Le Quotidien du 31 mars 2020 : Droit pénal spécial

[Brèves] Caractérisation du délit de prise illégale d’intérêt : indifférence de l’intention frauduleuse et exigence de motivation de la peine

Réf. : Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-83.390, F-P+B+I (N° Lexbase : A95153GI)

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par June Perot

le 06 Décembre 2020

► La Chambre criminelle rappelle dans cet arrêt qu’en vertu d’une jurisprudence constante, l’abus de fonction ainsi caractérisé en l’espèce suffit à lui seul pour consommer le délit de prise illégale d’intérêts et l’intention coupable est constituée par le seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit ; il n’est pas nécessaire qu’il ait agi dans une intention frauduleuse ;  le fait qu’un prévenu, maire d’une commune, se soit soumis aux règles de recrutement instaurées par la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 (N° Lexbase : L7448AGX) et le décret n° 86-68 du 10 janvier 1986 (N° Lexbase : L2809G8K), est sans incidence sur la caractérisation de l’infraction dès lors qu’il est, en toute connaissance de cause, intervenu à tous les stades de la procédure ayant abouti au recrutement d’un membre de sa famille, quelles que soient les compétences professionnelles de celui-ci ;

► Sur le prononcé de la peine toutefois, la Cour censure l’arrêt d’appel ; considérant que ne satisfait pas à l’exigence de motivation en matière correctionnelle, la cour d’appel qui, pour condamner les prévenus respectivement à six mois d’emprisonnement avec sursis, et un an d’inéligibilité, pour l’un, et quatre mois d’emprisonnement avec sursis, pour l’autre, énonce que chacune de ces peines apparaît proportionnée à la nature et à la gravité des faits, ainsi qu’à la personnalité de leur auteur, jamais condamné.

C’est ainsi que s’est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 4 mars 2020 (Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-83.390, F-P+B+I N° Lexbase : A95153GI).

Résumé des faits. A la suite de plusieurs dénonciations concernant la nomination, par le maire d’une commune, de sa sœur en qualité de directrice générale des services de la mairie, le procureur de la République de Lyon a ouvert une enquête. Cette dernière a permis d’établir les éléments suivants : dans une lettre au personnel le maire a annoncé la nomination de sa sœur au poste de directeur général ; deux mois plus tard, après une intervention des syndicats, le profil de poste correspondant à cette fonction a été diffusé auprès du centre de gestion de la fonction publique territoriale en vue d’un recrutement ; à l’issue d’une pré-sélection, le maire a retenu six candidats, dont sa sœur, qui ont été reçus pour un entretien par un jury de cinq personnes, auquel a participé le maire, jury qui s’est prononcé en faveur de la sœur du maire.

Le maire a été cité pour avoir, en sa qualité de maire, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt quelconque, dans une entreprise ou dans une opération dont il avait, au moment de l’acte, en tout ou en partie, la charge d’assurer la surveillance ou l’administration, en l’espèce en prenant un intérêt moral à la nomination de sa soeur, alors qu’il avait la surveillance de ces opérations de nomination, après avoir notamment, d’une part, participé activement à la sélection des candidats, aux entretiens du jury de recrutement et au vote de ce dernier, d’autre part, signé personnellement les arrêtés municipaux de nomination.

Sa sœur a été citée pour recel du délit de prise illégale d’intérêt commis par son frère.

En première instance, le tribunal a déclaré les deux prévenus coupables des faits et les a condamnés, le premier, à six mois d’emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d’amende et à trois ans d’inéligibilité, la seconde, à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, à 5 000 euros d’amende et à une interdiction d’exercer une fonction publique pendant dix-huit mois. Les prévenus et le ministère public ont interjeté appel.

En cause d’appel. Les juges ont retenu la culpabilité des deux prévenus, énonçant que le maire prévenu avait la charge d’assurer la surveillance et l’administration de l’opération de recrutement au poste fonctionnel de directeur général des services de la commune dont il était le maire et qu’il a ainsi accompli les formalités procédurales de publicité et de sélection des candidats, la désignation, puis la nomination par arrêté de la nouvelle directrice générale des services, seul ou en tant que membre du jury de recrutement qu’il avait mis en place.  Ils relèvent ensuite qu’indépendamment des incompatibilités légales rappelées par les prévenus, indifférentes quant aux faits, le lien familial unissant les deux prévenus, frère et soeur, constitue un intérêt moral et suffit à caractériser l’intérêt quelconque exigé par le texte. La cour d’appel a conclu que la sœur a sciemment bénéficié du produit du délit commis par son frère, dont elle n’a pu ignorer l’existence compte tenu de leur lien familial.

S’agissant de la peine, pour condamner le maire à la peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et à un an d’inéligibilité et sa soeur à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, l’arrêt énonce que chacune de ces peines apparaît proportionnée à la nature et à la gravité des faits, ainsi qu’à la personnalité de leur auteur, jamais condamné.

Un pourvoi est formé par les intéressés.

Décision. S’agissant de la caractérisation du délit de prise illégale d’intérêt (C. proc. pén., art. 432-12 N° Lexbase : L9471IYG) l’arrêt n’est pas censuré. Elle retient qu'en vertu d’une jurisprudence constante, l’abus de fonction ainsi caractérisé suffit à lui seul pour consommer le délit de prise illégale d’intérêts et l’intention coupable est constituée par le seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit. Il n’est pas nécessaire qu’il ait agi dans une intention frauduleuse. En effet, le fait qu’un prévenu, maire d’une commune, se soit soumis aux règles de recrutement instaurées par la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et le décret n° 86-68 du 10 janvier 1986, est sans incidence sur la caractérisation de l’infraction dès lors qu’il est, en toute connaissance de cause, intervenu à tous les stades de la procédure ayant abouti au recrutement d’un membre de sa famille, quelles que soient les compétences professionnelles de celui-ci. Notons que dans un arrêt du 17 décembre 2008, la Chambre criminelle avait également retenu le délit de prise illégale d’intérêt pour le président d’une université qui avait signé un contrat d’enseignement en faveur de sa sœur en qualité de professeur contractuel (Cass. crim., 17 décembre 2008, n° 08-82.318, F-P+F N° Lexbase : A1636ECL). Il a par ailleurs déjà été jugé que l’intention coupable est caractérisée par le seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit (Cass. crim., 27 novembre 2002, n° 02-81581 N° Lexbase : A4428A4R).

En revanche, sur la peine, c’est au visa de l’article 132-1 du Code pénal et des articles 485 (N° Lexbase : L9834I3M), 512 (N° Lexbase : L7519LP8) et 593 (N° Lexbase : L3977AZC) que la Haute juridiction censure l’arrêt. Elle rappelle qu’en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle.

L’exigence générale de motivation. La motivation de la peine correctionnelle a connu de nombreux bouleversements jurisprudentiels et législatifs ces dernières années. D’abord, la motivation de la peine a connu un mouvement de généralisation initié par la loi du 15 août 2014 : depuis trois arrêts du 1er février 2017 (Cass. crim., 1er février 2017, trois arrêts, n° 15-85.199, FP-P+B+I+R N° Lexbase : A7004TAN), n° 15-84511 N° Lexbase : A7003TAM) et n° 15-83984 N° Lexbase : A7002TAL ; v. J.-B. Thierry, La consécration de la motivation des peines correctionnelles, Lexbase Privé, 2017, N° 689 N° Lexbase : N6845BWG), la Chambre criminelle exige que toutes les peines correctionnelles fassent l’objet d’une motivation sur le fondement de l’article 132-1 du Code pénal. Ce dernier prévoit que « Dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l'article 130-1 ». Ainsi, les peines complémentaires comme l’inéligibilité (Cass. crim., 1er février 2017, n° 15-84.511) ou l’interdiction de gérer (Cass. crim., 1er février 2017, n° 15-85199) doivent être motivées au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle.

Matérialité du délit de prise illégale d’intérêt : l’intérêt. La Cour a pu retenir qu'un lien d'amitié pouvait être constitutif de l'intérêt quelconque nécessaire à la caractérisation de ce délit (Cass. crim., 5 avril 2018, n° 17-81.912, FS-P+B N° Lexbase : A4461XKG). Précisions que la Chambre criminelle a aussi précisé qu'il n'est pas utile que l'infraction commise cause un préjudice. Dès lors, se rendent coupables de ce délit les maires, maires-adjoints et conseillers municipaux qui ont participé aux délibérations et pris part aux votes attribuant des subventions aux associations municipales ou intercommunales qu'ils présidaient (Cass. crim., 22 octobre 2008, n° 08-82.068, F-P+F N° Lexbase : A2497EB4).

Pour aller plus loin :

• cf. l’Ouvrage « Procédure pénale » (dir. J.-B. Perrier), ETUDE : Le jugement des délits, La décision du tribunal correctionnel sur la peine, E. Letouzey (N° Lexbase : E0222ZRN)

• cf. l’Ouvrage « Droit pénal spécial », ETUDE : Les crimes et délits contre la Nation, l'Etat et la paix publique, La jurisprudence relative aux délits de prise illégale d'intérêts (N° Lexbase : E5647EXG)

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