La lettre juridique n°800 du 24 octobre 2019 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La résiliation du bail commercial en raison d’un défaut de paiement de loyers et charges postérieurs au jugement de liquidation : précisions importantes

Réf. : Cass. com., 9 octobre 2019, n° 18-17.563, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6604ZQN)

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Côte d'Azur, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté, Membre du CERDP (EA 1201), Avocate au barreau de Nice

le 24 Octobre 2019

La résiliation du bail des locaux affectés à l’activité de l’entreprise est régie par les dispositions de l’article L. 622-14 (N° Lexbase : L8845INW en sauvegarde, applicable au redressement judiciaire par renvoi de l’article L. 631-14, al. 1er N° Lexbase : L7317IZZ) et L 641-12 (N° Lexbase : L8859ING en liquidation judiciaire) du Code de commerce. Il résulte de ces dispositions que le bailleur peut demander ou faire constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement.

La question s’est posée en jurisprudence de savoir s’il convenait de coordonner ces dispositions propres au livre VI du Code de commerce avec les dispositions spécifiques du droit commun du bail commercial et, plus précisément, si le constat de la résiliation était subordonné à la délivrance préalable par le bailleur d’un commandement de payer visant la clause résolutoire, dans les prévisions de l’article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L1063KZE).

Les juges du fond ont été divisés sur cette question. Les cours d’appel de Paris [1] et de Lyon [2] avaient jugé que le constat de la résiliation du bail commercial par le juge-commissaire pour défaut de paiement de loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture supposait la délivrance d’un commandement de payer préalable. Au contraire, les cours d’appel d’Orléans [3], d’Aix-en-Provence [4] et de Bordeaux [5] considéraient que la procédure de constat de la résiliation de plein droit du bail par le juge-commissaire était une procédure spécifique du droit des entreprises en difficulté, distincte de la procédure visant à faire constater l’acquisition d’une clause résolutoire, seule procédure dont le constat suppose la délivrance d’un commandement de payer resté infructueux visé à l’article L. 145-41, alinéa 1er, du Code de commerce.

Par un arrêt du 9 octobre 2019 cassant un arrêt de la cour d’appel de Paris, la Chambre commerciale de la Cour de cassation tranche la difficulté en jugeant, dans un attendu de principe, que «lorsque le juge-commissaire est saisi sur le fondement [de l’article L. 641-12, 3° du Code de commerce], d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du Code de commerce, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au bail», de sorte que «le bailleur, qui agissait devant le juge-commissaire pour lui demander la constatation de la résiliation de plein droit du bail, sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, n’était pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du Code de commerce».

Ainsi, la Cour de cassation distingue-t-elle selon que la résiliation du bail commercial intervient sur le fondement du bénéfice d’une clause résolutoire, lequel suppose la délivrance préalable du commandement prévu à l’article L. 145-41 du Code de commerce, ou sur le fondement de l’article L. 641-12, 3° lequel ne suppose pas la délivrance d’un commandement.

Cette solution est-elle parfaitement conforme à la lettre du 3° de l’article L. 641-12 du Code de commerce ? La lecture attentive du texte conduit à répondre à cette question de façon nuancée.

Observons que l’article L. 642-12, alinéa 1er, qui régit, en liquidation judiciaire, la continuation du bail des locaux affectés à l’activité professionnelle du débiteur énonce que la résiliation du bail des immeubles utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient «sans préjudice de l’application du I et II de l’article L. 641-11-1(N° Lexbase : L3298IC7)». Cela signifie donc que les I et II des dispositions relatives au droit commun de la continuation des contrats en cours sont applicables au bail des locaux affectés à l’activité de l’entreprise. A contrario, les autres dispositions de l’article L. 641-11-1 sont inapplicables et notamment le III prévoyant les hypothèses dans lesquelles le contrat en cours est résilié de plein droit. Ainsi, le mécanisme de l’option sur la continuation du contrat qui résulte du jeu d’une mise en demeure prévue au 1° du III de l’article L. 641-11-1 est sans application en matière de baux des locaux affectés à l’activité de l’entreprise, de sorte que si le bailleur mettait en demeure le liquidateur judiciaire de se prononcer sur la continuation du contrat de bail, l’absence de réponse pendant plus d’un mois ne conduirait-elle pas à la résiliation de plein droit du contrat.

De même, est inapplicable au bail commercial le 2° du III de l’article L. 641-11-1 qui prévoit que le contrat en cours est résilié de plein droit à défaut de paiement d’une créance postérieure.

La résiliation du contrat de bail des locaux affectés à l’activité de l’entreprise n’est donc régi que par les dispositions spécifiques à ce contrat posées à l’article L. 641-12 du Code de commerce dont le 3° prévoit que le bailleur peut  «demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues au troisième à cinquièmes alinéas de l’article L. 622-14».

Cependant, la rédaction du 3° de cet article peut semer le doute dans les esprits quant à la volonté du législateur de poser un cas de résiliation, autonome, pour défaut de paiement des loyers et charges postérieurs. Pourquoi le législateur aurait-il pris le soin d’indiquer que le bailleur peut demander la résiliation judiciaire pour défaut de paiement d’une créance postérieure alors que cette résiliation interviendrait de plein droit en dehors du jeu d’une clause résolutoire insérée au bail ? Si le législateur distingue ces deux hypothèses c’est peut-être parce que, dans la première hypothèse, il vise le cas où le bailleur ne se prévaut pas de la clause de résiliation de plein droit mais demande au juge de prononcer la résiliation judiciaire, alors que dans le deuxième cas, il demande à faire constater la résiliation, nécessairement, nous semblait-il [6], sur le fondement d’une clause résolutoire car si cette résiliation intervenait de plein droit en dehors du jeu d’une clause résolutoire, il ne serait pas nécessaire que le texte prévoie que le bailleur peut demander la résiliation judiciaire ! Par conséquent, le constat de la résiliation par juge-commissaire nous semblait nécessairement intervenir à la suite du jeu d’une clause résolutoire, lequel suppose la délivrance préalable d’un commandement de payer en application de l’article L. 145-41 du Code de commerce.

Telle n’est cependant pas la position adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, appelé à une large diffusion (P+B+I) : selon la Chambre commerciale, en application de l’article L. 641-12, 3°, la résiliation pour défaut de paiement de loyers et charges postérieurs au jugement de liquidation intervient de plein droit sans qu’il soit nécessaire de faire application d’une clause résolutoire stipulée au contrat de bail, et donc sans qu’il soit nécessaire de délivrer un commandement de payer visant cette clause.

Il nous semble que, pour mettre le texte de l’article L. 641-12, 3° en conformité avec la position adoptée aujourd’hui par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, il conviendrait de supprimer les mots «demander la résiliation judiciaire» et de ne faire référence qu’à la constatation d’une résiliation de plein droit pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire. Toute difficulté serait ainsi aplanie.

La solution posée en liquidation judiciaire par la Chambre commerciale dans son arrêt du 9 octobre 2019 est-elle applicable en sauvegarde ou en redressement judiciaire ?

La comparaison des textes régissant dans les différentes procédures la résiliation du bail des locaux affectés à l’activité professionnelle apporte des éléments de réponse à cette question.

En sauvegarde (et en redressement par renvoi de l’article L. 631-14, alinéa 1er du Code de commerce), le 2° de l’article L. 622-14 énonce que la résiliation intervient «lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement».

Pour sa part, en liquidation judiciaire, l’article L. 641-12, 3° prévoit que «le bailleur peut également demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire […]».

On remarquera que, dans le cadre de la procédure de sauvegarde et de redressement, il est fait état de la constatation d’une résiliation du bail sans mention que celle-ci interviendrait «de plein droit», par la volonté de la loi, pour défaut de paiement des loyers et charges postérieures. A notre sens, puisque la résiliation n’intervient pas «de plein droit», il faut en déduire qu’en sauvegarde ou en redressement judiciaire, la résiliation constatée par le juge-commissaire ne peut qu’être une résiliation résultant du jeu d’une clause résolutoire, laquelle suppose nécessairement la délivrance préalable d’un commandement de payer.

En revanche, en liquidation judiciaire, le texte de l’article L. 641-12, 3° précise que le bailleur peut faire constater la résiliation «de plein droit» du bail pour défaut de paiement de loyers et charges postérieurs, ce qui laisse entendre que la résiliation intervient ici légalement par le seul défaut de paiement des loyers et charges postérieures et non pas par le jeu d’une clause résolutoire qui supposerait la délivrance d’un commandement de payer préalable.

Ainsi, la solution posée par la Chambre commerciale dans son arrêt du 9 octobre 2019 en matière de liquidation ne vaudrait-elle pas en cas de sauvegarde ou de redressement.

En résumé, il nous apparaît que :

- lorsque la procédure est une liquidation judiciaire, le défaut de paiement de loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation entraîne, de plein droit -et donc sans faire appel à l’application d’une clause de résiliation conventionnelle-, la résiliation du contrat, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture (cf. le renvoi opéré par le 3° de l’article L. 641-12 au 3ème alinéa de l’article L. 622-14). Libre au bailleur cependant de se prévaloir de la clause résolutoire, ce qui supposera la délivrance d’un commandement de payer.

- lorsque la procédure est un redressement judiciaire ou une sauvegarde, le défaut de paiement de loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture n’entraîne pas la résiliation légale de plein droit du contrat mais autorise le bailleur à faire constater la résiliation du bail commercial, en application de la clause de résiliation conventionnelle, de sorte qu’il convient alors nécessairement de délivrer préalablement un commandement de payer visé à l’article L. 145-41 du Code de commerce.

Cette distinction semble opportune dans la mesure où elle conduit à protéger davantage le bail commercial lorsque la procédure tend au sauvetage de l’entreprise.

 

[1] CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 4 avril 2018, n° 17/19289 (N° Lexbase : A0170XKI), nos obs., Lexbase, éd. aff., 2018, n° 552 (N° Lexbase : N3943BXC) ; Gaz. Pal., 10 juillet 2018, n° 328x4, p. 47, note F. Kendérian ; Loyers et copr., 2018, comm. 151, note Ph.-H. Brault.

[2] CA Lyon, 14 juin 2018, n° 17/07301 (N° Lexbase : A1209XR9), AJDI, 2018, p. 713.

[3] CA Orléans, 15 novembre 2018, n° 18/00810 (N° Lexbase : A3274YLT) et CA Orléans, 24 janvier 2019, n° 18/00873 (N° Lexbase : A0717YU4) ;  Gaz. Pal., 16 avril 2019, n° 350x1, p. 66, note F. Kendérian. 

[4] CA Aix-en-Provence, 21 février 2013, n° 12/07700 (N° Lexbase : A5723I8H), D., 2013, p. 1800, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; JCP éd. E, 2013, 1549, obs. F. Kendérian.

[5] CA Bordeaux, 29 juin 2015, n° 14/07310 (N° Lexbase : A4847NMH), Rev. proc. coll., 2017, chron. 1, n° 15, obs. F. Kendérian.

[6] Nos obs., préc. sous CA Paris, 4 avril 2018, n° 17/19289, préc.. En ce sens égal. F. Kendérian, note préc., sous CA Orléans, 15 novembre 2018, n° 18/00810 et 24 janvier 2019, n° 18/00873, préc., spéc. p. 67 ; La clause résolutoire du bail commercial, JCP éd. E, 2017, 1258, spéc. n° 37.

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