La lettre juridique n°790 du 11 juillet 2019 : Propriété intellectuelle

[Textes] Directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : utilisation de contenus protégés par des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne (article 17)

Réf. : Directive 2019/790 du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les Directives 96/9/CE et 2001/29/CE (N° Lexbase : L3222LQE)

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[Textes] Directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : utilisation de contenus protégés par des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne (article 17). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/52459382-cite-dans-la-rubrique-bpropriete-intellectuelle-b-titre-nbsp-idirective-sur-le-droit-drauteur-et-les
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par Stéphanie Carre, Maître de conférences - HDR, CEIPI (Membre du Laboratoire de recherche du CEIPI-EA4375)

le 11 Juillet 2019

La responsabilité des plateformes d’échanges en ligne de «contenus protégés» fut au cœur des plus vives polémiques et controverses que l’adoption de la nouvelle Directive a pu susciter. Destinée notamment à adapter et compléter «le cadre actuel de l’Union en matière de droit d’auteur» tout en maintenant un niveau élevé de protection de ce droit et des droits voisins, comme l’expliquait la Commission, la Directive 2019/790 du 17 avril 2010, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique et modifiant les Directives 96/9/CE (N° Lexbase : L7808AUQ) et 2001/29/CE (N° Lexbase : L3222LQE) [1] prévoit notamment des règles sur «l’utilisation des œuvres et autres objets protégés  par les prestataires de services en ligne qui stockent et donnent accès à des contenus téléversés par leurs utilisateurs» [2]. Les termes utilisés pour résoudre cette question témoignent autant de sa complexité que de son caractère sensible. Si dans la proposition de Directive publiée par la Commission en septembre 2016, l’expression pour désigner les actes dont il était nécessaire de préciser le régime était déjà celle d’«utilisations particulières» de «contenus protégés», le nom de ceux qui les réalisent a évolué. Les «prestataires de services de la société de l’information qui stockent et donnent accès à un grand nombre d’œuvres et autres objets protégés chargés par les utilisateurs» sont devenus le plus souvent, dans le texte adopté, «les fournisseurs de service de partage de contenus en ligne» dont au moins l’un des objectifs principaux est de stocker et donner un tel accès. Au-delà du choix des mots, manifestant clairement une progression du débat, les dispositions relatives aux plateformes d’échanges en ligne de la nouvelle Directive, y apportent une solution complexe et de compromis. L’affirmation de l’existence d’un acte de communication effectué par ces fournisseurs et soumis à l’autorisation du titulaire de droit inscrit «dans la loi» la solution esquissée par la jurisprudence de la Cour de justice (I). Sans consacrer expressément une nouvelle exception ou limitation aux droits qu’il dessine pourtant en creux, le législateur européen aménage la responsabilité des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne concernés à l’égard des œuvres et objets protégés communiqués sans autorisation, de manière à concilier les intérêts en jeu (II).

I - D’une «utilisation» soumise à l’autorisation des titulaires de droits

Le droit d’auteur de l’Union européenne est essentiellement construit au travers de l’adoption de différentes Directives et de la jurisprudence de la Cour de justice. L’harmonisation des législations nationales, parcellaire et limitée dans un premier temps, puis générale et transversale avec la Directive 2001/29 [3], a été complétée par l’audacieuse jurisprudence de la Cour de justice. Il n’est alors pas surprenant que la consécration légale de la qualification de «l’utilisation de contenus protégés par des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne» à l’article 17 de la Directive (A) s’inspire des décisions de la Cour. Mais sans aller au bout de cette opération de qualification, à notre sens, le législateur européen a choisi de préciser ses conséquences (B) en affirmant un régime spécifique de responsabilité.

A - La consécration légale d’une qualification

La discussion est simple du point de vue du droit d’auteur. Elle est de savoir si les actes réalisés par les plateformes de partage de contenus en ligne, lorsqu’ils stockent et «donnent accès au public» aux œuvres et autres objets protégés par les droits d’auteur et droits voisins, constituent des actes soumis à l’autorisation de leurs titulaires.

Elle a un temps été obérée notamment du fait d’une défense de ces acteurs fondée sur l’invocation de leur qualité d’hébergeurs et du bénéfice à ce titre de la responsabilité allégée prévue pour ces intermédiaires techniques par la Directive 2000/31 [4]. Les juridictions, se concentrant sur cette question, n’ont parfois pas eu besoin ou ne prenaient pas forcément la peine de qualifier les actes du point de vue des règles propres aux droit d’auteur et droits voisins.

Les plateformes d’échange ont revendiqué la qualité d’intermédiaire technique en soulignant que leur activité consiste dans la fourniture d’un service de stockage de «données» [5] fournies par leurs utilisateurs pour mise à disposition au public. Si cette qualité est recherchée c’est parce que lorsqu’une œuvre protégée ou un autre objet protégé par les droits voisins est «stocké pour mise à disposition du public» par une plateforme ou un service d’échange en ligne, une communication au public de l’œuvre intervient. Or l’article 3 de la Directive 2001/29 consacre pour les auteurs «le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement» [6]. Lorsque la question a été soulevée, les plateformes ont toujours prétendu que l’acte de communication au public soumis à autorisation du titulaire de droit était réalisé par l’utilisateur de leurs services. Cette prétention a été discutée. Certaines jurisprudences nationales ont pu fragiliser leur position [7], ce qui explique sans aucun doute qu’en France notamment, d’importantes sociétés proposant des plateformes d’échanges «de contenus» en ligne, et notamment des vidéos, ont passé des contrats avec les organismes de gestion collective [8].

Si certains appelaient de leurs vœux la reconnaissance d’un rôle actif des plateformes d’échanges en ligne et de la réalisation par celles-ci d’un acte de communication[9], cette opinion était loin d’être majoritaire. Néanmoins, la spécificité de ces «nouveaux acteurs» est admise. La Commission européenne a initié une consultation sur les plateformes en ligne afin de déterminer si un régime juridique spécial devait être élaboré et le cas échéant lequel [10]. Elle semble privilégier encore une «responsabilisation» de ces acteurs et fait le pari d’une (auto)régulation dans la proposition de Directive relative au droit d’auteur dans le marché unique numérique de septembre 2016 [11]. Dans ce texte, les fournisseurs de services de la société de l’information stockant et fournissant au public l’accès à de nombreuses œuvres ou autres objets protégés («to a large amount of» précise la proposition), téléchargés par leurs utilisateurs, se voient imposer une obligation spécifique, consistant à prendre des mesures afin de respecter des accords contractuels avec les titulaires de droits (art. 13 de la proposition, devenu l'art. 17 de la Directive). Si l’on voit donc se dessiner une catégorie particulière de fournisseurs de services de la société de l’information, la proposition de Directive ne semble donc pas remettre en cause les catégories dessinées par la Directive «e-commerce» ni a priori, le bénéfice par ces acteurs d’une responsabilité limitée au titre de la Directive 2000/31 en dépit de la particularité de ces acteurs. Cette spécificité des plateformes en ligne est inscrite dans la loi française par la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 (loi n° 2016-1321 N° Lexbase : L4795LAT) qui nomme et définit un nouvel acteur, l’«opérateur de plateforme en ligne» [12], sans toutefois prévoir un régime particulier qui lui serait applicable, sauf à considérer leur obligation de loyauté et d’information à l’égard du consommateur. La question de leur responsabilité à l’égard des «contenus» demeure, comme celle de savoir s’ils réalisent un acte de communication au public ou de mise à disposition du public des œuvres ou autres objets protégés que leurs utilisateurs «fournissent»…

Or la jurisprudence de la Cour de justice a apporté à cette dernière interrogation des réponses, nous semble-t-il, dans ses dernières décisions relatives à la définition du droit de communication au public et spécialement de la notion de «communication au public». Cette notion autonome du droit de l’Union a fait l’objet d’une riche, dense, audacieuse ou chaotique (selon le point de vue…) construction jurisprudentielle. Ses derniers développements laissent penser que la Cour pourrait ne pas être favorable à l’application du régime des hébergeurs aux prestataires offrant des services de partage de contenus en ligne [13]. Dans une affaire portée à sa connaissance sur le seul terrain du droit d’auteur, la question lui est posée de savoir si une plateforme de partage qui indexe des métadonnées relatives à des œuvres protégées et fournit un moteur de recherche, permettant ainsi aux utilisateurs de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer) communique l’œuvre au public au sens de l’article 3 de la Directive 2001/29. L’Avocat Général, cité par la Cour, avait relevé que les œuvres protégées par le droit d’auteur sont, par l’intermédiaire de la plateforme de partage en ligne, mises à la disposition des utilisateurs, de manière à ce que ceux-ci puissent y avoir accès, de l’endroit et au moment qu’ils choisissent individuellement. Si les œuvres ont été mises en ligne sur cette plateforme non pas par les administrateurs de cette dernière, mais par ses utilisateurs, il n’en demeure pas moins, selon la Cour, «que ces administrateurs, par la mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, interviennent en pleine connaissance des conséquences de leur comportement, pour donner accès aux œuvres protégées» [14]. La Cour considérant «leur rôle incontournable dans la mise à disposition des œuvres en cause», souligne qu’ils «offrent à leurs utilisateurs un accès aux œuvres concernées» [15]. Elle en conclut que «la fourniture et la gestion d’une plateforme de partage en ligne, telle que celle en cause au principal, doit être considérée comme un acte de communication, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la Directive 2001/29» [16].

«Donner accès au public» à une œuvre, c’est la communiquer au public. Simplifier ainsi l’affirmation pourrait être dangereux mais c’est néanmoins la substance de la solution affirmée par la Cour de justice et elle a incontestablement inspiré le législateur qui reprend la formule dans le texte finalement adopté de la Directive. Le Parlement européen, en septembre 2018 amende en effet le texte du fameux article 13 de la proposition de Directive pour (enfin !?) affirmer que les plateformes de partages en ligne réalisent des actes de communication au public des œuvres dont elles permettent l’accès ! Dans la nouvelle rédaction de l’article 13, il est certes toujours prévu d’inviter ces plateformes à mettre en place des dispositifs techniques permettant l’identification des œuvres et de mettre fin aux atteintes au cas où le titulaire de droit ne souhaiterait pas conclure de contrat. Il n’en reste pas moins qu’il est affirmé que les plateformes réalisent un acte de communication au public et qu’elles doivent en conséquence conclure un contrat avec les titulaires du droit de communication au public.

En dépit des campagnes menées, parfois à l’initiative des sociétés gérant les plus grandes plateformes de partage en ligne, le Parlement et le Conseil ont donc finalement inscrit dans la nouvelle Directive une qualification légale de l’acte consistant, pour les fournisseurs de service de partage de contenus en ligne, à donner accès au public à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou autres objets protégés «téléversés» par les utilisateurs de leurs services. La qualification expresse imposée aux Etats, par une formulation marquée sans aucun doute par l’empreinte des longues et délicates discussions, est importante. Confirmant l’analyse dessinée par la Cour de justice, elle met fin à l’idée même que ces opérateurs puissent être considérés comme ayant un rôle passif [17]. Elle correspond à l’acceptation d’une réalité : les plateformes en question exploitent les œuvres et objets de protection par les droits voisins [18]. Si aux termes de l’article 17 § 1, les Etats membres doivent prévoir que le «fournisseur de services de partage de contenus en ligne effectue un acte de communication au public ou un acte de mise à la disposition du public aux fins de la présente Directive lorsqu’il donne au public l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou à d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs», le législateur européen n’en a pas moins fait le choix de privilégier une approche en termes de responsabilité en créant un régime spécifique pour ces opérateurs.

B - La précision légale des conséquences de la qualification

Le principe en droit d’auteur [19], en présence d’un acte de reproduction ou de communication au public, est que l’auteur a un droit exclusif de l’autoriser ou de l’interdire. Au principe correspond des exceptions et limitations. Ce principe d’un droit exclusif est affirmé par la Directive 2001/29 et a été rappelé à maintes reprises par la Cour de justice de l’Union européenne.

Le législateur européen tire logiquement les conséquences de la qualification de l’acte réalisé par les plateformes de partage en ligne et a souhaité l’expliciter. La nouvelle Directive prévoit donc que puisque le fournisseur de services de partage de contenus en ligne effectue un acte de communication au public (ou un acte de mise à la disposition du public), lorsqu’il donne l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou à d’autres objets protégés, «téléversés» par ses utilisateurs, soumis à autorisation des titulaires de droits en vertu de l’article 3 de la Directive 2001/29, il doit obtenir une autorisation des titulaires de droits. Si le législateur européen en dispose explicitement à l’article 17 § 1, alinéa 2 [20], sans doute pour clore (de la manière la plus ferme) un débat [21], on peut s’interroger sur le sens de la précision selon laquelle cette autorisation peut être obtenue «par exemple en concluant un accord de licence». De quelle autre manière cette autorisation nécessaire pourrait-elle être obtenue ? Si l’on entend jouer sur les mots… par cession bien entendu. La loi peut également permettre ou autoriser, au lieu et place du titulaire, dans l’hypothèse d’une exception ou limitation bien sûr. Il est également possible d’interpréter la disposition au regard des précisions apportées. Sans pouvoir ici questionner la valeur des considérants d’une Directive, le sens d’une disposition est a minima précisé par eux et l’on sait que la Cour, qui leur accorde une grande importance, procédera ainsi aux fins d’interprétation du texte. Or aux termes du considérant 69, l’autorisation expresse accordée par les titulaires de droit aux utilisateurs de services de partage de contenus en ligne de «téléverser» et mettre à disposition à disposition du public sur un tel service, vaut autorisation de l’acte de communication au public du fournisseur de ce service «dans les limites de l’autorisation octroyée».

La lettre de ce considérant 69, notamment, questionne, tout comme son esprit. Si l’on envisage l’hypothèse d’une autorisation accordée aux utilisateurs de mettre à disposition du public sur un service de partage en ligne, de deux choses l’une. Soit c’est parce que l’on considère que l’utilisateur d’un tel service réalise une communication au public distincte de celle réalisée par le fournisseur du service. Soit, on considère que deux personnes interviennent dans le cadre ou «à l’occasion» de la communication au public, mais qu’il n’y a qu’un acte de communication dont le responsable est celui qui exploite l’œuvre, autrement dit le fournisseur de service, et que l’autorisation peut être accordée par un accord de licence passé avec soit l’utilisateur, soit le fournisseur de service [22]. Si l’on retient cette dernière analyse, une question survient à la lecture du second paragraphe de cet article 17 de la Directive notamment. En effet, il y est expressément prévu que l’autorisation qu’obtient un fournisseur de service de partage de contenus en ligne couvrira les actes accomplis par les utilisateurs de son service et relevant du champ d’application de l’article 3 de la Directive 2001/29, lorsqu’ils n’agissent pas à titre commercial ou lorsque leur activité ne génère pas de revenus significatifs. Cette précision, tout comme celles apportées par les dispositions relatives au bénéfice des exceptions par les utilisateurs, laisse penser que les utilisateurs eux-mêmes réalisent un acte de communication au public : il y aurait donc deux actes de communication… Toutefois, aucune disposition ne l’affirme et le législateur évite soigneusement nous semble-t-il de «clarifier», pour reprendre ses termes, cette question [23].

La voie choisie, pour permettre d’adopter cette disposition sulfureuse, a été de régler la question en termes de responsabilité, d’imputabilité sans doute, d’un (d’au moins un ?) acte de communication au public identifié. Ainsi la Directive précise-t-elle tout d’abord que lorsque le fournisseur de services de partage de contenus en ligne procède à un acte de communication au public [24] , la limitation de responsabilité établie à l’article 14 § 1 de la Directive 2000/31 ne s’applique pas (art. 17 § 3).

La conséquence est logique. Il était important, sans doute, que cela soit écrit «noir sur blanc». Il était temps de rompre avec ce qui a pu être. L’observation a déjà été faite ici de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de justice relative à la notion de communication au public et avant elle, de la position de la Cour de cassation en 2012, dans une affaire concernant le service Google Vidéo liant l’accaparement de la valeur des œuvres au rôle actif. L’idée que l’exploitation à des fins commerciales ou lucratives d’une œuvre implique nécessairement un acte d’exploitation au sens du droit d’auteur «a fait son chemin» [25]

L’enjeu de l’intervention du législateur et des vives discussions relatives à ce texte était le partage de la valeur, comme le manifestent clairement l’ensemble des travaux préparatoires. Néanmoins, et même s’il est enfin admis que les plateformes de partage de contenus en ligne exploitent des œuvres et autres objets protégés par les droits voisins, le législateur a considéré que l’absence d’autorisation n’impliquerait pas systématiquement une contrefaçon : certains faits peuvent justifier la non-responsabilité du responsable de l’acte d’exploitation. Autrement dit, le législateur de l’Union dessine en quelque sorte une exception ou limitation du droit d’auteur et des droits voisins en privilégiant un raisonnement en termes de responsabilité [26].

II - D’une limitation des droits par un nouveau régime spécifique de responsabilité

Le principe étant qu’un acte de communication au public d’un objet protégé est soumis à l’autorisation des titulaires de droits, prévoir une hypothèse dans laquelle, en dépit de l’absence d’autorisation, l’auteur de l’acte d’exploitation n’est pas responsable, revient a priori à consacrer une exception ou limitation des droits. La Directive n’en crée formellement pourtant pas à l’égard de l’utilisation des œuvres et autres objets protégés par les fournisseurs de service de partage de contenus en ligne. Le législateur européen a préféré instituer pour une telle utilisation de «contenus protégés» un régime spécifique de responsabilité aux conditions différenciées (A), imposant à leurs exploitants des obligations particulières dont elle encadre les conséquences (B).

A - Un régime de responsabilité atténuée aux conditions différenciées

Le champ d’application du régime spécial de responsabilité institué par la Directive est restreint eu égard à la définition retenue des plateformes concernées. Par ailleurs, des conditions différentes encadrent en quelque sorte un régime de responsabilité(s) différencié(es).

Le régime spécifique de responsabilité créé par la Directive ne concerne que certaines plateformes d’échanges.

Si dans la proposition de Directive en 2016 il est question de «plateformes», il s’agit surtout des plateformes de vidéo à la demande en ligne, pour lesquelles l’actuel article 13 de la Directive prévoit un mécanisme de négociation afin d’encourager l’octroi de licences nécessaires à leur activité. Les plateformes d’échanges dont la destinée nous retient ici sont alors encore visées en tant qu’«intermédiaires en ligne», «intermédiaires dans la distribution en ligne d’œuvres et autres objets protégés» [27]. Dans cette proposition de Directive de la Commission, le célèbre article 13 concerne l'utilisation de contenus protégés par des prestataires de services «qui stockent et donnent accès à un grand nombre d'œuvres et d'autres objets protégés chargés par leurs utilisateurs» [28]. Le Parlement en modifiera la portée en visant dans ses amendements les «prestataires de services de partage de contenus en ligne» et en ajoutant un article 13 ter concernant les prestataires qui «fournissent des services automatisés de référencement d'images» [29]. Il propose également de définir l’acteur dont le régime de responsabilité spécial est institué, et c’est heureux. Or, si à l’égard des services proposés par les acteurs les plus importants économiquement, pour le dire autrement par les GAFAM, progressait l’idée qu’ils exploitaient ou au moins profitaient de l’exploitation des œuvres et autres objets protégés, au cœur des débats virulents s’agissant du partage de la valeur, des critiques avaient été émises quant à la nécessité de laisser se développer les plateformes collaboratives, comme wikipédia, mais aussi celles qui ont une finalité non commerciale ou celles dont la taille est limitée.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Seuls les «fournisseurs de services de partage de contenus en ligne» au sens de la nouvelle Directive sont soumis au régime spécial. L’article 2 § 6 de la Directive précise que sera ainsi considéré «le fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives». Pour répondre aux inquiétudes exprimées, les encyclopédies en ligne à but non lucratifs sont exclues, tout comme les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif, les plateformes de partage de logiciels libres. Pour d’autres raisons, qui tiennent cette fois au souci et au choix fait de voir appliquer soit un régime de pleine responsabilité, soit d’autres régimes spéciaux, sont exclus de la catégorie définie, les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la Directive 2018/1972 [30], les places de marché en ligne, les services en nuage entre entreprises et les services en nuage qui permettent aux utilisateurs de téléverser des contenus pour leur propre usage.

Le régime spécifique de responsabilité institué par la Directive est fonction de «l’importance» et de «l’ancienneté» des plateformes d’échanges concernées.

Plusieurs critères -le chiffre d’affaire, le nombre d’années d’existence ou d’utilisateurs de la plateforme en ligne- déterminent leur régime de responsabilité et donc leurs obligations, lorsqu’aucune autorisation ne leur a été accordée par les titulaires de droit. Le régime général applicable aux «fournisseurs de services de partage de contenus en ligne» est construit sur le modèle de celui des hébergeurs. Il s’agit d’une responsabilité «atténuée… mais renforcée» puisque des conditions supplémentaires (par rapport à celles communes avec le régime spécial des hébergeurs) à leur irresponsabilité sont prévues. Trois conditions cumulatives (dont une double) permettent aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne de s’exonérer de leur responsabilité pour contrefaçon lorsqu’ils n’ont pas obtenu les autorisations requises pour les actes de communication au public qu’ils effectuent.

En effet, ils ne seront pas responsables des actes non autorisés s’ils démontrent qu’ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation et qu’ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour garantir l’indisponibilité des objets protégés pour lesquels les titulaires de droits ont fourni les informations pertinentes et nécessaires et qu’ils ont agi promptement pour bloquer l’accès à ces objets ou pour les retirer dès réception d’une notification suffisamment motivée des titulaires de droits et dans ce cas qu’ils ont fourni également leurs meilleurs efforts pour empêcher leur futur «téléversement» [31]. Le dispositif revient donc sur le mécanisme du «notice and take down»? toujours valable s’agissant des hébergeurs? pour adopter le système du «notice and stay down», déjà existant pour des hébergeurs dans certaines lois étrangères.

Pour les nouveaux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, autrement dit comme le précise la Directive (art. 17§6), pour ceux qui ont mis à disposition du public leurs services depuis moins de trois ans [32], qui ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 millions d’euros, un régime dérogatoire et plus favorable s’applique. Il ressemble fort au régime de responsabilité atténuée des hébergeurs prévue à l’article 14 de la Directive «e-commerce». En effet, la seule différence avec ce régime applicable aux hébergeurs réside dans la condition «préalable» d’avoir fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation pour pouvoir prétendre à une irresponsabilité. Mais, à l’inverse des fournisseurs des mêmes services, «anciens» ou «très importants», nulle exigence de fournir leurs meilleurs efforts pour garantir l’indisponibilité des objets protégés pour lesquels les titulaires de droits ont fourni les informations pertinentes et nécessaires. Nulle condition de fournir leurs meilleurs efforts pour empêcher la réapparition d’un contenu dénoncé, sauf pour les nouveaux fournisseurs dans le cas où le nombre de visiteurs uniques [33] par mois dépasse les 5 millions !

Il est donc trois catégories de fournisseurs de services de partage de contenus en ligne pour lesquels des règles, des obligations différentes s’appliquent. Leur mise en œuvre est précisée et encadrée par la nouvelle directive.

B - Les obligations particulières aux conséquences encadrées des plateformes d’échanges

Le régime de responsabilité des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne repose en quelque sorte sur des «obligations de moyen renforcées», pour prendre une notion bien connue des civilistes. Le standard visé à plusieurs reprises pour préciser les conditions de l’irresponsabilité est celui des «meilleurs efforts». Tant pour apprécier ceux-ci que pour déterminer si les autres obligations sont respectées, la Directive «invite» les Etats et leurs juridictions à prendre en considération certains éléments, à la lumière du principe de proportionnalité (art. 17 § 6). Ainsi en est-il du type, de l’audience et de la taille du service, du type d’œuvres ou autres objets protégés téléversés. Par ailleurs, il faudra également tenir compte de la disponibilité de moyens adaptés et efficaces et enfin de leur coût pour les fournisseurs d’accès.

Ces obligations, consistant à exiger des plateformes concernées leurs meilleurs efforts à certaines fins pour pouvoir bénéficier d’un régime de responsabilité dérogatoire au droit commun du droit d’auteur, correspondent à une obligation de coopérer plus avancée que celle envisagée en premier lieu par la Commission avec l’article 13 de la proposition de Directive de 2016. Cette obligation de coopération avec les titulaires de droits est expressément visée (cons. 71) et la coopération en elle-même [34] et ses conséquences sont l’objet de nombreuses dispositions (art. 17 § 7-10 ; cons. 66, 68, 70).

Une première précision s’imposait sans doute, qui répond à une question évidente. Différent de celui des hébergeurs, le régime spécifique institué par la Directive rappelle néanmoins celui des intermédiaires techniques [35], pour lesquels la Directive «e-commerce» prévoit que l’on ne saurait exiger de ces derniers, ni mettre à leur charge une obligation générale de surveillance. Or la coopération demandée implique la prise de mesures à l’égard des «contenus». Aussi comprend-on que le législateur ait entendu préciser fermement que l’application de l’article 17 «ne donne lieu à aucune obligation générale de surveillance» (art. 17 § 8, al. 1er). L’obligation des plateformes d’échanges de coopérer avec les titulaires de droits se distingue et ne doit pas conduire à exiger des premiers une surveillance des «contenus», qu’ils exploitent pourtant sans autorisation.

Quelle est la coopération attendue alors ? Elle est avant tout, comme l’indique la Directive, celle résultant des obligations propres au régime spécifique de responsabilité (art. 17 § 8, al. 2).  Les titulaires de droits et les fournisseurs de service de partage de contenus en ligne doivent se transmettre mutuellement des informations. Lorsqu’ils entendent faire respecter leurs droits à l’égard de tels ou tels œuvres ou objets protégées, les titulaires doivent par une notification motivée, communiquer les informations «pertinentes et nécessaires» aux fournisseurs de service pour les identifier et permettre aux fournisseurs de prendre des mesures (cons. 66 et art. 17 § 4). Le considérant 68 vise par ailleurs la transparence exigée de ces fournisseurs de service quant aux mesures prises dans le cadre de la coopération. Il s’agit de leur demander de fournir sur demande des titulaires de droits, des informations utiles sur le type d’actions entreprises et la manière dont elles le sont, sans être tenus de leur communiquer des informations détaillées concernant tels ou tels œuvres ou objets protégés identifiés. Peu de marge de manœuvre, que viendra peut-être encore préciser la Cour de justice, est laissée aux Etats pour organiser la mise en œuvre du dispositif. Il leur appartient de prévoir la fourniture, par les plateformes concernées, à la demande des titulaires de droits, des informations adéquates sur le fonctionnement de leurs pratiques en ce qui concerne la coopération visée au paragraphe 4 et, en cas d'accords de licence conclus entre les fournisseurs de services et les titulaires de droits, des informations sur l’utilisation des contenus couverts par les accords (art. 17 § 7, al. 1er).

Mais la coopération ne doit pas aboutir à priver les utilisateurs de leurs droits et libertés.

La Directive précise tout d’abord que la coopération entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droits ne doit pas empêcher la mise à disposition d’œuvres ou autres objets protégés téléversés par des utilisateurs qui ne portent pas atteinte au droit d’auteur et droits voisins (art. 17 § 7, al. 1er). A ce titre sont notamment visés les œuvres ou autres objets protégés «couverts par une exception ou limitation». La formule est malheureuse : une œuvre, comme un objet de droits voisins, n’est pas couverte en tant que telle par une exception ou limitation, laquelle concernera un acte en particulier, c’est-à-dire une «utilisation» dans certaines circonstances d’une œuvre ou d’une prestation protégée. D’ailleurs, maladresse ou non, cette préservation fait l’objet d’une autre disposition, dont la formulation plus orthodoxe paraît aussi «plus ferme» (art. 17 § 9, al. 3) [36]. En effet il est affirmé par le texte que «la présente Directive n’affecte en aucune façon les utilisations légitimes, telles que les utilisations relevant des exceptions ou limitations prévues par le droit de l’Union» (art. 17 § 9, al. 3) [37]. Quoi qu’il en soit, il s’agit bien aux articles 17 § 7 et 17 § 9 de la Directive, de préserver spécialement le bénéfice des exceptions et limitations. La Directive impose aux fournisseurs de services d’informer leurs utilisateurs dans leurs conditions générales d’utilisation de la possibilité d’utiliser des œuvres et autres objets protégés dans le cadre des exceptions ou des limitations au droit d’auteur et aux droits voisins prévues par le droit de l’Union (art. 17 § 9, al. 3) [38]. Il semble d’ailleurs que les dispositions relatives à la préservation des exceptions et limitations concernent spécialement (exclusivement ?) leur bénéfice par les utilisateurs des services de partage de contenus en ligne [39]. C’est dans tous les cas à leur seul bénéfice qu’une obligation spéciale des Etats membres est précisée s’agissant de certaines exceptions considérées comme essentielles du point de vue de leur liberté d’expression et de création. En effet la Directive leur demande de veiller à ce que les utilisateurs puissent se prévaloir de certaines exceptions ou limitations, «lorsqu’ils téléversent et mettent à disposition des contenus générés par les utilisateurs» [40] : les exceptions de citation, critique et revue, d’une part, et de caricature, parodie ou pastiche d’autre part (art. 17 § 7, al. 2). Cet aspect, comme le souligne le considérant 70 est «particulièrement important aux fins d’assurer un équilibre entre les droits fondamentaux et spécialement la liberté d’expression et des arts (!?) et le droit de propriété, notamment intellectuelle» [41].

La garantie de cet équilibre suppose des moyens et la Directive oblige les Etats membres à prévoir la mise en place par les fournisseurs de ces services de partage un dispositif de traitement des plaintes et recours rapide et efficace en cas de litige sur les retraits ou blocages effectués, au bénéfice de leurs utilisateurs (art. 17 § 9). Les Etats doivent prévoir à la fois la disponibilité de mécanismes de recours extrajudiciaires et veiller à ce que les utilisateurs puissent aussi s’adresser à un tribunal ou autre autorité judiciaire compétente pour faire valoir le bénéfice d’une exception ou limitation. On songe bien évidemment, pour la France, à la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), déjà compétente pour garantir le bénéfice effectif des exceptions privilégiées (visées aux art. L. 331-7 (N° Lexbase : L8888IEW) et L. 331-31 N° Lexbase : L8876IEH du Code de la propriété intellectuelle) lorsque le titulaire de droits recoure à des mesures techniques de protection.

La Directive prévoit enfin une collaboration entre les Etats membres et la Commission aux fins d’organiser, sous l’égide de cette dernière, des dialogues entre les parties prenantes. Le droit de l’Union se construit aujourd’hui avec l’idée que la norme sera mieux acceptée et plus effective et efficace si l’on se saisit des problèmes existants et si les acteurs concernés sont associés à son élaboration. Pour «garantir l’application uniforme de l’obligation de coopération entre les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne et les titulaires de droits et établir les bonnes pratiques» (cons. 71), pour examiner les «meilleurs pratiques» pour cette coopération, eu égard notamment à «la nécessité de maintenir un équilibre entre les droits fondamentaux et le recours aux exceptions et aux limitations» [42], la Commission est appelée à organiser depuis le 6 juin dernier, en coopération avec les Etats des dialogues entre les parties intéressées, de consulter les fournisseurs des services concernés par le régime spécifique de l’article 17, les titulaires de droits, les organisations d’utilisateurs et les «autres parties prenantes concernées» pour ensuite émettre des orientations sur l’application du dispositif.

En France, un projet de loi visant à transposer le régime spécial de l’article 17 est en discussion au ministère au moment même où nous écrivons ces lignes. On peut s’interroger sur la démarche. Le dialogue, la consultation et les orientations dont l’initiative a été confiée à la Commission participent d’une manière de faire la loi, elle n’est sans doute pas partagée par le législateur français…

 

[1] JOUE n° L 130/92.

[2] Considérant 3 de la nouvelle Directive que certains ont décidé de désigner par l’acronyme «DANUM».

[3] Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (N° Lexbase : L3222LQE), JOUE n° L 167/10.

[4] Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8018AUI ; Directive sur le commerce électronique), JOCE
n° L 178/01.

[5] Ce terme de «donnée» est volontairement mobilisé ici : cette «méta-notion» est susceptible d’englober celle aussi vague de «contenu» par exemple, si séduisante que le législateur européen a choisi de la privilégier même dans une Directive consacrée au droit d’auteur ! V. sur ces notions spéc. V.-L. Benabou, Entrée par effraction d’une notion juridique nouvelle et polymorphe : le contenu numérique, Dalloz IP/IT, 2017, p. 7.

[6] L’article 3 de la Directive 2001/29 reconnaît également un droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions, pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes pour les producteurs des premières fixations de films, de l'original et de copies de leurs films, pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu'elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite. 


[7] Cass. civ. 1, 12 juillet 2012,  deux arrêts n° 11-13.669, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7506IQ3) et n° 11-13.666, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7505IQZ).

[8] En France par exemple, la société DailyMotion a passé des accords avec la SACD, la SCAM et l’ADAGP en 2008 et la société Youtube en 2010.

[9] Nous-même notamment : S. Carre et G. Vercken, Google et la fortune du droit d’auteur, Melanges A. Lucas, LexisNexis, p. 119.

[10] Consultation publique sur les plateformes, les intermédiaires en ligne, les données, l'informatique en nuage et l'économie collaborative, ouverte le 24 septembre 2015.

[11] Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on copyright in the Digital Single Market - COM(2016)593. Spécialement l’art. 13.

[12] Art. 49 de la loi n° 2016-1321, modifiant l’article L. 111-7 du Code de la consommation (N° Lexbase : L4973LAG).

[13] CJUE, 14 juin 2017, aff. C‑610/15 (N° Lexbase : A5741WH4).

[14] Point 36 de la décision, nous soulignons.

[15] Point 37 de la décision.

[16] Point 39 de la décision.

[17] On notera d’ailleurs que si dans le considérant 38 de la proposition de Directive, il était précisé qu’en ce qui concerne l’article 14 de la Directive 2000/31, il y avait lieu de vérifier si la plateforme d’échange joue un rôle actif, notamment en optimisant la présentation des œuvres ou autres objets protégés mis en ligne ou en assurant leur promotion, indépendamment de la nature des moyens employés à cet effet, le Parlement l’avait modifié en affirmant le rôle actif de certains services de partage de contenus en ligne qu’il définit (ceux dont au moins l’un des objectifs principaux «consiste à stocker, à mettre à la disposition du public ou à diffuser un grand nombre de contenus protégés par le droit d'auteur chargés ou rendus publics par leurs utilisateurs, et qui optimisent les contenus et font la promotion dans un but lucratif des œuvres et autres objets chargés, notamment en les affichant, en les affectant de balises, en les gérant et en les séquençant, indépendamment des moyens utilisés à cette fin»).

[18] Sur la centralité de la notion d’exploitation en droit d’auteur, v. not. S. Dussolier, L’exploitation des œuvres : une notion centrale en droit d’auteur, Mélanges A. Lucas, LexisNexis, 2014, p. 263.

[19] Comme en droits voisins, même si s’agissant de ces derniers, la consécration, dès leur reconnaissance, de droits à rémunération conduit à s’interroger sur l’existence d’un «principe général» de droit exclusif. Afin de mieux protéger les artistes interprètes notamment, une licence légale a été consacrée et son application doit être préservée.

[20]  «Un fournisseur de services de partage de contenus en ligne doit dès lors obtenir une autorisation des titulaires de droits visés à l'article 3, paragraphes 1 et 2, de la Directive 2001/29/CE, par exemple en concluant un accord de licence, afin de communiquer au public ou de mettre à la disposition du public des œuvres ou autres objets protégés».

[21] Comme l’indique expressément le considérant 64, il convenait de «clarifier» le fait que ces plateformes réalisent un acte de communication au public.

[22] Quoi qu’il en soit, le considérant 69 précise enfin que «les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne ne bénéficient pas d’une présomption selon laquelle leurs utilisateurs auraient acquis l’ensemble des droits concernés».

[23] Peut-être d’ailleurs cela explique-t-il en partie l’expression sibylline «téléversée». 

[24] La façon de faire du législateur européen, on l’a souligné, est ici encore particulière, du moins dans l’usage des termes, mais en toute cohérence avec la formule du § 1, sont visés au § 3 les mêmes actes donc est reprise à l’identique la formule «spéciale» «acte de communication au public» ou «acte de mise à la disposition du public».

[25] On peut d’ailleurs s’interroger. La finalité lucrative d’un «utilisateur» d’une œuvre ou autre objet protégé par les droits voisins constitue selon la Cour de justice un critère, un facteur ou un élément à prendre en compte pour déterminer l’existence d’un acte de communication au public. On peut se demander si l’article 17 de la nouvelle Directive n’en fera pas un critère déterminant. On relèvera en ce sens que les «téléversement et mise à disposition» d’une œuvre ou autre objet protégé, par l’utilisateur d’un service de partage de contenus en ligne, semblent devoir être qualifiés différemment selon que celui-ci agit à titre commercial ou avec un but lucratif (du moins si son activité génère des revenus significatifs), ou non (art. 17§2).

[26] Si l’article 17, tout comme l’article 5 qui lui énonce une exception/limitation, vise des «utilisations», le considérant 66 nomme très clairement le mécanisme mis en place : «il convient de prévoir un mécanisme de responsabilité spécifique aux fins de la présente Directive pour les cas où aucune autorisation n’a été accordée» ; est encore visé, plus loin, le «régime spécifique applicable aux nouveaux fournisseurs». 

[27] Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique : COM(2016) 593 final.

[28] Ibid..

[29] Amendements du Parlement européen, adoptés le 12 septembre 2018, à la proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique : COM(2016)0593 – C8-0383/2016 – 2016/0280(COD).

[30] Directive 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen (N° Lexbase : L4469LNT), JOUE n° L 321/36, spéc. art. 2§4.

[31] Si le mot «téléverser» est intégré au dictionnaire Larousse en 2017, celui de «téléversement», utilisé ici en réaction, ne semble pas encore appartenir à la langue française.

[32] Et pour éviter tout détournement de la règle dérogatoire et donc tout abus, comme le précise le considérant 67, le régime applicable aux «nouveaux services en ligne» ne devrait pas «s’appliquer aux services nouvellement créés ni aux services fournis sous un nouveau nom, mais qui s’inscrivent dans la continuité de l’activité d’un fournisseur de partage de contenus en ligne déjà existant qui ne pouvait pas bénéficier de ce régime ou qui n’en bénéficie plus».

[33] Pour l’heure, nous ne savons pas ce que pourrait être un visiteur qui ne serait pas unique !?

[34] La coopération attendue des fournisseurs de ces services va au-delà de celle requise pour ne pas être responsable. A l’instar des intermédiaires techniques, ces plateformes sont perçues comme pouvant dans tous les cas «agir utilement» à l’égard de «contenus» illicites : la Directive précise que le régime spécifique qu’elle met en place est sans préjudice des injonctions qui peuvent être prises à leur égard (cons. 66)

[35] Et dont l’application n’est d’ailleurs pas totalement exclue dans la mesure où il est expressément envisagé l’application de l’article 14 § 1de la Directive 2000/31 à ces fournisseurs de services «pour des finalités ne relevant pas du champ d’application de la présente Directive» selon l’article 17 § 3, alinéa 2, et le considérant 65.

[36] De la même manière le considérant 70, alinéa 1er précise que «les mesures prises par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne devraient s’entendre sans préjudice de l’application des exceptions ou limitations au droit d’auteur».

[37] Il y est également précisé que la Directive (et plus précisément, comme l’indique le second alinéa du considérant 70, la coopération entre fournisseurs de services et titulaires de droits), ne doit pas aboutir à l’identification des utilisateurs individuels, ni au traitement de données à caractère personnel, excepté conformément à la Directive 2002/58/CE (N° Lexbase : L2925LHS) et au Règlement n° 2016/679 (N° Lexbase : L0189K8I).

[38] Remarquable : c’est à notre connaissance la première fois que l’on impose une information sur cette liberté !

[39] Les termes de l’article 17 § 7 sont en ce sens. C’est sans doute moins clair avec le paragraphe 9 (les utilisations légitimes qui doivent être préservées sont visées sans que leurs bénéficiaires soient expressément précisés, bien que soient mentionnés les «utilisateurs individuels», dont le risque d’identification est soulevé, dans la même phrase). Le bénéfice des exceptions ou limitations par les plateformes elles-mêmes ne manquera pas de faire l’objet de discussions.

[40] Nous souligne. On retrouve la question posée plus haut…. Les utilisateurs, lorsqu’ils mettent à disposition des contenus générés par les utilisateurs (d’autres ? eux-mêmes ?) ne réalisent-ils pas un acte de communication au public ? On répondra peut-être que le bénéfice de l’exception concerne la génération du contenu, son «téléversement» (en ce qu’il implique une reproduction ?) …et qu’ils bénéficient de l’exception pour pouvoir créer, reproduire l’œuvre ou l’objet protégé et le communiquer au public par ailleurs.

[41] Mais qu’en sera-t-il du bénéfice de ces exceptions par les plateformes ? Et qu’en est-il lorsque la loi nationale applicable ne prévoit pas l’exception en cause ?

[42] La formule est «innovante». Elle interroge : est souvent visé l’équilibre entre les droits fondamentaux que sont les libertés d’expression, de création et le droit de propriété intellectuelle que permettent notamment les exceptions et limitations… mais entend-on viser un autre équilibre en mentionnant celui entre les droits fondamentaux et les exceptions ou les limitations ?

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