La lettre juridique n°793 du 5 septembre 2019 : Santé

[Textes] Evolution et révolution : commentaire de la loi de "santé" du 24 juillet 2019

Réf. : Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019, relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (N° Lexbase : L3022LRD)

Lecture: 15 min

N0167BYT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Textes] Evolution et révolution : commentaire de la loi de "santé" du 24 juillet 2019. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/53525729-textes-evolution-et-revolution-commentaire-de-la-loi-de-sante-du-24-juillet-2019
Copier

par Benjamin Pitcho, Avocat à la Cour, Ancien membre du Conseil de l’Ordre, Maître de conférences en droit privé

le 04 Septembre 2019

Depuis quelques décennies, il existe une constante pour toute législature parlementaire : entreprendre une réforme profonde du système de santé. Le présent Parlement n’échappe évidemment pas à cette règle et il a permis le vote, puis la promulgation par le Président de la République, de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019, relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.

 

Celle-ci, à l’évidence foisonnante, porte avec efficacité son titre par les mutations qu’elle imposera au secteur sanitaire comme au secteur médico-social. Il serait vain de souhaiter en présenter le contenu exhaustif dans un commentaire synthétique. Seules quelques idées saillantes peuvent, par conséquent, être rappelées, au détour des cinq titres complémentaires qui la composent.

 

Cet espoir serait d’autant plus illusoire que, malgré son contenu pléthorique, la loi renvoie encore pour chacun de ses titres, à des ordonnances qui devront intervenir prochainement, rendant inconnues les modalités pratiques de sa mise en œuvre. C’est au Gouvernement qu’il appartiendra de prendre les textes adéquats en ce sens.

► La réforme de la formation des professionnels de santé et de l'organisation du système de santé

Le premier titre de la loi entreprend une réforme profonde des études médicales comme des carrières des professionnels de santé. Il met fin au numerus clausus tel que nous le connaissions auparavant, en permettant à chaque université de fixer, annuellement, le nombre d’étudiants et d’étudiantes admis à suivre les cours de premier cycle dans des objectifs pluriannuels, qui feront intervenir la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie comme les Agences régionales de santé tandis que ces objectifs seront nationaux pour les étudiants de deuxième cycle (art. 1). Les études de troisième cycle sont elles aussi réformées, avec la suppression de l’internat, devenu, entre temps, examen qualifiant national, qui disparaît (art. 2).

Il est aussi souhaité un décloisonnement des carrières entre les secteurs libéral et public (art. 13). Des mesures doivent être prises par voie d’ordonnance pour ce faire, mais il est d’ores et déjà prévu que des interdictions, puis des sanctions financières, puissent être prises, par exemple, à l’encontre des professionnels de santé qui porteraient une concurrence aux établissements publics lorsqu’ils exercent leur art, en parallèle de leur activité hospitalière principale, dans des établissements privés (art. 14).

Le deuxième titre vise à réformer -à nouveau- l’organisation du système de santé. Il redéfinit l’équipe de soins et sa place dans le parcours de santé, en organisant celle-ci autour de médecins spécialistes qui agissent d’une manière coordonnée sur le territoire (art. 18). Il précise les règles applicables aux projets territoriaux de santé, qui sont la cheville ouvrière de l’organisation territoriale des soins pour les communautés professionnelles territoriales de santé, mais aussi les établissements de santé et les établissements sociaux et médico-sociaux (art. 22).

Le régime des groupements hospitaliers de territoire est, de même, amendé bien que les modalités précises soient renvoyées à une ordonnance ultérieure (art. 37). La cohérence du groupement est, cependant, affirmée, avec les commissions médicales de groupement, l’organisation de la fusion entre établissements membres des groupements, la fusion entre les institutions de ces groupements tels que les commissions médicales, les comités techniques ou les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Parmi les très nombreuses mesures de ce titre, il est aussi prévu une concertation pour la détermination de la politique territoriale de santé entre les élus locaux d’une part, et les directeurs des agences régionales de santé d’autre part (art. 22). La gradation des soins hospitaliers est, enfin, organisée par l’accès aux hôpitaux de proximité qui peuvent orienter les patients au sein du secteur sanitaire vers les établissements de référence, des structures libérales ou les professionnels de santé et dont la mission sera concentrée autour de la médecine libérale, la gériatrie et la réadaptation (art. 35). Des extensions liées aux besoins de la population locale pourront être justifiées.

► Le régime unifié des données de santé

Le troisième titre est l’un des plus notables. Il ne manque assurément pas d’ambition par la révolution qu’il impose au système de gestion des données de santé. Il vise à doter notre pays d’un système unifié et efficace des données de santé, piloté par un organisme unique en premier lieu, renforcer la sécurité et l’interopérabilité des différents systèmes ensuite et, enfin, permettre à toute personne d’exercer efficacement ses droits sur ses propres données. C’est toute l’architecture des données de santé qui est ainsi réformée.

Pour ce faire, le législateur a entendu créer une Plateforme des données de santé, qui constitue un organisme unique de droit privé (art. 41). Il prend la suite, dans ses missions comme dans les biens, de l’Institut national des données de santé et il est destiné à opérer notamment la gestion des questions relatives aux données. Il n’est plus placé sous la seule responsabilité de la Caisse nationale d’assurance maladie, mais fait intervenir, outre celle-ci, l’Etat, les associations de malades et d’usagers, les producteurs de données ainsi que les utilisateurs publics et privés de ces données y compris les organismes de recherche. Son rôle consiste à réunir, organiser et mettre à disposition les données de santé disponibles. Il vise, en outre, à permettre aux patients d’accéder à leurs données et de faciliter leurs droits, en même temps qu’informer ces derniers. Il diffusera de plus les standards et normes de standardisation applicables pour la diffusion et l’exploitation des données de santé et assurera les opérations nécessaires aux traitements pour compte de tiers.

Le champ d’action de cette plateforme est singulièrement étendu puisque de nombreuses données seront intégrées au système de données de santé alors qu’elles n’étaient pas, auparavant, regroupées avec celles issues du système sanitaire. Tel est le cas, par exemple, des données issues des hébergeurs de données de santé donnant lieu à prise en charge au titre de la maladie ou de la maternité, les données relatives à la perte d’autonomie, celles qui sont personnelles et issues des enquêtes de santé, les données recueillies lors des visites médicales et de dépistage, lors des visites d’information et de prévention et celles produites par les services de protection maternelle et infantile.

Les traitements prévus sur les données sont de plus unifiés. L’influence de la mise en œuvre du Règlement européen no 2016/679 (N° Lexbase : L0189K8I), dit Règlement général sur la protection des données (RGPD), depuis le 24 mai 2019 et sa définition englobante du «traitement» est notable. La loi supprime, en effet, la trilogie de l’accès et du traitement pour «de la recherche, de l’étude ou de l’évaluation» qui parsemaient le Code de la santé publique pour distinguer les finalités des demandes d’accès aux données, au profit du seul «traitement».

Les conditions du traitement évoluent aussi. La pertinence de ce dernier sera appréciée par le Comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé. Il inclut, en son sein, des usagers qui sont membres des associations d’usagers et de malades agréées. Il est de même prévu que sa composition soit mise en œuvre «en recherchant une représentation équilibrée des hommes et des femmes». Alors que la parité est maintenant imposée dans les organisations ordinales et qu’elle s’étend toujours davantage dans la vie politique et économique, il semble surprenant de ne pas l’avoir imposée dans la composition de ce Comité, d’autant que son rôle est important. Il doit en effet se prononcer sur les traitements, à l’exclusion de tout risque de conflit d’intérêts. L’indépendance de ses avis devrait être garantie par l’interdiction faite pour ses membres de participer à une délibération lorsque l'un d'eux n’est pas indépendant du promoteur ou de l’investigateur de la recherche.

La plateforme des données de santé prévue définira des référentiels d’interopérabilité et de sécurité pour le traitement, la conservation sur support informatique et la transmission par voie électronique des données de santé, auxquels devront être compatibles les systèmes d’informations, des services ou outils numériques utilisés professionnels de santé, les établissements et services ainsi que tout organisme qui participe aux soins, ceux qui sont utilisés par les établissements et professionnels des secteurs médico-social et social, ainsi que ceux mis en œuvre par les organismes de prise en charge. La détermination de ces référentiels fera intervenir les représentants des professions concernées, des usagers, des établissements, de l’édition et seront approuvés par le ministre en charge de la Santé. Les référentiels prendront appui sur des standards ouverts en vue de faciliter l’extraction, le partage et le traitement des données de santé (art. 44). 

► La création d’un espace numérique personnel

La réforme des données renforce, de plus, l’accès des personnes à leurs propres données (art. 45). Toute personne prise en charge bénéficie, en effet, à l’aide de son identifiant santé, soit son numéro d’inscription au Répertoire national d’identification des personnes physiques, d’un espace numérique de santé. Il permet à son titulaire d’accéder à ses informations administratives, à son dossier médical partagé, à ses constantes de santé issues d’applications et de dispositifs tiers connectés et qui ont été transmises et regroupées selon des référentiels d’interopérabilité et de sécurité, aux données relatives aux remboursements des soins, à une messagerie et à différents outils permettant d’échanger avec les professionnels de santé et les établissements, aux données relatives à la prise en charge par les établissements sociaux et médico-sociaux ainsi qu’à tout service destiné à l’amélioration de la coordination, du parcours de soin, l’information du patient, etc..

Il appartient à la personne elle-même d’exercer les droits sur son espace personnel et, lorsque nécessaire, son représentant légal les exercera dans son intérêt. Afin de faciliter sa mise en œuvre, ce régime aurait sans doute gagné à être conforme à celui applicable aux conditions de recueil du consentement des personnes empêchées, de délivrance de l’information et d’accès au dossier médical, qui prévoit l’intervention du tuteur plutôt que du représentant légal.

Pour l’ouverture de son espace numérique, il ne sera pas nécessaire à la personne prise en charge d’émettre un consentement exprès. Seule son opposition en prévient la création. De même, il lui appartient de refuser d’inclure certaines données dans son espace ou encore d'accorder un accès à un établissement, un professionnel ou une équipe de prise en charge à titre temporaire ou permanent. Elle peut extraire les données lorsqu’elle le souhaite. Il sera, cependant, interdit de demander les informations issues de cet espace pour des besoins d’assurabilité, ce qui est une interdiction habituelle qui figure dans tout texte relatif aux données de santé. Toute personne pourra demander la clôture de son espace personnel. En l’absence de demande formelle de destruction, les données sont archivées dix ans, puis détruites.

La loi définit aussi le «télésoin» comme une forme de pratique de soins à distance utilisant des technologies de l’information et de la communication (art. 53). Il complète la télémédecine -devenue «télésanté» par effet de la loi- et concerne un patient, d’une part, et un pharmacien ou un auxiliaire médical, d’autre part. Des conventions préciseront les conditions de fonctionnement et de remboursement, permettant ainsi qu’un acte soit réalisé à distance non plus seulement par des médecins, mais par ses auxiliaires et les pharmaciens.

Comme pour chacun des titres, des ordonnances sont prévues afin de compléter la loi, tant dans le domaine de l’espace numérique, des référentiels que du télésoin ou de la certification des logiciels, par exemple (art. 55).

► La ratification des ordonnances : inventaire à la Prévert

Le titre IV de la loi prévoit différents dispositifs dits de simplification et dont les contenus ne paraissent pas toujours satisfaire l’appellation. Ils concernent, notamment, les autorisations de création, transformation et extension des établissements sociaux et médico-sociaux (art. 61), le service de santé des armées, la sécurité nucléaire et les différents évènements susceptibles de provoquer le décès de nombreuses personnes -catastrophes naturelles ou terrorisme- qui permettent un aménagement d’ordre public de certaines règles de droit commun et, par l’ajout d’un article 10-6 (N° Lexbase : L5997LRK) qui complète le Code de procédure pénale, la communication entre les administrations, les parquets, les juridictions et les associations de personnes concernées afin de permettre la réalisation de leurs missions respectives et l’information des personnes présentes ou leurs proches (art. 68). 

Ce titre contient, de plus, des dispositions relatives aux protocoles de coopération (art. 66). Ils sont rédigés par les professionnels de santé qui souhaitent assurer une prise en charge coordonnée. Ils permettent des transferts de compétences entre lesdits professionnels en prévoyant la formation nécessaire pour ce faire. Les patients qui sont pris en charge au sein d’un tel protocole doivent en être informés. Des protocoles nationaux peuvent, de même, être mis en œuvre, qui font intervenir dans leur identification et leur élaboration le Comité national des coopérations interprofessionnelles. Des professionnels peuvent aussi choisir de conclure des protocoles expérimentaux locaux afin de mettre en œuvre des organisations innovantes. Comme toute loi de santé, cette expérimentation donnera une liberté souhaitable aux professionnels désireux de mettre en œuvre des projets qui ne satisfont à aucun des régimes déjà prévus.

Enfin, le cinquième et dernier titre a pour objet la ratification des ordonnances préalables prises par le Gouvernement. Ces ordonnances concernent, pêle-mêle, des sujets variés, qu’il s’agisse de la Haute autorité de santé (art. 73), de l’organisation des ordres professionnels ou des conditions d’élection à ces ordres (art. 77), des pharmacies à usage intérieur, de la lutte contre le tabagisme, des organismes mutualistes, des centres de santé, de la transfusion sanguine, etc. (art. 77).

► Une équation à de nombreuses inconnues

Il s’agit donc d’une loi ambitieuse, qui préfigure le système de santé qui sera le nôtre dans quelques années. Elle poursuit la convergence des secteurs sanitaire, médico-social et social. Elle vise, aussi, à établir un régime complet et efficace, applicable aux données de santé et aux traitements possibles. Elle prend acte de la place de ces données dans le système sanitaire et l’économie de la santé et permet leur exploitation efficace mais censément protectrice. Quelle que soit l’ambition de cette loi en effet, elle ne saurait contrarier le Règlement européen général sur la protection des données. Sa conformité avec la loi française qui en assure, en outre, la transposition dans notre pays par la loi n° 2018-493, relative à la protection des données personnelles (N° Lexbase : L7645LKD) apparaît souhaitable.

Cette loi "santé" renforce, enfin, la gouvernance des nouvelles structures, en même temps qu’elle permet une prise en charge efficace, par des établissements et des professionnels de santé aux champs d’interventions rationnalisés, tant en termes de compétences que territorialement. Le statut de praticien hospitalier évoluera sensiblement tandis que la présence des élus locaux est renforcée dans le pilotage local de l’offre de soins, et les professionnels de santé voient leurs carrières et leurs missions évoluer. La politique d’aide à l’installation et de lutte contre les déserts médicaux est de même rénovée et renforcée.

Pour être exhaustif, il faudrait aussi rappeler que cette loi est promulguée quelques semaines avant la discussion, au Parlement, de la loi «bioéthique». Si son contenu définitif demeure encore inconnu au jour de la rédaction du présent commentaire, celle-ci inclura nécessairement des dispositions politiques et sociales, liées, par exemple, à l’élargissement des conditions d’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes. Le rapport d’information sur la révision des lois bioéthique présenté remis par MM. Xavier Breton et Jean-Louis Touraine à l’Assemblée nationale insistait aussi sur les conditions de recours à l’intelligence artificielle du fait de la prépondérance prise par les données de santé, de même que le recours à différentes techniques génomiques. Ces pratiques ne manqueront pas d’avoir, très prochainement, une influence réelle sur le système de santé et imposeront, lorsqu’elles ne revêtiront plus un caractère expérimental, une nouvelle réforme.

Plus que le contenu de cette loi "santé", c’est son articulation avec l’ensemble du droit applicable qui conditionnera son efficacité et la satisfaction d’objectifs pourtant contradictoires : qualité de la prise en charge, sécurité des soins et frugalité des budgets nécessaires à leur réalisation. Une équation à beaucoup d’inconnues, qu’un pilotage de court terme rend souvent impossible. Il est à espérer que cette loi échappe à un tel sort, qui a pourtant été, jusqu’à présent, celui des textes qui l’ont précédée.  

newsid:470167

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.