La lettre juridique n°802 du 14 novembre 2019 : Droit pénal des mineurs

[Pratique professionnelle] Approche pratique de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs

Réf. : Ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs (N° Lexbase : L2043LSH)

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N1103BYI

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[Pratique professionnelle] Approche pratique de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/54667358-pratique-professionnelle-approche-pratique-de-lrordonnance-n-2019-950-du-11-septembre-2019-portant
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par Leïla Hebbadj, Magistrat, docteur en droit

le 13 Novembre 2019

 


Mots-clés : mineurs • Code de la justice pénale des mineurs • ordonnance du 2 février 1945 • ordonnance du 11 septembre 2019 • magistrat • pratique judiciaire

Cet article est issu du dossier spécial "Code de la justice pénale des mineurs" publié le 14 novembre 2019 dans la revue Lexbase Pénal. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N1086BYU)


 

L’illisibilité de la version actuelle de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante fait l’unanimité parmi les professionnels de la justice pénale des mineurs. En sus d’une économie générale confuse, ce texte décline des dispositions dont l’accessibilité est parfois difficile en raison d’une rédaction ayant souffert les affres des multiples réformes intervenues. Le fascicule « les attributions pénales du juge des enfants [1]» et le forum de discussion « enfants [2]» sont ainsi de précieux outils alternatifs dont disposent les magistrats dans l’attente d’un texte plus lisible. Vivement souhaitée, maintes fois annoncée, et autant de fois reportée, la réforme de la justice pénale des mineurs concrétisée par l’ordonnance n° 2019-950 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs en date du 11 septembre 2019 affiche notamment pour objectif de répondre à ladite attente. C’est d’ailleurs dans cette perspective que la garde des Sceaux, ministre de la Justice, avait adressé aux praticiens -courant mars 2019- un questionnaire en ligne afin de solliciter leur avis « sur la procédure actuellement applicable et sur les réformes qui (leur) sembleraient pertinentes [3]». Pour autant, et malgré cette consultation des acteurs de la justice des mineurs, le Code de la justice pénale des mineurs (ci-après CJPM) suscite de nombreuses critiques. L’approche pratique de ce nouveau texte est de nature à leur donner du relief dans la mesure où ses apports sont relatifs (I) et qu’il suscite de nombreuses craintes (II).

I - Les apports relatifs du CJPM

Si le CJPM opère une refonte apportant aux praticiens des clarifications (A), il aboutit aussi à une réforme non exempte d’interrogations (B).

A - Une refonte apportant des clarifications

Le principal mérite du CJPM est de clarifier de façon générale les dispositions applicables au mineur, auteur d’infraction. Ces clarifications fluidifient la lisibilité et l’accessibilité du droit pénal des mineurs : pré-requis essentiels pour permettre au praticien de veiller au respect de la légalité. Celles-ci se matérialisent via l’agencement du CJPM mais aussi des éclaircissements plus spécifiques que ce texte apporte.

Le CJPM agence les dispositions afférentes à la justice pénale des mineurs de façon plus claire. Articulées au travers d’un plan matérialisé en amont, les dispositions du CJPM sont ordonnancées peu ou prou selon les différentes étapes de la chaîne pénale. Cette nouvelle présentation est à saluer dans la mesure où elle rectifie celle de l’état actuel du droit positif.

En effet, la version actuelle de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante ne facilite pas l’appréhension pratique des règles régissant le droit pénal de fond et de forme applicables aux mineurs, et ce pour deux raisons. D’une part, l’articulation de ses articles se fait sans ordre logique et sans cohérence. A titre d’illustration, les dispositions afférentes aux ordonnances de règlement rendues par le juge d’instruction [4] précédent de façon illogique les règles régissant les mesures de sûreté applicables dans leur attente [5]. D’autre part, de nombreux articles du texte du 2 février 1945 manquent d’accessibilité. Tel est tout particulièrement le cas des dispositions relatives aux mesures de sûreté applicables aux mineurs. Celles-ci sont agencées sans clarté et sans présentation fluide. C’est la raison pour laquelle les magistrats préfèrent se référer aux tableaux formalisés par l’ENM pour éviter toute erreur dans la mise en œuvre desdites dispositions. Cette pratique reste néanmoins insatisfaisante car le devoir de légalité implique le recours systématique au texte. En remaniant la présentation des règles autour desquelles le droit pénal des mineurs s’articule, le CJPM devrait être un outil plus accessible et plus sécurisant pour le praticien. La seule lecture de ses dispositions relatives aux mesures de sûreté [6] permet de s’en convaincre. Un regret doit néanmoins être formulé.

La refonte opérée par le CJPM aurait pu s’accompagner de l’édiction d’un principe général relatif à l’articulation entre le droit pénal commun et celui applicable aux mineurs. Bien que ce code ait consacré l’application du droit commun aux mineurs sauf s’il en dispose autrement [7] et à plus forte raison dans son silence [8], quid de l’hypothèse où le droit spécial des mineurs s’articule difficilement avec le droit commun notamment dans le cadre des procédures dérogatoires ? Le CJPM ne le dit pas de façon explicite même s’il sous-tend la primauté du droit spécial des mineurs sur le droit commun, et ce par application de l’adage selon lequel le « spécial déroge au général ». Ce défaut de réponse explicite rend entière la tentation d’appliquer le droit commun notamment en cas de procédure dérogatoire. L’hypothèse la plus vraisemblable est celle de la matière terroriste. A titre d’exemple, l’article 706-24-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4871K8W) fixe la durée du mandat de dépôt à six mois lorsque la personne est poursuivie pour un des délits prévus aux articles 421-1 (N° Lexbase : L8959K8C) à 421-6 du Code pénal [9]. Or, cet article 706-24-3 du Code de procédure pénale n’exclut pas les mineurs de son champ d’application. Même si les articles L. 433-2 et suivants du CJPM limitent en matière correctionnelle la durée du mandat de dépôt selon l’âge du mineur et le quantum de la peine encouru, le CJPM n’exclut pas à proprement parler l’application des dispositions de l’article 706-24-3 du Code de procédure pénale comme l’aurait commandé son article L. 13-1. Il y fait même écho en son article L. 433-6 [10] dont l’application pourrait être activée via le choix des qualifications pénales lors de l’ouverture de l’information judiciaire. Bien que le réflexe pratique des magistrats soit d’appliquer la règle la plus favorable au mineur, auteur d’infraction, ces considérations ont une acuité certaine notamment en une matière où les règles sont d’ordre public. Les clarifications apportées -sur le plan général- sont ainsi perfectibles.

En sus de cette réorganisation générale, le CJPM apporte des éclaircissements plus spécifiques à la fois sur le plan procédural et au fond.

La procédure pénale applicable au mineur auteur d’infraction suscite en pratique bien des frilosités en raison de sa technicité mais surtout de ses obscurités. Faire une énonciation exhaustive desdites obscurités serait une gageure et ne présenterait pas un intérêt particulier. En revanche, deux d’entre elles ont une acuité toute particulière : à partir de quel moment doit-on prendre en compte la question de la minorité pénale ? Dans quelles modalités doivent s’appliquer les nouvelles dispositions procédurales ? Le CJPM a le mérite d’édicter des dispositions claires sur la première question et sur les réponses procédurales qu’il institue.

La version actuelle de l’ordonnance du 2 février 1945 est totalement silencieuse sur la date à laquelle doit être apprécié l’âge de ses justiciables. Le CJPM comble cette lacune en son article L. 13-2 qui dispose notamment que la juridiction compétente, la procédure applicable, ainsi que les mesures et les peines encourues sont déterminées selon l’âge du mineur au moment des faits sauf s’il en dispose autrement. Tel est le cas lors de l’audition du mineur suspect où doit être pris en compte -selon l’article L. 411-1 du CJPM- l’âge du mineur au moment où la mesure est prise. Bien que ces principes soient globalement intégrés par la pratique judiciaire, de tels éclaircissements sont salutaires notamment sur la question de la détention provisoire. Il n’est pas rare au sein des petites juridictions que des interrogations se cristallisent à ce sujet dans la mesure où les fonctions de juge des libertés et de la détention sont exercées -selon un ordre de roulement- par tous les magistrats du siège ayant le grade de vice-président et dont certains ne sont pas pénalistes. Ces interrogations devraient ainsi disparaître. En sus de combler des lacunes du droit positif actuel, le CJPM est assez éclairant sur les nouvelles dispositions procédurales qu’il introduit.

Bien que la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice élabore à chaque nouveau texte pénal des circulaires et des outils pratiques permettant aux magistrats d’en avoir une meilleure maîtrise, chaque nouveauté pénale suscite son lot d’interrogations dont les réponses ne se dessinent qu’à l’épreuve de la pratique judiciaire. La matière de la procédure pénale applicable aux mineurs -bouleversée ces dix-sept dernières années par les multiples réformes- cristallise tout particulièrement lesdites interrogations. L’exemple le plus récent est l’article 6-2 introduit par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice (N° Lexbase : L6740LPC) au sein de la version actuelle de l’ordonnance du 2 février 1945. Cet article garantit notamment au mineur suspecté ou poursuivi un accompagnement éducatif par ses représentants légaux, et à défaut, par un adulte approprié tout particulièrement lors d’une audition, d’un interrogatoire, ou d’une audience. Bien que la philosophie associée à cet article soit à féliciter en ce qu’elle participe au renforcement de la protection du mineur suspecté ou poursuivi, celui-ci n’a pour autant pas été reçu de façon unanime par les praticiens. En sus du travail supplémentaire qu’elle induit pour les officiers de police judiciaire, les magistrats et les greffiers, cette nouveauté procédurale -du moins jusqu’au CJPM- restait obscure dans ses modalités d’application et de dérogation. Le CJPM les clarifie en ses articles L. 311-1 à L. 311-5. En sus d’une présentation plus fluide et accessible, ces dispositions permettent une meilleure appréhension de l’étendue du droit reconnu au mineur à l’accompagnement et à l’information et des hypothèses permettant d’y déroger. Le même effort de clarté peut être constaté s’agissant de la catégorisation des réponses de fond apportées par le CJPM.

Que l’on adhère ou non à la philosophie du CJPM à l’égard de l’enfance en conflit avec la loi pénale, on ne peut nier que ses rédacteurs ont fait l’effort de rationaliser le type des réponses de fond à y apporter.

En l’état actuel du droit positif, le mineur -auteur d’infraction- est justiciable de différentes réponses judiciaires. Il peut faire l’objet d’une réponse alternative aux poursuites ou d’une mesure de composition pénale. S’il est reconnu coupable de ladite infraction, il fera l’objet en priorité d’une mesure éducative, et par exception, d’une sanction éducative ou d’une peine. Si ce panel de réponses variées est une chose positive en soi, l’étude attentive de leur contenu respectif établit qu’il existe entre elles des redondances, des recoupements voire des contradictions, et ce au mépris de leur régime juridique propre. A titre d’illustration, l’accomplissement d’un stage de formation civique est à la fois une alternative aux poursuites [11] et une mesure de composition pénale [12]. La mesure d’activité de jour est à la fois une mesure de composition pénale [13] et une mesure éducative [14]. Le placement peut être à la fois une mesure éducative [15] et la conséquence du non-respect d’une sanction éducative [16]. Ces différentes dispositions entraînent une certaine confusion si l’on part du principe logique que chaque catégorie de réponse doit avoir un objectif distinct. Cette confusion a une nécessaire incidence sur l’office du magistrat qui a la responsabilité d’apporter à l’acte posé par le mineur une réponse lisible et cohérente, notamment par rapport à son parcours pénal. Conscients de cette problématique, les rédacteurs du CJPM ont opéré une rationalisation des réponses de fond applicables au mineur, auteur d’infraction. On note ainsi un moindre recoupement des catégories de réponses entre elles, et on constate surtout qu’au terme de la suppression des sanctions éducatives, le texte revient à une dichotomie plus claire entre la mesure éducative et la peine. Le mérite de cette rationalisation est de rendre un plus lisible la réponse apportée au mineur, auteur d’infraction. Cependant, cette rationalisation reste relative et perfectible dans la mesure où une analyse attentive des réponses de fond instituées par le CJPM donne lieu à un certain nombre d’interrogations.  

B - Une réforme non exempte d’interrogations

Le magistrat en charge d’une affaire impliquant un mineur en conflit avec la loi pénale -qu’il soit du parquet ou du siège- doit exercer son office dans le droit fil des principes et des règles édictés par nos engagements internationaux et notre bloc de constitutionnalité en matière de justice pénale des mineurs. L’essence de ces principes et de ces règles est d’assurer le relèvement éducatif du mineur, auteur d’infraction. Dénuée de toute adhésion intellectuelle ou politique, cette conception de l’office du magistrat -en matière de justice pénale des mineurs- se justifie avant tout par le fait que le primat de l’éducatif a un caractère supralégislatif. Il était donc légitime de penser que la réforme de la justice pénale des mineurs s’inscrive dans cette philosophie, et ce à plus forte raison lorsque l’on sait que la critique la plus récurrente et la plus virulente faite à la version actuelle de l’ordonnance du 2 février 1945 est d’avoir sacrifié le pari éducatif sur l’autel d’une approche plus répressive [17].

Pour autant, à la lecture tant de ses principes généraux que des règles qu’il édicte, le CJPM suscite des interrogations tant au sujet de sa philosophie générale que sur la pertinence des réponses qu’il institue.

Contrairement à l’exposé des motifs de la version initiale de l’ordonnance du 2 février 1945 porteur d’une conception engagée de ses rédacteurs, l’article préliminaire du CJPM est assez abrupt pour ne pas dire silencieux sur la philosophie attachée à la réforme engagée. Ledit article se limite à reprendre de façon laconique les principes directeurs classiquement associés à la justice pénale des mineurs. Les rédacteurs du CJPM ne font par ailleurs aucune référence au cadre supralégislatif du droit de l’enfance délinquante ne serait-ce qu’à la Convention relative aux droits de l’enfant. En sus de faire fi des mouvements qui ont appelé à la réforme de la justice pénale des mineurs, ce silence est incohérent lorsque l’on constate que certaines dispositions du CJPM font directement référence à l’intérêt supérieur de l’enfant [18] : notion phare de la Convention de New-York. L’économie générale de l’article préliminaire du CJPM prend en réalité corps aux termes des dispositions de son article L. 11-2. Celui-ci dispose que « les décisions prises à l’égard des mineurs tendent à leur relèvement éducatif ainsi qu’à la prévention de la récidive et à la protection de l’intérêt des victimes. ». En gommant le primat du relèvement éducatif du mineur auteur d’infraction, et en plaçant cet objectif à rang égal avec les considérations traditionnellement attachées à la loi pénale, on ne peut que s’interroger sur l’approche législative contemporaine en matière de justice pénale des mineurs. La gémellité des dispositions de cet article L. 11-2 du CJPM avec celles de l’article 707 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9874I34) creuse davantage ces interrogations. Pour rappel, cet article du Code de procédure pénale est afférent aux objectifs associés au régime d’exécution des peines applicables aux majeurs. Ces interrogations sont amplifiées lors de la lecture des réponses instituées par le CJPM et tout particulièrement par celle de la procédure de mise à l’épreuve éducative [19].

Abstraction faite de sa terminologie assez curieuse notamment en ce qu’elle fait penser à celle du sursis mise à l’épreuve, la procédure de mise à l’épreuve éducative traduit un esprit suscitant maintes interrogations. Matérialisant la césure du procès pénal déjà consacrée et remaniée par de précédentes lois, cette procédure est le trait d’union entre l’audience d’examen de la culpabilité (et d’indemnisation des victimes) et l’audience du prononcé de la sanction [20]. La première devra intervenir dans un délai maximal de trois mois et la seconde devra intervenir dans un délai de six à neuf mois après la déclaration de culpabilité. On notera que le CJPM articule cette seconde audience autour de l’idée de la « sanction » ce qui participe à confirmer les énonciations précédentes sur la dilution de la philosophie initiale du droit de l’enfance délinquante.

Dans l’attente de cette seconde audience, s’ouvre la période de mise à l’épreuve éducative lors de laquelle le mineur peut faire l’objet de l’une des mesures prévues à l’article L. 521-14 du CJPM. Au titre de ces mesures se trouvent la possibilité pour la juridiction de jugement de prononcer une expertise médicale ou psychologique, une mesure judiciaire d’investigation éducative, une mesure judiciaire éducative provisoire, une mesure de contrôle judiciaire ou une mesure d’assignation à résidence sous surveillance électronique. Si certaines de ces mesures permettent de façon pertinente d’apporter tout élément utile au prononcé de la décision par une meilleure appréhension de la personnalité du mineur et la prise en compte de son évolution, d’autres auront un intérêt très limité. Tel est le cas des interdictions pouvant être prises au titre de la mesure judiciaire éducative provisoire, de la mesure de contrôle judiciaire ou de la mesure d’assignation à résidence sous surveillance électronique. Il s’agira là de simples mesures de sûreté dont l’intérêt sera en réalité seulement d’établir la capacité du mineur de s’astreindre à respecter une obligation ou une interdiction. L’aspect éducatif de ces mesures pose question. Sans compter que leur régime juridique peut être plus contraignant que celui prévu pour un majeur. À titre d’illustration, hors hypothèse de l’information judiciaire, un majeur ne peut être placé sous contrôle judiciaire pour une durée supérieure à six mois dans l’attente de son jugement. Le CJPM permettra quant à lui de maintenir un mineur sous contrôle judiciaire jusqu’à neuf mois, délai maximal dans lequel doit intervenir l’audience du prononcé de la sanction. Le magistrat ne pourra que s’interroger sur la pertinence de requérir ou de prononcer ces mesures compte tenu de ces constats.

Si la réforme concrétisée par le CJPM n’est pas exempte d’interrogations sur sa philosophie générale et sur la pertinence de certaines de ses dispositions, force est de constater qu’elle fait aussi le choix de laisser d’autres interrogations entières.

La principale question que le CJPM laisse en suspens est celle de l’âge de la responsabilité pénale [21]. En sus de persister à méconnaître les prescriptions internationales en la matière [22], ce non-choix participe à maintenir un état de fait insatisfaisant. Bien que l’article 122-8 du Code pénal, dans le droit fil de la jurisprudence « Laboube », vise le critère du discernement pour déterminer si le mineur est pénalement responsable ou non, l’observation empirique des pratiques judiciaires établit qu’en général -et hors hypothèse de l’information judiciaire où la question est posée de façon systématique par le juge d’instruction au médecin psychiatre commis- les magistrats apprécient ce discernement en fonction d’un seuil d’âge qui varie d’un professionnel à un autre. D’une certaine façon, cette appréciation subjective est problématique dans la mesure où le principe d’égalité des justiciables devant la loi pénale s’en trouve contrarié. L’édiction par le CJPM d’une présomption d’irresponsabilité pénale jusqu’à l’âge de treize ans [23] n’est pas un garde-fou de nature à résorber cette difficulté. D’une part, cette présomption a un caractère simple. D’autre part, le CJPM lui-même contient des dispositions afférentes à des mineurs d’âge inférieur à treize ans. Tel est le cas des règles régissant la retenue du mineur de dix à treize ans [24]. Ce constat relativise ainsi la portée de cette présomption d’irresponsabilité pénale. Il rejoint ainsi l’ensemble des considérations précitées de nature à relativiser les apports du CJPM.

En sus d’apports relatifs, le CJPM suscite un certain nombre de craintes.

II - Les craintes suscitées par le CJPM

Ces craintes se justifient à la fois au regard des fragilités induites ou méconnues par le CJPM (A) et de la réalité de la justice pénale des mineurs (B).

A - Une réforme vectrice de fragilités

Ces fragilités sont d’ordre de forme et de fond.

La principale fragilité de forme induite par le CJPM réside dans les modalités afférentes aux deux temps procéduraux qu’il institue, à savoir celui de l’examen de la culpabilité et celui du prononcé de la sanction.

Bien que le CJPM permette le recours à une audience unique (dans une visée de célérité de la réponse pénale), la procédure de jugement qu’il institue -à titre de principe- est celle de la mise à l’épreuve éducative. Si l’idée qui sous-tend cette procédure est à saluer dans son esprit, sa mise en œuvre concrète sera assurément synonyme de lourdeurs voire d’asphyxie pour les juridictions pour mineurs et ses partenaires. Concrètement, il faudra dédoubler toutes les formalités de greffe afférentes aux convocations et aux notifications ainsi que les temps d’audience -tant en chambre du conseil qu’au tribunal pour enfants- et les voies de recours. Lorsque l’on connaît l’état des stocks, la situation des cabinets de juges des enfants -tant au regard de la charge de travail du greffe que de celle des magistrats (sans oublier celle de la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel), et les difficultés d’audiencement qui cristallisent nombreuses discussions voire tensions au sein des juridictions, on peut légitimement se demander comment s’appliquera concrètement cette procédure en deux temps. En sus des difficultés inhérentes aux juridictions pour mineurs, se pose la question du délai dans lequel la procédure de mise à l’épreuve éducative sera effective à l’issue de l’audience de l’examen de culpabilité. Si celle-ci s’articule autour d’une mesure impliquant l’accompagnement du mineur par un éducateur, il est illusoire de penser que cet accompagnement éducatif sera effectif dès l’issue de la première audience (quand bien même l’exécution provisoire sera ordonnée) compte tenu des difficultés que connaît la protection judiciaire de la jeunesse. La principale conséquence de cette difficulté est de finalement vider de son sens la procédure ainsi instituée. En effet, quel sera l’intérêt de cette mise à l’épreuve éducative si la mesure sur laquelle elle repose n’est pas effective immédiatement ou si l’audience de prononcé de la sanction ne peut se tenir dans les délais prévus par le texte faute de possibilités ? D’autant que cette dernière hypothèse conduit à la caducité de la mesure de mise à l’épreuve éducative. En sus de ces fragilités de forme, le CJPM méconnait des réalités plus structurelles affaiblissant l’effectivité de certaines des mesures qu’il institue [25].

Lors du temps procédural, le mineur peut -aux termes du CJPM- être justiciable d’une mesure éducative judiciaire provisoire pouvant prendre la forme d’un module d’insertion, de réparation, de santé, de placement, d’une interdiction de paraître dans un lieu désigné par la juridiction, d’une interdiction de contact avec la victime, les coauteurs ou complices, ou d’une interdiction d’aller et venir sur la voie publique entre vingt-trois heures et six heures [26]. Ces dispositions sont intéressantes -du moins s’agissant des différents modules (les autres réponses recoupant les interdictions du contrôle judiciaire)- en ce qu’elles permettent de mettre à profit le temps procédural pour favoriser le relèvement éducatif du mineur.

Cependant, en matière d’information judiciaire, ces dispositions passeront par la force des choses en second plan dans la mesure où l’essence de l’office du magistrat-instructeur -qui est la recherche de la vérité- peut aboutir à ce que les considérations afférentes à l’accompagnement éducatif du mineur soient relayées à un plan secondaire notamment pour protéger voire prioriser les investigations en cours. Ainsi, et même si l’article L. 12-1 du CJPM dispose que le juge d’instruction en charge d’une affaire impliquant un mineur doit être spécialisé, la réalité est toute autre. En premier lieu, il s’agit plus précisément d’une habilitation du juge d’instruction par le premier président de la cour d’appel à instruire des affaires impliquant un mineur plus qu’une spécialisation à proprement parler (bien que dans certaines juridictions, des cabinets d’instruction soient dédiés aux affaires concernant les mineurs). En second lieu, les magistrats-instructeurs n’ont pas de formation spécifique sur la question de l’enfance délinquante si ce n’est celle obtenue au cours de leur parcours universitaire. S’ils peuvent solliciter des formations en la matière au titre de leur formation continue, ces formations restent en priorité réservées aux juges des enfants.

Bien que le nombre d’affaires à l’instruction qui impliquent un mineur -auteur d’infraction- soit faible [27], il nous semble regrettable que l’effectivité des mesures instituées par le CJPM soit relative en cas d’instruction préparatoire compte tenu de la réalité judiciaire sus-décrite. Ce regret a une acuité particulière compte tenu de la suppression par la réforme de la convocation par officier de police judiciaire aux fins de mise en examen par le juge des enfants retirant ainsi à ce dernier sa casquette de juge d’instruction.

De façon plus globale, il apparaît que la réforme impulsée par le CPJM est en décalage avec la réalité de la justice pénale des mineurs ce qui va nécessairement la mettre à l’épreuve.

B - Une réforme à l’épreuve de la réalité de la justice pénale des mineurs

L’application du CJPM -tout particulièrement en ses aspects procéduraux- ne se fera pas sans tâtonnements et sans aménagements compte tenu de la réalité de la justice pénale des mineurs.

L’application du CJPM s’accompagnera -dans un premier temps- de flottements dans la mesure où ce code institue en grande partie un droit nouveau notamment sur le plan procédural. Bien que les praticiens soient soucieux d’actualiser en temps réel leurs connaissances, leur charge de travail impliquera nécessairement un temps incompressible d’assimilation des nouvelles règles d’autant que la récente réforme de la loi précitée du 23 mars 2019 vient de bouleverser de nombreux pans de la procédure pénale. Cette affirmation est d’autant plus vraie que les acteurs de la justice pénale des mineurs ne sont pas tous spécialisés. Ainsi, le tribunal de police -compétent en matière de contraventions de quatrième classe commis par les mineurs- est composé d’un magistrat à titre temporaire et les fonctions du ministère public y sont exercées par un commissaire de police ou son adjoint. Ces professionnels ne sont pas forcément sensibilisés aux questions afférentes à la justice pénale des mineurs. Le juge des libertés et de la détention n’est pas non plus un magistrat spécialisé sur la thématique. Il sera nécessaire -notamment dans les petites juridictions- que les magistrats qui exercent cette fonction soient à jour des nouvelles mesures instituées par le CJPM notamment lorsqu’ils refuseront le placement en détention provisoire requis par le parquet et /ou  demandé par le juge d’instruction.

L’application du CJPM se fera aussi avec des aménagements dans la mesure où les moyens humains et logistiques des juridictions ne permettront pas toujours de satisfaire pleinement à toutes les dispositions procédurales du CJPM. Certains d’entre eux sont même prévus par le CJPM. Deux illustrations peuvent être formulées à ce titre.  L’article L. 12-2 du CJPM dispose -qu’à l’égard d’un mineur- l’action publique est exercée par un magistrat du parquet spécialement désigné pour être en charge des affaires concernant les mineurs. Cependant, dans les petites juridictions ou lors des permanences de nuit et de weekend, le parquetier ne pourra pas toujours être un magistrat spécialisé. Le CJPM a prévu cette difficulté dans la mesure où son article L. 211-1 permet de déroger à la règle de l’article L. 12-2 en cas d’empêchement du parquetier spécialisé ou d’urgence. Un autre exemple d’aménagement peut être donné via le dossier unique de personnalité créé par la loi du 10 août 2011 (N° Lexbase : L9731IQH). Repris par les articles L. 322-8 du CJPM, ce dossier unique de personnalité est pensé pour être un véritable outil de connaissance de la personnalité du mineur. Pour autant, sa mise en place et son alimentation au sein des juridictions restent parfois embryonnaires faute de moyens et de temps.

Cette question des moyens est continuellement relayée par les professionnels de la justice des mineurs. Pour autant, elle constitue la condition sine qua non d’une justice pénale des mineurs efficace. Il conviendra de voir dans quelles modalités les pouvoirs publics y répondront à l’aube de l’entrée en vigueur du CJPM dont la partie réglementaire -non encore publiée- ne manquera pas elle aussi de susciter d’autres interrogations, fragilités, et craintes d’ordre pratique.

 

[1] Ce fascicule a été formalisé par le pôle processus de décision et de formalisation de la justice pénale de l’École Nationale de la Magistrature. Il est régulièrement actualisé par les magistrats exerçant des fonctions de coordination et d’enseignement au sein de ce pôle.

[2] Les magistrats disposent de différents forums de discussion -en fonction de leur spécialité- pour  partager leurs interrogations et pratiques.

[3] Il s’agit là d’extraits du mail reçu par les magistrats à ce sujet.

[4] Ord. n° 45-174 du 2 février 1945, art. 9.

[5] Ord. n° 45-174 du 2 février 1945, art. 10-2 et s.

[6] CJPM, art. L. 331-1 et s.

[7] CJPM, art. L.13-1.

[8] V. Cass. crim., 21 mars 2007, n° 06-87.767, F-P+F (N° Lexbase : A9201DUC).

[9] Ces articles sont relatifs aux actes de terrorisme.

[10] Cet article dispose que la durée totale de la détention provisoire peut aller jusqu’à deux ans lorsque le mineur d’au moins seize ans est poursuivi pour des faits d’association de malfaiteurs visant à l’un des actes de terrorisme prévus par les articles 421-1 et 421-2 du Code pénal.

[11] Ord. n° 45-174 du 2 février 1945, art. 7-1.

[12] Ord. n° 45-174 du 2 février 1945, art. 7-2.

[13] Ord. n° 45-174 du 2 février 1945, art. 7-2.

[14] Ord. n° 45-174 du 2 février 1945, art. 8.

[15] Ibid.

[16] Ord. n° 45-174 du 2 février 1945, art. 15-1.

[17]. Sur ce point, nous renvoyons le lecteur à notre thèse de doctorat : Hebbadj, (L.), L’avenir du droit de l’enfance délinquante, Lille : Université de Lille, 2018, 349 p.  

[18] CJPM, art. L. 311-1.

[19] CJPM, art. L. 521-7 et suivants.

[20] CJPM, art. L. 521-1.

[21] Sur ce point, lire E. Gallardo, La nouvelle responsabilité pénale des mineurs délinquants : une perte de spécificité ?, Lexbase Pénal, doss. spé. n° 1 (N° Lexbase : N0953BYX).

[22] Comité des droits de l’enfant, Observation générale n°10 (2007) : Les droits de l’enfant dans le système de justice pour mineurs, CRC/C/GC/10, 25 avril 2007, 28 p.

[23] CJPM, art. L. 11-1.

[24] CJPM, art. L413-1.

[25] CJPM, art. L. 431-1.

[26] CJPM, art. L. 112-2.

[27] Selon les chiffres clés de la justice pénale des mineurs en date de 2018, le nombre d’affaires impliquant un mineur à l’instruction était de 1709 en 2017.

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