La lettre juridique n°790 du 11 juillet 2019 : Propriété intellectuelle

[Textes] Directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : les mesures en faveur de l’octroi de licences et de l’accès plus large aux contenus (articles 8 à 14)

Réf. : Directive 2019/790 du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les Directives 96/9/CE et 2001/29/CE (N° Lexbase : L3222LQE)

Lecture: 26 min

N9820BXY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Textes] Directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : les mesures en faveur de l’octroi de licences et de l’accès plus large aux contenus (articles 8 à 14). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/52459383-textes-directive-sur-le-droit-drauteur-et-les-droits-voisins-dans-le-marche-unique-numerique-les-me
Copier

par Franck Macrez, Maître de conférences, CEIPI (Membre du Laboratoire de recherche du CEIPI-EA4375)

le 11 Juillet 2019

Le troisième Titre de la Directive [1], intitulé «Mesures visant à améliorer les pratiques en matière d’octroi de licences et à assurer un accès plus large aux contenus», comporte quatre chapitres d’inégale importance : l’un porte sur les «œuvres et autres objets protégés indisponibles dans le commerce» (chapitre 1), un autre introduit des «mesures visant à faciliter l’octroi de licences collectives» (chapitre 2), un troisième vise la «Disponibilité d’œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande et accès à ces œuvres» (chapitre 3), et enfin les «Oeuvres d’art visuel dans le domaine public» (chapitre 4) sont l’objet de l’attention du législateur.

Le troisième chapitre, composé du seul article 13, tend à instaurer un «mécanisme de négociation» pour permettre la disponibilité d’œuvres audiovisuelles sur les plateformes de vidéo à la demande. Il a en effet été constaté que des difficultés pouvaient survenir quant à l’octroi de licences, notamment en raison du fait que le titulaire de droits a peu d’incitation économique à le faire, ou que la vidéo à la demande n’entre pas dans sa «fenêtre d’exploitation» (cons. 51) Il est vraisemblable qu’en France, cette problématique ne se pose pas avec une acuité particulière, notamment en raison de la récente mise à jour de la chronologie des médias [2]. Quoi qu’il en soit, s’il en est besoin, les Etats membres doivent prévoir une possibilité d’obtenir «l’assistance d’un organisme impartial ou de médiateurs» (art. 13). Bien entendu, il ne s’agira pas d’affecter la liberté contractuelle des parties, la démarche devant reposer sur une base volontaire (cons. 52) : il s’agit avant tout d’encourager le dialogue, y compris entre organismes représentatifs.

Le chapitre quatre contient lui aussi un seul article, et se voit attribuer le même intitulé : sont concernées les «œuvres d’art visuel dans le domaine public». Le nouveau texte enfonce une porte ouverte : «lorsque la durée de protection d’une œuvre d’art visuel est arrivée à expiration, tout matériel issu d’un acte de reproduction de cette œuvre ne peut être soumis au droit d’auteur ni aux droits voisins, à moins que le matériel issu de cet acte de reproduction ne soit original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur» (art. 14). Outre le regrettable emploi du terme de «matériel», qui montre bien que le texte a été conçu en anglais, il apparaît bien évident qu’il ne peut y avoir de droit d’auteur que pour un objet qui répond à la condition d’originalité. Cela étant, cet article est destiné à contrer des pratiques abusives de revendication de droit d’auteur sur des reproductions fidèles d’œuvres tombées dans le domaine public ; il est en cela salutaire, d’autant que l’existence de ces revendications illégitimes (souvent nommées copyfraud) est souvent, dans le grand public et par un amalgame grossier, utilisée pour stigmatiser le droit d’auteur lui-même, qui serait par nature illégitime.

Mais ce sont les deux premiers chapitres du Titre III qui méritent de plus amples développements du fait de l’influence, certaine ou potentielle, des dispositions adoptées. Les articles 8 à 11 de la Directive créent un régime particulier de licence obligatoire (qui se refuse à se nommer ainsi) pour les œuvres dites indisponibles (I) tandis que l’article 12 vise à faciliter l’octroi de licences collectives ayant un effet étendu (II).

I - Oeuvres indisponibles

La raison d’être d’un régime spécial pour les œuvres indisponibles trouve des sources multiples. Dans les faits, la volonté de développer des programmes de numérisation massive, notamment des collections de bibliothèques, est contrariée par la nécessité d’obtention d’autorisations préalables des titulaires de droit, ce qui peut être difficile et engendrer des coûts de transaction importants (cons. 30). Juridiquement, le législateur européen se devait de réagir du fait de la décision de Cour de justice «Soulier et Doke» qui avait condamné le système français ReLIRE [3], notamment car il créait une exception au droit d’auteur, ce qui est de la compétence de l’Union européenne.

L’étude du champ d’application du texte (A) précédera celle de son régime juridique (B)

A - Champ d’application

1°) Oeuvres concernées

Le chapitre 1 du Titre III de la Directive concerne des «œuvres ou d’autres objets protégés indisponibles dans le commerce qui se trouvent à titre permanent dans la collection de l’institution» (art. 8.1 et 8.2). Il s’agit donc d’une approche globale des œuvres indisponible, contrairement à la législation sectorielle envisagée sur les «livres indisponibles», ce qui tend à conserver une certaine homogénéité à l’intérieur de la matière. Le texte se veut inclusif et prend soin de préciser que sont en outre concernés «les photographies, les logiciels, les phonogrammes, les œuvres audiovisuelles et les œuvres d’art uniques [...]» (cons. 37). Néanmoins, les Etats membres sont invités à encourager un «dialogue sectoriel entre parties prenantes» (cons. 42), ce qui peut conduire à une prise en compte des spécificités des différentes catégories d’œuvres.

Concernant l’origine des œuvres, les rédacteurs de la Directive ont décidé de ne pas appliquer le régime spécifique aux œuvres indisponibles provenant de pays tiers, «pour des raisons de courtoisie internationale» (cons. 39). Sont donc exclues les œuvres autres que cinématographiques publiées pour la première fois dans un pays tiers (art. 8.7.a), les œuvres cinématographiques dont le producteur a son siège dans un pays tiers (art. 8.7.b), ainsi que les œuvres de ressortissant de pays tiers dont on ne peut déterminer le lieu de première publication (art. 8.7.c). Cette dernière hypothèse amoindrit le corpus d’œuvres par rapport au projet initial de la Commission, qui prévoyait que si le lieu du producteur ne pouvait être déterminé «après des efforts raisonnables», le lieu de l’institution de gestion du patrimoine culturel est celui à prendre en compte (proposition de Directive, art. 7.4, c).

Il convient enfin de noter que le texte réserve la situation dans laquelle la société de gestion collective est suffisamment représentative des titulaires de droit du pays tiers concerné (art. 8.7, al.2).

2°) Critère d’indisponibilité

Le régime spécifique concerne, on l’a vu, les «œuvres ou d’autres objets protégés indisponibles dans le commerce qui se trouvent à titre permanent dans la collection de l’institution». Il faut attendre le paragraphe 5 de l’article pour que la définition de cette œuvre indisponible soit établie : «Une œuvre ou autre objet protégé est réputé(e) indisponible dans le commerce lorsque l’on peut présumer de bonne foi que l’œuvre ou autre objet protégé dans son ensemble n’est pas disponible pour le public par le biais des circuits commerciaux habituels, après que des efforts raisonnables ont été entrepris pour déterminer si cette œuvre ou autre objet protégé est disponible pour le public» (art. 7.5, al. 1er). Ainsi, il est exigé que soient fournis des «efforts raisonnables», sans que l’on sache par qui [4], pour déterminer si une œuvre est disponible, à défaut de quoi on pourra lui appliquer le régime spécifique. L’exigence se situe quelque peu en deçà de celle de la législation sur les œuvres orphelines, qui exige une «recherche diligente» des titulaires de droits [5], surtout si l’on tient compte de ce que la loi française a ajouté que ces recherches doivent être «avérées et sérieuses» (C. prop. intell., art. L. 135-3, 1° N° Lexbase : L9889I7E ; v. aussi C. prop. intell., art. L. 113-10, al. 1er N° Lexbase : L3109ISX, issu de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 N° Lexbase : L2845IS8), sauf à considérer que ces derniers critères n’ajoutent rien au texte [6]. Cela n’est pas illogique si on garde à l’esprit que le titulaire est identifié et peut donc être retrouvé par la société de gestion, représentative du type d’œuvre concernée. Naturellement, l’appréciation des « efforts raisonnables » se réaliser de manière différenciée, en fonction du type d’œuvre, et une consultation des titulaires de droits sera nécessaire pour préciser les exigences et les procédures (cons. 37 in fine) [7]. Il est à noter qu’une œuvre peut être déclarée indisponible dans le commerce alors qu’elle n’a jamais été commercialisée (cons. 37). Cela est cohérent avec l’objectif de diffusion de la culture de la nouvelle législation [8], alors que la loi française de 2012 n’appréhendait que la culture diffusée commercialement [9]. Il conviendra toutefois d’articuler cette faculté avec le droit moral, et l’on peut souhaiter que le législateur français prenne les mesures nécessaires pour que les institutions de patrimoine culturel respectent le droit de divulgation des auteurs, comme l’y invite la Directive (cons. 37).

Par ailleurs, le texte précise que l’indisponibilité peut concerner un «ensemble d’œuvres [...] lorsqu’on peut raisonnablement présumer que toutes les œuvres [...] sont indisponibles dans le commerce» (art. 7.5, al. 2). Cela répond à une difficulté qu’il y aurait à établir une indisponibilité œuvre par œuvre, ce qui créerait des coûts de transaction dont la suppression constitue l’objectif principal du mécanisme. L’évaluation œuvre par œuvre ne sera nécessaire que «lorsque cela est jugé raisonnables au vu de la disponibilité des informations pertinentes, de la probabilité d’une disponibilité commerciale et du coût prévu de la transaction» (cons. 38). Il est possible d’en inférer que la pratique verra se développer des méthodes pour la déclaration d’indisponibilité de corpus d’œuvres déterminées, et que l’analyse œuvre par œuvre sera l’exception.

B - Régime juridique

1°) Nature juridique des régimes spécifiques

Deux régimes distincts sont prévus par l’article 8 de la Directive.

Le premier consiste à prévoir qu’«un organisme de gestion collective [...] peut conclure un contrat de licence non exclusive à des fins non commerciales avec une institution du patrimoine culturel [...] indépendamment du fait que tous les titulaires de droits couverts par la licence aient ou non mandaté l’organisme de gestion collective» (art. 8.1). Deux conditions sont apportées à cette possibilité de gestion collective pour des titulaires de droit n’ayant pas adhéré au système de gestion collective préexistant : que l’organisme de gestion collective soit «suffisamment représentatif des titulaires de droit» en fonction du type d’œuvre et du type de droit objet de la licence (art. 8.1, a), et que les conditions de la licence doivent être identiques pour tous les titulaires de droit, en vertu d’un principe d’«égalité de traitement» (art. 8.1, b).

Le législateur tient ici compte de la diversité des cultures juridiques et a souhaité laisser le choix (« une certaine latitude » : cons. 33) aux Etats membres de la technique juridique : la législation nationale pourra opter pour un système de licences collectives étendues ou bien pour un mécanisme de présomptions de représentation (cons. 33). Le résultat sera identique : des titulaires de droit non- membres de la société de gestion se verront appliquer le mécanisme. Ces titulaires seront donc, en vertu de la loi, créanciers de la société de gestion collective alors qu’aucune relation contractuelle antérieure ne les liait à elle [10]. La France devrait logiquement transposer cette disposition de la Directive en instaurant le mécanisme de présomption de représentation : c’est le mandat de la société de gestion qui est étendu aux non-membres, ce qui a pour résultat que la société de gestion est réputée représenter les droits des non-membres[11].

Il va de soi que les dispositions de la Directive 2014/26/UE  du 26 février 2014 (N° Lexbase : L8028IZD) ont vocation à s’appliquer, en particulier s’agissant des règles de bonne gouvernance, de transparence, de communication d’information, ou encore de bonnes pratiques en matière de répartition des sommes dues aux auteurs.

Le second mécanisme est destiné à jouer uniquement dans les cas où il n’existe pas d’organisme de gestion collective qui remplisse les conditions du premier, à savoir qui est représentatif des titulaires de droits selon le type d’œuvre et le type de droits objets de la licence (art. 8.3). Il consiste en une exception pure et simple au droit d’auteur (mais aussi au droit sui generis sur les bases de données, le droit d’auteur spécifique applicable au logiciel et au nouveau droit voisin des éditeurs de presse) permettant aux institutions de patrimoine culturel de «mettre à disposition, à des fins non commerciales » des œuvres indisponibles à la double condition que le nom de l’auteur soit respecté et que ces œuvres « soient mis(es) à disposition sur des sites internet non commerciaux» (art. 8.2). Il s’agissait pour le législateur de combler les situations dans lesquelles aucune gestion collective n’existe pour le type d’œuvre concerné ou lorsque l’organisme de gestion collective n’est pas suffisamment représentatif du type d’œuvre et du type de droits.

2°) Bénéficiaires

Le mécanisme d’extension du contrat de licence non exclusive à des fins non commerciales aux œuvres des titulaires de droit de la même catégorie se réalise au bénéfice d’«une institution de patrimoine culturel » (art. 8.1 et 8.2). Celle-ci est définie comme « une bibliothèque accessible au public, un musée, des archives ou une institution dépositaire d’un patrimoine cinématographique ou sonore » (art. 2). La liste ne paraît pas exhaustive, et sont bien évidemment concernés les bibliothèques nationales, les archives nationales, les établissements d’enseignement et de recherche dans la mesure où ils accueillent des bibliothèques accessibles au public (cons. 13).

La limitation des bénéficiaires du mécanisme d’extension de l’application de la licence aux institutions de patrimoine culturel nous paraît importante à plusieurs égards. Son caractère limité permet de relativiser la critique potentielle quant au recul de l’exclusivité dans le système de droit d’auteur : une modalité particulière de l’exercice du droit de propriété est adoptée en vertu d’un objectif de diffusion de la culture, à des fins non lucratives. La poursuite de cet objectif ne nécessite d’autorisation d’exploitation commerciale, qui constituait un vice axiologique de la loi française de 2012. Il convient d’ailleurs de garder à l’esprit que, par hypothèse, l’exploitant commercial a abandonné toute exploitation de l’œuvre (puisque celle-ci est indisponible), et que généralement il n’a jamais disposé des droits numériques : lui accorder des tels droits d’exploitation était donc doublement inique [12]. En outre, la conformité du dispositif au test en trois étapes [13] serait douteuse si l’ampleur de l’entorse à l’exclusivité n’était pas cantonnée : nous ne serions plus dans un « cas spécial » et le préjudice aux intérêts de l’auteur pourrait plus difficilement être qualifié de raisonnable et proportionné, c’est-à-dire qu’il serait injustifié.

3°) Actes d’exploitation

 

Quel que soit le système choisi (licences collectives étendues ou un mécanisme de présomptions de représentation), la licence accordée par une société de gestion collective pourra s’appliquer à des œuvres dont les titulaires de droits ne sont pas membres de la société de gestion collective. Cette licence, non exclusive et à des fins non commerciales, autorisera le bénéficiaire à procéder à des actes d’exploitation, que la Directive nomme «utilisations» : il s’agira de la « reproduction, la distribution, la communication au public ou la mise à disposition du public » des œuvres indisponibles (art. 8.1). Concernant l’exception de l’article 8.2, elle ne vise que la «mise à disposition sur des sites internet non commerciaux». Globalement donc, les actes d’exploitation devraient n’être couverts par la licence que s’ils n’ont pas de visée lucrative. Une autre difficulté existe quant à la détermination précise de ce que recouvre la «non-commercialité», discussion qui peut conduire à une glose infinie. Le risque semble néanmoins limité en pratique, étant donné l’environnement de mise en œuvre du dispositif, au sein d’institutions de patrimoine culturel. Il convient néanmoins de préciser que le caractère non lucratif ne signifie pas gratuité systématique : l’institution de patrimoine culturel devrait pouvoir couvrir les investissements importants pour numériser sa collection, les coûts de diffusion ou encore les coûts de la licence (cons. 40). Il conviendra de rester vigilant quant au caractère raisonnable de l’application de cette faculté, en particulier en cas de constitution de partenariats public-privé.         
Par ailleurs, il nous semble que le législateur français ne pourra pas ignorer le nécessaire respect du droit moral des auteurs, en particulier en matière de droit au respect de l’œuvre et de droit de divulgation.

L’article 9 ajoute que ces licences doivent permettre une exploitation «dans tout Etat membre». L’objectif est certainement de voir délivrer des licences paneuropéennes couvrant l’ensemble des Etats membres. Même si cela est laissé à la libre négociation entre institutions de patrimoine culturel et organismes de gestion collective, il est possible d’estimer que cela ne poserait pas de difficultés aux sociétés de gestion, qui disposent largement d’accords de représentation réciproques dans les différents Etats européens. Un résultat analogue est atteint, dans l’hypothèse de l’exception de l’article 8.2, lorsqu’il est prévu que les exploitations « sont réputées avoir lieu uniquement dans l'Etat membre où l’institution de patrimoine culturel qui procède à l’utilisation est établie» (art. 9.2).

4°) Publicité

L’article 10.1 exige que «des informations sur les parties au contrat de licence, les territoires couverts et les utilisations réalisées, soient rendues accessibles de façon permanente, aisée et effective sur un portail internet public unique au moins six mois avant que ces œuvres ou autres objets protégés soient distribués, communiqués au public ou mis à la disposition du public conformément à la licence ou dans le cadre de l’exception ou de la limitation». L’objectif est que ces informations fassent l’objet d’une publicité satisfaisante, suffisamment tôt avant que l’utilisation n’ait lieu (cons. 41). La gestion de ce portail d’information accessible via Iinternet est confiée à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (OUEPI). Cela apparaît cohérent avec sa mission de prévention des atteintes aux droits de propriété intellectuelle [14], et le fait qu’il est déjà en charge de la base de données sur les œuvres orphelines, bien qu’historiquement l’Office n’intervenait que dans le secteur des marques et des dessins et modèles industriels.

L’article 10.2 ajoute que les législations nationales peuvent prévoir des mesures de publicité supplémentaires appropriées «si cela est nécessaire pour sensibiliser les titulaires de droits». Concrètement, cela dépendra des caractéristiques des œuvres indisponibles en question, du type d’exploitation et des usages en vigueur.

La Directive se limite à cette information générale du public, sans jamais exiger d’information individuelle des auteurs et autres titulaires de droit. Elle postule d’ailleurs que «les mesures de publicité devraient être effectives sans qu’il soit nécessaire d’informer chaque titulaire de droits individuellement» (cons. 41, in fine). Cela est caractéristique du recul de l’exclusivité voulu par le législateur, et met de côté l’exigence de la Cour de justice de «garanties d’information effectives et sérieuses» de sa décision «Soulier et Doke» [15].

5°) Opt out

La logique de l’opt out vient supplanter celle, traditionnelle, du recueil a priori du consentement de l’auteur : on assiste à un véritable «déplacement du centre de gravité de la matière» [16]. Le législateur tente de contrebalancer cette rupture paradigmatique en exigeant que cet opt out se réaliser facilement. Ainsi, il est prévu que «tous les titulaires de droits peuvent à tout moment, facilement et de manière effective, exclure leurs œuvres ou autres objets protégés du mécanisme d’octroi de licences [...]ou de l’application de l’exception ou de la limitation [...]» (art. 8.4). La disposition ne concerne à l’évidence que les titulaires de droits non-membres de la gestion collective, puisque ce sont eux qui sont concernés par les mécanismes des articles 8.1 et 8.2 : les membres de la société de gestion collective restent liés à elle sur un fondement contractuel.

L’effectivité de la possibilité de sortie à tout moment est étroitement dépendante de l’ampleur des mesures de publicité : non informé effectivement de l’exploitation réalisée sans son consentement exprès, l’auteur ne peut exercer son retrait. Le balancement se situe alors au niveau des mesures de publicité (étudiées supra), et il faut souhaiter que la faculté d’ajouter des mesures de publicité supplémentaires appropriées soit largement utilisée : la seule existence de la base de données administrée par le OUEPI paraît bien insuffisante à une possibilité effective d’opt out. Il conviendra également que ces mesures soient correctement ciblées pour être portées à l’attention des titulaires de droits : une campagne de publicité dans la presse grand public, comme cela avait été réalisé à propos de ReLIRE, apparaîtrait bien dérisoire, en plus d’être extrêmement coûteuse.

Par ailleurs, il nous semble que la question de la prohibition des formalités, issue de la Convention de Berne, risque de demeurer problématique. A tout le moins, il est permis de rester dubitatif sur le principe même du mécanisme d’opt out, qui exigera toujours une condition formelle consistant en une expression de l’opposition et nécessitant la justification de l’identité de la personne faisant cette demande.

II - Licences collectives étendues

L’article 12 permet l’«octroi de licence collective ayant un effet étendu». Ce dispositif, issu du Conseil européen, a été ajouté le 30 octobre 2017 [17] et ne figurait pas dans la proposition de la Commission européenne, ce qui fait qu’il a été largement ignoré des commentateurs. Selon toute vraisemblance, il a été ajouté à la demande de pays scandinaves, qui pratiquent ce système et qui étaient, à juste titre, inquiets de la conformité de leurs législations au droit d’auteur européen à la suite de la décision «Soulier et Doke». En tout état de cause, il est apparu nécessaire au législateur européen en raison de «coûts de transaction [...] prohibitifs» (cons. 45).

Le système est facultatif, et il est vraisemblable (et souhaitable) que la France ne le transpose pas. Il apparaît difficile de songer à l’utiliser pour sauver le système ReLIRE, puisque les licences délivrées dans le cadre de cette réglementation reposent sur le statut d’indisponibilité des œuvres, ce qui renvoie à l’application des articles 8 et suivants (cons. 43).

L’instauration des mécanismes de licences collectives étendues (A) doit présenter un certain nombre de garanties (B).

A - Mécanismes de licences étendues

Les Etats membres ont la possibilité qu’un organisme de gestion collective, lorsqu’il conclut une licence d’exploitation de droit d’auteur, puisse étendre cet accord aux droits des titulaires non membres de cet organisme (art. 9.1, a). Il est précisé que «l'organisme dispose d’un mandat légal ou est présumé représenter les titulaires de droits qui ne l’ont pas autorisé à agir de la sorte» (art. 9.1, b). La portée du mécanisme sera limitée au territoire de l'Etat membre (cons. 46).

Cette possibilité est conditionnée au fait que l’extension de la licence se réalise «dans des domaines d’utilisation bien définis, lorsque l’obtention d’autorisations auprès des titulaires de droits sur une base individuelle s’avère habituellement onéreuse et difficile à mettre en œuvre dans une mesure qui rend improbable la transaction nécessaire à l’octroi d’une licence, en raison de la nature de l’utilisation ou des types d’œuvres ou d’autres objets protégés concernés [...]» (art. 9.2 ; v. aussi cons. 47). Ainsi, le législateur européen se veut attentif au fait que l’objet et le champ d’application des licences « soient toujours soigneusement et clairement définis dans la législation  (cons. 49).

Bien entendu, ce mécanisme n’est pas destiné à se substituer à d’autres licences collectives préexistantes prévues par le droit de l’Union (art. 12.4).

B - Garanties nécessaires

Quatre garanties sont exigées du législateur national qui souhaiterait mettre en place un tel système. L’organisme doit être «suffisamment représentatif» des titulaires de droits, à la fois pour le type d’œuvre concernée et pour le type de droits objets de la licence (art. 12.3, a). Il convient de garantir une «égalité de traitement» aux titulaires de droits, c’est-à-dire que les mêmes conditions de la licence sont appliquées à tous (art. 12.3, b). Les titulaires de droits extérieurs à la licence au départ doivent être en mesure d’exclure leurs œuvres de cette licence «à tout moment, facilement et de manière effective» (art. 12.3, c). Enfin, des «mesures de publicité appropriées» doivent être prises, et ce antérieurement au début de l’exploitation, précision faite qu’il n’est pas nécessaire d’informer chaque titulaire de droit individuellement (art.12.3, d). Les informations concernant les licences seront par ailleurs publiées par la Commission européenne (art. 12.5), qui devra par ailleurs publier régulièrement des informations sur l’utilisation de ces licences étendues (cons. 50) ainsi qu’un rapport complet avant le 10 avril 2021 (art. 12.6).

***

Le troisième titre de la Directive «DAMU» est celui du recul de l’exclusivité au sein du droit d’auteur, au profit de la gestion collective qui pourra désormais opérer sans consentement ni information individuelle de l’auteur, ce qui va dans le sens d’un mouvement contraire à la tradition propriétariste et humaniste du droit d’auteur. Cela étant, le paradigme est malmené, mais, d’un point de vue de politique juridique, la Directive n’est peut-être pas si déséquilibrée au détriment de l’auteur, puisque d’autres dispositions vont dans le sens d’une juste rémunération dans le cadre des relations contractuelles avec les exploitants (art. 18 à 23).

 

[1] Publiée au JOUE, n° L 130 du 7 mai : JCP éd. G, 2019, 693, aperçu rapide par V.-L. Benabou ; JCP éd. E,  2019, 1343, étude par E. Treppoz.

[2] Arrêté du 25 janvier 2019, portant extension de l'accord pour le réaménagement de la chronologie des médias du 6 septembre 2018 ensemble son avenant du 21 décembre 2018, NOR: MICK1903343A (N° Lexbase : Z11939RD).

[3] CJUE, 16 novembre 2016, aff. C-301/15 ([LXB=]) ; Dalloz IP/IT, 2017, p. 108, note V.-L. Benabou ; LEPI, 2017, n° 1, p. 2, obs. C. Bernault ; Propr. intell., 2017, n° 62, p. 30, note J.-M. Bruguière ; Comm. com. électr., 2015, repère 6, Ch. Caron.  M. Guillemain, Le consentement de l'auteur dans l'exploitation numérique des livres indisponibles, JCP éd. G, 2017, 1128. Nos obs., «Soulier» et la résurgence de l'auteur, D, 2017, p. 84.

[4] Ce sera à chaque Etat de le déterminer : cons. 38.

[5] Directive 2012/28/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines ([LXB=L3508IUH]), JOUE n° L 299 du 27 octobre 2012  ; RTDCom., 2012, p. 783, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTDCom., 2012, p. 557, obs. P. Gaudrat. V. son art. 3.1.

[6] Nos obs., Œuvres orphelines et œuvres indisponibles, J.-CL. PLA, fasc. 1380, 2018, n° 34.

[7] La commission culture du Parlement européen allait dans ce sens : cf. avis de la Commission de la culture et de l'éducation à l'intention de la commission des affaires juridiques sur la proposition de Directive du Parlement européen, 2016/0280 (COD), 4 septembre 2017, amendement 21.

[8] La Directive ne cite, en réalité, que la promotion de la diversité culturelle (cons. 2), même s’il est fait plus loin référence à la «diffusion de contenu culturel» (cons. 50) à propos des licences collectives étendues.

[9] Le «livre» était indisponible lorsqu’il «ne fait plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur» (C. prop.intell., art. L. 134-1 N° Lexbase : L3107ISU). Pour une critique de cet état de fait : nos obs., L’exploitation numérique des livres indisponibles : que reste-t-il du droit d’auteur ?, Dalloz, 2012, 12, chron., p. 749.

[10] Sur ce mécanisme, v. S. Nérisson, La gestion collective des droits des auteurs en France et en Allemagne : quelle légitimité?, IRJS éditions, 2013, n° 601.

[11] L’Allemagne a instauré un système analogue en 2015 pour les œuvres écrites publiées avant 1966 (Verwertungsgesellschaftengesetz - VGG, chap. 5, sect. 51) : v. S. von Lewinski, Chronique d'Allemagne (première partie) : évolutions législatives en Allemagne entre 2011 et fin 2017, RIDA, n° 255, 4/2018.

[12] V. notre franche critique : L’exploitation numérique des livres indisponibles : que reste-t-il du droit d’auteur ?, art. préc..

[13] Convention de Berne, art. 9.2

[14] Règlement (UE) n° 386/2012 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2012, confiant à l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) des tâches liées au respect des droits de propriété intellectuelle, notamment la réunion de représentants des secteurs public et privé au sein d'un Observatoire européen des atteintes aux droits de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L1891IT9), JOUE n° L 129 du 16 mai 2012, p. 1.

[15] CJUE, 16 novembre 2016, aff. C-301/15, préc..

[16] E. Treppoz, art. préc..

[17] Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on copyright in the Digital Single Market - Consolidated Presidency compromise proposal, ST 13842 2017 INIT - 2016/0280 (COD).

newsid:469820

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.