La lettre juridique n°809 du 16 janvier 2020 : Responsabilité

[Brèves] Droit du tiers à un contrat de se prévaloir du seul manquement contractuel pour obtenir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation du dommage qui en résulte, sans devoir démontrer une faute délictuelle distincte

Réf. : Ass. plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963, P+B+R+I (N° Lexbase : A85133AK)

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[Brèves] Droit du tiers à un contrat de se prévaloir du seul manquement contractuel pour obtenir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation du dommage qui en résulte, sans devoir démontrer une faute délictuelle distincte. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/56050495-breves-droit-du-tiers-a-un-contrat-de-se-prevaloir-du-seul-manquement-contractuel-pour-obtenir-sur
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par Manon Rouanne

le 15 Janvier 2020

► Le tiers à un contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement, de sorte que, la société productrice de sucre de canne, qui, en application de la conclusion, entre une autre société de production de sucre et elle, d’une convention d’assistance mutuelle en période de campagne sucrière «en cas d’arrêt accidentel prolongé de l’une des usines», a été contrainte, du fait de l’incendie s’étant déclaré dans une usine électrique exploitée par une société tierce qui alimentait en énergie l’usine de son cocontractant, entraînant la fermeture de cette usine pendant quatre semaines, d’assurer une partie du traitement de la canne qui était dévolue à son partenaire, peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir du seul manquement contractuel du fournisseur d’énergie dans l’exécution de son obligation de fourniture d’énergie à l’égard de son cocontractant, pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de cette défaillance dans l’exécution du contrat.

Par cet arrêt en date du 13 janvier 2020, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, en confirmant sa position adoptée dans l’arrêt rendu le 6 octobre 2006 (Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255 N° Lexbase : A5095DR7 ; arrêt rendu pour faire cesser les positions différentes des chambres de la Cour, par exemple, Cass. civ. 1, 18 juillet 2000, n° 99-13.135 N° Lexbase : A3975CZA vs Cass. com., 8 octobre 2002, n° 98-22.858 N° Lexbase : A9636AZW), vient, une nouvelle fois, mettre un terme aux «divergences» jurisprudentielles (Cass. civ. 3, 22 octobre 2008, n° 07-15.583, FS-P+B N° Lexbase : A9327EAP ; Cass. com., 8 février 2011, n° 09-17.034, F-P+B N° Lexbase : A7230GWP ; Cass. com., 18 janvier 2017, n° 14-16.442, F-D N° Lexbase : A7002S99 ; Cass. civ. 3, 18 mai 2017, n° 16-11.203, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2751WDA), source d’incertitudes, relatives au fait générateur pouvant être utilement invoqué par un tiers poursuivant l’indemnisation du dommage qu’il impute à une inexécution contractuelle (Ass. plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963, P+B+R+I N° Lexbase : A85133AK).

Selon l'Assemblée plénière, la victime, qui est en dehors du champ contractuel, impute au contractant son manquement contractuel qui est une faute délictuelle à son égard. 

En l’espèce, deux sociétés, ayant pour objet social la fabrication et la commercialisation du sucre de canne, ont conclu un protocole aux fins de concentrer le traitement de la production sur deux usines, chacune appartenant respectivement aux deux sociétés contractantes. En outre, dans ce même objectif de collaboration, elles ont, deux mois après la conclusion du protocole, conclu une convention de travail à façon déterminant la quantité de sucre à livrer au commettant et la tarification du façonnage. Dans le même temps, les deux sociétés contractantes se sont engagées par la conclusion, entre elles, d’un contrat d’assistance mutuelle en période de campagne sucrière entre les deux usines «en cas d’arrêt accidentel prolongé de l’une des usines». Une nuit, un incendie s’est déclaré dans une usine exploitée par une société tierce en charge d’alimenter en énergie l’usine de production de l’une des deux sociétés ayant pour conséquence la fermeture de cette usine pendant un mois. Aussi, en vertu de la convention d’assistance mutuelle, l’autre société a assuré, à la place de la société n’ayant plus d’électricité, le traitement d’une partie de la canne qui aurait dû être effectué par cette dernière et a, dès lors, subi un dommage consistant dans des pertes d’exploitation. Son assureur ayant indemnisé la société du préjudice subi, il a, en exerçant son action subrogatoire, engagé une action en responsabilité à l’encontre du cocontractant de son assuré et de la société en charge de fournir l’énergie pour obtenir le remboursement du montant de la réparation versé.

La cour d’appel (CA Saint-Denis de la Réunion, 5 avril 2017, n° 15/00876 N° Lexbase : A4087UXN), ayant refusé de faire droit à ses demandes, d’une part, en rejetant, l’engagement de la responsabilité du cocontractant de son assuré aux motifs que l’assureur ne pouvait avoir davantage de droits que son assuré et qu’en raison de la convention d’assistance mutuelle conclue entre les deux sociétés, la société, venue en aide à l’autre du fait de l’incendie, ne pouvait exercer d’action contre son cocontractant et, d’autre part, en refusant de retenir la responsabilité de l’usine fournisseur d’énergie en affirmant que la faute, la négligence ou l’imprudence de celle-ci à l’origine de sa défaillance contractuelle n’était pas établie.

Contestant l’arrêt rendu par les juges du fond, l’assureur, subrogé dans les droits de la société ayant apporté son assistance, a, alors formé un pourvoi en cassation. Dans un premier temps, pour voir la responsabilité de la société aidée engagée, le demandeur a, notamment, allégué, comme moyens, que la convention d’assistance mutuelle n’induisait pas une renonciation des parties à agir l’une contre l’autre en raison du préjudice pouvant résulter de l’exécution de ce contrat. Dans un second temps, le demandeur, pour contredire le refus de la cour d’appel d’engager la responsabilité délictuelle du fournisseur d’énergie, a argué qu’il pouvait se prévaloir, à l’encontre de celui-ci, de sa seule défaillance contractuelle pour obtenir réparation du préjudice qui en résulte sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Rejoignant la position adoptée par la juridiction de second degré, la Cour de cassation a, dans le sillage des motifs développés par la cour d’appel, rejeté l’engagement de la responsabilité de la société ayant subi l’arrêt de sa production en affirmant que, dans la mesure où, d’une part, il relève de la convention d’assistance mutuelle, qui procédait d’une démarche de collaboration, qu’en cas de difficultés technique, une entraide devait être mise en place conduisant à la répartition des cannes à brasser et, d’autre part, les parties contractantes s’étaient entendues sur la mise en œuvre de cette convention à la suite de l’arrêt complet de l’usine, l’assureur ne pouvait invoquer la faute contractuelle du cocontractant de son assuré pour engager sa responsabilité contractuelle.

En revanche, ne confortant pas la position adoptée par les juges fond quant au refus d’engager la responsabilité délictuelle du fournisseur d’énergie, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel.

Rappelant son interprétation initiale de l’article 1165 ancien du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK, devenu l'article 1199 du Code civil N° Lexbase : L0922KZ8) (Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255 N° Lexbase : A5095DR7), l’Assemble plénière, pour mettre fin aux divergences jurisprudentielles relatives au fait générateur pouvant être utilement invoqué par un tiers poursuivant l’indemnisation du dommage qu’il impute à une inexécution contractuelle, affirme, à nouveau, que le manquement par un contractant à une obligation contractuelle étant de nature à constituer un fait illicite à l’égard d’un tiers au contrat lorsqu’il lui cause un dommage, le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est, dès lors, pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement pour en obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Ainsi, en l’occurrence, l’assureur pouvait se prévaloir du seul manquement du fournisseur d’énergie dans l’exécution de ses obligations contractuelles dans apporter la preuve de la commission d’une faute délictuelle pour engager, à son égard, sa responsabilité délictuelle.

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