La lettre juridique n°807 du 19 décembre 2019 : Procédure pénale

[Jurisprudence] Application du principe de proportionnalité à la saisie en valeur de l’instrument de l’infraction

Réf. : Cass. crim., 6 novembre 2019, n° 19-82.683, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8757ZTI)

Lecture: 9 min

N1379BYQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Application du principe de proportionnalité à la saisie en valeur de l’instrument de l’infraction. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/55515850-jurisprudence-application-du-principe-de-proportionnalite-a-la-saisie-en-valeur-de-lrinstrument-de
Copier

par Matthieu Hy, Avocat au barreau de Paris, ancien secrétaire de la Conférence

le 18 Décembre 2019

 


Mots-clés : saisie pénale • saisie en valeur • instrument • proportionnalité • confiscation • biens et droits incorporels

Résumé : lorsque l’instrument de l’infraction est, au moment des faits, la propriété du mis en cause ou qu’il en a la libre disposition et que le propriétaire est de mauvaise foi, ledit instrument peut être saisi en valeur sous réserve, lorsque cette garantie est invoquée, du contrôle de proportionnalité.

Contexte : v. déjà en ce sens, en matière de confiscation : Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 18-80.027, F-D (N° Lexbase : A7902YLA) ; en matière de saisie : Cass.crim., 25 septembre 2019, n°18-86.627, F-D (N° Lexbase : A0350ZQZ)


 

A l’occasion d’une information judiciaire ouverte du chef de proxénétisme aggravé, le magistrat instructeur a ordonné la saisie pénale du produit de la vente de plusieurs immeubles appartenant à une société civile immobilière (SCI) gérée par le mis en examen, à savoir près de deux millions et demi d’euros. Saisie du recours de la société, la chambre de l’instruction de la cour d’appel a infirmé les ordonnances, cantonné la saisie à la somme de 436 000 euros et ordonné la restitution du surplus à la SCI. Selon la juridiction d’instruction du second degré, les biens immobiliers, par ailleurs lieu des faits de proxénétisme, et le produit de leur vente étaient à la libre disposition du mis en examen et la SCI ne pouvait être considérée comme propriétaire de bonne foi, ce qui autorisait leur saisie en valeur. Néanmoins, selon la chambre de l’instruction, le montant de la saisie devait être cantonnée aux gains issus de l’infraction, estimés à 436 000 euros. Le procureur général près la cour d’appel s’est pourvu en cassation.

L’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 6 novembre 2019 fournit une illustration rare d’une saisie en valeur de l’instrument de l’infraction tout en étant riche en enseignements méthodologiques. La Haute juridiction reproche aux juges de la chambre de l’instruction d’avoir omis d’envisager les biens saisis en tant qu’instrument de l’infraction, ce qui aurait pu, sous les conditions qu’elle énonce, permettre de valider le montant de saisies ordonnées par le juge d’instruction.

Au visa de l’article 706-153 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7453LPQ), la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle que la saisie des biens ou droits incorporels, tels que des sommes inscrites au crédit d’un compte bancaire, peut être ordonnée par le magistrat instructeur dès lors que leur confiscation est prévue par l’article 131-21 du Code pénal (N° Lexbase : L9506IYQ). Cette dernière disposition prévoit la confiscation de l’instrument de l’infraction en son alinéa 2 et la confiscation en valeur en son alinéa 9. La notion de confiscation en valeur, qui s’oppose à la confiscation en nature, renvoie à la possibilité pour les juridictions de jugement de confisquer un bien pour la valeur qu’il représente et non en raison de son lien avec l’infraction poursuivie. L’article 706-141-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6393ISL) prévoit la possibilité de saisir en valeur.

Combinant ces différentes dispositions, la Chambre criminelle de la Cour de cassation pose le principe selon lequel « dans ce cas, il appartient au juge d’une part, de s’assurer que les conditions de confiscation de l’instrument de l’infraction prévues par le deuxième alinéa de l’article 131-21 du Code pénal étaient réunies au moment de la commission des faits, d’autre part, de vérifier que la valeur du bien saisi n’excède pas celle de l’instrument de l’infraction, enfin, lorsqu’une telle garantie est invoquée, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé au regard de la gravité concrète des faits et de sa situation personnelle ».

En premier lieu, il résulte de l’article 131-21, alinéa 2, du Code pénal, que « la confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ».

D’une part, il faut, selon les juges du Quai de l’Horloge, se placer au moment de la commission de l’infraction pour déterminer si l’instrument est confiscable [1]. D’autre part, quand le bien n’est pas la propriété du mis en cause, il ne peut être confisqué, et donc préalablement saisi, que lorsque que deux conditions sont remplies : la libre disposition par le mis en cause et la mauvaise foi du tiers propriétaire. Sur ce point, à l’image de la caractérisation d’une infraction en matière pénale, l’analyse de la situation du tiers conduit à s’intéresser à un élément matériel et à un élément moral. S’agissant de l’élément matériel, la libre disposition signifie que le tiers n’est qu’un propriétaire de paille, le véritable propriétaire étant, derrière les apparences juridiques, le mis en cause. S’agissant de l’élément moral, l’absence de bonne foi signifie que le tiers a connaissance de cette absence de propriété véritable, voire, selon une conception moins respectueuse des droits du tiers, qu’il a connaissance de l’utilisation frauduleuse de son bien [2]. En l’espèce, ces conditions ne semblaient pas poser de difficulté dès lors que la cour d’appel avait constaté que « les immeubles ayant servi à commettre le délit poursuivi, bien cédés postérieurement aux faits, étaient lors de leur commission à la libre disposition » du mis en examen et que la société civile immobilière « n’était pas de bonne foi ». Implicitement, la Cour de cassation confirme par ailleurs que la réserve des droits du propriétaire de bonne foi s’applique dès le stade de la saisie [3].

En deuxième lieu, il convient, selon la Haute juridiction, de « vérifier que la valeur du bien saisi n’excède pas celle de l’instrument de l’infraction ». Cette condition fait référence au mécanisme de la saisie en valeur. En effet, lorsque la saisie est effectuée selon cette modalité, la valeur des biens saisis ne doit pas excéder la valeur des biens confiscables en nature. En l’espèce, comme le rappelle la Cour de cassation, la cour d’appel avait constaté que « les sommes saisies par le juge d’instruction représentaient la valeur de l’instrument de l’infraction ». Ce constat était d’autant plus évident que les sommes étaient précisément le produit de la vente des biens immobiliers qui auraient servi à commettre l’infraction de proxénétisme.

A ce stade, force est de constater que c’est de manière fortuite que la chambre de l’instruction a exposé que les conditions d’une saisie en valeur de l’instrument de l’infraction étaient réunies. En effet, la juridiction d’instruction du second degré n’avait, à aucun moment, envisagé cette forme de saisie, son raisonnement s’étant limité à la saisie en valeur du produit de l’infraction, à savoir les gains résultant des faits poursuivis, qu’elle avait estimé à 436 000 euros, soit un montant bien inférieur aux sommes saisies. L’arrêt commenté rappelle donc que la saisie en valeur ne renvoie pas uniquement au produit de l’infraction, mais aussi notamment à son instrument.

En troisième et dernier lieu, les juges doivent apprécier, lorsqu’une telle garantie est invoquée, « le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé au regard de la gravité concrète des faits et de sa situation personnelle ».

Alors que le contrôle de proportionnalité est exclu en matière de saisie en valeur du produit de l’infraction [4], il a vocation à s’appliquer en cas de saisie en valeur de l’instrument du crime ou du délit. La même distinction quant au caractère opérant ou non de la violation du principe de proportionnalité avait déjà été affirmée en matière de saisie en nature du produit [5] et de l’instrument [6] de l’infraction. Toutefois, la Cour de cassation précise que le contrôle de proportionnalité n’a pas à être effectué d’office par les juges, comme tel est le cas en matière de saisie de patrimoine [7].

En définitive, en l’espèce, deux saisies en valeur étaient envisageables : l’une du produit de l’infraction, qui limitait le montant à 436 000 euros mais permettait d’éviter d’examiner le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé ; l’autre de l’instrument de l’infraction, qui permettait de saisir la totalité des sommes mais exigeait d’opérer un contrôle de proportionnalité.

Une fois ce constat réalisé, reste la délicate question de savoir si la chambre de l’instruction peut choisir le fondement de sa saisie. Deux interprétations sont possibles. Selon la première, la chambre de l’instruction serait libre de choisir le fondement de la saisie dès lors qu’elle identifie tous les fondements possibles. Selon la seconde, la juridiction d’instruction aurait l’obligation de choisir le fondement le plus défavorable au mis en cause en comparant les différents types de saisie. Il peut être relevé que la Cour de cassation a déjà estimé qu’à tout le moins, le juge n’avait pas à choisir le fondement de confiscation le plus favorable [8]. Par ailleurs, en l’espèce, compte-tenu de l’exigence de proportionnalité, il n’est pas acquis que la saisie en valeur de l’instrument de l’infraction permette d’appréhender la totalité des sommes résultant de la vente des immeubles ou même une somme plus importante que le produit estimé de l’infraction.

 

[1] En revanche, il convient de se placer au jour de l’examen du recours pour déterminer si le bien est toujours confiscable au regard de l’infraction poursuivie : en ce sens, Cass. crim., 20 novembre 2019, n° 18-86.781, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0130Z39).

[2] Cass. crim., 3 février 2016, n° 14-87.754, F-D (N° Lexbase : A3191PKE).

[3] Cass. crim., 26 juin 2019, n° 18-84.650, F-D (N° Lexbase : A3134ZHK).

[4] Cass. crim., 5 janvier 2017, n° 16-80.275, FS-D (N° Lexbase : A4793S3W).

[5] Cass. crim., 12 octobre 2016, n° 16-82.322, F-D (N° Lexbase : A9638R74) : « les saisies litigieuses ayant porté sur le produit supposé d'une infraction, le grief tiré de la violation du principe de proportionnalité est inopérant ».

[6] Cass. crim., 25 septembre 2019, n° 18-86.627, F-D (N° Lexbase : A0350ZQZ) : « le juge qui prononce une mesure de saisie d'un bien constituant l'instrument de l'infraction doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété lorsque le propriétaire invoque cette garantie ».

[7] Cass. crim., 4 mai 2017, n° 16-87.330, F-D (N° Lexbase : A9516WB3) : « le juge qui prononce une mesure de saisie de tout ou partie du patrimoine doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée aux droits de l'intéressé ».

[8] Cass. crim., 22 février 2017, n° 16-83.257, FS-P+B (N° Lexbase : A0035TS4).

newsid:471379

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.