La lettre juridique n°818 du 26 mars 2020 : Covid-19

[Focus] Covid-19 : onde de choc sur les contrats de la commande publique

Réf. : Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 (N° Lexbase : L5506LWT)

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par Sophie Pignon, Avocat associée et Stephane Braconnier, consultant Droit public & Projet, cabinet Taylor Wessing

le 25 Mars 2020

Les mesures strictes de confinement annoncées entre le 12 et le 16 mars 2020 par le Président de la République et le Premier ministre provoquent une violente onde de choc qui irrigue toute la chaîne de vie des marchés publics et concessions. Déjà suspendues à l’issue des élections municipales initialement prévues les 15 et 22 mars 2020, les procédures de passation sont paralysées par l’incapacité des services à réunir les instances décisionnelles et, plus encore, par l’incapacité des entreprises, surtout les plus petites, à remettre leurs candidatures ou leurs offres. Affectées par la difficulté à mobiliser leur personnel dans des conditions sanitaires satisfaisantes et par un approvisionnement aléatoire, les entreprises titulaires de marchés publics éprouvent des difficultés à les exécuter dans des conditions conformes aux stipulations contractuelles et cahiers des charges initiaux. Enfin, confrontés à l’impossibilité dans laquelle se trouvent les juridictions de se réunir, les requérants voient leurs recours et les délais de dépôt de leurs requêtes suspendus à une reprise encore très hypothétique de l’activité juridictionnelle.

Bref, que l’on se place sur le terrain de la passation, de l’exécution ou du contentieux, les contrats de la commande publique sont, comme le reste de l’activité économique, profondément affectés par les mesures de confinement et l’urgence sanitaire.

Quelles sont, dans ces conditions, les réponses que le droit peut apporter à des situations à la fois inédites et porteuses d’effets potentiellement très néfastes sur le plan économique ?

I - S’agissant de la passation des contrats de la commande publique, la plupart des procédures de passation sont enserrées dans des délais divers (de remise des candidatures et des offres, de négociation, de stand-still, de signature, etc.) qui, s’ils ne sont pas respectés, peuvent affecter la légalité du contrat et donc son exécution ultérieure dans des conditions de sécurité optimales. Or, du fait de l’urgence sanitaire et des mesures de confinement qui en découlent, ces délais ne peuvent souvent plus être respectés. Ils le peuvent d’autant moins que, pour les mêmes raisons, le processus électoral devant conduire à l’installation des nouveaux conseils municipaux et organes délibérants des EPCI, puis à l’élection des maires et présidents desdits établissements n’a pu être mené à terme. Les exécutifs sortants ont donc été contraints de rester en fonctions, mais leurs pouvoirs sont demeurés, depuis les quelques semaines précédant le premier tour, limités à l’expédition des affaires courantes, ce qui les a empêchés de mener à bien les procédures de passation en cours et, a fortiori, d’en lancer de nouvelles.

Il eût certes été possible, dans ce contexte troublé, d’invoquer la théorie des circonstances exceptionnelles, née de l’arrêt du Conseil d’Etat « Heyriès » du 28 juin 1918 (CE n° 63412 N° Lexbase : A9180B8I), qui permet de substituer à la légalité des « temps ordinaires », une légalité de crise. Certaines illégalités peuvent alors être commises par l’administration sans, pour autant, emporter la censure du juge. Encore faut-il, pour que cette théorie puisse produire pleinement ses effets, que plusieurs conditions soient réunies, notamment celle liée à l’impossibilité dans laquelle se trouve l’autorité administrative d’agir légalement compte tenu des circonstances (CE, Ass., 16 avril 1948, Laugier, Rec. CE, p. 161 ; pour une application en matière sanitaire, CE Sect., 20 mai 1955, Société Lucien, Joseph et Compagnie, Rec. CE. p. 276). Cette condition est très exigeante et implique que les illégalités eussent été indispensables pour que, dans les circonstances « de l’époque », l’objectif visé par les mesures prises fût atteint. En d’autres termes, l’administration doit se trouver dans l’incapacité de faire autrement (CE, Ass., 19 octobre 1962, n° 58502 N° Lexbase : A3284B87, Rec. CE, p. 552). Sans doute la crise sanitaire grave liée au Covid-19 pourrait-elle justifier, au cas par cas, certains dépassements de délais ou entorses aux prescriptions procédurales du code de la commande publique. Mais une telle approche casuistique, nécessairement subjective et donc aléatoire, n’offre pas la sécurité juridique et, surtout, l’agilité qu’exige l’action publique dans ces circonstances. A une paralysie des procédures en cours s’ajoute, en effet, une forme de recomposition de la demande de la part des acheteurs publics. L’UGAP a ainsi relevé, ces derniers jours (Les Echos, 20 mars 2020), une forte hausse de la demande dans les secteurs hospitalier et médico-social, ainsi que dans le secteur du gardiennage et de la sécurité. Dans ces secteurs les demandes sont par ailleurs très urgentes et, pour l’essentiel, incompatibles avec le respect des délais de droit commun.

C’est la raison pour laquelle la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 (N° Lexbase : L5506LWT), a privilégié une approche globale consistant à autoriser le Gouvernement à « adapter, [par ordonnance], les règles de passation […] prévues par le code de la commande publique » (art. 7-I-1°-f). Cela devrait se traduire, selon toute vraisemblance, par une suspension de certains délais, un assouplissement de certaines règles afférentes aux procédures formalisées ou encore un élargissement des possibilités de recourir aux procédures de gré à gré.

Sur ce dernier point d’ailleurs, la direction des affaires juridiques de Bercy a rappelé, dans une note en date du 16 mars 2020 et indépendamment des termes de l’ordonnance à venir, que les acheteurs pouvaient, pour satisfaire leurs besoins urgents, mettre en œuvre les délais réduits de procédure (CCP, art. R. 2161-8 3° N° Lexbase : L4331LRT) ou la procédure sans publicité ni mise en concurrence en cas d’urgence impérieuse (CCP, art. R. 2122-1 N° Lexbase : L2625LRN). Cette urgence impérieuse peut être liée, bien sûr, à la nécessité d’acquérir des biens ou matériels nécessaires à la lutte contre l’épidémie, mais aussi à la nécessité de confier à une autre entreprise l’exécution d’un marché dont le titulaire est défaillant en raison de la crise.

II - C’est d’ailleurs sur le terrain de l’exécution des marchés publics et concessions que la crise sanitaire risque de révéler les difficultés les plus aiguës, les théories de la force majeure (CE, 9 janvier 1909, n° 17614 N° Lexbase : A9583B8G Rec. CE, p. 111 ; sur ce point, voir la position de la DAJ, qui recommande aux acheteurs publics, « eu égard au caractère exceptionnel de la crise, de ne pas hésiter à reconnaître que les difficultés rencontrées par leurs cocontractants sont imputables à un cas de force majeure ») ou de l’imprévision (CE, 30 mars 1916, n° 59928 N° Lexbase : A0631B9A, Rec. CE, p. 125) n’offrant qu’une réponse partielle et fortement conditionnée aux questions multiples et générales soulevées par les effets de la crise sanitaire : suspension des chantiers, délais d’exécution, pénalités de retard, délais de paiement, équilibre financier des concessions etc. Dès le 17 mars, la Direction des achats de l’Etat (DAE) faisait ainsi plusieurs recommandations concernant l’exécution des marchés publics afin, notamment, de préserver les entreprises titulaires. La DAE appelait notamment les acheteurs publics à utiliser pleinement les stipulations contractuelles prévues par leurs marchés, en particulier celles relatives aux annulations de commandes, à la prolongation des délais d’exécution ou encore à la renonciation des délais de retard. Sur ce dernier point, il peut en effet être aisément admis que, dans les circonstances exceptionnelles nées de la crise sanitaire, la renonciation, par l’administration, à une pénalité de retard, ne constitue pas une libéralité. De manière générale, la DAE appelle les acheteurs à éviter « toute décision excessive de nature à porter atteinte aux entreprises », à adopter une « posture bienveillante » à l’égard des titulaires de marchés subissant les effets de la crise.

Mais au-delà de ces recommandations, vertueuses mais dépourvues de toute portée juridique contraignante, le droit de la commande publique va devoir être adapté aux difficultés, voire à l’incapacité dans laquelle se trouvent les titulaires de marchés publics à les exécuter conformément aux stipulations contractuelles initiales. Si l’accord trouvé entre le gouvernement et les entreprises du BTP (accord signé le 21 mars avec la FFB, la FNTP et la CAFEB) va sans doute permettre, dans des conditions opérationnelles qui demeurent toutefois aléatoires, de relancer l’exécution de certains marchés de travaux stoppés depuis le 16 mars, force est d’admettre que l’exécution de la plupart d’entre eux va rester très perturbée. Il était donc nécessaire que les pouvoirs publics adoptent une réponse globale et sécurisante à la situation née de la crise. L’article 7-I-1°-f de la loi précitée du 23 mars 2020 autorise ainsi le Gouvernement à adapter, par ordonnance, dans un délai de trois mois, les « délais de paiement, d’exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le Code de la commande publique […] ». Un droit de la commande publique de crise va ainsi naître de cette ordonnance qui, de manière tout à fait exceptionnelle, va même pouvoir venir modifier, sur ces différents points, « les stipulations des contrats publics ». Autrement dit, non seulement les règles d’exécution prévues par le Code de la commande publique vont être modifiées pour être adaptées à la situation de crise, mais les contrats eux-mêmes vont pouvoir, en tant que besoin, être directement affectés.

Cela suffira-t-il à préserver toutes les entreprises titulaires de contrats de la commande publique ? Sans doute pas si l’on considère l’ampleur du marasme dans lequel la crise du COVID-19 va probablement plonger beaucoup de PME. En dépit de ces adaptations, beaucoup d’entre elles auront du mal à résister et vont probablement disparaître. Celles qui pourront résister achèveront sans doute l’exécution des marchés publics en cours dans des conditions économiques acceptables, à l’abri notamment de toutes sanctions contractuelles. Mais l’adaptation ponctuelle à laquelle est censée procéder l’ordonnance risque de ne pas régler la situation de titulaires de contrats de longue durée, principalement les concessionnaires de travaux et services qui, une fois la crise passée, vont devoir rétablir, sur une plus longue durée, l’équilibre économique de leur contrat. Certes, la théorie de l’imprévision offrira sans doute à certains d’entre eux une planche de salut, sous réserve toutefois que les autorités concédantes y consentent ou que le juge éventuellement saisi et à l’issue d’une longue procédure contentieuse, le décide. Aussi est-il souhaitable que, sur le fondement de l’article précité, l’ordonnance puisse autoriser, voire imposer, une prolongation adaptée de la durée des contrats concernés, afin d’en rétablir, par ce mécanisme, l’équilibre économique. Actionner le levier des pénalités de retard et de la résiliation ne suffira pas, en effet, à préserver des contrats de longue durée, durablement affectés par la crise.

III - S’agissant, enfin, du contentieux des contrats de la commande publique, qui ne forme sans doute pas la préoccupation principale des acheteurs et des entreprises dans cette période, il fait l’objet, également, de deux dispositions spécifiques dans la loi sur l’urgence sanitaire du 23 mars 2020. L’article 7-I-2°-b dispose ainsi qu’une ordonnance pourra venir adapter, interrompre, suspendre ou reporter « le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure ». Le c) du même article vise, quant à lui, l’adaptation des « règles de procédure et de jugement » des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire. Les dispositions de l’ordonnance qui seront prises sur le fondement de ces deux alinéas affecteront nécessairement les conditions dans lesquelles les opérateurs économiques et les parties à un contrat de la commande publique pourront engager une action contentieuse, tant au stade de la passation du contrat qu’au stade de son exécution. Ces actions contentieuses devraient, de manière générale, être facilitées.

          

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