La lettre juridique n°799 du 17 octobre 2019 : Procédure pénale

[Jurisprudence] Conseil constitutionnel et visioconférence dans le procès pénal ou la double illusion du progrès

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-802 QPC, du 20 septembre 2019 (N° Lexbase : A8596ZNP)

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par Anaïs Danet, Professeure de droit privé et de sciences criminelles à l’Université de Reims- Champagne Ardenne - CEJESCO (EA 4693)

le 13 Février 2020


Mots-clés : visioconférence • détention provisoire • demande de mise en liberté • consentement

Résumé : le Conseil constitutionnel s’est prononcé en faveur de la non-conformité totale de l’alinéa 3 de l’article 706-71 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7459LPX) permettant le recours à la visioconférence pour les audiences relatives aux demandes de mise en liberté des personnes placées en détention provisoire. Toutefois, cette décision n’a qu’une faible portée, puisque seules les spécificités de la procédure en matière criminelle ont conduit le Conseil à une censure, laquelle n’a qu’une portée restreinte au regard de ses effets.


 

Le Conseil constitutionnel, tout en donnant l’illusion de faire progresser la protection des droits fondamentaux du procès sur le recours aveugle à la visioconférence, cède pourtant, en creux, à l’illusion du progrès technique et économique qui serait porté par ce mode de comparution.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité à la Constitution de l’article 706-71, alinéa 3 du Code de procédure pénale dans sa version antérieure à la loi du 23 mars 2019 [1]. Le requérant placé en détention provisoire avait formulé une demande de mise en liberté, portée devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, 1ère section. La chambre de l’instruction a fait usage de la possibilité offerte par l’article 706-71, alinéa 3 du Code de procédure pénale de recourir à la visioconférence sans permettre au requérant de s’opposer au recours à ce moyen de télécommunication audiovisuelle. La faculté d’opposition du détenu n’est en effet prévue par l’article 706-71 que s’agissant du contentieux portant sur le placement ou la prolongation de la détention provisoire, et non s’agissant du contentieux des demandes de mise en liberté. C’est précisément sur ce point que portait la QPC soumise au Conseil.

Il aura donc fallu plusieurs tentatives pour que la Cour de cassation finisse par accepter de transmettre une telle QPC. Par le passé, celle-ci avait en effet refusé de transmettre une QPC rédigée en des termes analogues [2], aux motifs que la question posée ne présentait pas de caractère sérieux. Ce refus de la Cour de cassation s’inscrivait dans une tendance de celle-ci à développer la visioconférence en procédure pénale [3]. Mais la jurisprudence du Conseil lui-même semble être venue instiller le doute dans l’esprit des juges de cassation sur la conformité de l’entier dispositif à la Constitution. En effet, alors que les Sages avaient validé le recours à la visioconférence dans le cadre du contentieux des étrangers [4], la décision du 21 mars 2019, relative à la loi pour la réforme de la Justice est venue apporter un coup d’arrêt à une extension du procédé technique qui semblait ne plus pouvoir être arrêtée [5]. Dans cette dernière décision en effet, censurant les dispositions de la loi qui envisageaient de priver l’intéressé de la possibilité de refuser le recours à la visioconférence dans l’ensemble du contentieux de la détention provisoire, le Conseil relevait qu' «eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant le magistrat ou la juridiction compétente dans le cadre d’une procédure de détention provisoire et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce un tel recours à ces moyens de télécommunication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense». Or, cette motivation du Conseil est rédigée en des termes très généraux, ne distinguant pas, au sein du contentieux de la détention provisoire, entre placement en détention provisoire, prolongation de la mesure ou demandes de mise en liberté. C’est cette rédaction générale qui a conduit la Cour de cassation à y voir un changement de circonstances et à transmettre la question ayant fait l’objet de la décision du Conseil du 20 septembre 2019 ici commentée [6].

Le contentieux de la détention provisoire est sans aucun doute celui qui rentre le plus souvent en confrontation avec le mécanisme de visioconférence et ce pour plusieurs raisons. D’abord, si historiquement, l’introduction du mécanisme avait pour but de pallier le faible nombre de magistrats à Saint-Pierre et Miquelon [7], il semble qu’aujourd’hui l’hypothèse la plus topique de recours à la visioconférence réside dans la comparution des personnes détenues, pour lesquelles l’organisation d’audiences en leur présence implique de procéder à leur extraction des centres de détention. Ensuite, les audiences relatives au contentieux de la détention provisoire sont susceptibles de se multiplier au cours d’un même procès (audience de placement initial en détention ; audience relative à la prolongation de la mesure, tous les quatre mois en matière correctionnelle [8], et tous les six mois en matière criminelle à l’issue de la première année [9] ; demandes de mise en liberté qui peuvent être réitérées sans limitation de nombre [10]). Enfin, ce contentieux est particulièrement sensible, puisqu’il s’agit de statuer sur la privation de liberté d’un présumé innocent.

Les textes applicables et déférés au Conseil constitutionnel font toutefois une distinction entre les différents pans du contentieux de la détention provisoire. En effet, l’alinéa 4 de l’article 706-71 dans sa rédaction applicable au litige permet au détenu de refuser l’usage de la visioconférence pour les audiences statuant sur le placement en détention provisoire ou la prolongation de la mesure, mais ne prévoit pas la possibilité d’un tel refus en matière de contentieux de la mise en liberté.

La décision du Conseil constitutionnel sur la conformité de l’article 706-71, alinéa 3 à la constitution en ce qu’elle permet de recourir à la visioconférence dans le contentieux des demandes de mise en liberté sans permettre au détenu de refuser ce type d’audience était donc particulièrement attendue.

Le requérant, ainsi que les parties intervenantes, invoquaient ici une contradiction entre ces dispositions et les droits de la défense ainsi qu’au droit, en matière de détention provisoire, de comparaître physiquement devant son juge, relevant en outre l’insuffisance des garanties entourant le recours à la visioconférence. Ils soutenaient par ailleurs que ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité devant la loi et la justice, l’indépendance de l’autorité judiciaire, et le droit à un recours juridictionnel effectif.

Le Conseil a conclu à la non-conformité totale des dispositions déférées au regard des droits de la défense. Pourtant, les attentes des détracteurs d’un usage exponentiel de la visioconférence ont été une nouvelle fois déçues. Si la lecture du dispositif concluant à une non-conformité totale a pu brièvement faire naître de vifs espoirs, ces espoirs ont sans doute été très rapidement ternis. Le Conseil, après avoir rappelé le régime de la visioconférence et cédant à l’illusion du progrès technologique, valide dans un premier temps le principe du recours à la visioconférence sans possibilité pour l’intéressé de la refuser s’agissant des demandes de mise en liberté en considérant, d’une part, que le législateur a ainsi voulu éviter les difficultés et coût occasionnés par les extractions judiciaires, contribuant ainsi à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics et, d’autre part, que les garanties entourant le recours à la visioconférence sont suffisantes. Ce n’est que dans un second temps que le Conseil relève qu’en matière criminelle, il peut s’écouler un délai d’un an entre le placement en détention et la première prolongation de la détention provisoire, délai au cours duquel le recours sans consentement à la visioconférence pour les demandes de mise en liberté prive l’intéressé de toute possibilité de comparaître physiquement devant un juge. Et le Conseil de conclure que dans ces circonstances, compte tenu de la garantie qui s’attache à la présentation physique et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ce mode de communication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense. Sur le fond, la censure du Conseil constitutionnel reste donc largement nuancée, affaiblissant ainsi la portée de cette décision de non-conformité totale. Cette portée est d’autant plus affaiblie que les effets de cette décision doivent également être largement nuancés, en raison tout à la fois de la modulation des effets dans le temps de la décision par le Conseil et des incertitudes qui règnent sur le sort de l’alinéa 4 de l’article 706-71 dans sa rédaction en vigueur depuis la loi du 23 mars 2019, qui ne contient pas autre chose que la norme contenue dans l’alinéa 3, telle que censurée par le Conseil constitutionnel, ce dernier ayant considéré que les dispositions critiquées n’étaient plus en vigueur.

Le Grand Soir pour «torpiller la justice informatique» [11] n’est donc pas encore arrivé. Le Conseil n’a semble-t-il pas véritablement entendu les avocats qui l’exhortaient pourtant à «mettre un frein à ce délire, à cette dérive» [12], que constitue cette «justice informatique [13]». L’illusion d’une victoire contre l’expansion de la visioconférence dans le procès doit donc être dissipée : il s’agit là d’une censure «en trompe-l’œil» [14] (I) dont les effets résonnent comme un coup d’épée dans l’eau (II).

I - Une censure en trompe-l’œil

La déclaration de non-conformité totale des dispositions portées devant le Conseil constitutionnel est un véritable trompe-l’œil. En effet, la non-conformité n’est due, pour les Sages, qu’aux spécificités de la matière criminelle, ce qui permet a contrario d’en déduire que le recours à la visioconférence dans le contentieux des demandes de mise en liberté des personnes placées en détention provisoire dans les autres hypothèses n’est pas en contradiction avec les normes constitutionnelles. En d’autres termes, la déclaration de non-conformité totale due à la spécificité de la matière criminelle n’est que l’arbre (A) qui cache la forêt (B) dans laquelle est tapie la conformité à la Constitution de la possibilité de recourir à la visioconférence sans possibilité de refus pour l’intéressé dans le cadre de demandes de mise en liberté.

A - L’arbre : non-conformité de l’alinéa 3 de l’article 706-71 dans sa version antérieure à la loi du 23 mars 2019

Le dispositif est clair : «les mots “la chambre de l’instruction” figurant à la première phrase du troisième alinéa de l’article 706-71 du code de procédure pénale, sans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale, sont contraires à la Constitution».

Pourtant, ce n’est qu’en raison des spécificités de la durée de la détention provisoire à l’issue d’un premier placement en matière criminelle que le Conseil conclut à la non-conformité de l’alinéa 3 de l’article 706-71 tel qu’il lui a été déféré. En cette matière en effet, l’article 145-2 du même code prévoit que la détention provisoire peut initialement être prononcée pour une durée n’excédant pas un an. En d’autres termes, la première prolongation de la détention provisoire et l’audience qui lui est attachée peut n’intervenir qu’à l’issue de cette durée d’une année. Il n’y a donc pas, au cours de cette période, d’audience permettant au présumé innocent de comparaître physiquement et personnellement devant un juge, puisque les seules audiences au cours desquelles il sera statué sur sa détention provisoire sont celles résultant d’une demande de mise en liberté, audience pour laquelle le recours à la visioconférence peut être envisagé sans possibilité pour le détenu de le refuser. C’est là ce qui conduit le Conseil à conclure à une déclaration de non-conformité. Ce dernier relève en effet que «eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présence physique de l’intéressé devant la juridiction compétente pour connaître de la détention provisoire et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ces moyens de communication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense».

On peut sans doute se réjouir ici de ce que le Conseil semble bien admettre la distinction entre la visioconférence et la présentation physique des parties devant leur juge. L’impossible assimilation des deux modes de comparution personnelle résulte en effet de leurs conséquences drastiquement différentes sur l’ensemble des acteurs du procès [15]. Il réitère d’ailleurs en cela la motivation qu’il avait adoptée à l’occasion du contrôle de constitutionnalité de la loi de réforme pour la Justice [16]. Prendre en considération l’importance de la présentation physique de l’intéressé devant son juge pour censurer le recours à la visioconférence, c’est en effet bien admettre que s’il s’agit là de deux modalités [17] de la comparution personnelle, il s’agit de modalités distinctes.

Cela étant, cette reconnaissance des qualités différentes de la présentation physique de l’intéressé par rapport à sa comparution par visioconférence, qualités qui permettent, selon les Sages, de préserver les droits de la défense, n’empêche pas le Conseil de justifier, en creux et par principe, le recours à la visioconférence dans le contentieux de la détention provisoire. C’est donc que, derrière l’arbre de la non-conformité à la Constitution des dispositions contestées, se cache encore une immense forêt.

B - La forêt : validation du principe du recours à la visioconférence dans le contentieux de la détention provisoire

La déclaration de non-conformité des dispositions contestées ne saurait masquer que cette inconstitutionnalité n’est due qu’aux spécificités de la matière criminelle, tandis que le Conseil a pris soin de justifier le recours à la visioconférence dans l’ensemble du contentieux de la détention provisoire, ce qui est sans doute regrettable.

D’abord, si c’est l’«exception» en matière criminelle qui justifie la censure, c’est bien que le conseil valide le «principe». A ce titre, il n’est d’ailleurs pas anodin qu’en termes de volume, la justification du recours à la visioconférence dans le contentieux de la détention provisoire est proportionnellement bien plus importante que la motivation de l’inconstitutionnalité (6 paragraphes contre 1). Ce faisant, le Conseil donne son assentiment au principe de la distinction entre contentieux du placement en détention et de la prolongation d’une telle mesure d’une part et contentieux relatif aux demandes de mise en liberté, d’autre part. Alors qu’il avait su montrer son attachement au consentement de l’intéressé pour recourir à la visioconférence dans le cadre du contentieux du placement en détention et de sa prolongation [18],  il prend au contraire soin ici de rappeler qu’ «en prévoyant que, lorsque l’audience porte sur une demande de mise en liberté, l’intéressé ne peut s’opposer au recours à un moyen de télécommunication, les dispositions contestées visent à éviter les difficultés et les coûts occasionnés par les extractions judiciaires. Elles contribuent ainsi à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics» [19]. Ce qui motive la distinction opérée par le Conseil entre les différents types de contentieux de la détention provisoire semble être le délai qui sépare deux audiences permettant une présentation physique de l’intéressé devant son juge. En effet, en matière correctionnelle, les audiences statuant sur la prolongation de la détention provisoire ont lieu tous les quatre mois, tous les six en matière criminelle après la première prolongation. Et ces durées sans possibilité pour le justiciable de rencontrer son juge, faute pour lui de pouvoir s’opposer à sa comparution par visioconférence dans le cadre des audiences portant sur ses demandes de mise en liberté apparaissent au Conseil comme étant raisonnables, alors qu’une durée d’un an ne l’est pas. Mais où est la limite ? On peut regretter ici qu’il n’y ait pas de positionnement plus clair sur le critère permettant de départir entre les hypothèses d’un droit de présence et les hypothèses dans laquelle il y a simplement un droit de comparution. Un autre critère, plus clair, permet d’expliquer ce même résultat, qui prend en compte l’enjeu de la décision : dans les hypothèses de placement en détention provisoire ou de prolongation de celle-ci, il s’agit de prononcer à l'encontre de l'intéressé une mesure privative de libertés, ce qui justifie un renforcement du droit de présence ; à l’inverse, dans le contentieux des demandes de mise en liberté du mis en examen placé en détention provisoire, il s’agit non plus de prononcer une mesure privative de liberté mais de l’interrompre, ce qui pourrait justifier un régime plus souple du point de vue du consentement à l’usage de la visioconférence. Ce n’est pourtant pas ce critère qui a eu la préférence du Conseil.

Ensuite, ce qui est surtout regrettable dans cette décision, ce sont les motifs utilisés par le Conseil et permettant de valider, dans son principe, le recours à la visioconférence en matière de détention provisoire. Ces arguments ne sont en effet convaincants ni sur les justifications de l’impossible refus de la visioconférence pour l’intéressé, ni sur les garanties supposées compenser cette impossibilité. D’un côté, s’agissant des justifications, les Sages mettent en avant la bonne administration de la justice et le bon usage des deniers publics, en occultant une fois de plus la question essentielle : les arguments économiques sont-ils suffisants pour justifier, par principe, une atteinte aux droits fondamentaux ? Et, même en adoptant une vision très (trop) pragmatique du droit processuel au sein duquel s’entrechoquent nécessairement les enjeux juridiques et économiques, aucune étude économique ne s’est proposée d’appréhender dans sa globalité, la question des enjeux économiques de la visioconférence dans tous ses paramètres [20]. Il est certain qu’à comparer uniquement le coût de la comparution physique nécessitant une extraction avec celui de la comparution par visioconférence, le bilan semble sans appel. Ce qui n’est pas certain en revanche, c’est que l’organisation complexe de plannings d’audience par les greffes incluant des audiences en présence et des audiences à distance soit neutre sur le plan économique. Il n’est pas certain non plus qu’un justiciable placé en détention provisoire et désireux d’obtenir sa mise en liberté à qui la justice n’offrira pas de possibilité de s’exprimer en présence de son juge et de se sentir entendu ne multipliera pas en conséquence les demandes de mise en liberté puisque la loi le lui permet [21]. Or, si le recours à la visioconférence permet d’éviter les extractions, il ne permet pas d’éviter l’organisation des audiences elles-mêmes, qui ont évidemment un coût…

D’un autre côté, s’agissant des garanties censées compenser l’usage de la visioconférence, leur lecture révèle une vision théorique du procès pénal loin des réalités du terrain. Selon les Sages de Montpensier, le juge peut toujours privilégier la comparution physique de l’intéressé devant lui. Mais le peut-il vraiment lorsque lui est opposée l’indisponibilité du personnel en charge des extractions ? Dans pareille hypothèse, son entêtement pourrait conduire, faute d’extraction et donc d’audience possible, à une remise en liberté pour dépassement des délais de jugement légaux. Gageons que les juges ne prendront pas ce risque et se plieront bien au contraire aux contraintes de l’ARPEJ (Autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires) [22]. De même, si le droit à l’assistance d’un avocat est théoriquement préservé puisque le conseil a le choix de se trouver auprès de son client ou dans la salle d’audience, les avocats ne cessent de clamer que ce choix est en réalité un choix impossible [23].

Quant à son contenu, la décision rendue par le Conseil n’est donc pas exempte de critiques et n’a pas le retentissement que l’on aurait souhaité. Cette décision est d’autant plus timorée que ces effets sont largement atténués, à tel point que l’on pourrait parler de «coup d’effets dans l’eau».

II - Un coup «d’effets» dans l’eau ?

Bien que la motivation de la décision du Conseil constitutionnel fasse naître quelques regrets, une forme de consolation pourrait a priori se trouver dans la déclaration de non-conformité prononcée par les Sages. Cette consolation est pourtant de faible ampleur. En effet, dans un premier temps, le Conseil module les effets dans le temps de sa décision en la privant de tout effet rétroactif (A) et dans un second temps, il laisse planer de nombreuses incertitudes sur le futur de la norme déclarée ici contraire à la constitution (B).

A - L’absence de rétroactivité de la décision du Conseil

Statuant sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil prend soin de rappeler que si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question et conduit à interdire l’application de la disposition inconstitutionnelle dans les instances en cours [24], l’article 62 de la Constitution réserve aux Sages le pouvoir de moduler les effets dans le temps de sa décision, notamment en supprimant l’effet utile de la QPC pour son auteur. Ainsi, le Conseil affirme ici que la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par conséquent, ni l’auteur de la QPC, ni aucun autre justiciable à qui l’on aurait imposé, sur le fondement de l’article 706-71, alinéa 3 dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 1er décembre 2016, le recours à la visioconférence dans le cadre d’une audience portant sur sa demande de mise en liberté, ne pourra contester la régularité de la procédure suivie sur le fondement d’un texte contraire à la Constitution. L’inefficacité de la censure constitutionnelle sur les mesures passées, fondée sur l’objectif de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, n’a rien de véritablement surprenant. En procédure pénale, les décisions par lesquelles le Conseil accepte de faire bénéficier l’auteur de la QPC de son effet utile, pourtant de principe, sont extrêmement rares, en particulier au stade de l’instruction [25].

Ce qui est plus surprenant en revanche, ce sont les incertitudes qui planent sur les effets pour l’avenir de cette déclaration d’inconstitutionnalité.

B - L’incertitude des effets pour l’avenir

Devant tirer les conclusions de la déclaration de non-conformité de la disposition qui lui était soumise, le Conseil constitutionnel relève simplement que les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur [26] sans en tirer davantage de conséquences. Pourtant, les conséquences auraient largement mérité d’être précisées sur ce point, ce qui laisse planer de nombreuses incertitudes sur l’avenir du recours à la visioconférence sans le consentement de la personne intéressée dans le contentieux de la détention provisoire.

L’absence d’abrogation des dispositions contestées tient en réalité au fait qu’entre le litige ayant donné lieu à une audience relative à la mise en liberté par visioconférence sans possibilité pour l’intéresser de refuser ce mode de comparution et la décision du Conseil constitutionnel censurant la disposition applicable, la loi du 23 mars 2019 [27] est entrée en vigueur. Or, l’article 54, X de cette loi a inséré au sein de l’article 706-71 du Code de procédure pénale un alinéa 1er, lequel a entraîné la renumérotation des autres alinéas. La question des effets de la décision du Conseil à l’égard de la norme censurée reste donc entière : si l’article 706-71, alinéa 3 du Code de procédure pénale dans sa version déférée au Conseil n’existe plus formellement, la norme matérielle qu’il contenait existe toujours dans le nouvel alinéa 4, et le Conseil ne précise pas les conséquences de sa décision sur cet alinéa 4.

Le pouvait-il seulement ? Limité dans son pouvoir par l’étendue de sa saisine, il ne pouvait sans doute pas élargir son appréciation à une disposition formelle non encore applicable au litige. L’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3) prévoit en effet que l’une des conditions pour saisir le Conseil d’une QPC est que la disposition contestée soit «applicable au litige», ce dont le Conseil a déduit que «la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion de laquelle elle a été posée» [28].

La véritable question est alors celle de l’étendue de l’autorité de la chose décidée des décisions du Conseil, pour déterminer si la déclaration de non-conformité doit s’étendre au nouvel alinéa 4 de l’article 706-71. La situation ne s’est, à notre connaissance, jamais encore rencontrée, tant la configuration paraissait relever a priori d’un cas d’école : la probabilité qu’une loi modifiant la seule numérotation des dispositions contestées intervienne entre la formulation de la question et sa réponse est en effet extrêmement faible.

Plusieurs éléments de réponse peuvent être convoqués pour tenter de résoudre la difficulté.

Primo, il est possible de chercher à appliquer la théorie de «l’objet analogue», théorie selon laquelle lorsqu’une loi est déclarée contraire à la Constitution par le juge constitutionnel, l’autorité qui s’attache à cette décision vaut également pour une loi ultérieure ayant un objet analogue [29]. Il serait alors possible d’envisager que la non-conformité s’étende à la norme dans sa nouvelle numérotation, car si l’autorité de la chose jugée s’étend aux lois ayant un objet analogue, elle devrait a fortiori pouvoir s’étendre aux normes ayant un objet similaire. Cela étant, la situation est quelque peu différente, puisqu’il ne s’agit pas ici d’une loi postérieure à la décision, la norme litigieuse étant entrée en vigueur dans sa nouvelle numérotation avant la décision du Conseil ici commentée. Une telle solution n’est donc sans doute pas acquise.

Secundo, il pourrait être envisagé d’étendre la déclaration de non-conformité au nouvel alinéa 4 de l’article 706-71 du Code de procédure pénale en considérant que le Conseil constitutionnel n’opère pas un contrôle de la disposition formelle, mais de la norme matérielle contenue dans la disposition formelle [30]. C’est pourtant le contraire que semble sous-entendre le Conseil lorsqu’il relève que «les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur» [31]. Cette formulation laisse en effet entendre que le contrôle du Conseil porte bien sur une disposition formelle (laquelle n’est plus en vigueur), et non sur la norme qu’elle contient (laquelle survit sous d’autres cieux).

En l’absence de certitudes sur les effets qu’il faut prêter à cette décision quant au sort de cet alinéa 4 survivant, le Conseil laisse donc le champ libre (et la lourde tâche) aux juridictions judiciaires pour déduire les effets qu’il faut prêter à sa décision. Il faudra donc observer la réponse de la Cour de cassation à cette difficulté qui ne manquera pas de se poser à bref délai. Plusieurs possibilités s’offriront alors à la Cour de cassation. De deux choses l’une :

⇒ soit la Cour de cassation refusera de prendre l’initiative d’étendre l’autorité de la décision du Conseil au nouvel alinéa 4, ce qui entraînera le maintien dans l’arsenal législatif de la possibilité de recourir à la visioconférence sans possibilité pour l’intéressé de la refuser pour les audiences relatives aux demandes de mise en liberté des personnes placées en détention provisoire. Cette solution, qui s’inscrirait dans la politique favorable à la visioconférence de la Cour de cassation [32], ne manquerait toutefois pas de provoquer de nouvelles QPC, portant cette fois formellement sur l’article 706-71 alinéa 4 du Code de procédure pénale ;

⇒ soit la Cour de cassation fera le choix d’étendre l’autorité de la décision du Conseil au nouvel alinéa 4, ce qui aura pour effet de supprimer les termes «chambre de l’instruction» de cette disposition contenue dans l’article 706-71. Cependant, cette solution ne se suffit pas à elle-même et sa portée devrait être précisée. Eu égard à sa politique favorable à l’usage de la visioconférence, la Cour de cassation pourrait être tentée, dans cette hypothèse, de ne considérer l’inconstitutionnalité que de la seule hypothèse relevant de la matière criminelle, en s’appuyant sur la jurisprudence du Conseil selon laquelle l’autorité des décisions du Conseil «s’attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même» [33]. Toutefois, il pourrait être considéré que cette jurisprudence du Conseil a pour but d’étendre l’autorité des décisions du Conseil et non de la restreindre. Or, une telle analyse conduirait à réduire la portée de la déclaration de non-conformité des termes «chambre de l’instruction», figurant dans le dispositif. Ainsi, si l’on souhaite faire produire plein effet à la déclaration de non-conformité des termes visés par la QPC et étendre ces effets à l’alinéa 4 de l’article 706-71 dans sa rédaction nouvelle, il faut alors considérer que la suppression de ces termes conduirait à supprimer toute possibilité de recourir à la visioconférence devant la chambre de l’instruction en matière de détention provisoire, quel que soit le contentieux (placement en détention provisoire, prolongation de celle-ci ou demandes de mise en liberté). Cette solution aurait alors le mérite de forcer le législateur à réécrire la loi pour se conformer aux exigences (même minimes) du Conseil en la matière.

Peut-être est-il permis de penser que le Conseil constitutionnel s’est saisi de la limitation de son pouvoir par l’étendue de sa saisine pour laisser le législateur prendre ses responsabilités face à cette question. Le feuilleton relatif à la visioconférence dans le procès pénal a donc sans doute encore de nombreux épisodes à nous livrer…

 

[1] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice (N° Lexbase : L6740LPC).

[2] V. not Cass. crim., 16 octobre 2018, n° 18-84.430, F-D (N° Lexbase : A9834YGC).

[3] Sur cette question, v. V. Ferreira, Le rôle de la Cour de cassation dans le développement de la visioconférence en procédure pénale, AJ Pénal, 2019, p. 246.

[4] Cons. const., décision n° 2018-770 DC, du 6 septembre 2018 (N° Lexbase : A4476X38), § 23 à 30.  

[5] Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019 (N° Lexbase : A5079Y4U), § 231 à 234.

[6] Cass. crim., 26 juin 2019, n° 19-82.733, F-P+B+I (N° Lexbase : A5460ZGC).

[7] Ordonnance n° 98-728 du 20 août 1998 portant actualisation et adaptation de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale dans les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon (N° Lexbase : L4340GUB).

[8] C. proc. pén., art. 145-1 (N° Lexbase : L4872K8X).

[9] C. proc. pén., art. 145-2 (N° Lexbase : L3506AZU).

[10] C. proc. pén., art. 148 (N° Lexbase : L4989K8B).

[11] M. Babonneau, Visioconférence devant la chambre de l’instruction : une «justice informatique» qu’il faut torpiller, Dalloz actualités, 11 septembre 2019.

[12] V. la plaidoirie de Me Henri Leclerc, représentant de l’ADAP, lors de l’audience devant le Conseil le 11 septembre 2019 (vidéo de l’audience disponible sur le site internet du Conseil constitutionnel, plaidoirie visible à 41’03).

[13] Idem.

[14] Pour reprendre l’expression utilisée dans son communiqué par le Syndicat des Avocats de France.

[15] V. l’ensemble des travaux des sociologues L. Dumoulin et C. Licoppe, et not. Les audiences à distance. Genèse et institutionnalisation d’une innovation dans la justice, LGDJ-Lextenso éditions, coll. “Droit & Société. Série Sociologie”, 2017. V. également A. Danet, La présence en droit processuel, préface A. Bergeaud-Wetterwald, Dalloz, 2017, Coll. Bibliothèque de la Justice, n° 79 et s. ; Ph. Milburn, Juger par écran interposé : une révolution anthropologique, AJ Pénal, 2019, p. 255.

[16] Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019 (N° Lexbase : A5079Y4U) : A. Botton, Contrôle de la loi de programmation Justice : le Conseil constitutionnel entre "moustiques et chameaux" de procédure pénale, JCP éd. G, 2019, n° 14, p. 634-638.

[17] V. en ce sens Cass. crim., 1er octobre 2013, n° 13-85.013, F-D (N° Lexbase : A3191KM7).

[18] Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019, précitée, § 231 et s..

[19] Ibid, § 9.

[20] Pour une étude des enjeux économiques de la présence, v. A. Danet, Aspects économiques de la présence des parties au procès pénal, in Analyse économique du droit et matière pénale, dir. C. Claverie-Rousset, LexisNexis, 2018.

[21] C. proc. pén., art. 148.

[22] Tel était d’ailleurs le point de vue développé par l’avocat Me Cessieux, représentant le Syndicat de la Magistrature à l’audience du 11 septembre 2019.

[23] V. encore récemment Th. Fillion, L’utilisation de moyens de télécommunications au cours de la procédure, ou la solitude de l’avocat face au(x) juge(s), AJ Pénal, 2019, p. 252.

[24] Jurisprudence constante depuis la décision Cons. const., décision n° 2010-108 QPC, du 25 mars 2011 (N° Lexbase : A3844HHT).

[25] P. Mathonnet, La QPC en matière pénale dispose t-elle encore d’un effet utile ?, AJ Pénal, 2019, p. 394.

[26] § 16.

[27] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 précitée.

[28] Cons. const., décision n° 2010-25 QPC, du 16 septembre 2010 (N° Lexbase : A4757E93).

[29] Cons. const., décision n°89-258 DC du 8 juillet 1989 (N° Lexbase : A8200ACP), Loi portant amnistie, Journal officiel du 11 juillet 1989, page 8734, cons. 13.

[30] En ce sens, v. X. Magnon, Sur un pont-aux-ânes ? L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel, pour une distinction entre «autorité» et «force» de chose jugée, RDFA, 2013, p. 859.

[31] § 16.

[32] V. Ferreira, Le rôle de la Cour de cassation dans le développement de la visioconférence en procédure pénale, art. préc..

[33] Cons. const., décision n°62-18 L du 16 janvier 1962 (N° Lexbase : A7808AC8).

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