La lettre juridique n°801 du 7 novembre 2019 : Avocats/Formation

[Focus] Les cliniques du droit, outil de formation universitaire et d’accès au droit : un encadrement nécessaire

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par Olivier Fontibus, Ancien Bâtonnier, Président de la Commission de l’Exercice du droit du Conseil National des Barreaux

le 06 Novembre 2019


Mots-clefs : Université • Clinique juridique • Accès au droit • Aide juridique • Avocats • Exercice du droit • Réglementation


 

Phénomène en pleine croissance dans le paysage juridique français, les cliniques du droit se développent en France à l’aune de deux principes de base : la formation pratique des étudiants en droit associée à l’idée d’une nouvelle vision de l’accès au droit.

Encouragées par le ministère de la Justice, notamment à la suite du rapport «Haeri» [1], ces cliniques du droit ont fleuri un peu partout en France, moins rapidement somme toute que dans les pays anglo-saxons, à l’initiative de différents acteurs, publics et privés, de l’enseignement du droit.

Plus de pratique et moins de dogmatisme : une évolution nécessaire de l’enseignement du droit

Permettre aux étudiants en droit de traiter in vivo de cas juridiques réels et non plus seulement de «cas pratiques» qui n’ont de «pratiques» que le nom, au-delà même des divers stages qu’ils sont amenés à suivre durant leur cursus Universitaire, est évidemment une excellente initiative.

La formation clinique des étudiants en droit fait naturellement partie intégrante des missions de l’enseignement supérieur.

Il n’est donc nullement question de discuter la légitimité des Universités françaises et des écoles de formation professionnelles à créer, organiser et piloter ces cliniques du droit qui ouvrent la voie à l’initiation à la pratique professionnelle.

Ainsi que le rappelle justement la Commission «Haeri», «les cliniques juridiques constituent un cadre particulièrement pertinent pour assurer dès la L3 une mise en pratique et en situation des enseignements académiques assurés à l’Université, clarifier la perception par l’étudiant du rôle de l’avocat et inscrire davantage encore la profession et la filière juridique dans des missions d’intérêt général» [2].

Confronter ces «apprentis du droit» à la réalité d’un monde dans lequel ils ne sont d’ailleurs pas, pour la plupart, à titre personnel, totalement entrés, doit permettre de faciliter cette nécessaire appréhension du réel et du quotidien ainsi qu’une meilleure acquisition de la culture et des compétences nécessaires aux métiers du droit.

«De ce point de vue, il est intéressant de constater que l’importation des cliniques juridiques en France renvoie à la critique récurrente du dogmatisme des études de droit ; études qui ne prépareraient pas -ou très imparfaitement- les étudiants à la pratique professionnelle qui sera en principe la leur dans les années à venir. En ce sens, l’explication la plus simple de l’émergence des cliniques juridiques en France doit être recherchée dans la volonté des juristes et notamment des juristes universitaires de permettre à des étudiants, le plus souvent de troisième cycle, de mieux connaître la réalité du droit : son application concrète et quotidienne» [3].

Un nouveau mode d’accès au droit

Chemin faisant, le développement de ces «laboratoires du droit» à visée prioritairement pédagogique, a très vite été justifié par la volonté d’offrir à nos concitoyens les plus démunis un nouveau mode d’accès au droit.

Universités, écoles d’avocats, écoles privées du droit ont ainsi également fondé la création de leur clinique par une volonté d’élargir les offres pro bono principalement dans les domaines du droit des personnes. 

Cette conception sociale de l’enseignement du droit, très présente dans les pays de droit anglo-saxon, notamment outre-Atlantique, n’était pas, il faut bien le reconnaître, initialement prégnante dans l’Hexagone à l’exception peut-être de quelques prises de positions doctrinales telles que celles de Diane Roman et Stéphanie Hennette-Vauchez qui soulignent toutes deux le rôle social des cliniques [4] «ces cliniques juridiques jouent souvent un rôle essentiel pour l’aide judiciaire et l’accès au droit».

C’est ainsi que les programmes de ces cliniques concernent aujourd’hui des interventions dans les différents points d’accès au droit, dans la rue, les cafés et les MJC mais aussi à l’intérieur de certaines maisons d’arrêt.

Le but de ces projets est «d'exposer les étudiants à la complexité des problèmes ‘de la vraie vie’, le plus souvent rencontrés par des individus ou des familles aux revenus modestes qui font face à des problèmes juridiques» [5].

Si l’on peut saluer cet engagement social des Universités et Ecoles du droit, la vérité des faits impose tout de même de rappeler que la profession d’avocat et tout particulièrement les Ordres, n’ont pas attendu le phénomène «clinique» pour créer et développer l’accès au droit et les activités pro bono au travers des principes séculaires de la profession, de l’aide juridictionnelle et des consultations juridiques gratuites organisées dans les Palais de Justice, les mairies, les lieux de détention et les points d’accès au droit.

La justesse et le bienfondé apparents de ces projets qui mêlent intérêt pédagogique et visées sociales et altruistes rendent-ils pour autant juridiquement valables ces nouvelles activités juridiques au regard des compétences des Universités, définies aux articles L. 123-1 (N° Lexbase : L4703IXH) et L. 711-1 (N° Lexbase : L9983LLC) du Code de l'éducation, du principe de spécialité qui gouverne l'activité de ces établissements publics, et de la réglementation de l’exercice du droit ressortant de la loi du 31 décembre 1971 ?

La question de la capacité juridique des Universités à conduire une activité de clinique du droit doit être posée à l’aune du principe de spécialité des établissements publics, et de son application aux Universités dont le champ d'activité est défini par les dispositions des articles L. 123-1 et L. 711-1 du Code de l’éducation.

Cette problématique a notamment été abordée à l’occasion de la création par l’Université Panthéon-Assas Paris II d’une filiale ayant pour objet la «préparation d’intensive d’été» à l’examen d’entrée au CRFPA, que le tribunal administratif de Paris a annulé par jugement du 29 octobre 2013 au motif que le Code de l'éducation n'autorise pas une université à créer une filiale aux fins d'exercer des activités de formations conduisant à des diplômes ou préparant à des examens ou concours qu'elle organise elle-même [6].

Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 8 mars 2016 de la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 8 mars 2016, n° 13PA04846 N° Lexbase : A2876Q7N), dont les conclusions du rapporteur public confirment que la censure est prononcée pour violation du principe de spécialité, inscrivant cette jurisprudence "dans le prolongement de celle, plus globale, relative aux conditions et modalités des interventions publiques dans l'économie : la prise en charge d'une activité économique par l'administration implique de vérifier que celle-ci agit dans la limite de ses compétences et qu'un intérêt public justifie cette intervention" (CE, Ass., 31 mai 2006, n° 275531, Ordre des avocats au barreau de Paris, Lebon 272 ; AJDA, 2006. 1592, chron. C. Landais et F. Lenica ; et 2008. 911, étude J.-J. Israël ; RFDA 2006. 1048, concl. D. Casas) [7].

Les Universités ne peuvent donc éluder la nécessité de mener une réflexion approfondie sur leurs compétences, champs d'activités et missions de service public avant d'envisager la création d'une clinique du droit, surtout si celle-ci risque de méconnaître des règles d'ordre public édicté par la loi du 31 décembre 1971.

En effet, qu’il s’agisse de la formation pratique des étudiants ou de l’accès au droit stricto sensu, la délivrance de consultations juridiques répond à des exigences légales, protectrices des intérêts de ceux à qui elles sont destinées.

Loin d’être la traduction d’un corporatisme de mauvais aloi, mais parce qu’il s’agit ni plus ni moins de la formation des futurs praticiens du droit et de la protection des intérêts de nos concitoyens, l’impérieuse nécessité de veiller au respect de ces normes légales permet d’éviter une pratique du droit dévalorisée et non sécure, un service juridique « low cost » offert aux plus vulnérables d’entre nous.

Il ne faudrait pas en effet que toute cela aboutisse, comme le note Liora Israël, «à faire passer la cause avant les individus et donc à ne pas toujours tenir compte des intérêts de ces derniers» [8].

Un exercice du droit réglementé par la loi du 31 décembre 1971

L’exercice du droit en France, à savoir la possibilité de donner des consultations juridiques et de rédiger des actes à titre principal ou accessoire, est réservé à un certain nombre de professionnels réglementés ou qualifiés.

Ce domaine «réservé» l’est, non pas à des fins corporatistes, mais bien pour assurer la sécurité juridique de nos concitoyens, le droit étant un «bien de confiance» avant d’être un simple bien marchand.

En ce sens, s’agissant de la conformité de cette réglementation avec le droit de l’Union, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que  si “le fait pour cette loi, en son article 54, de réserver la délivrance de consultations juridique à des personnes justifiant d'un niveau de compétence et en son article 60, précité, de soumettre les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée à la justification d'une qualification pour y procéder à titre accessoire de leur activité constitue bien une entrave à la libre prestation de service consacrée par l'article 56 du TFUE (N° Lexbase : L2705IPU), il n’en demeure pas moins que l’objectif poursuivi par cette entrave est l’intérêt des bénéficiaires de consultation juridique».

La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne est claire :  “d’une part, la protection des consommateurs, notamment des destinataires des services juridiques fournis par des auxiliaires de justice, et, d’autre part, la bonne administration de la justice sont des objectifs figurant au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services» [9].

Ainsi, les articles 54 et suivants de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) règlementent de manière stricte les conditions permettant de donner des consultations juridiques à titre habituel et rémunéré :

  • Condition de diplôme ou de compétence juridique : le prestataire doit tout d’abord disposer d’une compétence juridique appropriée (s’il n’est pas titulaire d’une licence en droit).
  • Le prestataire doit, conformément à l’article 55 de la loi précitée, être couvert par une assurance professionnelle et respecter le secret professionnel.
  • L’autorisation de la loi : la possibilité de donner des consultations juridiques à titre habituel et rémunéré́ n’est ouverte qu’à un nombre limité et déterminé de personnes définies par les textes.

En ce qui concerne ce dernier critère, l’article 56 de ladite loi réserve la pratique professionnelle de la consultation juridique à titre habituel et rémunéré aux membres des professions juridiques et judiciaires.

Qu’il s’agisse des étudiants titulaires d’une Licence ou d’un Master en droit ou des élèves-avocats, la loi ne leur permet donc pas d’exercer le droit, l’article 56 visant expressément les "avocats inscrits à un barreau français".

Cependant, pour les besoins de leur formation, les élèves-avocats sont autorisés, sous la supervision de leur maître de stage, à développer une activité professionnelle sous un cadre strict. Ils sont d’ailleurs astreints au secret professionnel pour tous les faits et actes qu'ils ont à connaitre au cours de leur formation et des stages accomplis (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 12-2).

Le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), prévoit en son article 60, que l’élève-avocat «collabore à la consultation et à la rédaction d'actes en matière juridique» aux côtés de l’avocat maitre de stage qui en reste le seul responsable à l’égard du client.

Ce texte autorise aussi l’Ecole d’avocats à faire participer les élèves à des consultations juridiques organisées par les Ordres d'avocats.

Cette rédaction exclut par conséquent toute participation des élèves-avocats à des permanences de consultations juridiques organisées en dehors de ce cadre par les seules Universités ou les Ecoles d’avocats.

En dehors de ce cadre dérogatoire justifié par les besoins de sa formation, l’élève avocat reste tenu par les dispositions du Titre II de la loi du 31 décembre 1971.

L’activité des cliniques du droit échappent-elles à cette réglementation ?

La loi du 31 décembre 1971 fait ne concerne pas l’activité juridique exercée à titre occasionnel et gratuit.

Cependant, les activités juridiques des étudiants ou des élèves avocats au sein de ces cliniques ne peuvent être assimilées à une activité de consultation occasionnelle en raison des interventions répétées auprès des usagers qu’implique la participation à une telle structure.

En ce sens, les universités et les écoles concernées assument totalement le fait que l’activité de leur clinique va bien au-delà de l’occasionnel, s’inscrivant volontairement dans la continuité et dans le paysage juridique local.

Des activités désordonnées qui doivent être nécessairement encadrées : les 5 commandements

Sans nécessairement procéder à des modifications législatives qui permettraient aux yeux de certains d’offrir aux cliniques universitaires un cadre juridique sécurisé, leur développement au sein des Ecoles d’avocats ou des Universités ne peut être, en l’état de notre réglementation, véritablement envisagé que sous le respect de plusieurs conditions cumulatives :

  • ces «entretiens» ne peuvent donner lieu qu’à la délivrance d’informations juridiques à caractère documentaire ou à une «consultation d’orientation» destinée à orienter le justiciable vers une structure adaptée pour résoudre les difficultés exposées, à l’exclusion de toute consultation juridique visée par l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 ; toute activité juridique rémunérée directement ou indirectement sous la forme du versement de frais de fonctionnement à la clinique, est donc à proscrire ;
  • le justiciable doit être informé de ce que ces «entretiens» ou «diagnostics» ne sont pas délivrées par des avocats inscrits à un barreau ;
  • les élèves avocats ou les étudiants doivent être accompagnés lors de chaque entretien par un professionnel du droit ou un professeur ou un maître de conférences, habilités par la loi à exercer une activité de consultation juridique (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 57) ;
  • le fonctionnement de la clinique doit garantir le respect du secret professionnel et de la règle du conflit d’intérêts et les conséquences de la responsabilité́ civile qui s’attache à ses activités en cas de préjudice subi par l’usager (par ex, perte d’un recours en raison d’une prescription non diagnostiquée etc.) ;
    • la communication faite autour des activités de ces cliniques ne doit pas donner lieu à un démarchage juridique au sens de l’article 66-4 de la loi du 31 décembre 1971 et du décret n° 72-785 du 25 août 1972 relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d'actes juridiques (N° Lexbase : L6642BHH) qui prohibent la diffusion au public quel qu’en soit le support (affiches, internet etc.) d’offres de consultation et de rédaction d’actes en matière juridique. L’infraction peut être caractérisée indépendamment du caractère gratuit ou onéreux des prestations proposées.

C’est, par conséquent, en veillant au strict respect de ces principes directeurs que le développement de ces cliniques pourra se faire dans le respect de la loi.

Les cliniques juridiques n’ont donc aucune vocation à concurrencer les avocats et leurs Ordres dans leurs domaines de compétences, mais peuvent favoriser et faciliter l’accès au droit dans le respect des normes en vigueur.

Elles doivent, en tout état de cause, retrouver le sens même de leur existence, à savoir veiller au renouvellement des pédagogies universitaires, restées trop longtemps éloignées des réalités du monde et totalement dépourvues d’intérêt pratique.

 

[1] Rapport de la Commission «Haeri», L’avenir de la profession, 2017.

[2] Rapport de la Commission «Haeri», L’avenir de la profession, 2017, page 30.

[3] S. Etoa, Cliniques juridiques, enseignement du droit et idée de Justice - Dalloz.

[4] D. Roman et S. Hennette Vauchez, Pour un enseignement clinique du droit, 2017.

[5] Programme d’accès au droit de l’Ecole du droit de Science Po 2018-2019.

[6] TA Paris, du 29 octobre 2013, n° 1217449 (N° Lexbase : A0967KPI), AJDA, 2016, p. 522, note J.-M. Pastor.

[7] Filialisation des Universités : les principes guidant le libre choix de l'activité et du partenaire, conclusions C. Cantié, AJDA 2016, p. 1071

[8] Sur la question du cause lawyering, voir ainsi L. Israël, Le droit mis au service de causes politiques : le cause lawyering, un modèle d’origine nord-américaine, in Au cœur des combats juridiques. Pensées et témoignages de juristes engagés, E. Dockès (dir.), Paris, Dalloz (Thèmes et commentaires), 2007, p. 9.

[9] CJCE, 5 décembre 2006, aff. C-94/04 (N° Lexbase : A7978DSB), point 64, (ibid., point 34).

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