La lettre juridique n°833 du 23 juillet 2020 : Autorité parentale

[Jurisprudence] L’ex-concubine de la mère n’est pas titulaire d’un droit à entretenir des relations avec l’enfant après la séparation

Réf. : Cass. civ. 1, 6 novembre 2019, n° 19-15198, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3962ZUB) ; Cass. civ. 1, 24 juin 2020, n° 19-15198, F-P+B+I (N° Lexbase : A33673PE)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Ouvrages de droit de la famille

le 24 Juillet 2020


Mots clés : autorité parentale • concubin • séparation • projet parental • parent d’intention • maintien des relations avec l’enfant • article 371-4

Les conséquences de la séparation d’un couple de concubines sur l’enfant né d’un projet commun est une question particulièrement délicate compte tenu de l’absence de droits parentaux de la mère d’intention. La Cour de cassation, qui est intervenue à deux reprises dans la même affaire, précise dans les arrêts du 6 novembre 2019 et 24 juin 2020, les conditions du maintien, après la séparation, des liens entre l’enfant et la femme qui n’est pas sa mère.


 

En l’espèce, après plusieurs années de vie commune, un couple de concubines avait réalisé leur projet parental en passant par la voie d’une insémination avec donneur à l’étranger. En l’absence de mariage et d’adoption de l’enfant du conjoint, seule la mère biologique de l’enfant était titulaire de l’autorité parentale. Elles se sont séparées deux ans après la naissance de l’enfant, de manière très conflictuelle. Après plusieurs mois au cours desquels l’ex-compagne de la mère a pu entretenir des relations avec l’enfant, la mère de celui-ci y a mis un terme, en raison du comportement violent de son ancienne concubine. Celle-ci a alors entrepris une bataille judiciaire acharnée pour obtenir le maintien de ses liens avec l’enfant, en contestant la constitutionnalité puis la conventionnalité de l’article 371-4, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L8011IWM) qui ne serait pas, selon elle, suffisamment respectueux des droits de la personne avec qui l’enfant a vécu avec son parent ni des droits de l’enfant. Le texte, issu de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (N° Lexbase : L7926IWH), dispose en effet seulement que « si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables. ». Ces dispositions incitent certes le juge à favoriser le maintien des liens de l’enfant avec la personne qui a partagé sa vie et celle de son parent, sans cependant en faire un principe.

Toutefois, selon la Cour de cassation, l’article 371-4 du Code civil, est in abstracto conforme aux exigences supra-législatives (I) et le refus d’accorder un droit de visite à l’ex-concubine, en l’espèce, répond aux exigences du contrôle de proportionnalité in concreto (II).

I. La conformité in abstracto de l’article 371-4 du Code civil aux droits fondamentaux

Contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité. C’est d’abord par la voie d’une QPC que l’ex-concubine a tenté de remettre en cause le contenu de l’article 371-4 du Code civil et plus particulièrement le fait que ce texte ne consacre pas le droit pour le parent d’intention de maintenir des liens avec l’enfant qu’il a élevé, à travers, notamment un droit de visite et d’hébergement. Par la suite, dans le débat au fond, c’est la conventionnalité de l’article 371-4 qui a été contestée, tant au regard de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (N° Lexbase : L6807BHL), qu’au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. La Cour de cassation a ainsi procédé à la fois à un contrôle de constitutionnalité et à un contrôle de conventionnalité de l’article 371-4 alinéa 2, qui en réalité portaient sur les mêmes arguments, fondés sur des dispositions différentes : le non-respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, le non-respect du droit à la vie familiale, et l’existence d’une discrimination.

Intérêt supérieur de l’enfant. L’absence de conformité de l’article 371-4 alinéa du Code civil à la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant a d’abord été invoquée dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, puisque la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant est une exigence constitutionnelle, particulièrement depuis la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2019 [1].  C’est ensuite directement l’article 3 § 1 de la CIDE consacrant la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant qui a été invoqué. Dans les deux cas, le pourvoi prétendait que l’intérêt supérieur de l’enfant imposerait que lorsqu’une personne est impliquée dans la vie d’un enfant depuis sa conception et l’a élevé, le lien entre eux doit en principe être maintenu, sauf dans des cas exceptionnels. Le fait que l’article 371-4 n’impose pas d’obligation au juge de fixer un droit de visite au bénéfice du tiers qui a vécu avec l’enfant serait donc contraire à l’intérêt supérieur de celui-ci.

Dans les deux arrêts du 6 décembre 2019 et du 24 juin 2020, la Cour de cassation rejette l’argument en affirmant que l’article 371-4 du Code civil fonde les décisions relatives aux relations personnelles de l’enfant avec un tiers sur le seul critère de l’intérêt de l’enfant. Elle précise dans le second arrêt que « ce texte permet le maintien des liens entre l’enfant et l’ancienne compagne ou l’ancien compagnon de sa mère ou de son père lorsque des liens affectifs durables ont été noués tout en le conditionnant à l’intérêt de l’enfant. En ce qu’il tend en cas de séparation du couple, à concilier le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés et l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne saurait en lui-même méconnaître les exigences de l’article 3 § 1 de la CIDE et 8 de la CEDH ». La Cour de cassation considère ainsi que le juge doit recourir à une appréciation in concreto de l’intérêt supérieur de l’enfant pour décider de maintenir ou non des relations entre l’enfant et l’ancienne compagne de sa mère, ce qui en creux, aboutit à refuser de considérer que, selon une appréciation in abstracto, l’intérêt supérieur de l’enfant serait, en principe, de maintenir ces liens. Alors que l’article 373-2-1 du Code civil (N° Lexbase : L7190IMA) accorde au parent légal, avec lequel l’enfant ne vit pas, un droit de visite et d’hébergement, sauf motifs graves, la Cour cassation refuse de considérer qu’il devrait en être de même pour le parent d’intention. En tant que tel, l’article 371-4 du Code civil est conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles.

Vie familiale. L’argument du droit au respect de la vie familiale du parent d’intention et de l’enfant a été invoquée dans le cadre de la demande de QPC, sous la forme du droit à mener une vie familiale normale fondé sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, et dans le débat au fond, sous la forme du droit au respect de la vie privée et familiale, sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4798AQR). Sans que l’existence même d’une vie familiale entre l’enfant et son parent d’intention ne soit évoquée tant elle relevait de l’évidence, l’absence de violation du droit au respect de la vie familiale est constatée par la Cour de cassation dans les deux arrêts. Si l’on peut admettre qu’il existe bien une atteinte au droit au respect de la vie familiale existant entre le parent d’intention et l’enfant, du fait de l’absence de maintien des liens, cette atteinte est justifiée par l’intérêt supérieur de l’enfant. La modification, en 2013, de l’article 371-4 avait justement pour objectif de permettre la préservation des relations entre l’enfant et le parent qui l’a élevé. L’ex-concubine estimait que cette possibilité n’était pas suffisante et qu’une obligation pour le juge de fixer un droit de visite était nécessaire pour satisfaire les exigences découlant du droit au respect de la vie familiale. Tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation qui estime que la vie familiale du parent d’intention est suffisamment préservée par la faveur que lui accorde l’article 371-4, opérant une sorte de hiérarchie entre, d’une part, la vie familiale entre l’enfant et son parent d’intention, et d’autre part, la vie familiale entre l’enfant et son parent légal, ce dernier bénéficiant d’un droit de visite et d’hébergement systématique, contrairement au parent d’intention qui ne peut que demander que la question du maintien de ses liens avec l’enfant soit examinée par le juge.   

Discrimination. L’ex-concubine a également brandi l’argument de la discrimination, fondé sur l’article 6 de la Constitution et 14 (combiné avec l’article 8) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, en prétendant que la manière dont la concubine était traitée, pour ce qui est du maintien de ses relations avec l’enfant après la séparation, était excessivement différente de celles dont bénéficie un conjoint dans la même situation. Là encore, l’argument est rejeté dans les deux arrêts par la Cour de cassation qui, logiquement, considère que le texte n’opère en lui-même aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union contractée par le couple de même sexe. En effet, la différence de traitement entre le concubin et le parent marié avec le parent de l’enfant résulte d’autres dispositions légales qui permettent l’établissement d’un lien de filiation par la voie de l’adoption à l’égard du conjoint du père ou de la mère de ce dernier. Autrement dit, la différence de traitement est liée à la différence de situation, le couple marié, y compris homosexuel, ayant accès à l’adoption de l’enfant du conjoint et non le couple de concubins. La Cour de cassation, comme la Cour européenne, n’impose pas aux Etats une égalité des couples mariés et de concubins, notamment en ce qui concerne les conséquences sur les enfants [2]. Si le couple s’était marié, et que la femme qui n’était pas la mère biologique de l’enfant avait adopté ce dernier, elle aurait pu revendiquer un droit de visite et d’hébergement en tant que mère, et non en tant que tiers. Elle n’aurait pas fondé sa demande de droit de visite sur l’article 371-4 mais sur l’article 373-1-1 du Code civil. La situation n’étant pas comparable, il ne peut y avoir discrimination dans le fait de traiter différemment des personnes n’ayant pas la même qualité. La question reste cependant ouverte de savoir si l’impossibilité pour les concubins d’accéder à l’adoption intra-familiale constitue ou non une discrimination. La réponse semble plutôt être négative dans la mesure où le fait de ne pas se marier relève du choix du couple.

II. La proportionnalité in concreto du refus du droit de visite de la concubine

Pouvoir souverain d’appréciation. Une fois écartée la suspicion de non-conformité de l’article 371-4, alinéa 2, du Code civil, en tant que tel aux droits fondamentaux, il convenait pour la Cour de cassation d’opérer un contrôle de la motivation du refus des juges du fond d’accorder un droit de visite à l’ancienne concubine de la mère. En effet, tout en reconnaissant à ce dernier un pouvoir souverain d’appréciation, la Cour de cassation vérifie de manière assez détaillée que la motivation de sa décision repose bien sur le principe de primauté de l’intérêt de l’enfant et que celui-ci justifie l’atteinte au droit au respect de la vie familiale.

Equilibre psychique. En l’espèce, la mère de l’enfant avait d’abord accepté que son ancienne compagne bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement un week-end sur deux. Elle avait cependant mis fin rapidement à ces relations au regard du comportement de son ex-concubine, qui s’est montrée véhémente et emportée devant l’enfant âgé de moins de trois ans. Pour refuser d’accorder à cette dernière le droit de visite qu’elle sollicitait, la cour d’appel a estimé que « ces confrontations, en présence de l’enfant, ont généré une crainte et une réticence réelle de celle-ci à se rendre chez Mme Z, et que cette dernière n’a pas préservé Sacha du conflit avec son ancienne compagne, ce qui est de nature à perturber son équilibre psychique. » Le juge en déduit que les relations de l’enfant avec l’ancienne compagne de sa mère n’étaient pas conformes à son intérêt, ce qui justifiait de les suspendre selon le critère de l’article 371-4 du Code civil. Cette solution, sans doute logique, est sévère car elle risque d’être définitive, la suspension du droit de visite entraînant une rupture des liens avec l’ancienne concubine, qui empêchera en réalité toute possibilité de rétablir un droit de visite dans l’avenir.

Relation affective. La cour d’appel utilise un autre argument pour rejeter la demande du droit de visite, qui tient à la nature des relations de l’enfant avec l’ancienne compagne de sa mère. En effet, elle émet un doute quant à la profondeur des sentiments existants entre cette dernière et l’enfant. Après avoir fait une allusion à propos de la réticence de l’ancienne concubine à accueillir un enfant dans son foyer, au départ, la cour d’appel considère que « si Mme Z a pu résider de manière stable avec l’enfant du temps de la vie commune du couple et a pourvu à son éducation et à son entretien sur cette même période, la preuve du développement d’une relation forte et de l’existence d’un lien d’affection durable avec Sasha n’est pas rapportée ». Le juge reprend les termes de l’article 371-4 du Code civil et semble considérer que les circonstances dans lesquelles le maintien des liens entre l’enfant et le tiers doit être privilégié selon ce texte ne sont pas réunies en l’espèce, seuls les aspects matériels de la vie commune pouvant être établis, et non les aspects affectifs, ou psychologiques. Par cette analyse, la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, semble faire la distinction entre les relations entre un enfant et un tiers découlant de la seule vie commune, avec celles fondées sur un réel investissement affectif de la part de l’adulte. En l’absence de ce dernier, et si l’on ajoute le comportement violent de l’ancienne compagne devant l’enfant, il était logique que le juge du fond conclue dans cette affaire que l’intérêt de l’enfant n’était pas de maintenir les liens avec l’ancienne compagne de sa mère…

 

[1] Cons. const., décision QPC n° 2018-768 du 21 mars 2019 (N° Lexbase : A3247XYW), D. 2019 p. 709, obs. H. Fulchiron, P Parinet, D. 2019 p. 742

[2] F. Sudre (dir.), Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, PUF 2019 p. 662

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