La lettre juridique n°827 du 11 juin 2020 : Procédure pénale

[Jurisprudence] Compétence des juridictions répressives à la suite du seul appel de la partie civile d’une décision de relaxe

Réf. : Cass. crim., 1er avril 2020, n° 19-80.069, F-P+B+I (N° Lexbase : A90233KE)

Lecture: 7 min

N3377BYQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Compétence des juridictions répressives à la suite du seul appel de la partie civile d’une décision de relaxe. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/58451111-jurisprudence-competence-des-juridictions-repressives-a-la-suite-du-seul-appel-de-la-partie-civile
Copier

par Mathieu Martinelle, Maître de conférences à l’Université de Lorraine, Institut François Gény

le 10 Juin 2020

 


Mots-clés : action civile • appel • partie civile • réparation • faute civile • compétence

Saisie du seul appel de la partie civile formé à l’encontre d’un jugement ayant constaté l’extinction de l’action publique et débouté l’intéressée de ses demandes, la cour d’appel n’est compétente pour se prononcer sur le droit à réparation de la partie civile que si elle a préalablement constaté que c’est à tort que les premiers juges ont déclaré l’action publique éteinte.

Contexte de l’arrêt : Cass. crim., 5 février 2014, n° 12-80.154, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5811MDL) ; Cass. crim., 11 mars 2014, n° 12-88.131, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9407MGI) ; Cass. crim., 1er juin 2016, n° 15-80.721, FS-P+B (N° Lexbase : A8715RR9) ; Cass. crim., 14 novembre 2017, n° 17-80.934, FS-P+B (N° Lexbase : A7168WZI) ; Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-80.079, F-D (N° Lexbase : A7160WLR) ; Cass. crim., 22 novembre 2017, n° 16-85.804, F-D (N° Lexbase : A5786W3P) ; Cass. crim., 28 février 2018, n° 16-85.518, FS-D (N° Lexbase : A0510XGY) ; Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-87.669, FP-P+D (N° Lexbase : A4477XKZ) ; Cass. crim., 26 juin 2018, n° 17-83.721, F-D (N° Lexbase : A5783XUQ) ; Cass. crim., 19 février 2019, n° 18-80.195, F-P+B (N° Lexbase : A8951YY8) ; Cass. crim., 20 mars 2019, n° 18-81.225, F-D (N° Lexbase : A8926Y4D) ; Cass. crim., 26 septembre 2019, n° 18-83.497, F-D (N° Lexbase : A0393ZQM) ; Cass. crim., 23 octobre 2019, n° 17-86.086, F-D (N° Lexbase : A6479ZSR) ; Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 19-82.581, F-D (N° Lexbase : A47213A4) ; Cass. crim., 25 février 2020, n° 18-85.418, F-D (N° Lexbase : A77993GX).


 

Subtilité, habilité, voire schizophrénie, tels sont les caractères dont doivent être empreints les juges d’appel, lorsqu’ils sont saisis par la seule partie civile à la suite d’un jugement ayant constaté l’extinction de l’action publique et ayant, de ce fait, débouté l’intéressée de ses demandes en réparation [1]. Cette originalité est confirmée par la Chambre criminelle à l’occasion d’un arrêt du 1er avril 2020 [2], suivant ainsi une tendance jurisprudentielle connue [3] et laissant parfois perplexe [4].

En l’espèce, nonobstant une condamnation pour d’autres chefs, c’est par un jugement du 23 février 2016 que le tribunal correctionnel a prononcé la relaxe du prévenu du chef d’escroquerie commis au préjudice de la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l’aéronautique civile (CRPN). Ces premiers juges justifiaient leur décision au regard de l’extinction de l’action publique du fait de l’autorité de la chose jugée. Alors que le tribunal déboutait, de ce fait, la CRPN de sa demande en réparation, celle-ci a contesté ce jugement, portant ainsi l’action civile à hauteur d’appel. Par un arrêt du 26 septembre 2018, la cour d’appel a rappelé que, concernant l’action publique, celle-ci était définitivement éteinte dès lors que ni le ministère public ni le prévenu n’avait interjeté appel sur ce point. Concernant l’action civile toutefois, la cour d’appel a réformé la première décision en condamnant le prévenu à payer à la partie civile la coquette somme de 6 545 673,40 euros à titre de dommages et intérêts. Précisant, à toutes fins utiles, que ladite action civile n’était pas atteinte par la prescription du fait des poursuites pénales antérieurement exercées, la juridiction répressive concluait qu’elle demeurait compétente pour en connaître et que la partie civile tenait des dispositions de l’article 497, 3°, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3893AZ9), le droit d’obtenir réparation dès lors que les faits poursuivis étaient susceptibles d’engager la responsabilité de leur auteur. La facilité dont s’est ainsi prévalue la cour d’appel n’a cependant pas résisté à la sanction de la Cour de cassation. Par l’arrêt commenté du 1er avril 2020, la Chambre criminelle casse la décision d’appel au visa de l’article 3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1111H4W) au motif que, préalablement à cette décision portant exclusivement sur l’action civile, la cour d’appel ne s’est pas prononcée sur l’extinction de l’action publique du fait de l’autorité de la chose jugée retenue par les juges du tribunal correctionnel.

Par cette décision, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel les tribunaux répressifs ne sont compétents pour connaître de l’action civile en réparation du dommage né d’une infraction qu’accessoirement à l’action publique. À défaut de cette action principale, le juge civil demeure le juge naturel de la réparation. Certes, assurant un certain pragmatisme, les juridictions répressives d’appel demeurent compétentes aux fins d’allouer une indemnisation à la partie civile lorsque celle-ci interjette appel, seule, à l’encontre d’une décision de relaxe. Dans ce cas, l’assiette du litige est précisément déterminée puisque, selon le revirement opéré en 2014 [5], « le dommage dont la partie civile, seule appelante d’un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ». La notion de « faute civile démontrée » dont la réparation est susceptible d’être accordée par les juridictions répressives d’appel nonobstant l’absence d’action publique est, depuis, régulièrement précisée par la Cour de cassation. À l’analyse de cette jurisprudence, il apparaît que celle-ci impose une véritable caractérisation civile d’une infraction. En effet, pour qu’ils puissent accorder une indemnisation à la partie civile à la suite d’un jugement de relaxe, les juges d’appel doivent procéder à la recherche de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction chef des poursuites, tant matériels qu’intentionnels [6].

En ce sens, la Cour de cassation confirme, à l’occasion de la décision commentée, que les juges d’appel doivent, préalablement à leur décision portant sur le droit à réparation de la partie civile à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite, relever que c’est à tort que les premiers juges ont déclaré l’action publique éteinte. Ces diligences relatives à la caractérisation d’une infraction demeurent néanmoins à des fins purement civiles. La cour d’appel n’étant pas saisie de l’action publique, la caractérisation pénale d’une infraction n’est pas de sa compétence.

La Cour de cassation invite ainsi à procéder par une habile jonglerie afin que les foudres de la Cour européenne des droits de l’Homme soient évitées, espérant que le fard de la « faute civile démontrée » suffise à maquiller l’atteinte, un peu plus forte encore dorénavant [7], au principe de présomption d’innocence [8].

 

[1] Pour rappel, en principe, dès lors que le tribunal correctionnel prononce la relaxe du prévenu, il ne peut entrer en voie de condamnation au titre de l’action civile (Cass. crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.348, F-D N° Lexbase : A4762ZNP). Par exception, l’article 470-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9931IQU) prévoit qu’en cas de relaxe et en présence de faits non-intentionnels, le tribunal demeure compétent pour se prononcer sur l’action civile et pour accorder, le cas échéant, une réparation au titre des dommages résultant des faits objet de la poursuite.

[2] Cass. crim., 1er avril 2020, n° 19-80.069, F-P+B+I (N° Lexbase : A90233KE).

[3] Cass. crim., 5 février 2014, n° 12-80.154, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5811MDL) ; Adde. : Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-80.079, F-D (N° Lexbase : A7160WLR) ; Cass. crim., 22 novembre 2017, n° 16-85.804, F-D (N° Lexbase : A5786W3P) ; Cass. crim., 28 février 2018, n° 16-85.518, FS-D (N° Lexbase : A0510XGY) ; Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-87.669, FP-P+B (N° Lexbase : A4477XKZ) ; Cass. crim., 26 juin 2018, n° 17-83.721, F-D (N° Lexbase : A5783XUQ) ; Cass. crim., 19 février 2019, n° 18-80.195, F-P+B (N° Lexbase : A8951YY8) ; Cass. crim., 20 mars 2019, n° 18-81.225, F-D (N° Lexbase : A8926Y4D) ; Cass. crim., 26 septembre 2019, n° 18-83.497, F-D (N° Lexbase : A0393ZQM).

[4] V. Wester-Ouisse, Le sort de la victime en cas de relaxe : quelle faute civile ?, D., 2016, p. 2018.

[5] Cass. crim., 5 février 2014, n° 12-80.154, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5811MDL) ; Cass. crim., 11 mars 2014, n° 12-88.131, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9407MGI). Pour la position antérieure : Cass. crim., 18 décembre 2012, n° 12-81.268, F-D (N° Lexbase : A6334I7Q).

[6] Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-80.079, F-D (N° Lexbase : A7160WLR) ; Cass. crim., 22 novembre 2017, n° 16-85.804, F-D (N° Lexbase : A5786W3P) ; Cass. crim., 28 février 2018, n° 16-85.518, FS-D (N° Lexbase : A0510XGY) ; Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-87.669, FP-P+B (N° Lexbase : A4477XKZ) ; Cass. crim., 26 juin 2018, n° 17-83.721, F-D  (N° Lexbase : A5783XUQ) ; Cass. crim., 19 février 2019, n° 18-80.195, F-P+B (N° Lexbase : A8951YY8) ; Cass. crim., 20 mars 2019, n° 18-81.225, F-D (N° Lexbase : A8926Y4D).

[7] Dans le même sens, la Cour de cassation a affirmé que le juge d’appel n’a pas à s’expliquer sur l’existence d’une faute séparable des fonctions de dirigeant social pour caractériser la « faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite » : Cass. crim., 5 avril 2018, n° 16-87.669, FP-P+B (N° Lexbase : N3610BXY). Adde. : S. Detraz, Responsabilité civile des dirigeants sociaux devant la juridiction pénale même en cas de faute détachable, Lexbase Pénal, mai 2018 (N° Lexbase : N3905BXW).

[8] CEDH, 12 avril 2012, Req. 18851/07, Lagardère c/ France (N° Lexbase : A4128IIQ).

newsid:473377

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.