La lettre juridique n°810 du 23 janvier 2020 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Interdiction de traduire le titre d’avocat français en langues étrangères sur la plaque professionnelle

Réf. : CA Lyon, 12 décembre 2019, n° 19/02241 (N° Lexbase : A9523Z7T)

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par Cathie-Sophie Pinat, Maître de conférences à l'Université de Lyon 2

le 13 Janvier 2020


Mots-clés : profession • avocat • déontologie • usurpation de titres • étrangers


 

La pratique du métier d’avocat fait parfois naître des interrogations nouvelles en particulier lorsqu’elle concerne sa communication, domaine qui a fait l’objet d’une libéralisation sous l’impulsion de l’Union européenne. La cour d’appel de Lyon a justement été saisie d’une interrogation digne d’intérêt en la matière. En l’espèce, deux avocats stéphanois ont traduit leurs titres d’avocat en langues étrangères.  Plus précisément, accolée à la mention avocat, ils ont agrémenté leurs plaques professionnelles des mentions «lawyers», «rechtsanwalt» et «abogados». Cette traduction en langues étrangères (anglaise, allemande et espagnole) n’a pas été du goût de M. le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Saint-Etienne qui leur a demandé de justifier les titres leur permettant de recourir à de telles mentions ou, à défaut, de retirer ces mentions aux motifs que le titre d’avocat ne peut être employé que dans la langue officielle de l’état dans lequel il a été obtenu. Les professionnels, estimant alors ne pas être en infraction vis-à-vis des règles déontologiques, n’ont pas accepté de se soumettre à de telles exigences et l’affaire s’est retrouvée devant le conseil de l’Ordre qui s’est décidé, conformément à la position du Bâtonnier le 7 janvier 2019, en considérant que les mentions litigieuses n’étaient pas constitutives d’une simple traduction mais d’une référence à un titre faisant en l’espèce défaut. Les avocats ont alors contesté cette délibération devant la cour d’appel de Lyon qui a rejeté leur recours dans un arrêt du 12 décembre 2019 (arrêt commenté).

            Ce recours est articulé autour de deux moyens. Le premier d’ordre procédural ne retiendra pas l’attention dans la mesure où il ne fait pas l’objet d’un véritable débat devant les juges du fond. Les avocats ont notamment fait valoir que la notification de la délibération est irrégulière car elle est l’œuvre de la secrétaire de l’instance ordinale et non du Bâtonnier lui-même. Ils ajoutent que la délibération contient des mentions incomplètes et incorrectes puisqu’elle se contente de viser la possibilité d’un recours devant le premier président sans préciser la juridiction en cause. La cour d’appel de Lyon rejette ces arguments. Elle rappelle, d’une part, qu’aucun texte ne prévoit de formalisme particulier concernant l’auteur de la notification de la délibération en sorte qu’une délégation au profit de la secrétaire n’était pas nécessaire et décide, d’autre part, que les mentions inexactes ou manquantes de la délibération sont en l’espèce sans incidence puisque « les appelants ayant pu exercer leur droit de recours à son encontre» (sur ce point, v., Cass. civ. 1, 26 janvier 1982, n° 80-17109 N° Lexbase : A0229CKP, Bull. civ. I, n° 39).

Sur le fond en revanche, le recours pose une question inédite qui mérite un examen approfondi. Il s’agit de savoir si l’avocat peut traduire en langues étrangères le titre français d’avocat sur sa plaque professionnelle.

            La cour d’appel répond que cette traduction est interdite si elle correspond à un titre qui ne peut pas être revendiqué par l’auteur de la plaque professionnelle sur laquelle il est inscrit. Si le terme «lawyer» est effectivement «une traduction générique du terme juriste» et que son usage est en conséquence possible puisque le port de ce titre n’est pas règlementé, tel n’est pas le cas des termes «Rechtanwalt» et «Abogados» qui correspondent à des titres qui ne peuvent être revendiqués que par «ceux qui satisfont aux conditions d’obtention». Au fondement de cette décision, se trouve d’abord le rappel de la règle selon laquelle les dispositions relatives à la correspondance postale ou électronique s’appliquent aux mentions apposées sur la plaque professionnelle en application de l’article 10.6.2 du Règlement intérieur national (ci-après RIN) (N° Lexbase : L4063IP8). Ainsi, toutes les exigences applicables à la correspondance du professionnel trouvent à s’appliquer en l’espèce. Or, à la lecture de l’argumentation du barreau stéphanois et en recherchant les raisons implicite de cette décision, il apparaît que l’interdiction de traduire en langues étrangères le terme avocat sur une plaque professionnelle en l’absence des qualifications correspondantes est fondée sur les caractères déceptif et déloyal de cette mention. Pour mieux comprendre cette position, il convient d’en étudier les principaux ressorts : la protection de la clientèle (I) et la protection des autres membres de la profession (II).

I - Une interdiction fondée sur la volonté de protéger la clientèle

Le caractère déceptif de la traduction sur la plaque professionnelle. La traduction du titre d’avocat en langues étrangères est trompeuse puisqu’elle est susceptible d’attirer des clients qui peuvent légitimement croire que le professionnel est habilité à les représenter devant les juridictions du pays dans lequel la fonction a été traduite sur la plaque professionnelle. En effet, les justiciables qui résident en France engagés dans un procès à l’étranger peuvent être tentés de recourir aux services des avocats dont le titre est traduit dans la langue du pays où le litige sera jugé alors même que cet avocat n’a pas compétence pour ce faire. Ainsi, si un justiciable se rend dans le cabinet des intéressés en pensant qu’ils pourront le représenter en Allemagne ou en Espagne, il pourrait finalement être tenté d’opter pour un accompagnement mixte associant celui de ces professionnels à celui de professionnels aptes à plaider devant les juridictions compétentes. Ce surcoût lié à une représentation mixte aura ainsi été en quelque sorte forcé par une mention présentant un caractère déceptif, ce dont on ne peut se satisfaire. Ainsi, cette solution se justifie par la nécessité de préserver l’intérêt des usagers du droit conformément à l’article 10. 2 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) qui interdit toute mention «mensongère ou trompeuse» (v., égal., décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, art. 15 N° Lexbase : L6025IGA).

L’objectif d’attractivité de la clientèle étrangère écarté. Si la mention de la profession d’avocat en langues anglaise, allemande et espagnole peut être motivée par un désir d’attirer une clientèle étrangère, il existe d’autres moyens pour ce faire sans qu’aucun risque de confusion ne s’installe dans l’esprit de la clientèle.

La publicité personnelle et la correspondance de l’avocat peut d’abord faire mention des langues étrangères maîtrisées par le professionnel puisque cette mention n’est pas prohibée d’un point de vue déontologique (v., Comm. RU de la décision à caractère normatif n° 2010-002 portant réforme des dispositions de l’article 10 du règlement intérieur national de la Comm. de la profession d’avocat qui autorise notamment l’avocat à faire mention «des langues étrangères pratiquées», accessible sur le site du CNB). Or, l’article 10.6.2 du RIN dispose que «Les dispositions relatives à la correspondance postale ou électronique de l’avocat s’appliquent à la plaque professionnelle située à l’entrée de l’immeuble où est exercée l’activité du cabinet et aux cartes de visite». En conséquence, les avocats peuvent utilement préciser sur leurs plaques professionnelles les langues qu’ils maîtrisent dans le but d’attirer des clients étrangers ou des clients engagés dans un procès à l’étranger sans que ces derniers n’imaginent pouvoir être représentés par ces avocats.

De même, et comme la cour d’appel de Lyon le souligne, les cartes professionnelles peuvent faire mention au verso des traductions «‘Berufausweiss für Rechtsanwalt' et 'Advocate's professional identity card’» dès lors que le recto mentionne «seulement le titre 'avocat', titre professionnel d'origine» et que ces traductions ont «seulement pour finalité la preuve de leur qualité d'avocat en France sans que cela leur confère un tel titre dans les pays de l'Union européenne de langue allemande ou anglaise». Il est donc possible de s’adresser à une clientèle étrangère ou maîtrisant les langues étrangères sans porter atteinte à l’exigence d’une communication loyale, claire et transparente.

II - Une interdiction fondée sur la volonté de protéger la profession

Protection des professionnels. L’instance ordinale a également fait valoir que la traduction opérée par les avocats sur leur plaque professionnelle était constitutive d’une usurpation de titres étrangers au détriment de ceux qui en sont les titulaires. Comme la cour d’appel le souligne, le barreau stéphanois n’intervient que pour protéger les professionnels de son ressort en sorte qu’«il importe peur que certains avocats de barreaux extérieurs emploient ces termes, à tort ou à raison». A ce titre, les membres de la profession représentés sont susceptibles de voir leurs intérêts menacés du fait même de la confusion opérée par la traduction du titre sur la plaque professionnelle.

Une situation déloyale à l’égard des avocats exerçant en France et à l’étranger. Cette confusion créé une situation de concurrence déloyale à l’égard de ceux qui, habilités à exercer la profession en France (v., Cass. civ. 1, 19 mars 2009, n° 08-14.734, F-D N° Lexbase : A0924EEX) jouissent également du titre d’avocat à l’étranger et qui sont logiquement autorisés à faire mention de ce titre en application de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques,  art. 1er ; le titre d'avocat peut être suivi «d'un titre dont le port est réglementé à l'étranger et permet l'exercice en France des fonctions d'avocat»). Ces avocats ont effectivement obtenu des diplômes leur permettant notamment d’attirer une clientèle étrangère résidant en France et il serait déloyal que des avocats dépourvus de telles qualifications détournent cette clientèle.

Une situation déloyale à l’égard des avocats exerçant exclusivement à l’étranger. Il en va de même pour les avocats étrangers, et notamment ceux qui, inscrits dans un barreau d’un état membre de l’Union européenne, exercent uniquement sous leur titre d’origine en France. Se trouvant dans la situation exactement contraire de celle décrite en l’espèce, ils sont tenus de ne mentionner leur titre que dans la langue de leur état d’origine. L’article 85 de la loi 31 décembre 1971 dispose en effet que : Le titre professionnel d'origine dont il est fait usage ne peut être mentionné que dans la ou l'une des langues officielles de l'État membre où il a été acquis (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ; v., égal., art. 200 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat et art. 3 de la Directive 77/249CEE du conseil, du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats). Ainsi, il est tout à fait logique que les avocats qui n’ont ce titre qu’en France soient réciproquement soumis à cette exigence afin que les uns comme les autres jouissent d’une protection contre le risque de déloyauté confraternelle.

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