoir condamné à restituer la différence entre le montant des intérêts conventionnels versés au titre des prêts et le montant des intérêts au taux légal, et d’avoir ordonné la substitution de l’intérêt légal pour les échéances à venir.

Décision. La Cour de cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 7 février 2019 par la cour d’appel en question.

Selon la décision étudiée, il résulte de l’article L. 132-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6478ABK), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 (N° Lexbase : L0300K7A) - devenu C. consom., art L. 212-1 (N° Lexbase : L3278K9B) - que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Il en résulte qu’il incombe aux juges du fond, examinant le caractère abusif d’une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours, « d’apprécier quels sont ses effets sur le coût du crédit, afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

Or, pour déclarer abusive la clause du contrat de prêt selon laquelle, durant la phase d’amortissement, les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû, au taux d’intérêt mentionné dans l’acte sur la base d’une année bancaire de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu que la stipulation qui faisait référence à un calcul des intérêts sur une durée de 360 jours et non d’une année civile de 365 jours privait les consommateurs de la possibilité de calculer le coût réel de leur crédit, qu’elle présentait comme telle un caractère abusif, quelle que soit l’importance de son impact réel et qu’elle doit être déclarée non écrite. Dès lors, en statuant de sorte, la cour d’appel avait violé l’article L. 132-1 précité.

Cette solution témoigne une nouvelle fois de l’hostilité actuelle de la première chambre civile de la Cour de cassation aux actions menées par les emprunteurs contre prêts dont les intérêts conventionnels ont été calculés en se fondant sur une année théorique de 360 jours (v. not., Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-19.151, F-D N° Lexbase : A0000ZRG ; Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-19.097, préc. ; Cass. civ. 1, 11 mars 2020, n° 19-10.875, préc. ; Cass. civ. 1, 11 mars 2020, n° 19-10.858, F-D N° Lexbase : A76623IM) et plus largement contre toutes les actions reposant sur un problème lié à l’intérêt du prêts (concernant le taux effectif global erroné, v. Cass. civ. 1, 10 juin 2020, n° 18-24.287, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A54113NQ ; G. Biardeaud, Lexbase Affaires, juin 20202, n° 640 N° Lexbase : N3804BYK - Cass. civ. 1, avis, 10 juin 2020, n° 20-70.001 N° Lexbase : A59493NN - Cass. civ. 1, 12 juin 2020, n° 19-16.401, FS-P+B+I N° Lexbase : A54203N3 ; J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, juin 2020, n° 639 N° Lexbase : N3725BYM - Cass. civ. 1, 12 juin 2020, n° 19-12.984, FS-P+B+I N° Lexbase : A53753NE ; J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, juin 2020, n° 639 N° Lexbase : N3727BYP ; et concernant la mention du taux de période, v. Cass. civ. 1, 5 février 2020, n° 18-26.769, FS-P+B+I N° Lexbase : A37973DY - Cass. civ. 1, 5 février 2020, n° 19-11.939, FS-P+B+I N° Lexbase : A37973DY ; J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, février 2020, n° 624 N° Lexbase : N2196BYY ; concernant l’application d’un taux devenu négatif, Cass. civ. 1, 25 mars 2020, n° 18-23.803, FS-P+B N° Lexbase : A06053MD ; J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, mai 2020, n° 636 N° Lexbase : N3458BYQ).

Mais peut-on dire pour autant, comme nous avons pu le lire sur un site internet, que : « La Cour de cassation vient de confirmer que n’est pas abusive la clause prévoyant que les intérêts d’un prêt sont calculés sur la base d’une année de 360 jours et d’un mois de 30 jours (clause 30/360) ». Nous ne le pensons pas. D’une part, la précédente décision visée (en l’occurrence Cass. civ. 1, 11 mars 2020, n° 19-10.858, préc.) n’avait pas dit cela, puisqu’il était simplement reproché à l’emprunteur de n’avoir pas démontré que la clause en question « créerait un déséquilibre significatif à son détriment ». D’autre part, dans l’arrêt étudié, il n’est pas dit non plus que cette même clause serait intrinsèquement abusive.

Le seul élément notable de cette décision est qu’il est demandé au juge de faire une appréciation des effets de la clause « sur le coût du crédit », afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Une appréciation au cas par cas par les juges du fond est donc recommandée. Il appartiendra, par conséquent, à la juridiction de renvoi, en l’occurrence la cour d’appel de Poitiers, de se prononcer sur ce point.

Dans tous les cas, nous ne serions pas surpris que cette question rejaillisse, dans quelques années, devant la Cour de justice de l’Union européenne. Le débat est loin d’être clos.

Cet arrêt fera l’objet d’un commentaire de Gérard Biardeaud dans Lexbase Affaires du 1er octobre 2020.

 

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