La lettre juridique n°812 du 6 février 2020 : Avocats/Déontologie

[Le point sur...] Que la force cède à la robe !

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par François-Xavier Berger, Avocat au barreau de l’Aveyron, Ancien bâtonnier et Eric Morain, Avocat au barreau de Paris, Ancien secrétaire de la Conférence du Stage

le 05 Février 2020

Mots-clefs : Etude • Avocats • Déontologie • Profession • Robe 


 

L’histoire de la robe des avocats, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est paradoxale puisqu’aucun texte ne la règlemente véritablement. Elle est, quoiqu’il en soit, inséparable de l’histoire des avocats qui remonte aux praticiens, aux ad-vocati puis à l’orator sous l’empire romain, et juqu’aux conciliari et autres proponentes du 14ème siècle [1]. Déjà, sous l’Ancien Régime, les avocats portaient la robe de laine noire, couleur de la cléricature et du dépouillement, image du sacerdoce, tandis que les magistrats portaient une robe rouge, symbole de l’autorité royale. On signale pour la première fois au parlement du Roi, vers 1297, 19 chevaliers en lois, portant l’habit long comme les chevaliers d’armes, et par-dessus la robe, un manteau assez long [2]. L’on sait que l’Assemblée constituante supprima à la fois l’Ordre, les avocats et leur robe par un décret du 2 septembre 1790 dont l’article 10 énonçait : «Les hommes de loi, ci-devant appelés avocats, ne devant former ni Ordre, ni corporation, n'auront aucun costume particulier dans leurs fonctions». Mais les défenseurs officieux continueront à s’habiller de noir.

Le costume fut rétabli par l'article 6 de l'arrêté des consuls du 2 Nivôse an XI (23 décembre 1802) :

«Aux audiences de tous les tribunaux, les gens de loi et les avoués porteront la toge de laine fermée par devant, à manches larges ; toque noire ; cravate pareille à celle des juges ; cheveux longs ou ronds».

Quant au titre d'avocat il fut réintroduit par la loi du 22 ventôse an XII (13 mars 1804) relative aux écoles de droit.

Le décret impérial du 30 mars 1808 contenant règlement pour la police et la discipline des cours et tribunaux synthétisa ces deux dispositions en son article 105 :

«Les avocats, les avoués et les greffiers porteront dans toutes leurs fonctions, soit à l'audience, soit au parquet, soit aux comparutions et aux séances particulières devant les commissaires, le costume prescrit».

Enfin, à l’occasion du rétablissement de l’Ordre des avocats, l’article 35 du décret impérial du 14 décembre 1810 contenant règlement sur l’exercice de la profession d’avocat et la discipline du barreau, compléta la robe d’une épitoge herminée appelée chausse :

«Les avocats porteront la chausse de leur grade de licencié ou de docteur…».

Dans le but de distinguer le costume des avocats de celui des avoués un décret du 2 juillet 1812 sur la plaidoirie dans les cours impériales et dans les tribunaux de première instance confirma, dans un article 12, que seuls les premiers pouvaient porter l’épitoge d’hermine :

«les avocats seuls porteront la chausse et parleront couverts conformément à l'article 35 du décret du 14 décembre 1810» [3].

Dans notre droit positif l’article 3 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques énonce que les avocats «revêtent dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession». Costume réglementé, son usage par un non-avocat constitue le délit de l’article 433-14 du Code pénal (N° Lexbase : L6601IXR[4].

On notera à cet égard que les législateurs successifs ont toujours préféré le terme de «costume» à celui de «robe» qui reste l’apanage des seuls praticiens. L’article 13.2 du règlement intérieur national de la profession d’avocat (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8) dispose ainsi que les avocats honoraires «ont droit au port de la robe, à l’occasion des élections, cérémonies et manifestations officielles».

En réalité, si l’on se livre à une analyse exégétique, le «costume» comprendrait bien plus que la «toge de laine» décrite par l’arrêté des consuls du 2 Nivôse an XI. Si on laisse de côté la question des «cheveux longs ou ronds» qui pourrait conduire quelque avocat facétieux à se présenter, devant ses juges, coiffé d’une perruque empruntée à l’un de ses confrères britanniques, le texte évoque la «toque noire». Son usage est, aujourd’hui, tombé en désuétude même si elle est considérée par certains comme un signe d’indépendance, les avocats devant plaider «debout et couverts» [5]. Un incident impliquant une avocate souhaitant recouvrir ses cheveux au moyen d’une toque conduisit la Conférence des Bâtonniers à adopter, le 18 novembre 2016, une résolution appelant «les autorités à réglementer l’usage et la forme du costume d’audience, notamment en prescrivant l’interdiction d’ajouts personnels à la robe à l’exception des décorations françaises pour les audiences solennelles, et en disposant que les avocats se présentent tête nue dans l’exercice public de leurs fonctions d’assistance et de représentation». Lui-même saisi le Conseil national des barreaux ne modifia pas le RIN, la question ayant -a priori- animé son bureau [6]. Signe du caractère éminemment sensible de la question, c’est cette fois la Cour de cassation qui fut amenée, le 24 octobre 2018, à l’occasion d’un nouveau contentieux, à décider que la robe pouvait être valablement ornée des décorations françaises [7].

La robe elle-même a pu s’inviter dans ces rapports, souvent marqués d’une défiance réciproque, entre les avocats et le pouvoir exécutif.

Napoléon qui redoutait leur indépendance ne signa le décret du 14 décembre 1810 qu’avec beaucoup de réticence. Les historiens rapportent avoir retrouvé, dans les papiers de Cambacérès, une lettre de l'Empereur dans laquelle on remarqua le passage suivant : « Le décret est absurde ; il ne laisse aucune prise, aucune action contre eux (les avocats). Ce sont des factieux, des artisans de crimes et de trahisons ; tant que j'aurai l'épée au côté, jamais je ne signerai un pareil décret ; je veux qu'on puisse couper la langue à un avocat qui s'en sert contre le Gouvernement » [8].

Le barreau accueillit lui-même très mal ce même décret qui contenait des dispositions contraignantes. L’on explique que c’est très précisément à ce moment-là que les avocats du barreau de Paris refusèrent de porter l’épitoge prescrite par l’article 35. Ils ne la reprirent que plus tard, afin que l’on puisse les distinguer des avoués, mais en ayant pris soin d’en retirer l’hermine, même si l’usage parisien veut qu’elle soit portée par les membres du Conseil de l’Ordre et par les secrétaires de la Conférence du stage. Contrairement à la légende l’épitoge parisienne ne porte donc nullement le deuil de Malesherbes. Elle constituerait le symbole oublié d’une opposition à un pouvoir exécutif voulant restreindre l’indépendance du barreau. D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, les avocats étaient «aux ordres du Tribunal» au moment de l’appel des causes, désormais on dit qu’on est «à la disposition» de celui-ci…

Deux siècles plus tard, le 9 janvier 2020, le dépôt spectaculaire, aux pieds de la garde des Sceaux, des robes des avocats de Caen résonne comme un nouveau symbole. Ce geste a été depuis reproduit, par d’autres barreaux, dans les salles des pas perdus ou les grilles de nos palais de justice.

Mais si l’épitoge noire, dépourvue d’hermine, des avocats de Paris constituait le signe d’une volonté d’indépendance, le dépôt de leurs robes, par les avocats, à l’occasion de réformes en discussion, reste emblématique d’une colère bien plus profonde mêlée d’une angoisse sur l’avenir. Il y a deux précédents célèbres et dramatiques qui ont fait du «tombé de robe» un geste de résistance à l’arbitraire : le Bâtonnier Edmond Rousse en 1871 déclara solennellement :

« Nous avons décidé d’être présents devant les tribunaux de la Commune, mais non pas en tant qu’avocats. Nous avons donc laissé à la porte, pour ne pas les avilir, les insignes de notre Ordre ».

Lui faisant écho, Jean-Louis Tixier-Vignancour, plaidant devant la cour militaire de justice en 1962 :

« Un avocat général est en uniforme, les avocats sont sans robe : nous voici donc à égalité » [9].

Un fait est certain : aucun avocat n’a pu prendre plaisir à jeter sa robe au sol ou à la pendre à des grilles rouillées. Elle n’est ni une blouse de travail, ni un uniforme d’apparat. La robe que certains considéreront comme anachronique au temps des LegalTechs reste pour chaque avocat un vêtement sacré.

Sa première robe lui est souvent offerte par une personne qui lui est le plus cher et qui aura assisté à sa prestation de serment. Eric Dupond-Moretti a souvent raconté, qu’il porte celle d’Alain Furbury, celui qui fut son maître [10].

En pratique une même robe est souvent conservée pendant plus de quinze ans. Peut-être est-ce pour cela qu’il se dit que l’on meurt dans la troisième. La première, et surtout la seconde, termineront toujours usées, rapiécées et effilochées. Le combattant de la Résistance Sydney Chouraqui, décédé en 2018, a souhaité «le drapeau français, l’étoile de David et sa robe d’avocat sur son cercueil» [11].

Cette robe maintient entre les avocats «l’égalité au moins extérieure» écrivait en 1936 le Bâtonnier Fernand Payen [12]. Elle « rappelle à l’avocat la dignité et les obligations de sa profession en même temps qu’elle est pour lui une protection » [13].  

Pour Jacques Hamelin et André Damien, la robe « sépare l’avocat de la vie quotidienne et du monde de tous les jours. Elle rappelle que la Justice n’est pas seulement une affaire administrative, mais qu’elle est l’exercice d’un pouvoir mystérieux et antique qui consiste à essayer de distinguer le bien du mal et à sonder les reins et les cœurs… elle est une protection permanente de l’avocat ; en contraignant celui-ci à prendre, vis-à-vis de sa clientèle, le recul nécessaire, elle lui permet d’acquérir l’ascendant indispensable et l’autorité dont il a besoin à la barre vis-à-vis des magistrats et des clients » [14].

Cape noire et sacrée dont la forme se perd dans la nuit des temps, tenue de combat ou armure de chevalier, la robe est tout cela, elle est une « véritable leçon de renoncement, d’austérité et de purification» [15]. Elle permet, pour celui qui la revêt, l’identification de son personnage, et donc pour l’avocat, «d’incarner la Défense» [16].

Aux assises, c’est aussi celle de l’avocat de la partie civile qui va se placer entre l’accusé et la victime. C’est toujours celle de l’avocat de l’accusé qui va se lever pour la déployer et tendre ce drap noir qui séparera, le temps d’un incident ou de la plaidoirie, celui qu’il défend de ceux qui l’accusent.

Voilà peut-être pourquoi même si cette robe de laine est lourde et inconfortable, même si, à l’instar du sportif dans l’épreuve, il va parfois y transpirer l’avocat y reste attaché.

L’histoire l’a démontré : la robe est l’avocat comme l’avocat est la robe. D’ailleurs on dit de l’avocat qui quitte la profession qu’il « quitte la robe » comme pour en montrer l’unicité ontologique.

Il existe un secret qui n’est connu que des avocats et des maisons confectionnant ces robes sur mesure et qui fut très certainement caché à Napoléon.

A l’intérieur de la robe existe une traîne, repliée à l’intérieur, retenue par deux larges lanières sur le côté gauche. Elle nous vient du passé et rappelle que les anciens chevaliers avaient porté l’épée. On raconte, qu’autrefois déployée dans un cortège, elle séparait l’avocat de ceux qui se trouvaient derrière lui. Comme un ultime symbole de puissance et d’indépendance de l’avocat. Et puis, cedant arma togae, les armes ont cédé à la toge…

 

[1] J. Lemaire, Les règles de la profession d’avocat et les usages du barreau de Paris, LGDJ, 3ème édition, 1975, p. XXIII.

[2] Boucher d’Argis, Règles pour former un avocat, 1778.

[3] Ledru-Rollin, Répertoire général du journal du palais, 1845, p. 209 et s. ; J. Appleton, note sous Cass. crim. 28 déc. 1928, D., 1929, p. 49.

[4] Cass. crim., 5 novembre 1997, n° 96-86.380 (N° Lexbase : A1375ACW).

[5] Décret du 14 décembre 1810, art. 35, préc.

[6] A. Portmann, Réglementation du costume d’audience : le casse-tête autour des signes religieux, Dalloz-actualités, 7 décembre 2016.

[7] Cass. civ. 1, 24 octobre 2018, n° 17-26.166, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5932YH8).

[8] Ledru-Rollin, préc..

[9] J.-M. Varaut, Le droit au juge, Quai Voltaire, 1991, p. 43

[10] Le Point, 18 février 2015 ; 20 Minutes, 6 février 2017.

[11] Le Point, 6 février 2018.

[12] F. Payen et G. Duveau, Les règles de la profession d’avocat et les usages du barreau de Paris, Recueil Sirey, 1936, p. 249.

[13] J. Appleton, préc..

[14] J. Hamelin, A. Damien, Les règles de la profession d’avocat, Dalloz, 8ème éd., p. 313.

[15] A. Garapon, L’âne portant des reliques - Essai sur le rituel judiciaire, préface de Jean Carbonnier, Le Centurion, 1985, p. 81

[16] L. Karpik, Les avocats - Entre l’Etat, le public et le marché XIIIe-XXème siècle, NRF Bibliothèque des Sciences Humaines, 1995, p. 437.

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